vendredi 10 mars 2017

D'accord sur rien.

"Changer de point de vue avec tout son parti, c'est certes faire preuve d'inconstance, mais l'on se sent au moins soutenu par la puissance du nombre. Demeurer constant, alors que le parti modifie son attitude, c'est lancer une sorte de défi blessant. En outre, une telle rupture entraîne un déplacement de tous les rapports personnels et brise de vieilles amitiés"(1).

Nous sommes, paraît-il, sortis de la phase déprimante des primaires. Le décor est planté. Les acteurs vont entrer en scène. Chacun dans son rôle. Le navrant psychodrame de la querelle des ego devrait faire - enfin! - place au spectacle tragiquement exaltant de la vie et de la mort. Bonds, rebonds, faux-bonds, le cirque est permanent. Fait de pseudo-suspens entretenus par des chaînes d'information en mal de sensationnalisme, de vraies rumeurs propagées par les "entourages", de petits espoirs et de grandes déceptions, du flux et du reflux de soutiens qui, à l'image de nos concitoyens, tardent, sous l'influence du dernier "scoop", à se faire une opinion. Tout ça pour ça !

Le choix qu'on voudrait nous imposer entre deux populismes, l'un nationaliste et étatiste, se définissant comme "ni de droite, ni de gauche", et l'autre, mondialiste et libéral, se revendiquant "et de droite, et de gauche", résume-t-il à lui seul les termes de l'alternative ? Le rejet et l'exclusion portés en étendard par la candidate de l'extrême droite, d'une-part et, de l'autre, la séduction d'un candidat attrape-tout qui affirme le caractère "mystique" de la politique ?

Dans ce concert de vent, le centre, comme une manière d'insondable abîme de la vie politique dans ce qu'elle peut avoir de plus déroutant, démontre une fois de plus que si une addition de riens ne produit pas grand chose, leur division peut être la source de grandes spéculations ! Après avoir scellé il y a peu un accord électoral avec les conservateurs, certains parmi les "indépendants",  tergiversent encore et, affichant la grande cohérence de leur pensée, sont désormais tentés par un soutien au camp de ceux des marcheurs qui voudraient mettre leurs pas dans ceux de François Hollande...

Une fois de plus, ces tenants d'un "moderne réformisme" résolvent leur dilemme intrinsèque en tentant de démontrer que rien n'empêche de cheminer dans la même direction en étant - à l'instar de MM. Bayrou, Hue et Madelin  - d'accords sur pas grand chose; bien au contraire. Un simple "syndicat d'intérêts" comme le dénonçait le Président Beaufort par la voix de Jean Gabin, en évoquant le projet de Cabinet de "large union nationale" (déjà!) proposé par le jeune député Chalamont, incarné par Bernard Blier, dans le film le Président (2).



Tu me diras, cher lecteur, que pour bien avancer, mieux vaut peut-être ne pas trop regarder l'un vers l'autre mais plutôt fixer, ensemble, la même direction; quitte à prendre le risque de rester sur des voies parallèles, sans jamais se croiser, sans jamais se confronter. A l'inverse de la formule de Blaise Pascal qui décrivait l'univers comme un espace dont "le centre serait partout et la circonférence, nulle part", j'ai pour ma part un peu l'impression que le centre - à mille lieues de ce milieu auquel pourtant il aspire - ne trouvera bientôt plus, au sein d’un univers politique aux limites de moins en moins clairement définies, sa place nulle part.


(1) Winston Churchill - Réflexions et aventures
(2) Le Président - film de 1961 réalisé par Henri Verneuil, adapté d'un roman de Georges Simenon et dialogué par Michel Audiard.

dimanche 5 mars 2017

Rien n'est le fruit de la perfection.

En ce maussade et gibouleux dimanche de mars, j'ai choisi, bien calé au fond d'un canapé, de parcourir un exemplaire d'une traduction française du Yi King appartenant à Véronique.

Rien de tel que de se plonger dans ce grand livre chinois de la sagesse, fruit de la combinaison de la doctrine duale taoïste du Yin et du Yang avec "les cinq états de transformation",  pour se remettre la tête à l'endroit en cette période de désarroi et de grandes incertitudes, conséquences déprimantes des primaires. 
Ex perfecto nihil fit. Rien n'est le produit de la perfection. En lisant cette phrase en incipit de la préface de cette édition de 1968 du livre des transformations, j'ai immédiatement fait un lien - une association, presque, au sens analytique - avec la  formule magique qui rend compte du grand mystère, au cœur du secret des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale, également devise ésotérique de l'Écossisme : Ordo ab chaoRien n'est le fruit de la perfection, l'ordre naît du chaos. l'ordre qui naît du bruit et de la fureur, du Tohu-bohu originel. Ou comment percevoir, au-delà de la multiplicité chaotique, l'unicité des lois constantes et universelles; comprendre l'harmonie de l'univers pour établir l'ordre en soi-même. 

Ex perfecto nihil fit. Cette locution  latine me fait également davantage percevoir le sens de la maxime populaire qui veut que le mieux soit l'ennemi du bien. Inutile en effet de vouloir, en tout, faire mieux, toujours. Mieux faire, pour être le meilleur; pour tenter d'atteindre je ne sais quelle perfection... Une perfection qui, au fond, resterait stérile. Une perfection qui, bien que souvent parée de toutes les vertus, pourrait même, à l'image de la société idéale et du meilleur des mondes promis et promus par tous les régimes totalitaires, s'avérer au final dangereuse...

Mais revenons à l'énergie du Tao, à ces transformations silencieuses décrites par François Jullien dans un livre que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ici-même. Penser - comme ce grand spécialiste de la philosophie chinoise nous y invite - l'existence comme une mutation continue; invisible certes, silencieuse, mais continue; où la vie, sur tous les plans, n'est plus conçue que comme un jeu de transitions ininterrompues. Une perception du monde dans laquelle il faut accepter qu'un contrairepour qu’il puisse s’inverser en son contraire, le contient déjà et l’implique en lui.

J'apprécie cette approche philosophique représentée par le symbole bien connu du Yin et du Yang, en ce qu'elle trace, au-delà d'un raisonnement simplement dualiste - celui de l'opposition du blanc et du noir, du bien et du mal, du passé et du futur, de l'intérieur et de l'extérieur... -  les voies de la perception d'un "entre". Cet "entre", invisible mais bien présent, qui non seulement réconcilie passivité et activité mais, au-delà, permet la jonction et la transition entre plusieurs états, sans ressentir le besoin de se poser les questions de savoir ni où ni quand commence l'un et où se termine l'autre; comprenant enfin, au-delà de l'approche trop souvent ontologique de la pensée grecque, en se libérant de l'être comme acte, de la stricte causalité d'un agent agissant, que les limites que nous croyons percevoir n'existent peut-être que parce que nous nous les imposons. Non, décidément, rien n'est le fruit de la perfection.

mercredi 1 mars 2017

La bêtise, c'est de la paresse.

Paraphrasant Sir Winston Churchill, on pourrait considérer que, face au travail, il y a trois sortes d'hommes : ceux qui se tuent à la tâche, ceux que leur boulot ennuient à en mourir et ceux pour qui le travail est la source inépuisable d'une mortelle angoisse. Classification mortifère d'un âge d'or malheureusement très probablement révolu où le plein emploi était la norme... Comment ranger aujourd'hui ceux qui rêveraient de pouvoir travailler et dont la moderne angoisse naît des conséquences d'un chômage de masse devenu quasi-chronique et d'une mortelle neurasthénie liée à l'absence d'emploi ? Et, au-delà, quid des paresseux ? Où classer ceux pour qui la question du travail ne se pose de fait jamais tant ils y répugnent, ceux pour qui le manque d'envie de faire, ou plutôt l'envie même de ne rien faire est toujours la plus forte ?

Travailler pour vivre, vivre pour travailler ou vivre sans travailler ?

Il me revient, avec délice, des images du film "Alexandre le bienheureux" dans lequel Yves Robert dépeignait en 1967 la vie d'un paysan bonhomme mais un peu falot qui décidait, après le décès de son épouse tyrannique et acariâtre, de faire le choix de s'accorder - en s'installant dans une forme de procrastination définitive  - le repos qu'il pensait mériter. La prestation de Philippe Noiret dans le rôle titre ne fut sans doute pas pour rien dans le charme que ce film opérât sur moi, tant j'ai aimé l'élégance naturelle et le jeu tout en "cool attitude" de ce formidable acteur. Éloge de la paresse influencé par la pensée de Paul Lafargue(*) ou dénonciation avant l’heure des travers d'une époque - celle des "trente glorieuses" - qui annonçait l'arrivée d'un productivisme caricatural ?
Alexandre et le "système D"
d'un partisan du moindre effort
qui, à l'instar de Bartleby,
 travaille à ne plus travailler.

Bien que cette comédie champêtre et tellement française, marquée par une forme de philosophie un rien subversive et libertaire, puisse être, d’une certaine façon, lue comme une manière de prologue au mouvement du printemps de 1968, je n'arrive cependant à la trouver ni provocatrice, ni désagréable, tant le thème du film est abordé avec la poésie habituelle de son réalisateur et le personnage principal rendu si sympathique par son sybaritisme assumé et bon-enfant. Je préfère pour ma part me souvenir avoir ri de bon cœur aux efforts déployés par le héros qui, sous le prétexte de s'exonérer du fardeau du travail, cherche à échapper en réalité à toutes contraintes, à une forme de destin tout tracé et à recouvrer sa liberté; ce qui le poussera à la fin, en allant au bout de sa logique, jusqu'à paresser en amour aussi.

Pour autant, je me revendique comme appartenant à une tradition pour qui le travail reste une valeur aussi essentielle que peuvent l'être l'ordre et le progrès. Le travail notamment en ce qu'il permet seul à l'homme de s’élever au-delà de sa condition et d'accéder à la connaissance.

Car, s'il est souvent synonyme de contrainte et même d’une certaine forme de douleur, vaut-il mieux faire le choix reposant de l'inactivité, au risque de l'abrutissement, contre celui du travail, au risque du surmenage intellectuel ? Inutile de vouloir, à tout prix, faire toujours ce que l'on aime, il faut, le plus souvent, savoir se contenter d’aimer ce que l'on fait. Par-dessus tout, je ne pense pas que l'homme moderne puisse s'exonérer du labeur tant l'effort, seul, permet de lutter contre l’imbécillité. J'ai récemment trouvé cette amusante maxime dans une livraison de 1843 du très Saint-Simonien Magasin pittoresque  : "la paresse est la bêtise du corps, la bêtise est la paresse de l'esprit". Autrement exprimée, et de manière plus simple, par Jacques Brel - pourtant, lui aussi, libertaire assumé - dans cette jolie formule : "la bêtise, c'est de la paresse". 



Se contenter de vivre, d'aller bien, ou mal d'ailleurs, sans se poser la moindre question. Ou dit encore différemment : accepter que sa vie se résume à pas grand chose, à trois fois rien. Se contenter de ça et considérer que ça suffit!  Quelle vie de con! Quelle tristesse! Même si, avec fatalisme, on pourrait dire pour se consoler, en s'inspirant cette fois des paroles d'une chanson de Maurice Chevalier, qu'une vie (de con) "c'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien du tout" !

(*) Le droit à la paresse - manifeste social de Paul Lafargue, paru en 1880.


vendredi 24 février 2017

Petits dérangements entre ennemis.

Vu ce matin M. Macron sur une chaîne info. Pour ceux qui pouvaient encore en douter, le barycentre du mouvement du candidat des marcheurs penche clairement à gauche. Et même si le Modem y joue, à sa marge droite, le rôle dévolu hier au Parti Social Démocrate de Max Lejeune, à la gauche de l'ancienne UDF de Giscard, l'alliance que nous ont proposée cette semaine MM. Macron et Bayrou n'est au fond rien d'autre que la énième version des petits dérangements entre ennemis dont certains, comme moi, pensaient que la Constitution de la cinquième République nous mettrait définitivement à l'abri.

Les masques tombent. Emmanuel Macron commence à dévoiler son programme et, se faisant, inscrit ses pas dans la tradition sociale-libérale; celle de Mendès-France, de Rocard, de Delors... tout en préservant et en défendant l'héritage de François Hollande. Une manière de Manuel Valls, sans l'autoritarisme. A sa façon, il nous refait le coup de "la rupture". Où comment tout changer - ou presque - dans le discours, pour que - au fond - rien ne change dans les faits... Nos compatriotes seront-ils dupes de cette fausse transgression tout en vrais calculs politiciens ?

Masquant volontairement son ancrage partisan, il essaie cependant de nous vendre l'idée d'une majorité d'union nationale, dans laquelle pourraient s'exprimer demain les plus belles voix de gauche comme de droite. Le projet de M. Macron n'est ni porteur d'une véritable alternance, ni même promesse d'une quelconque alternative, mais plutôt l'expression moderne d'une forme bien connue de courant alternatif de la politique française qui, au grée des sujets, parvient à changer de direction, sans modifier son cap...

Peut-être par une forme de réaction assumée d'ancien militant gaulliste, je reste pour ma part, contrairement à certains de mes vieux compagnons de campagnes désormais acquis à sa cause et qui se reconnaîtront, persuadé de la pertinence du clivage et de l'apport du débat, dès lors qu'il peut s'exprimer de façon démocratique. De quoi demain l'opposition serait-elle le nom si nous poussions au bout la logique du "ni droite, ni gauche, bien au contraire..." de M. Macron ? Deux extrémismes renvoyés dos à dos, mais seuls à même de fournir un cadre à l'expression d'un refus ?

En opposant progressistes et réformateurs, le candidat simplifie à l'envie les données d'un problème beaucoup plus complexe. En justifiant sa démarche par la perte de repères idéologiques des partis traditionnels, il inscrit son discours dans une forme de dénonciation d'un "vieux" système qu'il incarne tout autant, sinon davantage même, que ses concurrents.

Dans le seul but de pouvoir poursuivre et amplifier l'oeuvre de décomposition engagée par François Hollande et Manuel Valls, à laquelle il a largement contribué, il prend également le risque d'un syncrétisme politique au fondement très artificiel et, dès lors, extrêmement fragile.

Le jeu de massacre des derniers mois et les résultats inattendus des primaires, à droite comme à gauche, le caractère totalement inédit et imprévisible de la campagne pour l'élection présidentielle et la "peoplisation" de la vie publique lui ont ouvert des perspectives, mais, avec une expérience limitée des affaires du monde, lui suffira-t-il d'exceller en matière de communication audiovisuelle et de s'afficher souvent en "une" des hebdomadaires pour convaincre de sa capacité à diriger la France ? D'autres candidats de l'extrême centre ont, déjà, dans le passé, fait la douloureuse expérience que le marketing et les moyens pour le mettre en oeuvre, ne pouvaient - heureusement -  à eux-seuls garantir le résultat d'une élection.

jeudi 23 février 2017

Rien n'est possible. Vraiment ?

Jacques Toubon, mon cher et vieux compagnon, qui était ce matin invité à s'exprimer à l'antenne sur une radio qu'on appelait autrefois "périphérique" évoquait d'un joli mot la figure de "l'aquoiboniste" rendue célèbre par Serge Gainsbourg. Parlait-il alors de celui pour qui rien ne justifie vraiment la nécessité d'entreprendre mais qui, au contraire, pense toujours "à quoi bon" ? Faisait-il référence à cette manière d'expression de l'apathie, du doute qui peut saisir tout un chacun face à l'utilité d'une action ? Une forme aboutie, consciente et définitive de la procrastination où rien ne serait définitivement plus possible ? Non, au fond, ce que soulignait le défenseur des droits c'est que "l'aquoibonisme" naît aussi de la difficulté que certains peuvent rencontrer pour faire défendre leurs droits, faute de tout simplement les connaître.

C'est précisément en faisant ce constat et pour faire face à une situation de blocage entre voyageurs et professionnels du tourisme et des transports que, le 26 avril 2010, pour "éviter des situations préjudiciables aux consommateurs ayant pu rencontrer des difficultés pour connaître leurs droits", Hervé Novelli, alors Secrétaire d'état dans le Gouvernement Fillon me confiait une mission de médiation ministérielle après l'éruption du volcan islandais Eyjflallajökull. 


Renouant avec mes lointaines études et me permettant - enfin! - de pratiquer le droit, j'ai alors travaillé plusieurs mois dans le seul et passionnant objet de protéger et réconcilier les intérêts de chacune des parties en présence en mettant en oeuvre une procédure originale de résolution extrajudiciaire des conflits entre professionnels et consommateurs (une première réussie dans le secteur, qui sera à l'origine de la mise en place du dispositif pérenne de Médiation Tourisme et Voyages dont j'avais recommandé la création et qui est opérationnel depuis le 1er janvier 2012).

Dans le rapport  remis à l'issue de cette mission, je suggérais de préciser les dispositions européennes remontant à 1990 à l’effet de mieux encadrer les responsabilités des professionnels vis-à-vis de leurs clients en suggérant notamment qu’une réflexion puisse être engagée sur le montant et la durée des obligations pesant sur les professionnels en cas de retour impossible occasionné par une situation de force majeure. Et puis, le temps a passé et la médiation m'est devenue, peu à peu, un souvenir...

De son côté, la Commission a enclenché un processus de  révision de la directive de juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait. S’inspirant très directement des préconisations que j'avais faites en 2010, un projet de législation européenne adopté par la Commission du marché intérieur en 2014 préconisait notamment que "si des circonstances "inévitables" et "imprévisibles" empêchent le voyageur de rentrer à temps chez lui, l'organisateur est tenu de prévoir un logement à un niveau équivalent à celui réservé à l'origine ou de payer un séjour de cinq nuits allant jusqu'à 125 € par nuit s'il ne peut pas ou ne veut pas faire une réservation..."

Visant à renforcer les droits des consommateurs, une nouvelle Directive du Parlement et du Conseil européens est entrée en vigueur au début de l'année 2016. J'ai, en l’apprenant, vraiment eu l'impression que mon action, au-delà d'avoir permis, en 2010, le déblocage et la résolution très concrète de milliers de dossiers, aura influencé, directement ou indirectement, une évolution positive de la législation communautaire dans le domaine de la protection des consommateurs.

Prenant, en cette occasion, conscience des limites d'une philosophie strictement "aquoiboniste", j'ai réalisé l'utilité de certains de nos actes, et, contrairement à ce que je pensais spontanément, que tout n'était pas impossible. Une manière de bonne surprise à même de venir tempérer mon pessimisme raisonné.





lundi 20 février 2017

Je ne la ferme pas quand j'ai tort, alors imagine quand j'ai raison...

Cette phrase, au-delà de son absurdité, me semble intéressante comme un prétexte à nourrir une réflexion sur la mauvaise foi. La mauvaise foi comme une attitude consciente de (re)construction de la vérité; d'invention de sa vérité : "J'ai des raisons de mentir. J'ai déraison de mentir. J'ai (dé)raison de mentir. Je mens, donc j'ai raison".

La bienséance impose d'écouter avec courtoisie son interlocuteur, même si la mauvaise foi de son propos est manifeste. Vérité d'ici n'est pas nécessairement vérité ailleurs. Il ne s'agit pas de se hausser "au-dessus de la vérité" comme je peux parfois le lire, mais bien de considérer simplement "sa vérité" comme une question d'angle de vue relativisant la valeur du vrai. Une fausse naïveté assumée et consciente, permettant d'éviter l'évidence, de faire un pas-de-côté; comme une forme de recours, de sursaut existentiel contre le pathétique de la réalité (*)

La mauvaise foi ? Déjà, je ne sais pas très bien ce qu'est la foi, alors la mauvaise foi... De mes anciennes études juridiques, je crois me souvenir que la bonne foi c'est à peu près comme une forme de sincérité, de conscience d'agir sans léser autrui et conformément au droit. Mais la mauvaise foi ? Peut-on agir sincèrement de mauvais foi ou cette dernière est-elle systématiquement synonyme d'insincérité, d'hypocrisie ou de déloyauté ? Il peut y avoir me semble-t-il, au contraire, une forme d'honnêteté morale à affirmer même à tort - surtout, à tort - plutôt que de choisir de se taire, à l'effet de dissimuler son désaccord et d'éviter ainsi le risque du débat, voir de la polémique. Je n'y vois qu'une limite : celle, à l'heure où les chaînes info doivent trouver matière à remplir leurs grilles de programmes de l'aube au crépuscule, et où les médias sociaux contribuent de plus en plus à faire une opinion au sens de moins en moins critique, du risque de la manipulation et de la désinformation.

Pourtant, je préférerai toujours une grande gueule, à la mauvaise foi affirmée mais drôle, aux tristes tartufes taiseux, à la bonne foi bigotement affichée. Car la mauvaise foi peut être ironique et même introduire une forme de complicité permettant de désamorcer, par la force comique qu'elle emporte, la colère de l'autre. L'erreur de mauvaise foi, bien que cynique, porte conscience de sa triche - elle sait qu'elle ment, mais ce mensonge est assumé -, alors que l'erreur de bonne foi est commise au nom du bien, de la Vérité, d'une forme de bonne intention qui se croyait innocente, mais n'est qu'ignorante. Au fond, un mensonge commis de bonne foi et gravement - "à l'insu de son plein gré" comme auraient pu dire les Guignols de l'info - n'en dit-il pas davantage qu'une duplicité ironiquement assumée ? Je pense, pour ma part, comme l'affirment certains psychanalystes comme Véronique, dans la suite des travaux de Lacan, que la commission de bonne foi d'une erreur ne la rend pour autant pas plus pardonnable; c'est même le contraire.

Faut-il, pour pouvoir parler, être certain d'avoir raison (de qui ? sur quoi ?...), d'être dans le juste, le vrai ? Alors, souvent, je devrais, ici-même, me contenter de me taire. Non, ami lecteur, comme je l'ai déjà dit : "c'est pas parce qu'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule" .

(*) cf. mon post précédent "Ne rien oublier de tout ce qu'on a pas fait".

mardi 14 février 2017

Ne rien prendre tout à fait au sérieux.

Après avoir vu La La Land, je suis tenté de nuancer un peu le propos de mon précédent post (qui a suscité une - petite - amorce de débat parmi les lecteurs). Si j'ai trouvé les premières minutes du film un peu déroutantes tant le rythme me paraissait lent - et tant le décalage est grand avec le paysage cinématographique contemporain en général - rarement oeuvre de fiction, pourtant décrite par certains critiques comme une bluette sans grand intérêt, ne m'aura au final autant ému... 
En rompant avec la tradition - pour ne pas dire, le canon - d'un bonheur écrit d'avance, l'absence de "happy end" de la comédie musicale de Damien Chazelle m'a particulièrement touché. Certainement, parce qu'en évoquant des amours impossibles et l'amertume comme les désillusions que portent en eux les métiers de la scène, l'auteur fait écho, tout en usant des clichés et des artifices d'un Hollywood mythifié, à la philosophie d'une vie fragile, empreinte de mélancolie et d'un romantisme au ton pessimiste qui me parait assez juste au fond. 

L'existence heureuse est à mes yeux - tu l'auras compris - une forme d'oxymore, ou comme l'aurait écrit Schopenhauer une véritable "contradiction dans les termes".  Lorsque l'on est comme moi sans grande illusion, angoissé pour tout et par rien, le seul moyen pour s'en sortir - et c'est précisément le bémol que je souhaitais apporter à mon précédent envoi - est de ne rien prendre tout à fait au sérieux et, partant, d'exprimer par là même un refus de l'acceptation simple et résignée du tragique. N'est-ce pas après tout ce que nous suggère aussi ce film ? Une comédie dramatique qui aborde les difficultés d'être, de réaliser ses rêves, d'aimer, d'avancer, seul ou à deux,  mais qui le fait avec le sourire, sous une forme légère et musicale; une manière de mélancolie joyeuse. Un regard un rien burlesque et l'ironie pour mieux affronter l'affreuse laideur du monde.

Peut-être ai-je parfois pâti de cette philosophie de vie, mais c'est aussi, sans aucun doute possible, ce qui m'aura plus d'une fois permis de mieux supporter le tragique du quotidien en me débarrassant - comme aurait pu l'écrire Freud - de l'oppression trop lourde que fait peser sur moi la vie. Paradoxe me diras-tu car comment se dire angoissé et, dans le même temps, prendre le recul qui permet de relativiser les causes probables de ce tourment ? Peut-être parce que j'ai réalisé que le malheur était désespérément sérieux et qu'user de détachement et parfois même d'ironie a pour effet de pouvoir conserver toujours au cœur une forme d'espérance. L'ironie pour continuer à sourire ; sourire pour espérer, même d'un sourire triste car, comme le dit mon pote Maxime, "s'il existe quelque chose de plus triste qu'un sourire triste, c'est bien la tristesse de ne plus savoir sourire".

vendredi 10 février 2017

Rien à foutre....

L'un de mes amis, et néanmoins un temps patron, m'a un jour dit : "Il faut que tu apprennes à imposer davantage ton point de vue. Ton problème, c'est que tu es trop bien élevé !"...

Encore faudrait-il pour y arriver lever les doutes qui ne me quittent jamais. Ce besoin de toujours peser pour et contre, de dialectiser, de n'être que très rarement catégorique ; de, tout simplement, garder un esprit critique. J'ai souvent considéré que de cet esprit critique pouvait naître le désir de transformation, celui de changement qui permet la mise en mouvement, l'évolution, le progrès.

Comment donc peuvent bien faire ceux qui ne confessent aucun doute, aucune angoisse, que rien ne semble jamais pouvoir arrêter ? Ceux dont aucune norme, même intériorisée, ne paraît venir organiser le rapport à l'autre en canalisant leurs pulsions; ceux dont l'aptitude à vivre avec les autres n'est régie par aucune règle, encadrée par aucune barrière bornant les limites à la toute-puissance de l'enfant qui toujours les anime - limites pourtant indispensables à l'équilibre affectif et psychique -.

A force de séances plus ou moins silencieuses, plus ou moins animées, tôt le matin comme tard le soir, dans un cabinet froid et un peu sombre, j'ai fini par accepter, à l'écoute du récit libre de mon quotidien - de ce discours agissant permettant de passer de la pensée silencieuse à la verbalisation - que mon moteur personnel devait en grande part résider dans mes angoisses. Une manière, au-delà de la potentielle expression d'un certain déséquilibre, de principe existentiel ? Les angoissantes questions nées de la confrontation au réel des interdis intimes ne me paraissent pas seulement culpabilisantes, pas uniquement castratrices et destructrices. Au contraire, elles peuvent sans doute tout aussi bien fournir la base à un travail de construction personnelle. Car, au fond, pour initier le mouvement, ne-convient-il pas d'abord d'accepter de rompre l'équilibre ? De faire un pas de côté. Même au risque d'une certaine déstabilisation, voir même, de la chute.

C'est drôle comme certains n'en ont rien à foutre. De rien...