jeudi 13 avril 2017

A Budapest, rien n'a changé.

25 ans. Je n'avais plus mis les pieds à Budapest depuis un quart de siècle.

A l'époque mes pas m'ont conduit en Hongrie, comme un peu partout en Europe centrale, pour essayer d'y développer des projets hôteliers. Parmi ceux que j'ai eu à étudier figura en bonne place la réhabilitation du Grand Hotel Royal, célèbre établissement du boulevard Elisabeth. Construit originellement à l'occasion de l'exposition du millénaire de 1896, vétuste et n'étant plus que l'ombre de ce qu'il avait un temps été, il venait, lorsque je l'ai visité en 1991, de fermer ses portes. Seule y fut exploitée quelques temps encore la très belle salle de spectacle qu'il hébergeait en son sein et où les frères Lumière organisèrent la première séance de cinématographe donnée à Budapest, à l'occasion de son inauguration. 

Lorsque je l'ai parcourue, c'était une immense bâtisse vide et au délabrement très avancé. J'en garde l'image, un peu inquiétante, de longs couloirs et d'escaliers vides et silencieux, le souvenir de l'immense salle de bal royale où résonnaient encore les échos d'une Mazurka de Bela Bartok et d'un spa toute aussi impressionnant par ses proportions que par l'architecture métallique néo-renaissance de sa construction. Et puis, faute de financement, le projet ne s'est pas réalisé et c'est le groupe maltais Corinthia qui, en y investissant plus de 100 millions d'euros, a rendu son lustre d'antan à ce bel hôtel qui a rouvert ses portes en 2004. En passant devant mardi soir, j'ai tout autant ressenti une forme d'émotion nostalgique que le choc de retrouver, en lieu et place de l'immeuble sombre et délabré que j'avais connu, un flamboyant palace sur lequel se dresse, à coté des drapeaux maltais et magyar, l'étendard européen.

Le Grand Hotel Royal de Budapest - 2017
En flânant sur les boulevards ou le long du Danube, en dégustant un strudel chez Gerbeaud ou une goulasch dans une taverne traditionnelle au son des violons tziganes, nous avons eu parfois le sentiment fugace que flottait toujours sur la capitale hongroise comme le parfum nostalgique et romantique d'un "monde d'hier"; celui de cette Mittel Europa ouverte et brillante, celle de la belle époque telle que je l'imagine : celle de Freud, de Zweig, de Ferenczi ou de Kafka. Et puis, tout soudain, une image me revient, tant elle fut, par la force de sa répétition, marquante tout du long de notre séjour : celle de ces affiches gouvernementales qui, à chaque coin de rue, dans chaque rame de métro ou s'étalant sur de larges panneaux d'affichage publicitaire, appellent les hongrois à dire, à la suite de l'invalidation d'un référendum anti-immigration, "stop à Bruxelles"! Mais, au fond, de quoi ce "non à Bruxelles" peut-il bien être le nom ?

La première fois où je suis venu en Hongrie, les troupes soviétiques, qui occupaient le pays depuis un demi-siècle, y étaient encore cantonnées dans des bases dont les gouvernants d'alors négociaient âprement les conditions politiques, juridiques et financières d'un démantèlement encore largement à venir. Ces jeunes "Ivan", qu'il m'est arrivé de croiser, ne rêvaient-ils pas secrètement de rentrer au pays ? Coiffés de leur chapka frappée de l'étoile rouge, je les trouvais alors plus exotiques qu'inquiétants. Je n'avais pas encore fait la traumatisante expérience d'une visite des sous-sols du numéro 60 de l'avenue Andrassy, plus connu aujourd'hui sous le nom de "maison de la terreur". Après avoir été le siège du parti fasciste hongrois, le terrible parti des Croix fléchées, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'immeuble fut transformé par la République populaire de Hongrie en quartier général de la police politique communiste. Si l'uniforme changea alors de couleur, l'horreur de la cruauté totalitaire de ce lieu, d'un régime l'autre, resta la même et les cellules des caves virent défiler, jusqu'en 1944, autant de résistants sincèrement communistes que d'insurgés anti-staliniens de 1956 pour y être abusivement emprisonnés, souffrir et pour certains d'entre-eux y périr sous les mêmes tortures...

Si les hongrois sont désormais libres - y compris de pester contre cette Union Européenne à laquelle ils ont pourtant tant aspiré - ils me sont apparus toujours aussi mélancoliques - une forme de nostalgie peut-être d'un âge d'or largement mythifié, celui de l'empire perdu et d'une nation divisée par le traité de Trianon dont l’une des conséquences est que, aujourd’hui encore, un magyarophone sur trois vit en dehors des frontières de la Hongrie. Libres et mélancoliques. Au fond, tellement humains!
A Budapest, en fait, rien n'a changé.

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