mardi 25 avril 2017

Le monde ne signifie rien.

"Quelle confiance peuvent inspirer à leurs commettants des mandataires divisés entre eux  ? L'Europe étonnée voit dans cette assemblée une foule d'hommes de bien; elle y voit de grands talents, mais elle y cherche un homme d'Etat; qu'il se montre donc; qu'il prenne l'ascendance que l'on doit au génie." 1


Parcourant ce weekend, dans l'attente du sort des urnes, les Géorgiques de Claude Simon, j'ai découvert, en m'intéressant à cet écrivain au style d'une puissance esthétique aussi unique qu'impressionnante, que, dans son discours de réception au prix Nobel de littérature, il se plut à rappeler que, comme l'avait dit Barthes après Shakespeare: "Si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien. Sauf qu'il est."

Quel est donc le sens de cette phrase à la fragrance toute ontologique ? Précisément que ni le monde, ni les choses n'ont grand sens. L'être humain n'aurait alors d'autre choix, comme l'a écrit Philippe Sollers, que d'être ce "lapin halluciné" rendu totalement immobile et incapable d'agir tant il est fasciné par l’hypnotique lumière du phare de l'histoire ?

Attaché à la représentation du temps dans la question de la condition humaine, la prose de Claude Simon a été décrite comme "illisible" par certain critique devenu, depuis lors, Immortel. Je suis, pour ma part, extrêmement séduit par cette écriture sous tension, libre et sans contrainte qui, dans la veine du Nouveau Roman, repousse les conventions du roman traditionnel et justifie que rien d'autre ne compte que l'écriture elle-même. Juste, et surtout, se contenter de ne rien chercher à expliquer pour ne rien comprendre, précisément par ce qu'il n'y a rien à comprendre. 

J'aime chez cet auteur, que je regrette d'avoir découvert trop tardivement, la tentative de reconstruction imaginaire du monde par le langage conçu comme un outil créatif, à l'instar de la palette de couleurs du peintre ou des notes du musicien. Pourtant, et comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, essayer de communiquer la complexité du monde tel que nous le percevons c'est déjà trahir une pensée qui, par essence, ne saurait être exprimée par des mots à la signification nécessairement limitative et qui nous échappent dès qu'ils sont couchés sur le support de notre écriture. D'où, sans doute, cette syntaxe tellement libre qu'elle peut en être déroutante et ces phrases riches et interminables dans un style presque proustien. D'où, une construction narrative qui, à l'instar de nos pensées, s'affranchit de la chronologie mais cherche, s'inspirant de la technique picturale du collage, à produire, d'une certaine façon, du sens malgré tout et entremêle forme et contenu, signifié et signifiant, unissant ou séparant des scènes ou des images, tout autant de signes à priori sans lien. 

Sans lien, comme les combattants du roman-fleuve de Simon et l'âpre combat électoral de ce dimanche d'avril ? En y réfléchissant pourtant, derrière la triple figure du général conventionnel et régicide, ancêtre de l'auteur, du partisan républicain du POUM témoignant des conflits entre communistes et anarchistes dans le Barcelone de la guerre d'Espagne, et du cavalier d'une armée française en déroute, qui n'est autre que l'auteur, se cache presque toujours un militant ou, pour dire les choses plus justement, "dans le militant c'est le militaire qui intéresse Claude Simon" 2On se souviendra alors que le mot militant trouve son étymologie dans le latin miles, militis qui signifie "soldat" et que le vocabulaire politique contemporain fait souvent emprunt à des termes et à des métaphores directement issus du vocabulaire militaire. Simple coïncidence ou jeu de miroirs ?

Signe, signifié, signifiant. Il convient de relire le degré zéro de l'écriture, ce qui nous ramène à Roland Barthes. Ça y est, je flirte de nouveau avec la sémiologie. Stoppons-là ou mon frère va encore me traiter d'intello. Ce dont bien sur je me défendrai, car ceux de mes lecteurs qui me connaissent savent qu'il n'en est rien.

« Je plains celui qui essaie de comprendre ; encore plus celui qui croit comprendre. Il n’y a rien à comprendre (…) Que l’homme apprenne à écouter l’homme»
Savoir écouter - propos d'Alain


1 - Extrait de la correspondance du général Jean-Pierre Lascombe-Saint Michel à propos de la Convention nationale, in Les Géorgiques -  Claude Simon.
2 - in Fiction et engagement politique - La représentation du parti et du militant dans le roman et le théâtre du XXème siècle - Jean-Yves Guérin.

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