jeudi 9 avril 2020

En rien désirable

Ce petit texte, je le sais, n’aura rien d’original aux yeux de beaucoup, mais il m’importait de l'écrire. 

Déjà quatre semaines de vie confinée... Beaucoup réalisent que c'est long et plus difficile qu'ils ne le pensaient, le confinement. Et maintenant, certaines autorités scientifiques nous expliquent qu’il faudrait, pour l'avenir, modifier nos habitudes culturelles et envisager de tous devoir nous comporter désormais comme le font, depuis longtemps, les japonais, mais en pire : ne plus d’approcher à moins d’un mètre, ne plus se faire la bise, ne plus se serrer la main, porter un masque dès qu’on sort de la maison; renoncer, mais pour combien de temps encore, au bistrot, au restaurant, à simplement se retrouver entre amis; maintenir - ad vitam aeternam - la, désormais trop fameuse, distanciation sociale (?). Et, se fréquenter, séduire, embrasser, étreindre, caresser, baiser, on pourra encore ? C'est bien vite oublier, ou feindre de le faire pour la facilité de l'argument, que l'homme est d'abord un être social. Imagine-t-on un monde d'anachorètes ?

J’entendais hier soir sur le plateau d'une chaîne d'information des épidémiologistes et des infectiologues qui nous annonçaient une longue période de « stop and go » et affirmaient, doctement, que la maladie était là pour durer, que le virus ne disparaîtra pas, que rien ne permettait à ce stade d'imaginer à court terme une amélioration sur le front thérapeutique et que c’est notre mode de vie qui devra changer. 

Des "parcours clientèles" dans les commerces, autant dire des marquages au sol pour s'assurer que plus personne ne s'autorise à sortir de la ligne, un "traçage" électronique généralisé, autant dire la fin du principe fondamental qui garantit la liberté individuelle et l'intimité de chacun, des sens uniques, des sens interdits, des heures de sortie autorisées et encadrées dans leur durée, d'autres où l'on ne pourrait plus sortir du tout... Que nous réserve l’étape suivante ? Une police de robots, de capteurs et de drones pour encore mieux nous surveiller ? Big brother, en encore plus horrible ? Paradoxe d'une multiplication d'interdits sociaux dans un monde désocialisé! Avec toujours plus de proscriptions en tous genres et, à la clé, toujours plus de frustration, vers quelle sorte de monde psychotisant allons-nous ?

J'ai beaucoup de mal à simplement envisager que nous nous dirigions vraiment vers ce monde de zombies, isolés et anxieux, avec, suspendue en permanence au-dessus de leurs têtes, une épée de Damoclès avec laquelle il faudrait apprendre à (ne plus) vivre. Même les pires scenarii des cauchemars dystopiques des auteurs de science-fiction sous acide que je lisais dans les années soixante-dix seraient alors dépassés. Quoi ? Un monde sans aucune interaction sociale, sans rencontre, sans échanges rapprochés et tactiles. Un monde sans aucune proximité possible ? Une vie distanciée ? Une vie « à distance » ? Un monde sans vie ? Tenir la vie à distance, n'est-ce pas l'un des signes cliniques de la Psychose ?

Alors, nous préparons-nous une société de psychotiques paranoïaques ? Un monde dans lequel chaque individu, tenu de plus en plus éloigné de l'autre, placé contre son gré dans une forme imposée et durable d'exil intérieur, aura, chaque jour d'avantage, l’impression de ne « pas être comme les autres », d’être à l’écart, coupé du groupe et de ses semblables. N'y a-t-il pas un risque alors que chacun se sente de plus en plus étranger, égaré dans un monde qui n’est pas fait pour lui ? Et, dans le même temps, le caractère anxiogène du discours ambiant ne risque-t-il pas de voir se développer une méfiance généralisée, une sensation de menace permanente et un sentiment de persécution qui confineraient à la paranoïa ? Après avoir été les stars involontaires des plateaux TV, les urgentistes, les infectiologues et les immunologistes céderont-ils demain leurs places à des débats entre psy ?

En ce qui me concerne, une chose est en tout cas certaine, je ne souhaite en rien voir advenir ce "meilleur des mondes" d'après qu'on nous annonce. Tant il ne m’apparaît, en rien, désirable.

2 commentaires:

  1. Ne soyez pas si pessimiste!
    L'être humain est un être social.
    S'embrasser, se toucher, rien ne changera, c'est un fondement anthropologique.
    Il faut attendre encore un peu.
    Attendre les poumons en acier, le cœur artificiel, le nez en plastique et le préservatif lingual.

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  2. C'est à ce moment là que je suis satisfait d'avoir un certains âge !! Besos et merci !!

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