mercredi 22 avril 2020

A vouloir tout voir : ne plus rien comprendre ?

Cher lecteur, peut-être comme moi es-tu surpris, et même parfois sidéré de l'augmentation sans cesse croissante d'images, plus ou moins drôles, à l'origine plus ou moins certaine, aux visées plus moins obscures, à l'intention plus ou moins bienveillante qui, chaque jour, nous parviennent via les réseaux sociaux ou la télévision. Je voudrais aujourd'hui aborder avec toi la force évocatrice de l’image. Et, l’idée que, la carte n’étant pas le territoire, chacun peut très différemment interpréter ce qu’il voit, ou, pourrait-on dire, ce qu'il croit voir.

A titre d’illustration (Si! Si!...) je vais commencer par essayer de te décrire une image proposée par Jean-Paul Sartre dans la Nausée : On y aperçoit, nous dit-il, plusieurs femmes agenouillées devant un homme qui boit du vin... Essaye maintenant, sur la base de cette description succincte, de t'en faire une représentation. Que vois-tu ? Image immorale ? Chromo à connotation sexuelle ? Évocatrice de quelque érotique perversion ? Ça n’est pourtant absolument pas d’un instantané coquin pris dans le salon d'un bobinard d' avant-guerre dont s’agit, mais, plus simplement, d’une photo prise dans une église, au moment de l'Eucharistie, pendant la messe dominicale.

Comment pouvons-nous, à la simple description qu'on nous livre d’une scène, nous faire une représentation aussi proche que possible de la vérité ? Suffit-il pour comprendre le sens d’une image qu'on nous la  décrive ? Peut-on simplement analyser à partir d’un témoignage ? Oui, les images, quel que soit leur type, ont forcément quelque chose à nous apprendre, mais méfions-nous de ce que nous pouvons croire qu’elles nous disent... Chaque message a son propre langage, avec ses codes, et a toujours une ou plusieurs fonction(s): communiquer, convaincre, persuader, critiquer... Le monde est à l'image de l'idée que nous en avons.

On enseigne aux plus jeunes que, pour analyser une image et avant de dire ce qu’on en pense, il convient dans tous les cas, de:
  • Décrire le plus objectivement possible (en exposant ce que l'on voit, de façon la plus claire, et, surtout, en se gardant de toute interprétation, à ce stade);
  • Contextualiser (ce que l'on sait du contexte de l'image en question);
  • Interpréter et, le cas échéant, critiquer (en évoquant ce qu'on peut en déduire ou les pistes de compréhension qu'on peut en avoir).
Alors, en cette période où plus que jamais peut-être, nous pouvons, véritablement, nous sentir en bien des occasions, comme « assaillis » par la présence continue d’images diffusées sur les réseaux sociaux où les chaînes info, sans filtre aucun, ni pédagogie, il convient d’y réfléchir à deux fois avant de les interpréter et de nous efforcer encore davantage d'exercer notre sens critique. Gardons-nous surtout de (re)diffuser des images qui nous sont présentées comme des informations, que nous croyons comprendre mais dont, finalement, nous ne connaissons pas grand-chose. 

Au-delà de l'image, élargissons notre réflexion à l'information en général. La société de l'information qui s'est peu à peu installée au cours du siècle passé, serait-t elle en passe de devenir, en ce moment plus que jamais sans doute dans l'histoire de l'Humanité, celle de la désinformation ?

A ce stade, je te propose que nous fassions, ensemble, un petit exercice. Avons-nous, récemment, relayé une image dont ne connaissions ni l'origine ni le contexte, et que nous aurions même bien été en mal de décrire précisément ? Au fond, le plus important dans la communication n'est-ce pas d'entendre ce qui n'est pas dit, de voir ce qui n'est pas montré ? Pour nous aider à filtrer les messages qui nous parviennent et, quelle qu'en soit la forme, avant de les répéter et de les propager, il existe une méthode simple, efficace depuis trois millénaires: le filtre de Socrate. En réponse à quelqu'un venu lui rapporter une information sur l'un de ses amis, le philosophe posa trois questions:
  • "As-tu vérifié si ce que tu veux me raconter est vrai ?"
  • "Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de bien ?"
  • "Est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ?"
Ce que dit Socrate c'est que, sous réserve de s'être d'abord assuré de la fiabilité d'une information et d'en avoir analysé l'intentionnalité, il convient de s'interroger sur son utilité. Car il faut toujours prendre garde qu'à toujours vouloir en (sa)voir davantage, nous prenions le risque d'un jour ne plus rien comprendre. Accumuler des savoirs, parfois inutiles, souvent futiles, au risque de perdre toute chance d’accéder à une forme de sagesse ? Oublier, peu à peu, les savoirs acquis, fruits de la perception de nos sens accumulés au fil du temps, n'est-ce pas, au contraire, le plus sur chemin vers la vraie Connaissance...

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