samedi 4 avril 2020

Comme si de rien n'était

Cher lecteur, as-tu eu parfois, comme moi en ces temps de pandémie, le sentiment, ténu mais pourtant gênant, que la Faculté donnait souvent l'impression de se cacher derrière le masque de la science, comme pour dissimuler une forme d’angoissante impuissance face au mal ? Comme si, le simple fait de se rabattre encore et toujours sur la technique, permettait de justifier les budgets, les postes, les titres... Comme si une certaine institution semblait se contenter, pour se défendre de son existence, de se confier aveuglément à la recherche en attendant d'elle études, tests et rapports, encadrés par un protocole strict et au cadre rassurant. Et l’homme dans tout ça ?

Pour introduire un peu plus de légèreté (encore que, ça n'est, en l’occurrence, sans doute pas le terme le plus approprié...), je te propose de te pencher un instant sur la question de notre mine et de notre aspect général de reclus forcé.

Quand tout cela sera fini, et que nos mémoires auront commencé à réécrire le souvenir des mauvais jours, qu’en sera-t-il en effet de nous, grotesques confinés ?

Ce qui semble à priori acquis c’est que nous sortirons de cet isolement imposé plus chevelus et davantage enrobés.
Période "Abbey Road"
Empêchés que nous sommes de fréquenter les salons de coiffure et autres barbiers à la mode, nos systèmes pileux anarchiquement livrés à eux-mêmes, feront certainement de nous, à l'image des Beatles dans la période qui précéda immédiatement la séparation du groupe, des bipèdes beaucoup plus barbus, moustachus et un rien échevelés. Dans le même temps, l’inaction imposée, mais aussi l’ennui et l'angoisse, compensés par l'engloutissement de force carrés de chocolat, noir, au lait ou blanc, et d'une multitude de petits gâteaux gorgés d'huile de palme, trop sucrés, trop salés et trop gras, auront favorisé chez beaucoup - dont je suis, hélas! - la prise de poids (et je ne parle même pas de glycémie, de cholestérol ou de tension artérielle...).

Il y a de fortes chances pour que nous sortions du confinement nettement plus pileux, un peu plus épais et, pour tout dire, dans un état général sans doute un peu moins bon qu'il ne l'était auparavant, en tout cas pour ceux d'entre-nous qui sont déjà un peu avancé dans l'existence. Je ne peux m’empêcher de penser qu’après l’épidémie, le français moyen (qui, si l'on en croit la statistique, est aujourd'hui âgé de quarante-deux ans) ressemblera moins au héros asexué et filiforme d'un manga, nourri exclusivement de sushis et s'abreuvant de thé genmaicha bio, qu'à un inspecteur, moustachu et bedonnant amateur de civets, de paupiettes et de tarte tatin à la crème arrosés d'un Morgon ou d'un Juliénas, directement sorti d'une parodie de film policier de Georges Lautner ou d'un épisode des brigades du tigre. L’action des deux dernières saisons de cette série télé rétro se déroulait d'ailleurs au début du siècle dernier, juste après la grande pandémie de grippe espagnole...

Alors, voudrons-nous renouer à tout prix avec notre fantasme prométhéen et nous précipiterons-nous, à l'issue de cette période étrange, vers le premier merlan du coin de la rue pour retrouver la figure lisse, civilisée et éternellement jeune de l'homme du vingt-et-unième siècle ? Essaierons-nous, en recourant à la pratique du sport à outrance, des régimes amaigrissants et des onguents odoriférants, de retrouver notre ligne et notre look d'avant, celui du métrosexuel ou de l'über-mâle moderne, viril mais qui prend soin de lui-même, qui s'étale à la une des magazines ? Ou bien, accepterons-nous, dans la durée, les changements qui se seront opérés ? Alors, croisant telle ou telle de nos connaissances, dont la barbe fournie et blanchie, les cheveux plus longs et la bedaine proéminente viendront nous rappeler, en miroir, l'étrange et difficile période que nous aurons tous vécue et l'âge de nos artères, continuerons-nous à faire comme si de rien n'était ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire