mercredi 25 avril 2018

Ne plus rien penser ?


Séjour en Écosse. La visite d'un pays tout à la fois proche et dépaysant qui m'a donné en tous points l'impression profonde de privilégier l'être au paraître. Une terre où la nature est encore partout présente dans une géographie spectaculaire qui associe régions sauvages, Lochs et Glens, terres et eaux.

Les eaux de la mer du Nord ou de l'océan Atlantique, des Lochs, des torrents, des lacs et des rivières, sans oublier l'eau de source, indispensable ingrédient dans la réussite d'un bon single malt Scotch Whisky.

Toute cette eau m'inspire aujourd'hui une réflexion sur la "Voie" (nourrie du souvenir de la lecture de quelques lignes de sagesse chinoise).

Aux sources du Taoïsme, Lao Tseu enseigne en effet qu'il faudrait accepter de voir l'existence comme l'eau qui coule. Être comme l'eau, c'est à dire laisser la vie aller, s'exonérer de toute volonté, en abandonnant toute forme, toute particularité, toute spécificité au bénéfice d'un "grand Tout". Accepter de ne plus être en quoi que ce soit l'auteur de quoi que ce soit, mais que l'ordre naîtrait du Tout, que la fin s'imposerait à nous, que nous ne serions pas fondement mais simplement conséquence du chaos issu de la séparation primordiale; qu'il conviendrait de rechercher en tout une manière d'équilibre de l'univers, même si ce dernier nous dépasse en tout point. Que la conscience de l'ordre des choses serait l'acceptation qu'elles sont simplement comme elles sont et que nous n'aurions aucune prise sur elles.

Une voie commune au-delà des volontés individuelles. Un ordre du monde qui n'en serait pas la somme mais irait au-delà de leur simple addition pour se dissoudre dans une volonté collective, expression d'une manière d'"Unité primordiale" retrouvée. Un monde naturel qui s'opposerait au monde des idées ?


Oublier son moi pour accepter que nous ne pourrions pas imposer notre ordre mais que nous ne serions que le fruit de quelque chose qui nous dépasse et nous transcende, un ordre naturel des choses, un "au-delà du visible", cet "axis-mundi" d'où tout partirait et où tout reviendrait, et dont il conviendrait, pour en prendre réellement conscience, de ne plus lui prêter attention pour "transformer le voile qui recouvre la lumière en miroir"

En rédigeant ces quelques lignes, je me rends compte que j'exprime une forme de pensée personnelle qui n'est rien d'autre que l'expression même de mon individualité; une praxis totalement à contre courant des fondements de la philosophie Taoïste. Car, pour respecter la "Voie de l'harmonie", celle du Yin et du Yang, sans doute en fait conviendrait-il de ne plus se poser la moindre question, de ne plus chercher à savoir pourquoi ou comment, de ne plus opposer blanc et noir, oui et non, être et non-être; ne plus rien savoir; accepter de se libérer d'abord de soi pour mieux se perdre, définitivement. Revenir à un état naturel. Régresser jusqu'à ne plus être, sans pour autant renoncer à être. Se fondre dans un entre-deux, un intervalle qui, comme un silence en musique ou le vide en architecture, participerait de l'oeuvre, en contrepoint, par l'absence même de son ou de construction. Un vide qui serait un plein, un silence qui ne générerait aucune angoisse et qui seraient perçus comme une absence évocatrice de la présence, indispensables à la compréhension de l'origine d'un espace ou d'un son (forme d'"être en puissance" pour paraphraser Bachelard ?) ou, comme l'a écrit Lao Tseu, que "c'est ce qui manque qui donne la raison d'être".

Au final, il faudrait, pour être pleinement au monde, accepter la disparition de sa singularité. Ne plus rien être pour revenir au Tout. 

Bien que je trouve séduisante la poursuite des entre-deux et les chemins de traverse ("Le vrai voyageur n'a pas de plan établi et n'a pas l'intention d'arriver" - Lao Tseu) qui conduisent parfois à nous rapprocher de l'unité perdue, je pense fondamentalement que si nous sommes au monde c'est en chacun de nous qu'il prend couleur et forme, que tout est déjà ici, qu'il n'y a pas d'ailleurs et que le monde existe d'abord et avant tout dans le regard que chacun d'entre-nous porte sur lui.

Des goûts, je le confesse, un rien sybarites me font préférer à la vie distillée comme l'eau chinoise, l'eau de vie de distillation écossaise, et ma réflexion me portera toujours à privilégier, je crois, la liberté individuelle et l'épanouissement personnel plutôt que la quête d'un improbable bonheur collectif, concept auquel je ne souscrits pas plus d'ailleurs qu'au semblable inconscient cher à Carl Jung, malgré le penchant certain que j'ai pour une grande partie de l'œuvre du théoricien de la psychologie des profondeurs.

Alors, en guise de conclusion provisoire j'aimerais, en matière de philosophie du quotidien, associer  plutôt le "Carpe Diem" d'Horace, traçant une perspective nettement plus humaniste que les sagesses orientales du contemporain de Confucius, au précepte socratique porté au fronton du temple de Delphes: "Connais-toi toi même...".

 Ne plus rien penser ? Ne plus rien dire ? Ne plus rien écrire ?... Aïe!

jeudi 12 avril 2018

Rien ne distingue vraiment un roman d'un agenda

Au début des années 80, je croyais - naïvement me diras-tu peut-être - que la cause des moudjahidines qui luttaient en Afghanistan contre "l'oppresseur soviétique" méritait qu'on s'y intéressât et même qu'on la soutienne. Il m'est arrivé, lors, d'organiser à la mairie de Puteaux  ou au théâtre d'Antony une réunion de soutien aux "freedom fighters", mêlant allègrement dans une forme de syncrétisme anticommuniste auquel je croyais à cette époque où un rideau de fer coupait encore l'Europe et le Monde en deux, les militants de Solidarnosc des chantiers navals de la Baltique et les pachtounes enturbannés de la vallée du Pandjchir. Mon panthéon personnel allait alors de Lech Waleza, en passant par Vaclav Havel, jusqu'au commandant Ahmad Shah Massoud. Ils avaient à mes yeux un point commun essentiel : jour après jour, ils enfonçaient  de mortelles épines dans les pieds de l'ogre moscovite... Rien ne distinguait alors pour nous la lutte des afghans de Kaboul de celle des polonais de Dantzig. La religion, peut-être ? Ou bien au contraire, était-ce, au delà de leur anticommunisme de circonstance, une forme de religiosité qui peut-être les rapprochait ?

Je parcourais récemment l'un de mes anciens agendas. J'ai réalisé tout soudain que rien ne le distinguait vraiment d'un roman, n'était-ce la couverture en moleskine indispensable à tout bon semainier. En effet, comme dans les ouvrages de fiction, c'est en prose que, jour après jour, on y inscrit ce que l'on doit faire. Comme dans un roman, il y a un début et une fin mais, à la différence de la fiction, ce sont toujours les mêmes; on y trouve aussi des personnages à foison - les habituels, les familiers, mais aussi parfois de nouveaux qui apparaissent puis disparaissent au gré des rendez-vous et des aléas de l'existence -, des allers et des retours, de l'action, des rebondissements; moins de suspense peut-être mais tout autant d'émotion... Comme dans toute bonne nouvelle, on peut laisser de côté un agenda puis y revenir, reprendre le cours de sa lecture, se replonger dans les souvenirs qu'évoquent les quelques lignes, et même plus souvent les quelques mots rédigés à la va-vite sur des feuillets quadrillés. Le livre est, comme l'agenda, tout à la fois contenu et contenant. L'un comme l'autre sont des produits complexes constitués d'idées soutenues par des mots mis en ordre, eux-même portés par un assemblage de feuilles dans lequel interviennent à la fois du papier, de l'encre, des éléments d'ordre textuel et typographique et parfois même d'ordre artistique, le tout prenant l'apparence d'un objet. Mais, cher lecteur, je m'égare. Revenons, si tu veux bien, aux combattants de la liberté si chers à M. Ronald Reagan...

Timbre commémoratif nord-coréen de 1985
C'est en consultant l'un de ces vieux calepins que je retrouve la mention d'un voyage effectué en avril 1985 en Jamaïque.

J'avais séjourné au pays des Rastas à l'occasion de la Conférence Internationale de la Jeunesse organisée avec le soutien actif des réseaux internationaux de l'AFL-CIO en réponse - pour ne pas dire, en réaction - au rassemblement de la jeunesse heureuse organisé à Pékin en mai de la même année et au festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui devait se tenir à Moscou au mois d'août suivant, eux-même organisés par les pionniers des mouvements de jeunesse communistes. Tout le monde a aujourd'hui oublié que l'année 1985 fut proclamée par l'Organisation des Nations Unies "Année Internationale de la Jeunesse". Et si, ami lecteur, je devais encore te convaincre du sérieux de cette affaire onusienne au beau slogan de "Participation, Développement et Paix", je te rappellerais que le président désigné du comité d'organisation de cette année internationale s'appelait Nicu, Nicu Ceauşescu, fils chéri du grand et très populaire démocrate, le Conducator roumain Nicolae Ceauşescu. C'était une époque de guerre froide. Une époque où le monde encore bipolaire s'organisait autour d'une forme d'équilibre de la terreur. Les conférences répondaient aux festivals, les manifestations aux rassemblements, les guerres populaires de libération aux mouvements pour la Liberté, les réformistes aux révolutionnaires, les forces du bien à l'empire du mal. C'était simple. Manichéen.

A Kingston, dans ce grand hémicycle de circonstance, notre délégation avait pour voisine immédiate la représentation afghane et dans cette improbable conférence des tropiques j'ai pu discuté avec Massoud. Grand et beau souvenir que celui de la rencontre avec cet érudit francophone, ayant étudié au lycée français Isteqlal de Kaboul, venu plaider sous les manguiers de Kingston la justesse de sa cause. Celui qui avait rejoint dès 1973 la clandestinité et qui ayant survécu à sept attaques majeures soviétiques s'était vu décerner le titre de "Lion du Panjshir" siégeait parmi nous, simplement, écoutant patiemment les dithyrambes de jeunes occidentaux sûrs d'eux et de leur combat qui croyaient lui rendre hommage mais ne comprenaient rien à ce qui se tramait vraiment du côté de Kaboul. Aucun d’entre-nous tous n'aurait pu alors imaginer que son assassinat marquerait bien des années plus tard le début d'une autre guerre aux contours moins nets, aux frontières moins claires, une guerre qui bientôt verrait couler le sang de jeunes soldats français, une guerre qui allait bientôt porter le fer et l'horreur terroriste jusque dans le cœur du territoire national.

La simple évocation de cette belle âme justifierait à elle-seule mon soutien affirmé de l'époque aux "freedom fighters"et puis en y réfléchissant bien, l'agenda que depuis Moscou, Bucarest, Cuba ou Pyongyang certains essayaient d'imposer à une jeunesse éprise de bons sentiments teintés d'internationalisme et de marxisme-léninisme n'était peut-être, au regard des jours sombres que nous avons depuis lors vécus, finalement rien d'autre qu'un beau roman, une belle histoire...

mercredi 11 avril 2018

Toujours aller plus loin ?

Depuis la prime enfance, on nous a enseigné qu'en toutes circonstances il fallait, dans ses rapports humains, savoir garder la mesure et, pour ne pas dépasser les limites auxquelles la politesse nous oblige, prendre garde de ne jamais trop forcer le trait ou d'exagérer, au risque d'aller trop loin.  

Bref ! Qu'il fallait savoir se retenir d'abuser, de trop tirer sur la corde ! Jamais ne dépasser  les bornes ! Et surtout pas " pousser mémé dans les orties"...

Mais à force de retenue, n'ai-je au fond pas été souvent empêché ? N'ai-je pas moi-même érigé et consolidé des obstacles pour mieux observer les règles de la bienséance, dressé les murailles du savoir-vivre qui me paraissaient infranchissables et qui, comme autant d'écrans et de voiles, ont rendu plus long, plus dure et parfois même totalement impraticable la route ?

J'en suis alors arrivé au moment où je m'interroge sur le sens de ces barrières qui m'ont, trop souvent, empêché d'aller voir au-delà des limites que je m'imposais, de cheminer plus avant, de progresser, et même peut-être, sur certains points, tout simplement de mûrir.

Certaines portes - pas toutes ! - sont bonnes à enfoncer, certaines certitudes - ou absences de certitudes - à bousculer et l'évolution est une course contre le temps qui doit savoir s'affranchir des haies de l'habitude et du conformisme.

Mais si la liberté seule autorise la transgression des règles et permet d'entrevoir une voie vers la vérité, il ne saurait pourtant être question dans mon esprit de renverser tous les totems, de fouler aux pieds tous les tabous ni même d'interdire d'interdire. Pour avancer sur le chemin de la recherche de la vérité, encore faut-il accepter une forme d'ordonnancement et le respect de certains usages, une manière d'othopraxie qui rend seule possible la vie en société.

Car si la transgression libère, seule une progression harmonieuse et ordonnancée permet d'approcher de la connaissance de sa singularité. Et, alors que le joli mois de mai s'annonce, et, avec lui les "célébrations" en tous genres du cinquantenaire de 68, je continue à croire que tout ne se vaut pas et que, comme aurait pu le dire un mien ami poète et grand amateur des aventures du commissaire San-Antonio, si la transgression autorise presque tout, on ne saurait - dans le seul dessein de toujours aller plus loin - pour autant "sucer Gégé dans les orgies" ! (petit clin d’œil à la filmographie - ô combien ! - jouissivement transgressive de Bertrand Blier).

vendredi 6 avril 2018

"Personne d'autre". Un rien de mélancolie

Françoise Hardy était hier matin l'invitée sur Europe 1 de Patrick Cohen (Si! Si! il m'arrive d'écouter M. Cohen. Je l'ai même parfois entendu sur France Inter...) à l'occasion de la sortie de son nouvel et vingt-septième album, "personne d'autre".

Expliquant pourquoi elle avait adapté le titre d'un groupe de rock indépendant finlandais assez underground ("Sleep" des Poets of the fall), dont j'ignorais à peu près tout jusqu'à ce jour, elle indiquait qu'elle n'avait jamais su résister à une belle mélodie. Je suis comme elle et je constate, moi aussi, que les belles mélodies que je préfère sont souvent des titres au tempo lent et mélancolique. Et, crois-moi, cela n'a rien d'antinomique avec mon goût très immodéré pour le Rock, et même souvent pour le Rock que les riffs de guitares saturées et les "line up" de rythmiques grasses rendent assez inaudible aux non initiés et, pour tout dire, impropre même à la consommation de certain(e) de mes proches. Mais je l'affirme, on peut aimer le Rock le plus dur - celui des longs solos de six cordes, qui sent la bière, la sueur et le cuir - et les ballades acoustiques, les douceurs aux belles harmonies vocales, de celles qui ont des faux airs de pop suave pour midinettes.

A preuve, les groupes de Metal, de Hard-Rock ou de Blues-Rock sudiste sont très souvent d'excellents mélodistes et leurs ballades, fréquemment du caviar à se mettre entre les oreilles. Qu'on se souvienne du "Stairway to heaven" de Led Zep', "Behind blue eyes" des Who, de "Dust in the wind" de Kansas, de l'excellent "More than words" du groupe de Nunno Bettencourt, Extreme, dont on vient de fêter le 25ème anniversaire, du "Dreams" des barbus confédérés de Molly Hatchett ou bien, davantage Brit' Pop, du "Don't dream it's over" de Crowded House, sans oublier l'inégalé "Angie" des Stones ou encore - c'est, je l'avoue, l'un de mes titres favoris - du "Maybe tomorrow" des rockeurs gallois de Stereophonics (choix établi de façon spontanée et presque automatique,dont j'assume la totale subjectivité, sans l'idée aucune d'établir un quelconque classement).


Je suis éclectique et en cherchant aussi du côté du Hip-Hop et des musiques urbaines, je t'assure, cher lecteur, qu'on découvre des perles mélodiques, bien loin de la caricature de certaines éructations rappeuses. Je recommande tout particulièrement aux plus dubitatifs d'entre-vous l'écoute de "Same drugs" de Chance the Rapper, "All along" de Kid Cudi ou encore les compositions douces et mélodieuses de Arrested development ou De La soul.


Aujourd'hui Jacques Higelin est mort. Que dire ? Il est déjà trop tard...
Tant de souvenirs me reviennent. Depuis ma chambre adolescente jusqu'aux bœufs improvisés chez Tao. Les mots sont dérisoires pour exprimer la peine et j'en connais du côté de la citadelle de Calvi qui doivent avoir le cœur bien gros... Alors pour conclure, je te propose une formidable ballade du groupe The The. Avec elle, on pourra toujours essayer de se consoler en considérant que dans le Rock, comme ailleurs, l'amour restera, heureusement, toujours le plus fort. Champagne!

"Love is stronger than death".



mercredi 4 avril 2018

Un rien d'égarement... totalement désorienté

Quand tu ne sais plus quelle route éviter pour ne plus suivre des chemins qui ne mènent nulle part. Quand la question du bon ou du mauvais sens t'amène à te faire du mauvais sang sur la direction à suivre. Quand les panneaux semblent ne plus vouloir rien indiquer et que les signes eux-mêmes deviennent indéchiffrables, tu en arrives parfois à te dire que tu as dû, à un moment ou un autre, prendre la mauvaise voie. Et tu crois, dur comme fer, que tu n'es en rien responsable si tu as fait le mauvais choix ni si, en conséquence, tu t'es trompé d'orientation.

Comme un égarement issu d'une manière de grand dérangement, l'automobiliste exaspéré d'un jour que tu es a tôt fait alors de rendre seul responsable de sa divagation le bordel qui règne dans les gares et qui l'égare.

Grévistes, Gouvernement, syndicalistes, fainéants en tous genres, automobilistes ignorant des règles de la conduite urbaine, piétons, cyclistes et les autres, tous les autres avec, portent, à tes yeux, une part de responsabilité majeure dans les errements successifs qui ont fini par te perdre. 

Pourtant, nous sommes, à chaque instant de notre vie, libre de nos choix et le cheminot en lutte ne saurait être tenu pour unique responsable de notre propre déroute. A défaut de suivre des pistes qui nous perdent, nous pouvons toujours nous arrêter, nous retourner, comme le disait Pierre Dac, "pour avoir notre avenir dans le dos", faire demi-tour ou même simplement accepter le déconcertant écart qui peut être à la source d'un salutaire dépaysement, d'une autre voie, de celles qui nous rapprochent enfin de l'inutile.

Cette vision diagonale, ce "pas de coté"  - déjà évoqué ici-même - qui nous fait prendre la tangente et autorise un autre point de vue sur le monde, comme un terme médian conférant une vision duale et équilibrée qui, cessant de préjuger que le choix ne se réduit qu'à une alternative entre un bon ou un mauvais chemin, n'oppose plus les contraires mais les réunit en les rendant complémentaires. Et comprendre enfin que si sur l'échiquier le fou seul est contraint à la diagonale, la Reine comme le Roi tirent un atout majeur de cette option dont ils disposent l'un comme l'autre pour leurs déplacements.

Alors, les erreurs de parcours sont-elles autant d'occasions manquées ou, au contraire, des portes ouvertes sur d'autres lointains ? 

Un rien d'égarement et me voilà - enfin ! - totalement désorienté.

vendredi 30 mars 2018

Rien n'est plus compliqué... (Questions)

Certains définissent l'écriture comme une école du silence. Est-ce si juste ?

Si nous écrivons c'est d'abord pour circonscrire le manque, juguler l'absence, combler le vide. Tous les vides. Même, et peut-être surtout, par des petits riens.

L'écriture est parole mais elle n'est pour autant pas comparable à celle qui est proférée oralement. Nous écrivons lorsque nous ne parlons pas. Quand, pour une raison ou une autre, nous ne pouvons pas, quand nous sommes empêché de parler pour nous exprimer, pour échanger et, simplement, nous ouvrir à l'autre. N'avons-nous pour autant rien à dire ? Derrière le mot se cache souvent un silence encore plus parlant.

"Le mot empêche le silence de parler" écrivait Eugène Ionesco mais ne doit-on pas plutôt considérer que l'écriture est un silence, un silence exprimé, un silence mis en signes et, donc, un silence, en quelque sorte, parlé ? Un silence parlant ? Voir même parfois hurlant ? L'écriture, comme une forme d'expression du silence.

Si le silence traduit dans les rapports humains l'incommunicabilité entre les êtres et renvoie l'autre au néant, le silence de l'écriture n'exprime-t-il pas ce qui est indicible et, partant, ne dit-il pas bien mieux que le verbe la réalité du monde tel que nous la percevons mais une réalité à la manifestation tellement intime que nous sommes incapables de la rendre intelligible à autrui ou simplement de la révéler en paroles ?

Apagogie ? Peut-être. Mais l'inanité de l'écriture ne témoigne-t-elle pas au fond de l'absurdité de l'existence ?

Vraiment, rien ne m’apparaît plus absurde ni plus compliqué que d'essayer de communiquer pour établir un rapport à l'autre. Surtout si, comme le suggère Emmanuel Levinas, s’ouvrir à l’autre c’est "l’écouter, lui parler et s’adresser à lui en prêtant attention à son dire et pas seulement à son dit [1]". Percevoir le signifiant derrière le signifié. Essayer d’entrevoir l'intention par-delà les mots employés ou l’attitude. Entrevoir l'Autre. Cet Autre dont nous sommes divisé, séparé et dont l'image nous renvoie, comme en miroir, le terrible constat que si les choses sont si difficiles c'est peut-être d'abord parce que nous sommes séparé d'avec nous-même

[1] Emmanuel Levinas - Totalité et Infini : Essai sur l’extériorité - Le Livre de Poche.

mardi 27 mars 2018

Je n'en reconnaîtrai rien

En me rendant au travail, j'ai traversé ce matin la place Denfert-Rochereau sous une fine ondée printanière. Il m'est alors revenu un souvenir amusé.

Si cette place du quatorzième arrondissement de Paris est connue pour sa réplique de la statue du Lion de Belfort, qui symbolise la résistance héroïque du colonel Denfert-Rochereau face aux troupes prussiennes au moment du siège de Belfort, et pour l'accès aux catacombes qui se fait par les anciens bâtiments des fermiers généraux de la barrière d'Enfer, elle reste aussi, comme quelques autres rond-points de la capitale, encore couverte de pavés de granite usés et polis sous le double effet du passage de millions de véhicules et de l'érosion liée au temps et aux intempéries. Ce revêtement la rend très glissante lorsque le sol en est mouillé.

Au tout début des années 80, je roulais au volant d'une Coccinelle blanche. Comme sa cousine proche (si! si!), la Porsche 911, le moteur était situé à l'arrière, déséquilibrant l'automobile et rendant la tenue de route parfois un peu aléatoire.

Lieu de passage quasi-obligé pour rejoindre la  banlieue de ma jeunesse, traction, poids du moteur installé en porte-à-faux à l'arrière, chaussée rendue glissante par la pluie... Tu vois sans doute, cher lecteur, où je veux en venir. Les contingences sécuritaires de l'époque n'étaient pas celles  d'aujourd'hui.

Musiques du Bus à fond sur le radio-K7 auto-reverse Pioneer (à la pointe musicale et technologique de l'époque...) pour couvrir les rugissements du moteur 1300, il m'est arrivé, je le confesse, de faire plus d'une fois par temps humide, au milieu de la nuit, des tours de la place en cherchant la limite de l'adhérence, pour mettre volontairement la "Cox" en travers, à l'heure où la circulation parisienne s'était heureusement faite beaucoup moins dense. 

Vus de loin, mes passagers (il y'en avait parfois...) et moi, nous devions - la coupe de cheveux en moins - un peu ressembler aux héros de Wayne's World, reprenant à tue-tête Bohemian Rhapsody

Bien avant la mode du drift et des rodéos sauvages du samedi soir inspirée par la passion débordante de certains pour les films de la série Fast and Furious, ces tours de manège d'enfer qui, après tout, respectaient la limitation de vitesse en vigueur à cette époque, nous paraissaient alors bien insouciants. Et même si je reconnais rétrospectivement leur dangerosité, ils n'ont fort heureusement jamais eu alors plus grave conséquence que de nous faire tourner un peu la tête et de nous rendre plus joyeux.

Ne raconte jamais cette anecdote aux enfants. Je nierai farouchement son authenticité et n'en reconnaîtrai rien. Et puis, de toutes les façons, ils ne croiraient pas que nous avons, nous aussi, un jour pu être jeunes... 

Pourtant ! Qu'est-ce qu'on a pu se marrer alors en dérapant, en toute insouciance, sur ces pavés parisiens.

dimanche 18 mars 2018

Rien n'est plus fragile que l'éternité

Comme pour nous rappeler que l'univers nous a été livré sans mode d'emploi, que le cosmos n'est décidément pas à notre échelle et que rien ne permet aux mortels que nous sommes de l'appréhender dans sa totalité, cette semaine Stephen Hawking est mort.

Trous noirs, trous de ver, état pur quantique, état mélangé ou inflation cosmique, l'univers lui-même et son "big bang" originel sont pour moi autant de concepts et de théories aux contours extrêmement complexes qui sont bien au-delà de ma capacité d'entendement. Seuls quelques-uns d'entre nous peuvent s'en approcher et nous livrer des clés d'interprétation. Le génial physicien était de ceux là. 

Son écriture, en ce qu'elle rend plus réel un univers inaccessible, est une manière de faire en sorte que le monde ne soit pas là pour rien. Bien qu'affirmant que personne n'a créé l'univers ni ne dirige nos destins, il invite cependant l'intelligence à considérer le non-manifesté qui se trouve juste au-delà de notre regard.

Stephen Hawking a notamment théorisé le concept de « temps imaginaire ». En expliquant que le temps se déplacerait  dans l'espace comme une autre direction, dans un univers sans bordure, il tente de se débarrasser du point de vue philosophique de la question qu'est celle de la création de l'univers, qui serait, selon lui, né de rien. Au fond, écrire c'est essayer, face à l'inconnu, à ce grand mystère de la création, de laisser une empreinte de pas dans le sable d'une plage humide que la première vague venue recouvrira et dont ne subsistera pas même une trace. Rien! 

Même si, pour les physiciens du début du vingtième siècle, le temps était relatif, que le silence est long, au début du vingt-et-unième, entre deux textes, deux pages d'écriture, deux rages d'écrire que rien ne calme sauf la tentative d'ordonnancement, pour leur donner sens, de quelques signes sur une page blanche. 

Au-delà de son caractère récréatif, la rédaction de ce blog s'impose à moi à l'image d'une forme de rituel cyclique de re-création, tant il est vrai que si le monde n'a d'autre existence que le regard que nous portons sur lui, c'est dans l'écriture qu'il prend forme et si, comme le dit la chanson, le bonheur n'attend pas, la meilleure façon de lutter contre le malheur réside alors sans doute dans l'acceptation que rien n'est plus fragile que l'éternité, que tout est éphémère et que la vérité réside peut-être dans l'acceptation que la vie ne vaut que par la douceur même des petits riens de l'existence.

"Le bonheur n'existe pas... 
...c'est juste le malheur qui fait une pause."