vendredi 30 mars 2018

Rien n'est plus compliqué... (Questions)

Certains définissent l'écriture comme une école du silence. Est-ce si juste ?

Si nous écrivons c'est d'abord pour circonscrire le manque, juguler l'absence, combler le vide. Tous les vides. Même, et peut-être surtout, par des petits riens.

L'écriture est parole mais elle n'est pour autant pas comparable à celle qui est proférée oralement. Nous écrivons lorsque nous ne parlons pas. Quand, pour une raison ou une autre, nous ne pouvons pas, quand nous sommes empêché de parler pour nous exprimer, pour échanger et, simplement, nous ouvrir à l'autre. N'avons-nous pour autant rien à dire ? Derrière le mot se cache souvent un silence encore plus parlant.

"Le mot empêche le silence de parler" écrivait Eugène Ionesco mais ne doit-on pas plutôt considérer que l'écriture est un silence, un silence exprimé, un silence mis en signes et, donc, un silence, en quelque sorte, parlé ? Un silence parlant ? Voir même parfois hurlant ? L'écriture, comme une forme d'expression du silence.

Si le silence traduit dans les rapports humains l'incommunicabilité entre les êtres et renvoie l'autre au néant, le silence de l'écriture n'exprime-t-il pas ce qui est indicible et, partant, ne dit-il pas bien mieux que le verbe la réalité du monde tel que nous la percevons mais une réalité à la manifestation tellement intime que nous sommes incapables de la rendre intelligible à autrui ou simplement de la révéler en paroles ?

Apagogie ? Peut-être. Mais l'inanité de l'écriture ne témoigne-t-elle pas au fond de l'absurdité de l'existence ?

Vraiment, rien ne m’apparaît plus absurde ni plus compliqué que d'essayer de communiquer pour établir un rapport à l'autre. Surtout si, comme le suggère Emmanuel Levinas, s’ouvrir à l’autre c’est "l’écouter, lui parler et s’adresser à lui en prêtant attention à son dire et pas seulement à son dit [1]". Percevoir le signifiant derrière le signifié. Essayer d’entrevoir l'intention par-delà les mots employés ou l’attitude. Entrevoir l'Autre. Cet Autre dont nous sommes divisé, séparé et dont l'image nous renvoie, comme en miroir, le terrible constat que si les choses sont si difficiles c'est peut-être d'abord parce que nous sommes séparé d'avec nous-même

[1] Emmanuel Levinas - Totalité et Infini : Essai sur l’extériorité - Le Livre de Poche.

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