mercredi 7 mars 2018

Ceux qui n'ont rien...

La nuit tombe, ils sont là, sur le trottoir, près du bureau. Trois hommes et une femme qui essaient de trouver un peu de réconfort dans une bouteille de mauvais rosé et un peu de chaleur dans une bouche d'aération du Métro. Le printemps approche. Bientôt déjà on aura oublié les rigueurs de l'hiver et nul n'évoquera plus dans les médias, jusqu'aux prochains frimas, les souffrances, pourtant tout aussi terribles une fois les beaux jours revenus, des GSL.

Je déteste l'expression de "sans domicile fixe", et encore davantage l'acronyme de SDF, et préférerais - et de très loin - qu'on lui substitue celle de "gens sans lieu". 

Ceux qui n'ont pas d'abris, pas de logis, qui sont contraints de dormir dans la rue ou qui cherchent refuge dans des endroits non prévus à cet effet sont nos frères en humanité. Des gens qu'il convient de nommer comme tels. Comment décrire ces hommes, ces femmes et, malheureusement de plus en plus souvent, ces enfants sans même leur accorder le droit le plus fondamental, celui d'être ? 

Des SDF, les SDF... On essaie de masquer la persistance d'une réalité douloureuse derrière un sigle froid, sans humanité. Trois lettres qui ne disent rien de la réalité de ceux qu'elles sont censées décrire.

Les choses étaient-elles si différentes quand on parlait des vagabonds, des trimardeurs, des clochards et des chemineaux ou, plus simplement, des sans-abris ?

J'ai déjà eu l'occasion de partager ici-même les réflexions que m'avait occasionnées la lecture du Paris insolite, ce très beau livre de Jean-Paul Clébert ou encore le formidable vagabonds de la vie de Jim Tully, et cet intérêt qui me porte à vouloir regarder dans la direction de ceux qu'on ne voit pas.

Ne rien avoir abolit-il définitivement toute possibilité d'être ? Ceux dont certains considèrent qu'ils ne sont rien car ils n'ont rien sont-ils condamné à vivre et à mourir comme des riens ?

Même la mort ne saurait être synonyme de repos éternel pour ceux qui, à défaut de pouvoir s'offrir une sépulture et des obsèques, ne peuvent espérer meilleur sort qu'une inhumation en terrain commun, cette fosse commune qu'on appelait autrefois "carré des indigents" et qui prolonge, même au-delà de la mort, leur condamnation à des lieux qui n'ont guère d'existence.

Comment savoir qu'un être humain a vécu, qu'il a souffert, qu'il a lutté pour sa survie-même si, à l'issue d'une vie sans feu ni lieu, on lui promet encore une sépulture anonyme et, prolongeant dans l'au-delà l'errance de son existence vagabonde, l'assurance que ce qu'il restera de lui sera, un jour ou l'autre, déplacé une fois encore, pour libérer de l'espace à l'effet d'accueillir de nouveaux défunts? 

Comment accepter qu'après leur avoir dénié si peu de vie, nous concédions aux gens sans lieu, à ceux qui n'ont rien, si peu de mort ?

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