Paraphrasant Sir Winston Churchill, on pourrait considérer que, face au travail, il y a trois sortes d'hommes : ceux qui se tuent à la tâche, ceux que leur boulot ennuient à en mourir et ceux pour qui le travail est la source inépuisable d'une mortelle angoisse. Classification mortifère d'un âge d'or malheureusement très probablement révolu où le plein emploi était la norme... Comment ranger aujourd'hui ceux qui rêveraient de pouvoir travailler et dont la moderne angoisse naît des conséquences d'un chômage de masse devenu quasi-chronique et d'une mortelle neurasthénie liée à l'absence d'emploi ? Et, au-delà, quid des paresseux ? Où classer ceux pour qui la question du travail ne se pose de fait jamais tant ils y répugnent, ceux pour qui le manque d'envie de faire, ou plutôt l'envie même de ne rien faire est toujours la plus forte ?
Travailler pour vivre, vivre pour travailler ou vivre sans travailler ?
Il me revient, avec délice, des images du film "Alexandre le bienheureux" dans lequel Yves Robert dépeignait en 1967 la vie d'un paysan bonhomme mais un peu falot qui décidait, après le décès de son épouse tyrannique et acariâtre, de faire le choix de s'accorder - en s'installant dans une forme de procrastination définitive - le repos qu'il pensait mériter. La prestation de Philippe Noiret dans le rôle titre ne fut sans doute pas pour rien dans le charme que ce film opérât sur moi, tant j'ai aimé l'élégance naturelle et le jeu tout en "cool attitude" de ce formidable acteur. Éloge de la paresse influencé par la pensée de Paul Lafargue(*) ou dénonciation avant l’heure des travers d'une époque - celle des "trente glorieuses" - qui annonçait l'arrivée d'un productivisme caricatural ?
Bien que cette comédie champêtre et tellement française, marquée par une forme de philosophie un rien subversive et libertaire, puisse être, d’une certaine façon, lue comme une manière de prologue au mouvement du printemps de 1968, je n'arrive cependant à la trouver ni provocatrice, ni désagréable, tant le thème du film est abordé avec la poésie habituelle de son réalisateur et le personnage principal rendu si sympathique par son sybaritisme assumé et bon-enfant. Je préfère pour ma part me souvenir avoir ri de bon cœur aux efforts déployés par le héros qui, sous le prétexte de s'exonérer du fardeau du travail, cherche à échapper en réalité à toutes contraintes, à une forme de destin tout tracé et à recouvrer sa liberté; ce qui le poussera à la fin, en allant au bout de sa logique, jusqu'à paresser en amour aussi.
Pour autant, je me revendique comme appartenant à une tradition pour qui le travail reste une valeur aussi essentielle que peuvent l'être l'ordre et le progrès. Le travail notamment en ce qu'il permet seul à l'homme de s’élever au-delà de sa condition et d'accéder à la connaissance.
Car, s'il est souvent synonyme de contrainte et même d’une certaine forme de douleur, vaut-il mieux faire le choix reposant de l'inactivité, au risque de l'abrutissement, contre celui du travail, au risque du surmenage intellectuel ? Inutile de vouloir, à tout prix, faire toujours ce que l'on aime, il faut, le plus souvent, savoir se contenter d’aimer ce que l'on fait. Par-dessus tout, je ne pense pas que l'homme moderne puisse s'exonérer du labeur tant l'effort, seul, permet de lutter contre l’imbécillité. J'ai récemment trouvé cette amusante maxime dans une livraison de 1843 du très Saint-Simonien Magasin pittoresque : "la paresse est la bêtise du corps, la bêtise est la paresse de l'esprit". Autrement exprimée, et de manière plus simple, par Jacques Brel - pourtant, lui aussi, libertaire assumé - dans cette jolie formule : "la bêtise, c'est de la paresse".
Se contenter de vivre, d'aller bien, ou mal d'ailleurs, sans se poser la moindre question. Ou dit encore différemment : accepter que sa vie se résume à pas grand chose, à trois fois rien. Se contenter de ça et considérer que ça suffit! Quelle vie de con! Quelle tristesse! Même si, avec fatalisme, on pourrait dire pour se consoler, en s'inspirant cette fois des paroles d'une chanson de Maurice Chevalier, qu'une vie (de con) "c'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien du tout" !
Travailler pour vivre, vivre pour travailler ou vivre sans travailler ?
Il me revient, avec délice, des images du film "Alexandre le bienheureux" dans lequel Yves Robert dépeignait en 1967 la vie d'un paysan bonhomme mais un peu falot qui décidait, après le décès de son épouse tyrannique et acariâtre, de faire le choix de s'accorder - en s'installant dans une forme de procrastination définitive - le repos qu'il pensait mériter. La prestation de Philippe Noiret dans le rôle titre ne fut sans doute pas pour rien dans le charme que ce film opérât sur moi, tant j'ai aimé l'élégance naturelle et le jeu tout en "cool attitude" de ce formidable acteur. Éloge de la paresse influencé par la pensée de Paul Lafargue(*) ou dénonciation avant l’heure des travers d'une époque - celle des "trente glorieuses" - qui annonçait l'arrivée d'un productivisme caricatural ?
Alexandre et le "système D" d'un partisan du moindre effort qui, à l'instar de Bartleby, travaille à ne plus travailler. |
Bien que cette comédie champêtre et tellement française, marquée par une forme de philosophie un rien subversive et libertaire, puisse être, d’une certaine façon, lue comme une manière de prologue au mouvement du printemps de 1968, je n'arrive cependant à la trouver ni provocatrice, ni désagréable, tant le thème du film est abordé avec la poésie habituelle de son réalisateur et le personnage principal rendu si sympathique par son sybaritisme assumé et bon-enfant. Je préfère pour ma part me souvenir avoir ri de bon cœur aux efforts déployés par le héros qui, sous le prétexte de s'exonérer du fardeau du travail, cherche à échapper en réalité à toutes contraintes, à une forme de destin tout tracé et à recouvrer sa liberté; ce qui le poussera à la fin, en allant au bout de sa logique, jusqu'à paresser en amour aussi.
Pour autant, je me revendique comme appartenant à une tradition pour qui le travail reste une valeur aussi essentielle que peuvent l'être l'ordre et le progrès. Le travail notamment en ce qu'il permet seul à l'homme de s’élever au-delà de sa condition et d'accéder à la connaissance.
Car, s'il est souvent synonyme de contrainte et même d’une certaine forme de douleur, vaut-il mieux faire le choix reposant de l'inactivité, au risque de l'abrutissement, contre celui du travail, au risque du surmenage intellectuel ? Inutile de vouloir, à tout prix, faire toujours ce que l'on aime, il faut, le plus souvent, savoir se contenter d’aimer ce que l'on fait. Par-dessus tout, je ne pense pas que l'homme moderne puisse s'exonérer du labeur tant l'effort, seul, permet de lutter contre l’imbécillité. J'ai récemment trouvé cette amusante maxime dans une livraison de 1843 du très Saint-Simonien Magasin pittoresque : "la paresse est la bêtise du corps, la bêtise est la paresse de l'esprit". Autrement exprimée, et de manière plus simple, par Jacques Brel - pourtant, lui aussi, libertaire assumé - dans cette jolie formule : "la bêtise, c'est de la paresse".
Se contenter de vivre, d'aller bien, ou mal d'ailleurs, sans se poser la moindre question. Ou dit encore différemment : accepter que sa vie se résume à pas grand chose, à trois fois rien. Se contenter de ça et considérer que ça suffit! Quelle vie de con! Quelle tristesse! Même si, avec fatalisme, on pourrait dire pour se consoler, en s'inspirant cette fois des paroles d'une chanson de Maurice Chevalier, qu'une vie (de con) "c'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien du tout" !
(*) Le droit à la paresse - manifeste social de Paul
Lafargue, paru en 1880.