"Quelle
confiance peuvent inspirer à leurs commettants des mandataires divisés entre
eux ? L'Europe étonnée voit dans cette assemblée une foule d'hommes de
bien; elle y voit de grands talents, mais elle y cherche un homme d'Etat; qu'il
se montre donc; qu'il prenne l'ascendance que l'on doit au génie." 1
Parcourant
ce weekend, dans l'attente du sort des urnes, les Géorgiques de
Claude Simon, j'ai découvert, en m'intéressant à cet écrivain au style d'une
puissance esthétique aussi unique qu'impressionnante, que, dans son discours de
réception au prix Nobel de littérature, il se plut à rappeler que, comme
l'avait dit Barthes après Shakespeare: "Si le monde
signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien. Sauf qu'il est."
Quel
est donc le sens de cette phrase à la fragrance toute ontologique ? Précisément
que ni le monde, ni les choses n'ont grand sens. L'être humain n'aurait alors
d'autre choix, comme l'a écrit Philippe Sollers, que d'être ce "lapin
halluciné" rendu totalement immobile et incapable d'agir tant il est
fasciné par l’hypnotique lumière du phare de l'histoire ?
Attaché
à la représentation du temps dans la question de la condition humaine, la prose
de Claude Simon a été décrite comme "illisible" par certain critique
devenu, depuis lors, Immortel. Je suis, pour ma part, extrêmement séduit par
cette écriture sous tension, libre et sans contrainte qui, dans la veine du
Nouveau Roman, repousse les conventions du roman traditionnel et justifie que
rien d'autre ne compte que l'écriture elle-même. Juste, et surtout, se
contenter de ne rien chercher à expliquer pour ne rien comprendre, précisément
par ce qu'il n'y a rien à comprendre.
J'aime
chez cet auteur, que je regrette d'avoir découvert trop tardivement, la
tentative de reconstruction imaginaire du monde par le langage conçu comme un
outil créatif, à l'instar de la palette de couleurs du peintre ou des notes du
musicien. Pourtant, et comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, essayer de
communiquer la complexité du monde tel que nous le percevons c'est déjà trahir
une pensée qui, par essence, ne saurait être exprimée par des mots à la
signification nécessairement limitative et qui nous échappent dès qu'ils sont
couchés sur le support de notre écriture. D'où, sans doute, cette syntaxe
tellement libre qu'elle peut en être déroutante et ces phrases riches et
interminables dans un style presque proustien. D'où, une construction narrative
qui, à l'instar de nos pensées, s'affranchit de la chronologie mais cherche,
s'inspirant de la technique picturale du collage, à produire, d'une certaine
façon, du sens malgré tout et entremêle forme et contenu, signifié et
signifiant, unissant ou séparant des scènes ou des images, tout autant de
signes à priori sans lien.
Sans lien, comme les combattants du roman-fleuve de Simon et l'âpre combat électoral de ce dimanche d'avril ? En y réfléchissant pourtant, derrière la triple figure du général conventionnel et régicide, ancêtre de l'auteur, du partisan républicain du POUM témoignant des conflits entre communistes et anarchistes dans le Barcelone de la guerre d'Espagne, et du cavalier d'une armée française en déroute, qui n'est autre que l'auteur, se cache presque toujours un militant ou, pour dire les choses plus justement, "dans le militant c'est le militaire qui intéresse Claude Simon" 2. On se souviendra alors que le mot militant trouve son étymologie dans le latin miles, militis qui signifie "soldat" et que le vocabulaire politique contemporain fait souvent emprunt à des termes et à des métaphores directement issus du vocabulaire militaire. Simple coïncidence ou jeu de miroirs ?
Signe,
signifié, signifiant. Il convient de relire le degré zéro de
l'écriture, ce qui nous ramène à Roland Barthes. Ça y est, je flirte de nouveau
avec la sémiologie. Stoppons-là
ou mon frère va encore me traiter d'intello. Ce dont bien sur je me
défendrai, car ceux de mes lecteurs qui me connaissent savent qu'il n'en est rien.
« Je plains celui qui essaie de comprendre ; encore plus celui qui croit comprendre. Il n’y a rien à comprendre (…) Que l’homme apprenne à écouter l’homme»
Savoir écouter - propos d'Alain
« Je plains celui qui essaie de comprendre ; encore plus celui qui croit comprendre. Il n’y a rien à comprendre (…) Que l’homme apprenne à écouter l’homme»
Savoir écouter - propos d'Alain
1 - Extrait de la
correspondance du général Jean-Pierre Lascombe-Saint Michel à propos de la
Convention nationale, in Les
Géorgiques - Claude Simon.
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