mardi 25 avril 2017

Le monde ne signifie rien.

"Quelle confiance peuvent inspirer à leurs commettants des mandataires divisés entre eux  ? L'Europe étonnée voit dans cette assemblée une foule d'hommes de bien; elle y voit de grands talents, mais elle y cherche un homme d'Etat; qu'il se montre donc; qu'il prenne l'ascendance que l'on doit au génie." 1


Parcourant ce weekend, dans l'attente du sort des urnes, les Géorgiques de Claude Simon, j'ai découvert, en m'intéressant à cet écrivain au style d'une puissance esthétique aussi unique qu'impressionnante, que, dans son discours de réception au prix Nobel de littérature, il se plut à rappeler que, comme l'avait dit Barthes après Shakespeare: "Si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien. Sauf qu'il est."

Quel est donc le sens de cette phrase à la fragrance toute ontologique ? Précisément que ni le monde, ni les choses n'ont grand sens. L'être humain n'aurait alors d'autre choix, comme l'a écrit Philippe Sollers, que d'être ce "lapin halluciné" rendu totalement immobile et incapable d'agir tant il est fasciné par l’hypnotique lumière du phare de l'histoire ?

Attaché à la représentation du temps dans la question de la condition humaine, la prose de Claude Simon a été décrite comme "illisible" par certain critique devenu, depuis lors, Immortel. Je suis, pour ma part, extrêmement séduit par cette écriture sous tension, libre et sans contrainte qui, dans la veine du Nouveau Roman, repousse les conventions du roman traditionnel et justifie que rien d'autre ne compte que l'écriture elle-même. Juste, et surtout, se contenter de ne rien chercher à expliquer pour ne rien comprendre, précisément par ce qu'il n'y a rien à comprendre. 

J'aime chez cet auteur, que je regrette d'avoir découvert trop tardivement, la tentative de reconstruction imaginaire du monde par le langage conçu comme un outil créatif, à l'instar de la palette de couleurs du peintre ou des notes du musicien. Pourtant, et comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, essayer de communiquer la complexité du monde tel que nous le percevons c'est déjà trahir une pensée qui, par essence, ne saurait être exprimée par des mots à la signification nécessairement limitative et qui nous échappent dès qu'ils sont couchés sur le support de notre écriture. D'où, sans doute, cette syntaxe tellement libre qu'elle peut en être déroutante et ces phrases riches et interminables dans un style presque proustien. D'où, une construction narrative qui, à l'instar de nos pensées, s'affranchit de la chronologie mais cherche, s'inspirant de la technique picturale du collage, à produire, d'une certaine façon, du sens malgré tout et entremêle forme et contenu, signifié et signifiant, unissant ou séparant des scènes ou des images, tout autant de signes à priori sans lien. 

Sans lien, comme les combattants du roman-fleuve de Simon et l'âpre combat électoral de ce dimanche d'avril ? En y réfléchissant pourtant, derrière la triple figure du général conventionnel et régicide, ancêtre de l'auteur, du partisan républicain du POUM témoignant des conflits entre communistes et anarchistes dans le Barcelone de la guerre d'Espagne, et du cavalier d'une armée française en déroute, qui n'est autre que l'auteur, se cache presque toujours un militant ou, pour dire les choses plus justement, "dans le militant c'est le militaire qui intéresse Claude Simon" 2On se souviendra alors que le mot militant trouve son étymologie dans le latin miles, militis qui signifie "soldat" et que le vocabulaire politique contemporain fait souvent emprunt à des termes et à des métaphores directement issus du vocabulaire militaire. Simple coïncidence ou jeu de miroirs ?

Signe, signifié, signifiant. Il convient de relire le degré zéro de l'écriture, ce qui nous ramène à Roland Barthes. Ça y est, je flirte de nouveau avec la sémiologie. Stoppons-là ou mon frère va encore me traiter d'intello. Ce dont bien sur je me défendrai, car ceux de mes lecteurs qui me connaissent savent qu'il n'en est rien.

« Je plains celui qui essaie de comprendre ; encore plus celui qui croit comprendre. Il n’y a rien à comprendre (…) Que l’homme apprenne à écouter l’homme»
Savoir écouter - propos d'Alain


1 - Extrait de la correspondance du général Jean-Pierre Lascombe-Saint Michel à propos de la Convention nationale, in Les Géorgiques -  Claude Simon.
2 - in Fiction et engagement politique - La représentation du parti et du militant dans le roman et le théâtre du XXème siècle - Jean-Yves Guérin.

jeudi 20 avril 2017

Faire quelque chose de rien.

Lendemain d'un nouvel et odieux attentat. Il fait beau sur Paris. 

Et, tout soudain, cette clarté retrouvée apparaît plus que jamais porteuse d'espérance. Cette lumière, celle-là même que les ténèbres n'ont pas réussi à saisir, agit comme par magie contre les idées noires et contribue à changer notre vision du monde.

Plus nous élargissons notre pensée en tentant de l'organiser et de lui donner une cohérence, plus nos questionnements ouvrent des failles qui se manifestent, presque malgré nous parfois, par une forme de poésie ou d'irrationnel qui la rendent encore plus immaîtrisable. La poésie s'immisce dans les brèches et la magie emprunte les chemins de traverse d'une pensée qui se voudrait pourtant rationnelle. Peut-être cette approche moins discursive constitue-t-elle d'ailleurs, au-delà de tout apprentissage et de la simple accumulation du savoir dans le cadre d'une réflexion exclusivement cartésienne, une manière de voie d'accès à la Connaissance, cette pleine conscience de la présence au monde et de la présence du monde.

Poésie et magie sont souvent de la partie pour ceux qui, comme moi, acceptent une forme de transcendance dégagée de toute religiosité, c'est à dire une recherche spirituelle qui, au-delà du seul tracé de la perspective de la relation entre l’être humain et le divin, fait tout simplement référence à la quête de sens. Je fais en effet mienne l'idée, dans la suite de l'école pythagoricienne, que l'intelligence, pénétrée par le rayon d'une inspiration transcendantale, "remplit l'entendement d'une lumière assez vive pour dissiper toutes les illusions des sens, exalter l'âme et la dégager de la matière"

Ce que nous dit cette phrase c'est que le simple fait de porter un regard différent sur les choses permet de lutter contre l'angoisse existentielle, ce "dévoilement du néant" cher à Heidegger. C'est cet autre éclairage, cette "mise en lumière" que nous autorise parfois ce "pas-de-côté" poétique qui permet d'abandonner la seule analyse rationnelle qui nous confronte au vide, cette terrible confrontation qui par elle-même est anxiogène, pour revenir au simple étonnement, voir même à l'émerveillement;
ou, comme l'écrivit le cordonnier et théosophe Jakob Boehme dans ses Questions sur l’âme en 1682, la si belle idée que :
« C’est la source de la lumière, la magie qui fait quelque chose de rien ».

mardi 18 avril 2017

L'électeur n'est plus un lecteur. Heureusement, rien n'est vrai...

Au risque de contrarier M. Raphaël Enthoven entendu matinalement sur un poste de radio périphérique, je crois que, malheureusement, l'électeur est de moins en moins un lecteur. 

Comment aurait-il pu sinon passer à côté du point 62 pour le moins aventureux que constitue la proposition devenue fameuse d'"alliance bolivarienne" prônée par le candidat de la France insoumise ?
Comment aurait-il pu ne pas lire, dès le 1er article du programme de la candidate des révisionnistes, la volonté de tourner le dos à la construction européenne, au risque d'entraîner de nouveau les peuples européens sur la voie très dangereuse d'une surenchère nationaliste, protectionniste et, demain, belliciste ?

Je ne sais qui, des quatre prétendants les plus sérieux - en tout cas évoqués comme tels par les sondeurs - à la magistrature suprême, sera au bout du compte désigné par le suffrage universel, mais il en est au moins deux qui devraient, d'entrée de jeu, à la simple  lecture de leurs propositions, être disqualifiés. 

Je n'évoquerai même pas ici l'idée que l'on puisse gagner plus, par l'instauration d'un revenu universel généralisé, tout en travaillant moins et occuper le temps alors libéré à fumer une herbe devenue légale et achetée grâce à ce revenu inconditionnel versé par l’État, comme le propose le candidat des frondeurs ? 

Que dire enfin du candidat solidariste et totalement lunaire qui propose dans son projet  rien moins que d' "implanter des centres industriels et scientifiques sur la lune" et envisage très sérieusement de résoudre la question du voyage spatial par le développement "des réacteurs à fission utilisant l'effet thermoélectrique ou thermo-ionique" ? (Toi, je ne sais pas mais moi, même en me concentrant, je n'ai rien compris !).

Cette campagne que d'aucun qualifie de "crazydentielle" a jusqu'à présent été trop nulle pour ne pas être révélatrice d'une certaine réalité de notre époque. Heureusement, rien n'est jamais définitivement vrai et les choses, en matière électorale comme dans d'autres domaines, se passent rarement tout à fait comme on nous l'avait annoncé. Enfin, acceptons-en l'augure...

jeudi 13 avril 2017

A Budapest, rien n'a changé.

25 ans. Je n'avais plus mis les pieds à Budapest depuis un quart de siècle.

A l'époque mes pas m'ont conduit en Hongrie, comme un peu partout en Europe centrale, pour essayer d'y développer des projets hôteliers. Parmi ceux que j'ai eu à étudier figura en bonne place la réhabilitation du Grand Hotel Royal, célèbre établissement du boulevard Elisabeth. Construit originellement à l'occasion de l'exposition du millénaire de 1896, vétuste et n'étant plus que l'ombre de ce qu'il avait un temps été, il venait, lorsque je l'ai visité en 1991, de fermer ses portes. Seule y fut exploitée quelques temps encore la très belle salle de spectacle qu'il hébergeait en son sein et où les frères Lumière organisèrent la première séance de cinématographe donnée à Budapest, à l'occasion de son inauguration. 

Lorsque je l'ai parcourue, c'était une immense bâtisse vide et au délabrement très avancé. J'en garde l'image, un peu inquiétante, de longs couloirs et d'escaliers vides et silencieux, le souvenir de l'immense salle de bal royale où résonnaient encore les échos d'une Mazurka de Bela Bartok et d'un spa toute aussi impressionnant par ses proportions que par l'architecture métallique néo-renaissance de sa construction. Et puis, faute de financement, le projet ne s'est pas réalisé et c'est le groupe maltais Corinthia qui, en y investissant plus de 100 millions d'euros, a rendu son lustre d'antan à ce bel hôtel qui a rouvert ses portes en 2004. En passant devant mardi soir, j'ai tout autant ressenti une forme d'émotion nostalgique que le choc de retrouver, en lieu et place de l'immeuble sombre et délabré que j'avais connu, un flamboyant palace sur lequel se dresse, à coté des drapeaux maltais et magyar, l'étendard européen.

Le Grand Hotel Royal de Budapest - 2017
En flânant sur les boulevards ou le long du Danube, en dégustant un strudel chez Gerbeaud ou une goulasch dans une taverne traditionnelle au son des violons tziganes, nous avons eu parfois le sentiment fugace que flottait toujours sur la capitale hongroise comme le parfum nostalgique et romantique d'un "monde d'hier"; celui de cette Mittel Europa ouverte et brillante, celle de la belle époque telle que je l'imagine : celle de Freud, de Zweig, de Ferenczi ou de Kafka. Et puis, tout soudain, une image me revient, tant elle fut, par la force de sa répétition, marquante tout du long de notre séjour : celle de ces affiches gouvernementales qui, à chaque coin de rue, dans chaque rame de métro ou s'étalant sur de larges panneaux d'affichage publicitaire, appellent les hongrois à dire, à la suite de l'invalidation d'un référendum anti-immigration, "stop à Bruxelles"! Mais, au fond, de quoi ce "non à Bruxelles" peut-il bien être le nom ?

La première fois où je suis venu en Hongrie, les troupes soviétiques, qui occupaient le pays depuis un demi-siècle, y étaient encore cantonnées dans des bases dont les gouvernants d'alors négociaient âprement les conditions politiques, juridiques et financières d'un démantèlement encore largement à venir. Ces jeunes "Ivan", qu'il m'est arrivé de croiser, ne rêvaient-ils pas secrètement de rentrer au pays ? Coiffés de leur chapka frappée de l'étoile rouge, je les trouvais alors plus exotiques qu'inquiétants. Je n'avais pas encore fait la traumatisante expérience d'une visite des sous-sols du numéro 60 de l'avenue Andrassy, plus connu aujourd'hui sous le nom de "maison de la terreur". Après avoir été le siège du parti fasciste hongrois, le terrible parti des Croix fléchées, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'immeuble fut transformé par la République populaire de Hongrie en quartier général de la police politique communiste. Si l'uniforme changea alors de couleur, l'horreur de la cruauté totalitaire de ce lieu, d'un régime l'autre, resta la même et les cellules des caves virent défiler, jusqu'en 1944, autant de résistants sincèrement communistes que d'insurgés anti-staliniens de 1956 pour y être abusivement emprisonnés, souffrir et pour certains d'entre-eux y périr sous les mêmes tortures...

Si les hongrois sont désormais libres - y compris de pester contre cette Union Européenne à laquelle ils ont pourtant tant aspiré - ils me sont apparus toujours aussi mélancoliques - une forme de nostalgie peut-être d'un âge d'or largement mythifié, celui de l'empire perdu et d'une nation divisée par le traité de Trianon dont l’une des conséquences est que, aujourd’hui encore, un magyarophone sur trois vit en dehors des frontières de la Hongrie. Libres et mélancoliques. Au fond, tellement humains!
A Budapest, en fait, rien n'a changé.

mercredi 5 avril 2017

En rien désirables...


En furetant hier soir dans la bibliothèque, je suis tombé sur une vieille édition anglaise du "Travels in France" d'Arthur Young. Publié en 1792, alors que le Grand Tour était devenu un élément essentiel de  l'éducation de tout sujet bien né de la couronne britannique, cet ouvrage peut être considéré comme l'un des premiers best-sellers touristiques, tout à la fois récit de la France pré-révolutionnaire et guide de voyages dans l'Hexagone.

Au risque d'apparaître en décalage avec ce que parfois mes textes peuvent laisser supposer de mon peu de goût pour une certaine modernité dans ce qu'elle a de plus vulgaire et une réelle aversion pour le tout collectif quand il nie l'individu, en contrepoint à l'opuscule de Rodolphe Christin "L'usure du monde, critique de la déraison touristique", je proclame haut et fort les valeurs d'un tourisme moderne, un tourisme démocratisé, autonomisé et de plus en plus accessible. L'autonomie contre la monotonie. La liberté d'aller, de revenir, comme une affirmation de la personnalité pour mieux lutter contre l'ennui, la tristesse, la platitude de la vie. "Triomphe d'une utopie", comme l'a écrit le sociologue Jean Viard, que certains décrivent comme une véritable culture de la mobilité, le Tourisme est entré dans une nouvelle étape de son développement.

Les besoins croissant de rupture, d'exutoire au stress et de ressourcement d'urbains de plus en plus déracinés, associés à une évolution en profondeur de la demande touristique, entraîneront, à relatif court terme, le passage d'un tourisme de pure consommation à un tourisme de participation. Si l'on pouvait, si même il fallait critiquer avec Philippe Murray ou Michel Houellebecq l'homo touristicus de la fin du siècle précédent, je suis persuadé que les évolutions récentes des pratiques ouvrent la voie à de nouvelles formes de tourisme.

D'aucun nous annonce même pour demain le tourisme autrement: une forme de moderne Grand Tour, sans bouger de son fauteuil. Un tourisme virtuel ?

A l'instar des championnats de e-sports qui sont désormais monnaie courante et à l'occasion desquels on peut, dans des compétitions attirant de plus en plus de joueurs et de spectateurs, voir s'affronter des concurrents au cul pourtant bien vissé sur leur chaise, verrons-nous demain l'émergence d'un e-tourisme, d'un i-tourisme ? Un tourisme totalement digital ?

Dans une campagne de publicité qu'on peut actuellement voir à la TV, les conseillers d'un célèbre réseau d'agence de voyages se montrent tellement convaincants pour décrire les séjours qu'ils vendent qu'ils en arrivent même à conduire leurs clients à croire qu'ils en sont déjà revenus! J'ai lu récemment que certaines boutiques de souvenirs les commercialisaient désormais en ligne. On peut donc d'ores et déjà - certains le font - acheter des souvenirs de vacances via Internet, sans même jamais avoir visité la destination qu'ils évoquent. Il existe maintenant - je suis allé y voir - des sites qui proposent, sans vous déplacer, de visiter telle ou telle région du globe grâce à la restitution d'ambiances sonores capturées in vivo. Le nouveau "voyageur immobile", loin de se retirer du monde peut partir à sa découverte sans avoir à se déplacer.

Tout cela me fait penser à ce film de SF(1) adapté de la nouvelle Souvenirs à vendre de Philip K. Dick dans lequel est décrit un monde futuriste où, poussant la logique de "fabrique de souvenirs" jusqu'à l'absurde, l'implant de souvenirs factices de voyages dans la mémoire de clients est devenu monnaie courante... 

Aujourd'hui, lorsqu'ils revêtent leurs casques de réalité virtuelle, les garçons, sans quitter leur chambre, ne font rien d'autre que parcourir des univers, découvrir des lieux et des paysages où ils rencontrent des personnages qui n'existent que dans la mémoire de silicone de micro-processeurs de plus en plus puissants. Plus besoin pour se divertir de se déplacer ou d'arpenter les allées d'une quelconque "colonie distractionnaire"(2). Joie, peur, excitation, angoisse sont bel et bien ressentis et tangibles. On peut les entendre, depuis le rez-de-chaussée, jurer, crier, rire et laisser libre cours à leurs émotions! Une manière d'anticipation d'une nouvelle  culture du voyage immobile ?

Dans son célèbre cycle de Dune, Frank Herbert évoquait le "voyage sans déplacement", un voyage qui n'était rendu possible que grâce à l'intervention des "navigateurs de la Guilde", totalement sous la dépendance de l'"épice", puissante drogue, tout à la fois source de leur prescience et indispensable à leur survie.

En écrivant ces lignes me revient le souvenir, que j'associe, de "Flash ou le grand voyage", sorte d'hymne hippie, autobiographique et romancé, que j'ai, sous l'influence d'amis babas aux addictions déjà assez avancées, lu au mitan des années 70. Ce livre fait référence à un voyage quasi-initiatique conduisant l'auteur, au travers d'un "trip" halluciné, jalonné d'excès et de folie, sur les chemins de la drogue, de Marseille à Katmandou. Autre époque et autre forme de Grand Tour. A l'inverse d'un collègue et ami qui, à Maison de la France, fut tour-à-tour mon patron et mon collaborateur - enfin bref! Jean-Philippe tu te reconnaîtras... - et qui parfois nous racontait le long road trip l'ayant conduit au volant d'une Renault 4 vers l'orient mystérieux au travers des vallées du Panshir et des cols de l'Hindou-Kouch, ce bouquin ne m'a jamais rendu ni la route qui va, traversant l'Afghanistan, de la Turquie jusqu'au Népal ni les opiacés ni même toute autre forme de psychotropes en rien désirables.

(1) Total Recall, déjà évoqué ici-même.
(2) C'est ainsi que Philippe Muray parlait, en 1992, du parc Euro Disney dans l'Idiot International.

lundi 3 avril 2017

Petit avec des grandes oreilles.

Hier, j'ai déjeuné à Antony.

Qui se souvient de Bill Baxter ? A côté du célèbre prisme pyramidal du Floyd, j'avais punaisé une de leurs affiches au mur de ma chambre de lycéen. C'est pour te dire s'ils ont compté dans mon panthéon personnel.

Oh, je ne parle pas du trio pop/variet' qui passerait bientôt en boucle sur les radios FM de la deuxième partie des années 80 avec des morceaux comme "Embrasse-moi idiot" ou "Bienvenue à Paris". Non, quand je parle de Bill Baxter, j'évoque ce groupe post-punk de la banlieue sud qui, à l'époque, venait de signer chez Virgin, se produisait parfois au Gibus, plus souvent à la MJC des Blâgis ou à Massy et nous a légué un titre inoubliable (en tout cas, je m'en souviens...) : "Petit avec des grandes oreilles"!

Avant de les entendre, ce qui avait d’abord retenu mon attention adolescente c'était l'iconographie de leurs affiches. Me souriant de toute ses dents lorsque je le croisais sur mon deux-roues à proximité du lycée Lakanal de Sceaux, sur un poteau télégraphique entre la fac de pharmacie de Chatenay-Malabry et Verrières-le-Buisson ou sur un mur du tunnel qui passait à la Croix-de-Berny sous les lignes du RER B au niveau de la Cité Universitaire, ce Mickey à l'air vicelard promettait un "Rock efficace". C'était alors bien le cas.

Il me revient aussi les avoir, en cette époque épique du début des années 80, entendu jouer à Antony où ils donnaient un concert gratuit, pour Noël je crois. Un concert devant quelques dizaines de spectateurs, en extérieur, rue de l'Eglise, juste derrière Sainte Marie, à côté de ce bistrot où nous passions le plus clair de nos inter-cours à jouer au baby-foot ou à malmener un vieux flipper Gottlieb (il me semble que c'était un Royal Flush), remettant autant de fois que nécessaire cent balles dans le Juke-box pour entendre Téléphone, les Clash, Starshooter ou Police en boucle. Je suis passé récemment dans le coin. Le rade de quartier où nos profs de sports tuaient le plus clair de leur temps à jouer aux cartes en alternant, en fonction des heures, cafés, petits jaunes, calva et demi-pression, est devenu une trattoria chic...

Pourquoi, me diras-tu, évoquer le sort d'un groupe éphémère de la banlieue sud ? Sans doute parce que cet environnement était le mien, cette musique qui associait riffs de guitares et paroles chantées en français, celle de Bijou, Téléphone ou Bill Baxter, était celle que jouaient sinon nos amis, du moins leurs grands-frères. Ceux qui nous précédaient de quelques années et qui avaient connu le passage du rock progressif et planant des super-groupes du début des années 70 au punk sauvage et énergique de ces groupes météoriques de la fin de la décennie. Pour moi, le temps, s'étant comme comprimé, m'avait fait passé en quelques mois seulement d'un concert de Santana à celui des Undertones. Si, près de quarante ans plus tard, j'écoute toujours avec autant de plaisir les longs solos joués sur une Gibson du premier, j'avoue qu'à l'exception notable de leur "Teenage kicks", j'ai presque totalement oublié le rock énervé des seconds

Je vois toujours avec plaisir plusieurs amies et camarades de cette époque insouciante. On revient toujours aux valeurs sures...

"Dommage, dommage! Dommage, avec des grandes oreilles !"

vendredi 31 mars 2017

Frénésie du vide.

"Le mot rien est sonné tous les jours par les cloches de Saint-Germain-des-Prés."*

Publié en septembre 2009, mon tout premier texte commençait par ces mots : " Trois mois, jour pour jour...". Il y aura bientôt huit ans... Huit ans de publications irrégulières et inégales de ces petits riens qui, je l'espère, ont tenu la promesse de leur inutilité.

Partons, si tu le veux bien, ami lecteur, d'un constat strictement quantitatif. J'ai commis autant de textes sur ce blog depuis le début de cette année que tout au long des trois précédentes. Comment expliquer une telle frénésie ? La peur du vide ? Une appétence pour ces petits riens dont la lecture peut, je l'espère, être aussi distrayante pour toi que l’écritureje l'avoue, s'avère amusante pour moi ? Enivrant vertigo ou simple   remplissage ? Pourquoi le rythme de publication, qui était plus proche d'un billet tous les six mois, s'est-il soudain accéléré pour dépasser six textes en un mois ? Et si c'était une manière d'annonce d'un sprint qui, à défaut d'être définitif, pourrait quand-même être provisoirement final ? 

Tu me diras qu'une multiplication de riens ne fait, au bout du compte, pas grand-chose. Paradoxe diront certains. Je ne le crois pas. Car si je n'aurai pas l’afféterie de prétendre ne rien écrire, je souhaite en revanche ne faire le lit que de petits riens et j'essaie de le faire bien. Des petits riens qui constituent aujourd'hui un ensemble, fruit d'un effort conséquent mais salutaire auquel j'aurais bien du mal à renoncer. Des futilités qui tentent d'apporter, par une forme de philosophie du "rien, jamais" une manière de réponse au "tout, tout de suite". Au fond, j'essaie d'approcher une pensée du rien en tant que quelque chose et sans me contraindre, pour y parvenir, à raisonner exclusivement par soustraction. Face à la boulimie frénétique, à la recherche de la performance immédiate, d'un tout purement utilitariste qui est la marque de notre époque, j'aime à penser parfois qu'on peut opposer une frénésie du vide, un goût du peu, le désir d'être inutile. 

Ces textes courts, ces jaillissements inspirés par un souvenir ou bien telle ou telle nouvelle puisée dans l'actualité, ne sont soutenus par aucune prétention, juste une aspiration, une inspiration si ce n'est utile, du moins devenue nécessaire au fil du temps qui passe et qui, lui aussi, semble s'accélérer. Mais quel bruit fait donc le temps qui passe ? Peut-être celui du bourdon qui égrène les heures au clocher de Saint Germain, celui-là même qu'évoquait Roger Nimier dans une allégorie où il raillait les "gendelettres germanopratins", renvoyant ces "cloches" à l'inanité de leur message.
Un de mes amis m'a récemment fait grief du caractère par trop politique à son goût de certains de mes textes mais n'est-ce pas au fond toute l'histoire de ma vie que ces aller-retours et cette nécessité parfois de prendre parti, sans pour autant toujours être contraint de prendre à partie ? Un peu de philosophie de la vie quotidienne, un soupçon de politique, un travail de mémoire, beaucoup de rêves et la liberté de pouvoir imaginer le reste, telle est la recette des textes qui nourrissent ce blog.  Il me revient qu'à l'âge de douze ou treize ans, j'avais commencé à noircir quelques pages d'un joli carnet de Moleskine qui m'est assez vite tombé des mains. Aujourd'hui, l'idée même non pas du mais d'un prochain texte m'est devenue une forme de moteur dont le carburant n'est autre que mon désir. Je ne vais plus arrêter...

* Roger Nimier - Les écrivains sont-ils bêtes ? - Recueil de textes publié aux éditions Rivages.

mercredi 29 mars 2017

Rien de trop.

"La seule manière, pour un individu, de demeurer constant parmi des circonstances changeantes, c'est de changer avec elles..."
Sir Winston Churchill - De la constance en politique.

Alors que son engagement avait été annoncé à grand renforts de publicité il y a quelques semaines par l'équipe de campagne du "candidat du mouvement", le Général Soubelet, ancien N°3 de la Gendarmerie a rendu public hier une lettre annonçant sa défection. S'il jette l'éponge c'est parce qu'il est déçu et son argument fait sens : "J’avais besoin de croire qu’une nouvelle façon de faire de la politique était en train de naître (…) Les ralliements successifs tous azimuts et symboliques à bien des égards, à commencer par ceux de l’actuel gouvernement, ne correspondent pas à ma conception du changement".

Les commentateurs louent, depuis le début de cette campagne sans précédent, l'irrésistible pouvoir d'attraction de M. Macron et égrènent, jour après jour, la litanie des ralliements de ceux qui, oublieux des engagements souscrits, des serments prononcés ou plus simplement de leur amour-propre, ne veulent surtout pas prendre le risque de ne pas en être. A force d'enregistrer le soutien de caciques socialistes et de membres du Cabinet sortant, apparaissant comme celui qui offre la plus astucieuse voie de recyclage d'une gauche si ce n'est en déroute, du moins déroutée, le candidat attrape-tout s'expose au risque de plus en plus avéré de révéler la vraie nature de celui qui pourrait demain engager la France sur le chemin de la marche... arrière.

Les limites - mais y-en-a-t'il encore ? - viennent d'être franchies avec le ralliement, qu'on nous vend pour inconditionnel, de Manuel Valls. Si, si, celui-là même qui fut le - très - autoritaire chef du Gouvernement auquel appartenait M. Macron et qui, candidat à la primaire de la "Belle Alliance Populaire" (sic!), signait alors la charte l'engageant à lier son propre sort à celui des urnes et à apporter son soutien à celui ou celle qui serait désigné comme candidat de la gauche. Et puis, patatras, un autre que lui gagnât et tout soudain le futur devint moins désirable.



Vive la sociale !
Ce n'est pas comme le dit tantôt M. Hamon avec grandiloquence que "la démocratie a pris un coup" mais juste une manière d’écœurement et la nausée qui peuvent gagner l'électeur sincère face à tant de cynisme et aux petits calculs de ceux qui adoptent publiquement le discours du mouvement en espérant secrètement que surtout rien ne change. A l'image de Tancrède, très aristocratique neveu du prince de Salina, le célèbre "Guépard" du roman éponyme de Lampedusa, qui, comprenant la nature des enjeux du risogimento italien, embrasse le combat des républicains et justifie son choix par cette célèbre maxime : "il faut que tout change pour que rien ne change". Autrement dit, les socialistes, pour essayer de sauver ce qui peut encore l'être du quinquennat de M. Hollande, doivent prendre toute leur place dans la campagne de M. Macron pour éviter, à tout prix, de sombrer avec la défaite du candidat officiel de leur parti qui, lui, en est réduit à lancer un appel solennel à "sanctionner (...) ces politiciens qui ne croient plus en rien, et qui vont là où le vent va". Ambiance !

Pour justifier son choix, l'ancien Premier ministre nous ressort pour argument ultime l'antienne du "vote utile", quelle blague !

Les petits calculs rejoignent les grandes ambitions dans le fourre-tout qui naît aujourd'hui de tant d'enthousiasme désintéressé ! Belle photo de famille sur laquelle on reconnait désormais, entre autres, MM. Bayrou et Hue, Mme Pompili et M. Douste-Blazy, MM. Madelin et Valls...! Jamais l'auberge n'aura autant été espagnole.

On m'a autrefois enseigné qu'en matière politique il était préférable de bénéficier d'un surcroît d'abondance plutôt que d'avoir à gérer la pénurie mais, à tous les jours se découvrir de nouveaux amis, c'est désormais le trop plein qui menace la campagne du champion des réformistes, au risque de la confusion. Au risque de l'embolie et de l'immobilisme. 

Rien de trop.

Les derniers vers de la Fable de La Fontaine me serviront aujourd'hui de conclusion :

« …De tous les animaux l'homme a le plus de pente
À se porter dedans l'excès.
Il faudrait faire le procès
Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante
Qui ne pèche en ceci. Rien de trop est un point
Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point. »