mercredi 25 avril 2018

Ne plus rien penser ?


Séjour en Écosse. La visite d'un pays tout à la fois proche et dépaysant qui m'a donné en tous points l'impression profonde de privilégier l'être au paraître. Une terre où la nature est encore partout présente dans une géographie spectaculaire qui associe régions sauvages, Lochs et Glens, terres et eaux.

Les eaux de la mer du Nord ou de l'océan Atlantique, des Lochs, des torrents, des lacs et des rivières, sans oublier l'eau de source, indispensable ingrédient dans la réussite d'un bon single malt Scotch Whisky.

Toute cette eau m'inspire aujourd'hui une réflexion sur la "Voie" (nourrie du souvenir de la lecture de quelques lignes de sagesse chinoise).

Aux sources du Taoïsme, Lao Tseu enseigne en effet qu'il faudrait accepter de voir l'existence comme l'eau qui coule. Être comme l'eau, c'est à dire laisser la vie aller, s'exonérer de toute volonté, en abandonnant toute forme, toute particularité, toute spécificité au bénéfice d'un "grand Tout". Accepter de ne plus être en quoi que ce soit l'auteur de quoi que ce soit, mais que l'ordre naîtrait du Tout, que la fin s'imposerait à nous, que nous ne serions pas fondement mais simplement conséquence du chaos issu de la séparation primordiale; qu'il conviendrait de rechercher en tout une manière d'équilibre de l'univers, même si ce dernier nous dépasse en tout point. Que la conscience de l'ordre des choses serait l'acceptation qu'elles sont simplement comme elles sont et que nous n'aurions aucune prise sur elles.

Une voie commune au-delà des volontés individuelles. Un ordre du monde qui n'en serait pas la somme mais irait au-delà de leur simple addition pour se dissoudre dans une volonté collective, expression d'une manière d'"Unité primordiale" retrouvée. Un monde naturel qui s'opposerait au monde des idées ?


Oublier son moi pour accepter que nous ne pourrions pas imposer notre ordre mais que nous ne serions que le fruit de quelque chose qui nous dépasse et nous transcende, un ordre naturel des choses, un "au-delà du visible", cet "axis-mundi" d'où tout partirait et où tout reviendrait, et dont il conviendrait, pour en prendre réellement conscience, de ne plus lui prêter attention pour "transformer le voile qui recouvre la lumière en miroir"

En rédigeant ces quelques lignes, je me rends compte que j'exprime une forme de pensée personnelle qui n'est rien d'autre que l'expression même de mon individualité; une praxis totalement à contre courant des fondements de la philosophie Taoïste. Car, pour respecter la "Voie de l'harmonie", celle du Yin et du Yang, sans doute en fait conviendrait-il de ne plus se poser la moindre question, de ne plus chercher à savoir pourquoi ou comment, de ne plus opposer blanc et noir, oui et non, être et non-être; ne plus rien savoir; accepter de se libérer d'abord de soi pour mieux se perdre, définitivement. Revenir à un état naturel. Régresser jusqu'à ne plus être, sans pour autant renoncer à être. Se fondre dans un entre-deux, un intervalle qui, comme un silence en musique ou le vide en architecture, participerait de l'oeuvre, en contrepoint, par l'absence même de son ou de construction. Un vide qui serait un plein, un silence qui ne générerait aucune angoisse et qui seraient perçus comme une absence évocatrice de la présence, indispensables à la compréhension de l'origine d'un espace ou d'un son (forme d'"être en puissance" pour paraphraser Bachelard ?) ou, comme l'a écrit Lao Tseu, que "c'est ce qui manque qui donne la raison d'être".

Au final, il faudrait, pour être pleinement au monde, accepter la disparition de sa singularité. Ne plus rien être pour revenir au Tout. 

Bien que je trouve séduisante la poursuite des entre-deux et les chemins de traverse ("Le vrai voyageur n'a pas de plan établi et n'a pas l'intention d'arriver" - Lao Tseu) qui conduisent parfois à nous rapprocher de l'unité perdue, je pense fondamentalement que si nous sommes au monde c'est en chacun de nous qu'il prend couleur et forme, que tout est déjà ici, qu'il n'y a pas d'ailleurs et que le monde existe d'abord et avant tout dans le regard que chacun d'entre-nous porte sur lui.

Des goûts, je le confesse, un rien sybarites me font préférer à la vie distillée comme l'eau chinoise, l'eau de vie de distillation écossaise, et ma réflexion me portera toujours à privilégier, je crois, la liberté individuelle et l'épanouissement personnel plutôt que la quête d'un improbable bonheur collectif, concept auquel je ne souscrits pas plus d'ailleurs qu'au semblable inconscient cher à Carl Jung, malgré le penchant certain que j'ai pour une grande partie de l'œuvre du théoricien de la psychologie des profondeurs.

Alors, en guise de conclusion provisoire j'aimerais, en matière de philosophie du quotidien, associer  plutôt le "Carpe Diem" d'Horace, traçant une perspective nettement plus humaniste que les sagesses orientales du contemporain de Confucius, au précepte socratique porté au fronton du temple de Delphes: "Connais-toi toi même...".

 Ne plus rien penser ? Ne plus rien dire ? Ne plus rien écrire ?... Aïe!

1 commentaire:

  1. Mon cher Thierry du bout de mon petit port d’andratx à Majorca je partage en tout point ta réflexion que ferions nous sans un bon lagavulin bised

    RépondreSupprimer