mardi 7 février 2017

Un rien d'air de famille.

Il y a quelques semaines, j'ai brocardé l'emphase, qui m'apparaissait un peu décalée, mise par le leader des marcheurs dans la conclusion de son "grand" discours parisien. J'ai écouté l'autre jour une partie de son prône lyonnais. Je dois admettre que la manière du candidat du Mouvement de l'Extrême Centre, bien que s'affirmant de gauche, ne m'est pas apparue si maladroite. En tout cas, sur la forme, il semble avoir appris. Mais, bien que nécessaire, cet apprentissage ultra-rapide d'un élève appliqué et il faut le reconnaître, doué,  ne sera je le crois, pas suffisant.

On raille aujourd'hui sur les réseaux sociaux sa manière de mettre la main sur le cœur lorsqu'il chante la Marseillaise. D'aucun argue même que "ça n'est pas prévu par le protocole". Soit ! Mais est-ce là tout ce qu'on a trouvé à lui reprocher que ce geste que, pour ma part je ne trouve au fond pas tellement choquant. Ce qu'en revanche je considère comme nettement plus inquiétant c'est que, moins de trois mois avant le premier tour de l'élection, son programme et ses propositions restent toujours aussi flous. Aurait-il fait sien l’adage du candidat populiste qui proclamait à qui voulait l'entendre : "Mon programme, c'est le vôtre" ? Compte-t-il révéler le contenu de son agenda après qu'il aura été élu ? En fait, j'ai le vague sentiment que le présupposé vent de nouveauté porté par ce candidat "hors système" (sic!) n'est autre qu'une tentative de recyclage d'idées et de formules anciennes dont on a malheureusement déjà pu constater l’inefficience. Comme aimait à le dire François Mitterrand en paraphrasant le Cardinal de Retz : "on ne sort de l’ambiguïté qu'à ses dépens..."

Même si "l'homme public ne monte jamais aussi haut que lorsqu'il ne sait pas où il va"(1), l'affichage volontariste du renouveau et de la modernité ne sauraient à eux-seuls faire un programme présidentiel  !

Dans sa volonté d'incarner, à tout prix, un certain modernisme et de vouloir tout changer, M. Macron candidat auto-proclamé "libre et indépendant", ressemble à s'y méprendre aux images qui me reviennent en mémoire de JJSS. Mais si, souviens-toi ami lecteur : Jean-Jacques Servan Schreiber. Celui que Chirac surnommait "Turlupin" et qui pensait dans les années 60, comme notre brillant inspecteur des finances d'aujourd'hui, qu'il avait un rôle central à jouer dans le "nécessaire renouvellement du personnel politique". Social-libéral, il voulait jeter des ponts entre les réformateurs de gauche et de droite qu'il tenta de réunir, avec son ami Jean Lecanuet (autre beau spécimen de candidat "du progrès", lui aussi jeune et à l'image tellement télégénique...), au sein d'un "Mouvement" (déjà !). Il lui arrivait, à lui aussi, de mettre la main sur le cœur, sans-doute inspiré par les photos d'un JFK pour lequel il confessait une grande admiration. L'éphémère ministre du gouvernement Chirac  - 13 jours, une forme de record, en 1974 - terminera sa vie politique en réunissant 1,84 % des voix aux premières élections au parlement européen au suffrage universel de 1979. Tiens, 1979, c'est justement l'année où je me suis engagé en politique en faisant campagne pour soutenir la liste conduite par un certain Jacques Chirac. Une liste dont la promesse - "Défense des Intérêts de la France en Europe" - reste encore tellement actuelle mais paraîtra sans doute complètement ringarde aux yeux des jeunes marcheurs post-modernes.

1979, une année où le Parti Communiste Français osait encore afficher une forme de patriotisme.

1979, l'année où Margaret Thatcher entamait un bail d'une décennie au 10 downing street, résidence du Premier ministre britannique (à choisir, vaut-il mieux une Thatcher ou un tchatcheur ? Après tout, on a les élites qu'on mérite...).

1979. Cela fera bientôt 40 ans. L'âge de M. Macron...

Tu me diras que comparaison n'est pas raison. N'empêche ! Le candidat des marcheurs sera-t-il une forme de moderne "kennedillon" au destin brûlé au feu de paille médiatique ou le vrai réformateur de la vie politique française ? Pour rencontrer les électeurs, il ne lui suffira pas de distribuer des adhésions gratuites ou des investitures en ligne, ni de dénoncer à chaque discours la fossilisation de la vie politique à laquelle il a pourtant depuis plusieurs années pris une part largement active ; encore lui faudra-t-il porter un projet crédible et convaincant. Vanité bien française ! Moi, pour l'instant, la seule certitude que j'ai le concernant, c'est la ressemblance physique frappante - la couleur en plus - que j'ai relevée avec une photo ancienne de Boris Vian ; celui qui écrivit de façon visionnaire en 1952 : "Dire des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c'est le seul moyen de prouver qu'on a une pensée libre et indépendante"(2)Un rien d'air de famille, non ?


(1) Cardinal de Retz -  Mémoires
(2) Boris Vian - Le goûter des généraux.

mercredi 1 février 2017

Parler de tout et de rien.

Aujourd'hui, ami lecteur, je voudrais te parler de tout et de rien.

De la manie qu'ont les gens de vouloir avoir un avis sur tout, de parler pour rien, pour ne rien dire, ou surtout - devrais-je dire - pour parler d'autre-chose, un autre-chose qui souvent parle d'eux. J'avais déjà abordé ce thème dans un post intitulé "ne rien dire ou fermer sa gueule ?"

Petit enfant, je pleurais chaque fois que j'entendais "les roses blanches".

Cette chanson, au rythme qui n'avait rien de Rock’n’roll, interprétée par Berthe Sylva (et récemment reprise par Sanseverino) raconte l'histoire d'un poulbot, un pauvre gamin de Paris n'ayant pour toute famille que sa mère hospitalisée, à laquelle il apporte chaque dimanche des roses blanches... Chaque fois que je l'entendais, je pleurais. Je ne percevais alors que la tragédie dans l'accumulation sordide de détails tous plus tristes les uns que les autres, et pas encore le comique - même involontaire - de cette "chanson réaliste". J'avais honte, je me cachais; puis je me suis contenté de pleurer en silence. 

De quoi au juste ce triste silence pouvait-il bien être le nom ? Même si la sagesse populaire admet volontiers qu'on pleure quelques fois sans trop savoir pourquoi et malgré les quelques séances d'analyse qui y ont été consacrées, je n'ai toujours pas compris ce qui, dans ce mélo, pouvait tant m'émouvoir...



Revenons au silence.
Vaut-il mieux parler, même et surtout lorsqu'on à rien à dire, que la fermer quand on connaît le sujet ? Un mensonge est-il préférable à rien ? Le péché par action ou par omission ? Dans les civilisations classiques, le silence entendu comme absence de parole était souvent considéré comme l'expression d'une forme de paix intérieure, de méditation, de maîtrise, de sagesse. N'est-ce-pas, au fond, un signe de maturité que de savoir parfois ne rien dire ?

D'expérience, comme il m'arrivait enfant de pleurer en silence, souvent je préfère  me taire tant il me paraît de plus en plus difficile de se faire entendre, de se faire comprendre. Chacun parle, j'en suis certain, une langue qui lui est propre. Essayer de communiquer c'est déjà trahir une pensée qui, par essence, ne saurait totalement - je veux dire dans la totale portée de ses conséquences - être exprimée par des mots à la signification nécessairement limitative et qui nous échappent dès qu'ils sortent de notre bouche.

Peut-on, pour autant, se contenter de "passer sous silence" certaines de nos pensées ? Convient-il d'imposer, en gage de tranquillité, une manière d'auto-censure à nos passions plutôt que de parler, au risque du dialogue, au risque du conflit auquel pourraient conduire les excès de la rhétorique ? Au risque de l'émotion ?  

Si le silence est caractérisé par une absence de son, il symbolise une forme de vide quasi-existentielle pour les fils de la communication, ces enfants du 21ème siècle qui plus que tout le craignent tant ils l'identifient à l'ennui(*), au néant et à la mort. Pourtant, le silence n'est pas vide. Le silence n'est pas absence de bruit. Le silence n'est pas absence de sens. il peut parfois même être lourd... Le silence peut aussi faire peur en ce qu'il réfléchit comme un miroir qui renverrait l'autre à la conscience de sa propre solitude. Alors le silence c'est comme tout, il ne faut sans doute pas en abuser.

En concluant mon propos du jour par une citation du Révérend Martin Luther King - "À la toute fin, nous ne nous rappelons pas des mots de nos ennemis, mais du silence de nos amis" -, je voudrais rassurer les miens d'amis, comme les autres d'ailleurs, en leur indiquant que si souvent je ne dis rien c'est que je n’en pense pas davantage. Enfin, j'dis ça, j'dis rien...


(*) Alain Corbin - Histoire du silence - éditions Albin Michel.

vendredi 27 janvier 2017

Ne rien oublier de tout ce qu'on n'a pas fait...

A l'issue d'une conférence du Docteur Laurent Alexandre1, spécialiste reconnu des questions touchant au mouvement transhumaniste, je suis ressorti très partagé. Assez bluffé par la clarté du discours et la brillance du propos, mais presque désespéré sur le fond. Son approche très matérialiste, presque exclusivement quantitative, impressionne par la série de chiffres qu'il met en avant et les sombres perspectives qu'elle permet d'entrevoir, mais ne laisse aucune place à l’espérance, à la spiritualité, aucune place à la moindre forme de transcendance (qu'elle soit d'ailleurs entendue aussi bien au sens métaphysique ou philosophique que du seul point de vue marxiste, savoir la capacité de l'homme à créer son avenir par son travail conscient au présent).

Ernest Renan considérait que l'individu moderne devrait "naître enfant trouvé et mourir célibataire". Beau programme ! Quelle signification donner à cette phrase ? Que, comme seul on naît, tout autant seul on meurt. Mais entre les deux comment vivons-nous ? Sommes-nous condamner à naître, vivre et mourir seul ?

Si j'aime bien - au 1er degré - cette phrase qui, tu t'en doutes, me conforte dans une forme de pessimisme tempéré mais inquiet pour l'avenir de l'humanité, pour autant je ne peux me résoudre à la terrible désespérance qu'elle porte en germe. Je ne crois pas que nos émotions, l'entrelacs des relations humaines que nous tissons au long de nos existences, les sentiments que nous ressentons ne soient qu'illusions.

Je ne peux me contenter, comme Nietzsche, de la simple acceptation résignée et nihiliste du tragique. Même si au fil du temps qui passe et des épreuves traversées se développent le sentiment d'une forme d'absurdité et la conscience de la précarité et de la finitude de notre existence, le désir, source de nos émotions, reste heureusement le moteur même de nos en-vies. Au-delà, le simple fait de porter un regard différent sur les choses, sur ce qui nous affecte ou a pu nous affecter, le "pas-de-côté", celui qui permet d'abandonner la seule analyse rationnelle - et par là-même souvent inquiétante - du monde pour revenir au simple étonnement, à l'émerveillement parfois, me permet de lutter contre l'angoisse existentielle.

Introduire en quelque sorte une vision poétique du monde pour mieux en supporter l'horrible quotidien. Voir dans l'absurdité même de nos vies non pas la tragédie d'une situation sans issue - ou même l’anxiogène conscience d'une issue plus que certaine - qui s'abandonne au pathos, mais, par une forme de catharsis, y puiser l'ironie ou le burlesque qui seront la source d'une vision comique propre à ranimer dans le rire une petite flamme de joie.  A l'instar de certaines œuvres surréalistes, en ouvrant notre regard, en portant une vision moins orthogonale sur le monde, sans pour autant céder aux sirènes d'un volontarisme à l'optimisme béat, peu à peu s'introduit une forme complètement renouvelée de notre perception des choses.

On peut même aller au-delà d'une simple vision diagonale et  être tenté  d'inventer sa vie pour la rendre plus supportable. L'imagination comme un outil de dépassement de la limite même de nos existences. Le rêve, ou plutôt le songe éveillé - l'invention de soi - pour mieux vivre avec l’insupportable idée de notre obsolescence programmée. L'adjonction à une réalité (dé)passée d'évènements imaginaires permet, j'en suis aujourd’hui certain, de lutter efficacement contre le cauchemar de nos vies en y opposant la vision onirique d'une forme de rêverie du monde.  Comment mieux satisfaire à la puissance d'un désir de vie qu'en rêvant la sienne ?

Les tenants des théories transhumanistes nous annoncent que, bientôt, on pourra jouer avec nos souvenirs en manipulant la mémoire, et donc les émotions, par l'implantation de souvenirs artificiels ou, sur un mode "Total recall", les souvenirs d'un autre (sic!). Meilleure façon de lutter contre l'ennui, ils espèrent que cette opération permettra d'enjoliver la vie! Il faudra en télécharger des souvenirs bidons pour accepter de vivre la transcendance technologique que nous annoncent les oracles transcistes2!...

Pour ne rien oublier de tout ce qu'on n'a pas fait, je crois pour ma part que le plus simple reste encore de s'inventer des souvenirs.

(1) Auteur et chef d'entreprise, Laurent Alexandre est Chirurgien urologue de formation, diplômé de l’IEP Paris, d'HEC et de l'ENA,.
(2) Moment où la technologie sera capable non-seulement de progresser seule dans son élaboration et sa complexification, mais également  où l'humanité se sera abandonnée en totale confiance dans le progrès technologique.

Rien ne lui sera épargné...

Depuis la prise de fonction du nouveau Président des États Unis, le concept d'"alternative facts" est apparu comme une réponse de son administration au "fact checking" cher aux médias américains. Pour ne plus dire mensonge - tout comme on dit désormais "personne de petite taille" pour parler d'un nain - il faut, pour être politiquement correct, parler de "vérité alternative" car, tous les complotistes de la Toile le savent bien, "la vérité est ailleurs"... Mais la quête d'une vérité cachée n'était-elle pas jusqu'à aujourd'hui l'attribut exclusif de la fiction ? 

Déjà, Honoré de Balzac, dans les Illusions perdues, contribuait à entraîner son lecteur sur de glissants chemins de traverse en indiquant qu'"il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements."  Finalement, il semble que l'histoire officielle - et ses mensonges - ne reprenne aujourd'hui force et vigueur.

Vérité et fiction... Chaos exubérant, vide abyssal d'une pensée pervertie!


A Washington comme à Moscou, le risque est malheureusement bien réel que le besoin de trouver non pas "la" mais "une" vérité donnant du sens à la marche du monde ne conduise inévitablement - même pour tous les tenants d'un baratin bobo New-Age - à la désignation d'un bouc émissaire, responsable caché de tous les maux. Celui-là devra payer pour tout le mal qu'il n'aura pas fait. Rien ne lui sera épargné...

jeudi 26 janvier 2017

Le vide, c'est pas rien !

Où l'on voit bien que le monde n'existe que par nos yeux et que seul le regard que nous portons sur les choses les fait devenir ce que nous pensons qu'elles sont.

Entendu lundi matin dans le train cette phrase à première vue un peu étrange, mais au fond peut-être pas si absurde : "Je m'attendais à être à côté de toi mais finalement, c'est toi qu'est à côté de moi..."

Reprenant, d'une certaine façon, le fil de ma réflexion sur l'interprétation, j'en arrive à considérer que cette simple phrase pose, en l'illustrant, un nouveau type de problème :  celui de la dualité; où "un + un" fait bien "deux" mais est aussi "un". En effet, cette phrase adressée par une personne à son voisin exprime bien deux points de vue, à priori distincts et qui pourtant n'en font qu'un. En effet, quelle que soit la manière de l'exprimer, les deux membres de la même phrase, reliés par la conjonction de coordination ont bien pour objet de décrire une seule et même situation abordée de deux points de vue différents mais pourtant en correspondance, par une seule et même personne. 

Est-ce la position adoptée - et donc la vision qui en découle - qui changerait la perception ? Une question d'angle seulement ? Vraiment ? Alors pourquoi cette petite phrase, si anodine, résonne-t-elle avec autant d'écho à mon oreille ? Tout serait-il relatif  ? 

Le monde tel que  nous le percevons c'est celui que nous voyons, entendons, sentons, goûtons, touchons; c'est à dire tel que nous l’enregistrons avec nos sens. A l’intérieur de notre Cortex se constituent les images correspondant à ce que nos sens ressentent et auxquelles nous associons des représentations mentales. Au fond, les choses n'auraient pas de nature propre, pas d'être en soi. S'introduit alors une forme d'acceptation de l'inexistence de toute essence, de la vacuité, du vide, du néant...

Mais quelle image nous faisons nous du vide ? Comment représenter ce que l'on décrit parfois comme "l'absence de matière dans une zone spatiale" ? Notion très difficile à définir, le vide est en physique communément admis comme ce qui reste quand on a tout enlevé; une absence de présence, une absence de matière, une absence de vie; parfois représenté en art par un cube aux surfaces transparentes, sans rien à l'intérieur.

pompe à vide
Le vide n'est vide que par ce qu'il nous apparaît comme tel. Nos sens ne peuvent percevoir par exemple que le vide interstellaire est en fait un mélange de gaz, de rayons et de poussières cosmiques. Sans même aller jusqu'à dire comme en physique quantique que le vide est plein, on peut simplement considérer que le vide n'est pas vide. Certains projets scientifiques ont même pour seul objectif de démontrer par l'expérimentation que, par la technique dite de claquage du vide, il serait possible, au moyen d'un laser de très grande puissance, de générer des particules élémentaires à partir du vide... Des petits riens issus du néant!

Autre forme de vide, le vide existentiel. Celui qui se caractérise par un sentiment d'ennui généralisé associé à un état dépressif créant une condition psychologique négative; un exil en soi, une absence. Ce grand vide qui fait peur, qui aspire, malgré soi, dans une sensation proche du vertige. Celui qui s'installe quand toute espérance semble avoir disparu. Pour illustrer une nouvelle fois le caractère relatif des choses je te dirai, cher lecteur, que, dans le même temps, certaines philosophies prônent en appui des techniques de méditation qu'elles recommandent, un usage positif et curatif du vide. Pour aller mieux, il conviendrait d'arriver à "faire le vide en soi". Le vide pour ne plus avoir peur de ne pas être rempli ? Se prouver qu'on existe en faisant le vide... Quel paradoxe! A moins que tout ce vide créé ne fournisse, au fond, l'opportunité d'un nouvel espace à remplir ?

Au fond, le vide c'est pas rien !


mardi 17 janvier 2017

Des riens qui grandissent

Le "blue monday". Le  troisième lundi de l'année qui marquait le début de la semaine est censé être le jour le plus déprimant.

La déprime traditionnelle qui marque la fin du weekend y serait accentuée par un ciel gris et peu lumineux, le froid (en janvier, quelle surprise!...), des comptes bancaires au plus bas, en raison des étrennes et des fêtes; et, conséquence des excès lié à la même raison, un léger surpoids sur la balance; fini - déjà ! - les bonnes résolutions du début de l'année, pas envie de se lever ni d'aller bosser... C'est le blues de la mi-janvier !

Moi, mon blues du début de la semaine serait plutôt le fruit de ces petits renoncements qui - parfois - nous affectent, sans même seulement que nous nous en rendions compte. Comme la nouvelle, qui aurait pu passer totalement inaperçue, de ce projet de ratification concernant l'abandon de la souveraineté de la France sur Tromelin (sur quoi ?...).

Si, si, Tromelin! l'île de Tromelin! Une des cinq îles Éparses (Bassas da India, Europa, Juan de Nova, Glorieuses dans le canal du Mozambique et Tromelin)  qui forment - au cas fort improbable où tu l'aurais oublié - le 5ème district des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Un (tout) petit morceau de France, une "poussière d'empire", certes, mais un morceau d'une République qui est, comme l'exprime si bien notre Constitution, "Indivisible". Ce qui induit non seulement de mon point de vue l'unicité du peuple français mais porte également que la souveraineté nationale ne saurait s'aliéner.

L'îlot de Tromelin
Située au septentrion de la Réunion et visitée régulièrement par des agents de l'administration des TAAF, l'île de Tromelin découverte en 1722 par un navire français de la Compagnie des Indes, classée en réserve naturelle depuis les années soixante-dix, est  principalement peuplée de colonies d’oiseaux  marins (Frégate du Pacifique, Frégate ariel, Fou masqué, Fou à pieds rouges, Sternes… ) et de milliers de bernard-l’ermite. Territoire au format de confetti, il n'en demeure pas moins que c'est une partie de la France et qu'il bénéficie à lui seul d'une zone économique exclusive presque aussi importante que celle de la métropole. C'est ce territoire, et la richesse patrimoniale considérable qu'il génère en droit maritime, qu'un traité dit «de cogestion» devait céder à l'Île Maurice sans contrepartie aucune si l'Assemblée Nationale l'avait ratifié le 18 janvier. Au-delà du cas d'espèce, ce vote de ratification, s'il était intervenu, risquait de marquer le début du démantèlement de notre domaine maritime (qui est le deuxième du monde avec 11 millions de km²).

Bonne nouvelle! Ce texte, qui avait déjà disparu de l'ordre du jour de la séance publique en 2013 et n'avait jusqu'alors jamais été réinscrit, a de nouveau été retiré par le Gouvernement, sous la pression d'une campagne active qui s'est  notamment déployée sur les réseaux sociaux.

Les îles éparses, les Kerguelen, les Chesterfield, les îlots Hunter et Matthew, Clipperton, Crozet, Saint Paul... Tous ces petits riens, par la grâce des règles du droit international, permettent au drapeau tricolore de flotter sur des terres aux noms très exotiques et font potentiellement de la France une (très) grande puissance maritime.

Alors, sans nostalgie ni regrets d'un empire aux mauvais relents coloniaux, on peut quand même se prendre à rêver et comme l'écrivit en évoquant notre pays avec tant de justesse Cioran, croire encore que  "la France est grande par des riens".

mardi 10 janvier 2017

Ne vous occupez plus de rien

Alphonse Allais préconisait, en son temps, de " construire les villes à la campagne car l'air y est plus pur".

Et ce qui apparaissait alors comme le mot d'esprit absurde d'un humoriste, voir une forme d'oxymore, est en passe de devenir une réalité au Royaume-Uni. Reprenant l'utopique idée des familistères et des "villages jardins" du XIXe siècle, le gouvernement britannique vient d'initier le projet de - littéralement - bâtir des villes à la campagne. Mais n'y-a-t-il pas un certain paradoxe à vouloir implanter de nouvelles villes en zone rurale au motif de vouloir lutter contre la densification urbaine ? Après tout, on installe bien désormais des téléphériques au bord de la mer... Je lisais, hier, dans la presse un article sur les déboires que connaît le 1er téléphérique urbain installé en France. Il se trouve à Brest et relie les deux rives de la Penfeld, fleuve côtier qui  sépare les quartiers de Siam et des Capucins. Pannes à répétition, incidents, et même accident, rien ne fonctionne comme prévu depuis sa récente inauguration! (les câbles, c'est sur, n'apprécient guère les embruns et l'air iodé chargé de sel...). Cet appareil, si peu adapté à son environnement océanique, qui était annoncé comme un progrès pour les transports urbain brestois, paraît tellement peu répondre aux attentes des utilisateurs que certains locaux facétieux l’ont déjà renommé - j'ai tout particulièrement apprécié, comme tu pourras l'imaginer, ce nom de baptême : "le télé-fait-rien"!

Au risque d’une utopie assumée, allons encore bien plus loin pour reconnaître que l'avenir idéal des transports serait sans conteste la téléportation... Ces exemples ont pour seul objet de tordre le cou à l'idée généralement partagée qu'on peut avoir une confiance aveugle dans tout ce qui est annoncé comme relevant du progrès.

C'est au nom d'un certain progrès, mais aussi paradoxalement pour lutter contre l'informatisation et, désormais, la robotisation - et leurs conséquences sur le marché du travail - que d'éminents penseurs prônent, mettant en avant la sécurité pour les uns, une forme de liberté pour d'autres, la mise en place d'un revenu universel. C'est à dire l'idée que chaque individu puisse recevoir, de sa naissance à sa mort, un revenu inconditionnel versé par l’État (sic!) et ce, quelle que soit son activité: actif ou inactif, banquier ou SDF... Le sujet revient dans le débat à l'occasion de la campagne pour l'élection présidentielle.

Encore une belle utopie. Une belle connerie, oui...

Dernier avatar de la massification, de la négation de l'individu en tant qu'être; logique poussée à l'extrême d'une société où l'idéal se résumerait à encourager la capacité à consommer. C'est la même forme de pensée qui a inspiré, avec le succès qu'on leur connaît, la création du revenu minimum d’insertion (RMI), puis du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime pour l’emploi. Une philosophie qui se résumerait - au nom du progrès de l'humanité ! - à donner à chacun, non pas selon ses besoins, mais pour que chaque individu puisse mettre en œuvre une liberté formelle, celle de pouvoir accéder à la consommation.

Sécurité matérielle d'un côté, liberté de consommer de l'autre. De bien belles idées me diras-tu! Consommez, puisque vous le pouvez!  Et, surtout, ne vous occupez plus de rien.

Sous couvert d'humanisme et de bien-pensance, je trouve là une illustration très nette, au nom du progressisme, de cette influence croissante du pernicieux croisement entre une utopie gauchiste radicale (au nom d'une "urgence sociale" et dans le but - certes louable - d'éradiquer la pauvreté) et une tradition libérale mal comprise, réduite à la plus simple expression d'une liberté qu'auraient les individus à pouvoir disposer à leur guise d'une forme de capital de départ lors même qu'ils sont soumis à la pression d'un environnement qui les encouragent d'abord à consommer.

Et je ne pose même pas la question en terme de financement et des conséquences possibles et même probables, en matière de niveau de vie, d'une hausse - inévitable corollaire de la mise en œuvre de ce revenu généralisé - de la fiscalité. Non, sur un plan simplement philosophique, cette - vieille - idée de M. Friedman qui ressurgit dans le cadre du débat entre les candidats à la primaire de la gauche me semble mettre à mal le bon sens qui à lui seul permet de comprendre, et sans pour autant que j'adhère à une quelconque forme d'idéologie du travail et à son mythe du travail émancipateur, qu’une société d’oisiveté totale est non seulement impossible mais qu'elle n'est pas même souhaitable. Mais par-dessus tout, qu'une société où tout le monde bénéficierait, demain, d'un revenu - en théorie - inconditionnel, alloué par l’État, nous rapprocherait encore davantage du  monde totalitaire décrit par George Orwell.

La sujétion de la masse, née d'une forme de fonctionnarisation universelle, deviendrait en effet, on peut le craindre, la contrepartie de ce revenu généralisé. Au risque que cette rente puisse vite être utilisée comme un véritable outil d’oblitération du moi exclusivement dédié au maintien de l'intégrité d'une société humaine niant toute singularité et réduite à l'expression la plus simple d'un marché. On arrête pas le progrès...



lundi 2 janvier 2017

Des temps pornographiques... (Transhumanisme, suite)

PornHub et autre YouPorn, sites de rencontres pour célibataires ou "extra-conjugales", pour "les hommes qui aiment les hommes", applications de "speed dating" par téléphones pour adolescents pré-pubères en mal de sensations fortes ou encore sites beaucoup plus trash, spécialisés dans le SM fétichiste, ou encore plus trash, dans la zoophilie nécrophage, accessibles via le deep web (si, si, ça existe...!)... si 69 fut pour le poète une année érotique, l'époque dans laquelle nous vivons aujourd'hui me semble être celle des temps pornographiques. Une époque où le marketing et la pornographie feraient, en quelque sorte, sexe de tout bois. Celle où - déjà - des sites commercialisent des fellations virtuelles, avec webcameuses en ligne, et où des applications promettent, pour bientôt, des "french kisses" à distance...

Coïts pixelisés, sexe digital au plaisir tarifé. Tel est le quotidien de minable satisfaction et de grande frustration d'une humanité à la libido de plus en plus en berne, en recherche d'une jouissance immédiate et globalisée. Foin d'amour dans tout cela, du sexe pour le sexe, un orgasme individualiste, consumériste et mondialisé... Sans même parler de sentiment, plus question de partenaire avec lequel partager, mais seulement d'un objet sexuel uniquement destiné à satisfaire, dans l'instant, à la pulsion de jouissance.

Prochaine étape annoncée de cette "nouvelle révolution sexuelle" : des machines à faire l'amour (sic!).

Il me revient en mémoire la lecture de quelque ouvrage qui évoquait des amours - alors jugées comme transgressives - entre  humains et cyborgs, autant d'histoires qui nous paraissaient à la fin du vingtième siècle pure science-fiction. Pourtant, bien au-delà de la simple poupée gonflable, depuis l'avènement des "real dolls" et le lancement sur le marché, annoncé pour 2017, des premiers robots sexuels,  la réalité semble désormais rejoindre la fiction. 
 
La série inspirée du film Westworld cartonne sur le petit écran et la bande-annonce de la suite de Blade Runner est déjà visible en ligne. 

Certains nous expliquent que le cybersexe, rendu possible par le rapprochement entre la robotique et l'intelligence artificielle, permettra demain d'avoir, à l'image de Rick Deckard - le blade runner héros du film éponyme déjà cité - une relation sexuelle avec un/une androïde. "Les progrès sont si rapides - indique Elisabeth Alexandre dans un article paru récemment - que, en Corée du Sud, le ministre du Commerce, de l'Industrie et de l'Energie a lancé la rédaction d'un code d'éthique destiné à réguler et moraliser les futurs rapports entre les personnes et les créatures mécanisées".  
Non, non, tu ne rêves malheureusement pas....

Alors, dans un contexte où la libido, tellement sollicitée par l’étalage d’un sexe partout et tout le temps accessible, donne, à l’image du désir affadi d’un vieux couple, des signes d’essoufflement, faut-il se résigner à ce que la prochaine étape de la relation sexuelle soit celle de l’usage commun et généralisé de sextoys interactifs ?

Si rien n'autorise encore à craindre le pire, rien  ne permet non plus d'espérer le meilleur. La pornographie - la vraie - serait donc encore à venir...