mercredi 29 avril 2020

Contre une vie séparée

En cette incroyable période, je pensais, un peu naïvement sans doute, que rien ne pourrait plus me surprendre, mais là je viens de tomber de ma chaise! Un reportage diffusé au journal de 20 heures d'une chaîne publique présentait ce soir, en la jugeant "intéressante" dans la perspective de la fin de la période de confinement et la reprise du travail, l'initiative d'une entreprise française proposant d'équiper les salariés d'une alarme individuelle leur permettant de s'assurer que la distance physique sera bien respectée entre eux! Son porte-parole indiquait qu'ils auraient déjà reçu commande de plusieurs milliers d'alarme portative. Quelle sera la prochaine étape ? La généralisation à tous les citoyens, avec une notation sociale, comme cela se fait déjà en Chine, à la clé ? Des bons points distribués, sous forme de promotion, à ceux qui auront su maintenir une certaine distanciation sociale, comme une prime à l'éloignement ? Et quelle sanction frappera celui ou celle qui s'approchera d'un peu trop près de ses collègues, de ses voisins, de ses amis, de sa vieille mère, de son ou de sa chérie, de ses enfants ? Des licenciements sont-ils à craindre dans un futur proche pour cause de "proximité intempestive" ? Des amendes à raison de "flirt trop appuyé" ?  La prison pour un câlin ? Je suis simplement atterré...

On dit parfois que comprendre rend l’esprit paresseux. Il m'arrive, lorsque j’ai l’impression que je suis sur le point d’atteindre à tel ou tel sujet et encore davantage peut-être lorsque cette compréhension est le fruit d’une démonstration au caractère logique ou presque mathématique, de renoncer et, au contraire de me contenter de m’en tenir à l’idée rassurante que j’aurais compris quelque chose, de persister à questionner et douter. Je me défie autant des théories que des dogmes et si une question m’apparaît presque indiscutable tant elle aura été argumentée, justifiée, démontrée, je me méfie, j’hésite et le doute n'en est même que renforcé, agissant comme un carburant, un encouragement à penser davantage. Alors je me pose de nouvelles questions, j’élargis l’angle, je (me) retourne, je change simplement de point de vue, quitte d’ailleurs à finalement revenir au résultat initial. C’est en cela que mon doute ne peut en rien s'assimiler à une forme quelconque de complotisme. Je ne crois pas à l’intervention d'une main secrète et occulte qui agirait dans l’ombre, simplement je me pose des questions, tant je me méfie des dogmes, et je pense qu’il n’y a pas de vérité unique encore moins définitive, même scientifiquement démontrée.

Il m’arrive de parfois faire miens les principes de l’analyse systémique qui considère toute vérité comme relative, promeut une vision holistique, adopte l’idée de causalité circulaire et de complexité, et se fonde très largement sur le structuralisme.

Pour en revenir à l'actualité immédiate, bien sûr le confinement a eu la vertu première de sauver des vies mais il est grand temps de se poser, enfin, la question comparée du bénéfice attendu pour chacun, à court terme, et des risques générés pour l'ensemble de notre société, à moyenne et plus longue échéance, pour embrasser l'idée que la vie est une somme de hasards, une suite d'aléas et de choix aux conséquences qui échappent le plus souvent à toute maîtrise, accepter enfin d'oser et de recommencer à vivre. Car quoi ? On voudrait nous faire accroire que l'existence pourrait être plus belle si elle était moins risquée ? Mais vivre n'est-ce pas accepter, comme une simple donnée, que tous, un jour, nous allons mourir ? Il y a certainement moins de péril à rester enfermé chez soi, isolé du monde et des autres, mais, comme le dit l'adage populaire, l'aventure n'est-elle pas au coin de la rue ? Renouons avec le risque, un risque maîtrisé, un risque conscientisé, mais acceptons de vivre! Une vie différente, peut-être, mais la vie ! Rien moins.

Les anxiogènes mises en garde de la faculté, autant que les martiales injonctions gouvernementales, n'y changeront rien, en ces instants où chacun, dirigeant politique comme sommité scientifique, ne paraît plus mû que par le désir de nous (sur)protéger (pour mieux se protéger lui-même ?). Je sais bien que gouverner c'est prévoir mais, dans les considérants des décisions prises et annoncées ces jours-ci, la somme cumulée des effets d'une pandémie provenant d'un virus inconnu, d'un principe de précaution érigé au rang de norme constitutionnelle, la transparence comme un nouveau dogme et des possibilités d'action offertes à tous par une société de plus en plus judiciarisée semble malheureusement plus agir comme la source d'une sourde peur pour l'élite d'éventuels contrecoups, demain, des choix d'aujourd'hui, que comme un stimulant pour la prise immédiate de décisions simples, équilibrées et compréhensibles. Les conséquences en matière de santé publique, d'un usage régulier du tabac ou de la consommation d'alcool sont beaucoup plus dangereuses et mortifères que la circulation du Covid19 et, pourtant, nul de nos gouvernants ne songe sérieusement à en prohiber la consommation ou à en interdire le commerce. Nous devons accepter que la vie repose sur un équilibre qui possède, en lui, une dynamique qui le rend, par nature, instable. Oui, la vie est incertaine et dangereuse. Devons-nous pour nous en prémunir, renoncer à vivre ? Êtres sociaux par définition, pouvons-nous vraiment, au nom d'une prophylaxie devenue doctrinaire, accepter l’idée, sans renoncer à ce que nous sommes, de devoir nous contenter désormais (et pour combien de temps ?) d’une vie cloisonnée, d’une existence distanciée, d’une vie séparée ? Je te le dis tout net, ami lecteur: je m'y résous de moins en moins.

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