samedi 11 avril 2020

Ne rien se souvenir de ce qui fait un homme

"Comment un homme prisonnier dans la toile de la routine peut-il se souvenir qu'il est un homme, un individu distinct, qui se voit accorder une seule occasion de vivre, avec des espoirs et des déceptions, des douleurs et des peurs, avec le désir d'aimer et la terreur de la solitude et rien ? "1

Pour commencer mon petit libelle du jour, je prends la liberté de citer l'écrivain et psychanalyste américain Erich Fromm. Ancien membre de la Société Psychanalytique de Vienne, il fut l'une des figures de l'école psychodynamique américaine mettant en avant l'interaction de l'individu avec le groupe social. Ce très beau passage m'a semblé faire particulièrement écho à la situation inédite et terrible que notre monde traverse. Avons-nous encore le souvenir de ce qui fait de nous des hommes ?

Pour revenir à notre actualité du moment, les médias en ligne titrent aujourd'hui tous sur une baisse record du nombre de blessés et de tués sur les routes en mars. Wouhaaa ! En voilà de l'info, et de la chaude! Les français ne peuvent plus rouler au volant de leur auto, la violence routière a diminué! Bon, alors, comment dire ? On nous prend pour des neuneus ou ce sont eux les cons ? Le confinement, et, par voie de conséquence, l'interdiction de circuler a même, selon un très officiel communiqué du Ministère de l'intérieur, "bien évidemment fortement réduit l’ensemble des déplacements". Non ? Vrai ?... Allez, je te fais une petite prédiction : Mon petit doigt me dit que les quatre dernières semaines, et ce sera tout particulièrement  vrai pour les jours des départs en vacances et le weekend pascal, auront également connu un record de diminution du nombre de kilomètres de bouchons routiers, et même sans-doute comme jamais depuis les années 70!

Dans le même temps, des journalistes très sérieux (si! si!...) nous enseignent que les grands excès de vitesse enregistrés pendant la première semaine d'avril sont marqués par une hausse spectaculaire par rapport à la dernière semaine avant le confinement. Tiens donc... Empêchés qu'ils sont de circuler librement, certains, espérant peut-être, en forçant l'allure, échapper aux contrôles de leur laisser-passer par des pandores aux aguets ou grisés par la fluidité de voies rapides dépeuplées comme elles ne l'ont jamais été, auraient un peu trop appuyé sur le champignon et... se seraient fait prendre alors, mais pour excès de vitesse.

Il est, depuis plus de quatre semaines, expressément interdit de circuler et... il y a moins de circulation ! Jolie Lapalissade! Et tiens, puisqu'on évoque la mémoire du seigneur de La Palice, ses vérités d'évidence un peu niaise et ses truismes en tous genres, la période est propice pour rappeler ce couplet de "La chanson" que l'Académicien et poète Bernard de la Monnoye lui a consacré, tant il entre en résonance avec l'actualité de trop nombreux de nos semblables et les débats sans fin de la Faculté sur l'hypothèse d'un traitement curatif :

"Il consultait rarement
Hippocrate et sa doctrine,
Et se purgeait seulement
Lorsqu’il prenait médecine"2

En guise de conclusion à cette petite errance du jour qui nous aura conduit, par les chemins détournés et curieux d'une libre association dont la logique reste inaccessible à l'auteur confiné, d'un Maréchal de France du Quinzième siècle à un sociologue et psychanalyste marxiste du Vingtième, je livre à ta réflexion, cher lecteur, cette très belle citation de Fromm dont nous pourrions sans doute nous inspirer en cette conjoncture si particulière : "La tâche à laquelle nous devons nous atteler, ce n'est pas de parvenir à la sécurité, c'est d'arriver à tolérer l'insécurité." 


1 - Erich Fromm - "L'art d'aimer" (1957)
2 - Bernard de la Monnoye - La chanson de La Palice (Début du XVIIIème siècle)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire