mardi 3 décembre 2024

Rien à comprendre

Lorsqu’il s’est agi, l’été dernier, de mettre en place un « front républicain » pour barrer la route des candidats du RN aux législatives, toute la gauche a su se mobiliser comme un seul homme. Et avec quelle ferveur ! Ce fut presque shakespearien : "l’être ou ne pas être" de l’éthique et de la morale en politique semblait alors en jeu. Les grands mots étaient de sortie : "défense de la République", "valeurs communes", "bien de la Nation". Drapés dans la toge immaculée de leur dignité, les leaders de la gauche bien-pensante, alliés aux Insoumis et à leurs candidats "baroques", prenaient alors des pauses de héros antiques. Mais demain ? Demain, ces mêmes valeureux hussards de la morale républicaine nous annoncent qu'ils mêleront leurs voix à celles du RN pour censurer le Gouvernement Barnier. Et là, subitement, la tragédie devient un opéra bouffe. Bienvenue en Absurdistan !

Tu comprends, toi ?

Dans ce grand Guignol qu’est devenu l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, la question n’est pas tant de comprendre que de savourer l’absurde. Comme disait Camus, "l’absurde naît de la confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde". Ici, ce n’est pas tant de silence qu’il s’agit mais plutôt de bruit et de fureur. Nos élus – à gauche, à droite, au centre et même parfois ailleurs – se livrent à une gymnastique intellectuelle et éthique qui relèvent davantage des figures compliquées d’un Kamasutra mal maîtrisé que de postures de sagesse. Mais il ne s’agit pas de se moquer (pas uniquement, en tout cas). Ce qui se joue ici, c’est l’éternel débat entre intérêt et idéal.

Le « front républicain » : Expression d’un idéal ou stratagème politicien ?

Rappelons nous. L’été dernier, le "front républicain" était brandi par les hoplites de la bien-pensance comme le bouclier d’Athéna contre la percée des spartiates d’une extrême droite présentée comme l’ennemi absolu. La démocratie était en danger ! La morale républicaine était portée comme un étendard. Ceux qui, la veille encore,  se déchiraient à coups de slogans acérés et de tweets délétères, trouvaient subitement un "intérêt supérieur et partagé" à défendre les "valeurs communes" devant la "menace brune". Quel miracle ! Mais que reste-t-il de tout ça aujourd’hui ?

Barnier arrive. Le gouvernement tangue sur l’adoption du budget de la Sécurité Sociale, et avec, en sous-main, le positionnement tactique et les postures grotesques de ceux qui pensent demain pouvoir porter les couleurs de leur coterie à la magistrature suprême, l’intérêt partisan bien compris reprend ses droits. La question n’est plus de "barrer la route au RN", mais de jouer de sa présence en force sur les bancs de l'assemblée, de l’utiliser pour mieux déstabiliser un pouvoir jugé incompatible avec les intérêts, pourtant totalement divergents de ceux qui s’accordent à jouer le chaos pour des raisons purement tactiques. Les idéaux ? Aux orties. Le front républicain ? Jeté aux oubliettes. La morale politique ? Un ornement qu’on ne sort que pour les grandes occasions, mais qu’on abandonne dans les couloirs du Palais Bourbon à la moindre turbulence. L’intérêt du pays ? Quoi ?...

Le parti, d'abord, pour le pays on verra !

Peut-être faut-il lire tout cela à travers le prisme de la philosophie stoïcienne. À la manière d’Epictète, rappelons nous : "Il ne dépend pas de toi de changer le monde, mais bien de comprendre ce qui dépend de toi." Traduction : la politique ne serait qu’un échiquier où les règles changeraient selon les coups et les intérêts de chacun.

Et pourquoi pas en rire ? La classe politique française, si souvent décriée pour ses défauts, est, pour moi, une inépuisable source d’absurde émerveillement. Imaginez : à gauche, on se lamente sur l’état du pays et on écrit les pages d’un discours de censure qui dénonce l’influence des idées populistes sur le gouvernement tout en faisant, de fait, alliance avec l’extrême droite ; à droite, on agite la menace de la gauche tout en faisant des ronds de jambe au RN qui, lui-même, ne répugne pas à voter avec l’extrême-gauche honnie… Ah ! qu’ils seront beaux et fiers tous ces élus LFI et RN qui, debout pour célébrer leur triste victoire, applaudiront et éructeront de concert à la chute du gouvernement ! Vive la Quatrième !

 Alors, que faire, me diras tu ?

La prochaine fois qu’on te parlera de "front républicain", d’alliance improbable ou de censure morale, pose toi cette question simple : suis-je un citoyen, libre de ses choix, ou l’acteur involontaire et servile d’une mauvaise pièce de théâtre ?

Pour ma part, je choisis de sourire… et d’écrire.

jeudi 21 novembre 2024

Ils ne comprennent rien

Il est 7h37, l’heure où le métro parisien devient une chorégraphie désordonnée de corps pressés et de regards fuyants. Ligne 7, direction La Courneuve. Je suis dans la rame depuis quelques stations, entouré d’une foule au visage familier composée d'inconnus. Au Kremlin-Bicêtre, les portes se referment, et nous plongeons dans le long tunnel qui mène à Maison Blanche. Rien d’inhabituel, jusqu’à ce que le temps paraisse se distendre.

Au bout de dix minutes, une pensée désagréable surgit : C’est anormalement long. La vitesse semble avoir augmenté. Les parois du tunnel, que je devine derrière les vitres, défilent plus vite. Les visages autour de moi se figent. Quelqu’un tente un sourire rassurant, certains fredonnent pour se donner une constance, d'autres prient, un bébé hurle, l’angoisse est contagieuse.

Je sors mon smartphone. Pas pour regarder les réseaux sociaux, ni les statistiques de mon blog, non. Cette fois, c’est sérieux. Je veux appeler… qui ? Les pompiers ? La RATP ? Véronique ? un ami ? Mais il n’y a aucun réseau. Une barre rouge me nargue. Je regarde ma montre. Vingt minutes. La station Maison Blanche aurait dû apparaître depuis longtemps, mais le train fonce, imperturbable, comme s’il ignorait les lois du monde extérieur.

Autour de moi, le silence s'est fait pesant. Les passagers échangent des regards lourds de questions silencieuses. Le claquement des rails, d’habitude rythmé, devient oppressant, une menace sourde. Un enfant serre la main de sa mère, un étudiant fixe l’écran noir de son téléphone, un vieux pleure. La vitesse semble encore augmenter.

Et si… ? Non, impossible. Nous sommes en sécurité, n’est-ce pas ? Les métros ne s’égarent pas. Ils s’arrêtent toujours, tôt ou tard. Mais une voix intérieure chuchote autre chose, une peur primitive que je n’ose formuler : Et si nous étions ailleurs ? Et si cette rame ne s’arrêtait jamais ?

Dans ce tunnel sans fin, le temps se dilue. Les pensées deviennent floues, presque irréelles. Et pourtant, nous sommes encore là, figés dans l’attente, à scruter l’obscurité, espérant une issue qui tarde à venir.

Soudain, une lumière. Un soulagement. Le bout du tunnel ! Enfin. Le métro ralentit, les freins crissent, et je me lève, prêt à descendre à Maison Blanche. Mais lorsque les portes s’ouvrent, la stupeur m’envahit. Rien ici ne ressemble à Paris. Pas de carrelage blanc, ni de panneau "Sortie". À la place, des enseignes lumineuses en kanjis, des néons colorés, une horloge digitale qui indique 15h40 et des annonces diffusées dans une langue inconnue. Du japonais ! Je ne rêve pas : nous sommes à Tokyo.

Les autres passagers sont aussi déboussolés que moi. Quelques-uns échafaudaient à voix basse, dans le tunnel, des hypothèses farfelues sur une faille spatio-temporelle. Maintenant, ces murmures laissent place à des cris, des exclamations, et une panique physique. Comme un seul homme, les 500 âmes entassées dans la rame se précipitent sur le quai. Nous voilà, parisiens perdus, au milieu de Tokyoïtes médusés, certains immortalisant la scène sur leurs smartphones, d'autres cherchant un agent pour comprendre ce qui se passe.

Mais pour nous, c’est pire encore. Rapidement, une vérité gênante émerge : à part quelques touristes étrangers munis de leur passeport, et notamment des japonais, mi- surpris, mi amusés de ce rapide retour au bercail, nous n’avons rien. Pas de papiers d’identité, pas d’argent en yens, aucun mot même permettant d'expliquer, à défaut de la justifier, notre présence. Rien. Je me rends compte avec effroi que je suis devenu, en une station, un sans-papiers dans un pays où l’étranger est regardé avec méfiance et l’immigré avec défiance.

Et le paradoxe frappe fort : les sans-papiers qui partageaient notre rame n’ont, eux, rien perdu ni gagné dans cet improbable et extraordinaire voyage. Ils n’ont changé que de décor, passant d’une galère parisienne à une galère tokyoïte, toujours aussi invisibles et marginalisés. Certains, anticipant l’arrivée des forces de l’ordre, se sont déjà fondu dans le décor et ont profité de la désorganisation généralisée pour disparaître.

Comment sommes nous arrivés là ? Une erreur technique ? Une expérience scientifique non maitrisée ? Un caprice de l’univers ? Nous n’avons aucune réponse. Les autorités japonaises, elles, avec l'efficacité et le sens de l'ordre qui les caractérisent, n’ont pas tardé à intervenir. Une zone de quarantaine est organisée sur le quai. Des officiers impassibles, masques sur le visage et scanners à la main tentent de nous trier, contrôlent notre température corporelle, nous interrogent, et s'étonnent que nous ne comprenions pas leurs questions ou que nous leur répondions dans une autre langue que la leur. Et soudain des représentants de l'Ambassade de France débarquent. Nous sommes rassurés par la présence de nos diplomates. Malheureusement, nous nous rendons très vite à l'évidence : comment pourraient ils nous être d'une quelconque utilité alors même que, comme tout le monde ici, ils ne comprennent rien. Moi non plus.

mercredi 20 novembre 2024

Ça me gonfle !

Tout à l’heure, alors que je prenais le volant de mon automobile, le voyant d'alarme de sous-gonflage de l'un des pneus s’est allumé. Rien de grave, me dis-je, juste une petite vérification et, en un coup de gonfleur, je pourrai tailler la route. Je prends alors la direction d'une station-"service" proche de mon domicile, sûr de trouver une borne de gonflage en libre-"service" (faut pas rêver ! Plus personne ne te propose de gonfler tes pneus, vérifier les niveaux ou laver ton pare-brise... Parlons en du "service" !). Mais j'ai beau chercher, rien ! Foin de gonfleur.

Je demande à un employé, un peu interloqué, seul présent sur site derrière la vitre blindée de sa cabine, et, dans l'hygiaphone, il me répond : « On n’en installe plus, monsieur, ce n’est pas rentable. » Pas rentable ? Gonfler les pneus de son véhicule après avoir rempli son réservoir ou rechargé ses batteries, un luxe ? Je repars en direction d'une deuxième station du même (très) grand réseau français, flambant neuve celle-ci, et étalant sous ses néons scintillants ses bornes de recharge électrique. Rebelote : pas de gonfleur. Après une nouvelle démarche auprès de la troisième station visitée (et tout ça, au beau milieu des encombrements de l'heure de pointe, évidemment...), je commence à m’agacer sérieusement. Trente minutes de route, trente minutes de temps perdu, trois stations-service, trois échecs. Je finis par comprendre que les bornes de gonflage sont devenues une espèce en voie de disparition. Décidément, les grands réseaux d'approvisionnement en énergie, à défaut d'en fournir, ne manquent pas d’air…

Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, c’était un service basique, à disposition chez quasiment tous ceux qu'on appelait encore alors - ils n'étaient pas tous anciens flics, ni alcooliques, souviens toi de Coluche dans Tchao Pantin - des pompistes. On nous rabâche sans cesse l’importance de vérifier la pression des pneus, pour : économiser du carburant, réduire l’usure, éviter le risque d'éclatement, et même limiter les émissions de CO₂ ! Mais à quoi bon nous mettre en garde, si ces outils basiques et indispensables disparaissent ?

Résultat des courses, je suis reparti avec un voyant jaune au logotype inquiétant qui clignote toujours et une bonne dose d'agacement et de frustration. Comment en est-on arrivé là ? Dans une région comme la mienne, trouver une borne de gonflage est devenu un parcours du combattant (on me dit même qu'il existe désormais des applications d'aide à la recherche de stations de gonflage...). Les stations de distribution de carburant se transforment en mini supermarchés, on y trouve tout ce qu'on veut ou presque, mais les services essentiels à la bonne marche des véhicules automobiles, eux, disparaissent. Au nom de la rentabilité me dira-t-on, mais alors pourquoi ne pas mettre en place un système de stations de gonflage tarifée ? Plutôt que rien, je préfèrerais, de très loin, un service payant, mais garanti et accessible.

Feu mon père me disait, il y a près de trente ans, qu'un jour on en arriverait à vouloir nous vendre l'air qu'on respire. On en est pas encore là, mais il est désormais de plus en plus difficile de simplement trouver l'air comprimé nécessaire pour gonfler nos pneumatiques. Ça me gonfle ! Au propre comme au figuré. Si l’un ou l’autre des dirigeants de ces réseaux de vente de carburant me lit, voici un message simple : remettez des gonfleurs, ce n’est pas une option, c’est une nécessité.

dimanche 3 novembre 2024

Rien de banal

16 mars 1993

Il est un peu plus de vingt-trois heures lorsque j’entre, pour la première fois, aux Salons de l’Étoile, lieu bien connu des soirées parisiennes des années 90, à l’ambiance feutrée mais tout aussi vibrante que le fut en son temps le Bus Palladium. En franchissant le seuil, je croise des visages familiers de cette époque, des personnalités qui peuplent les nuits parisiennes, dissimulées derrière des sourires calculés, les vapeurs d'alcool, la fumée des cigarettes, des conversations chuchotées couvertes par une musique trop forte, des gueules enjolivées par la lumière tamisée. A l’entrée, j’ai été agréablement surpris de retrouver Bruno, le colosse qui fut longtemps en charge de la sécurité au Bus, qui semble, ce soir encore, prêt à parer à toute éventualité.

Puis, il arrive. Serge M. Sa silhouette est immédiatement reconnaissable : grand, brun, aux yeux clairs, d’allure élégante, imposant, même si son vrai pouvoir ne tient pas qu’à sa stature. Il est accompagné d’une cover girl originaire d'Europe de l'Est, qui deviendra célèbre, et qui arbore déjà le sourire froid et distant d'une future star des podiums, et de deux gardes du corps géorgiens, visages impassibles, concentrés, suivant chaque mouvement de leur patron avec une vigilance presque palpable. Ensemble, ils avancent comme un bloc compact, que l’on imagine indestructible. La R25 blindée est restée garée discrètement à l’extérieur, chauffeur au volant, moteur allumé, prête à partir s'il le fallait ; rappel du monde dangereux auquel l’homme d’affaires est désormais visiblement accoutumé. Et pourtant, je me souviens d’un autre Serge, celui que j’ai rencontré bien avant cette période de luxe et de précautions sécuritaires. C’est mon ami Michel qui nous avait présentés l’un à l’autre, avant même leur association au sein de la société d’import-export qu’ils créeraient quelques années plus tard, dans le sillage du commerce de matériel informatique occidental qu'ils avaient initié avec le jeune Mikhaïl Khodorkovski. Ayant fui l’ex-URSS au début des années 80, Serge était alors apatride, sans papiers ni logement, une âme en transit dans un Paris qui semblait tout à la fois pour lui un refuge et un entre-deux. À cette époque, il n’y avait ni duplex avenue Marceau, ni chalet à Gstaad, ni yacht sur la Riviera. J’étais alors intervenu pour l’aider à trouver un logement au sein du parc social de la ville de Paris, un endroit modeste mais stable où il pourrait poser ses valises quelques temps.

Retour à l’Étoile. L’atmosphère a changé dès qu’il est apparu; un silence respectueux s’est installé dans ce coin du salon où nous nous retrouvons atour d'une bouteille de Cristal de Roederer, immédiatement servie dès qu'il s'est installé. Certains chuchotent, d’autres feignent de l’ignorer, mais le magnétisme est là, qui opère. Il incarne ce mélange de charisme et de mystère, entre l’homme d’affaires et l’homme traqué. On sent qu’il évolue dans un monde où les mots comme « prudence » et « confiance » n’ont pas le même sens que pour la plupart des gens qui nous entourent.

Le contraste entre les souvenirs du jeune homme cultivé, polyglotte et peu disert, amateur d’échecs, fils d'un violoniste, fraichement arrivé de Moscou et celui que je retrouve ce soir aux Salons de l’Étoile est saisissant. L’habitude du luxe et de l'argent, du regard des autres, la manière d’ostentation indécente de nouveau riche de l'homme d'affaires qu’un quotidien français du soir a baptisé de « négociant en Perestroïka », les regards furtifs et les chuchotements des clients de la boîte sont bien loin de la discrétion du Serge au fort accent slave et au regard inquiet que j’avais connu au début. Il a gravi des échelons que je devine coûteux, et le mystère semble désormais faire partie de son personnage autant que son costume impeccablement taillé ou les bosses que font les pistolets Makarov qu’on devine dans la poche poitrine des anciens spetsnaz qui assurent sa sécurité, restés debout, à l’écart de notre table.

Qui étais-tu vraiment, Serge ?

Quelques semaines plus tard, en mai de la même année, une nouvelle invitation arrive. Serge me convie à une soirée sur son yacht, le Legend of Tintagel, ancré dans les eaux scintillantes de la Croisette à Cannes pour le Festival. Autre facette de ce personnage de roman : Il s’est inventé une nouvelle vie de producteur de cinéma dont le premier film devait raconter la vie aventureuse d'un surdoué des affaires en tous points lui ressemblant. Le 16 mai 1993, la ville est le cœur battant de l’industrie du cinéma, et le yacht de Serge, imposant et élégant, serait sans doute une scène parfaite pour de nouveaux échanges, des alliances, des projets, d’improbables rencontres. Et puis, Michel y va... Mais je ne serai pas là. Un nouveau chapitre de ma vie professionnelle m’attend ; le lundi 17 mai, je démarre un nouveau poste à l’Assemblée nationale. Je me passerai de Cannes cette année. Je souris en repensant à Serge et à ce monde parallèle, à ses cercles de business et de mystère, tout aussi impressionnants que les sphères du pouvoir et la campagne présidentielle française où je m’apprête à plonger, mais d’une manière bien différente.

22 novembre 1994

Ce soir de novembre, la nouvelle tombe. Serge M. est retrouvé assassiné, et la scène, à elle seule, semble sortie du scénario morbide d’un film noir. Il a été abattu d'une rafale d'arme automatique à travers la porte blindée de son luxueux appartement, situé au coeur du triangle d'or parisien ; une scène marquée par une violence froide et délibérée. L’image est choquante : l’homme, avec son allure de sphinx intouchable, toujours accompagné de gardes du corps - qui n'on pas eu le temps d'utiliser les armes dissimulées dans l'appartement -  a été victime d’un crime mystérieux, à peine concevable ; une rafale d'arme de guerre qui l'a littéralement coupé en deux. Premier décès imputable aux règlements de compte de la Mafia russe à Paris ou opération volontairement spectaculaire opérée par des services secrets au nom de la raison d'Etat ? Personne n’en saura jamais rien. Le temps était alors encore lointain où se développerait une véritable épidémie inexpliquée de morts violentes, souvent domestiques, et toujours suspectes, auxquelles nous ont, depuis lors, habitué les oligarques et les hommes d'affaires russes...

Les spéculations se multiplient. Qui pouvait en vouloir à cet homme au point de braver la sécurité d’un appartement des beaux quartiers, cossu et, qui plus est, réputé inaccessible et fortement protégé ? Quels secrets, enfouis dans ses affaires et ses réseaux, ont conduit Serge M. à une fin aussi dramatique ? Je repense à cette nuit aux Salons de l’Étoile. Personne ne pouvait alors imaginer que cette figure imposante finirait ainsi, emportée par les ombres d’un passé peut-être trop lourd, trop complexe, trop tragique. Pourtant, quand on y pense, qui d’entre mes amis et relations d’alors se baladait en voiture blindée, avec des gardes du corps armés jusqu'aux dents qui avaient fait leurs classes dans des unités d'élite en Afghanistan ? Rien de banal, en vérité.

Trente ans plus tard, le fantôme de Serge hante encore les esprits de ceux qui l’ont croisé. Ce meurtre laisse une étrange sensation d’inachevé, de vérité que nul ne parviendra jamais vraiment à saisir, un mystère de plus dans le Paris des années 90, où pouvoir et danger se mêlaient, sans parfois que nous n’en ayons vraiment conscience. Pourtant, rien de tout ça n'était banal.

vendredi 1 novembre 2024

Rien, craindre, rien désirer, rien déplorer

“Notre vie est ce qu'en font nos pensées”
Marc Aurèle


Rien craindre, rien désirer, rien déplorer : ces trois maximes inspirées des pensées de Marc Aurèle sonnent comme une invitation à repenser notre rapport à la vie. Dans un monde où tout va vite et où l’on est sans cesse sollicité, elles nous offrent un espace de recul, un moment de réflexion sur ce qui, finalement, compte vraiment. En revisitant quelques anecdotes tirées de mes expériences personnelles, ces principes prennent une couleur plus vivante, parfois amusante, et s’ancrent dans notre quotidien.

Ne rien craindre


Ne rien craindre, c’est accepter que la vie est par essence incertaine. Prendre la parole devant un groupe de cadres dirigeants ou mener une séance de coaching avec un client qui accède à de grandes responsabilités, comme récemment avec le directeur exécutif d'un grand groupe multinational, exige de composer avec l’imprévu. Parfois, malgré toute la préparation, le contexte nous échappe. Je me souviens de ce jour où, étant à l'époque directeur général d'une grande organisation, alors même que j'allais introduire un séminaire stratégique où il allait être question de prévision et de maîtrise, un soudain et violent orage, comme seul les cieux tropicaux en ont le secret, s’est abattu sur le site, rendant la connexion totalement instable et plongeant la salle dans l’obscurité la plus totale. Bel exemple d'imprévu.

Face à ces situations, il est tentant de craindre le pire, d’imaginer l’effet désastreux sur notre audience. Mais comme le rappelle ce principe stoïcien, "ne rien craindre" signifie avancer en toute humilité. Après tout, l'essentiel n'est pas dans la perfection de chaque détail, ni dans la maîtrise de situations qui, par essence, nous échappent, mais dans la capacité à improviser et à savoir répondre avec humanité. Ce jour-là, entre sourires et quelques blagues pour détendre l’atmosphère, nous avons rapidement repris le fil de notre programme. Le résultat fut même meilleur qu'espéré : ce petit évènement météorologique avait parfaitement illustré l'impossibilité de tout prévoir, même et surtout l'imprévisible.

Ne rien désirer


La tentation du "toujours plus" est l’une des principales sources de stress de notre époque. Que ce soit sur les réseaux sociaux, où le nombre de "likes" et de "followers" devient un étalon de réussite et l'expression même du succès, ou dans des projets professionnels, où l’on aspire constamment à l’optimisation de la "performance", le désir s’invite souvent sans être sollicité. Sur les pages de ce blog, tu le sais cher lecteur fidèle, il m'est plus d'une fois arrivé d'écrire sur ces petites choses du quotidien qui m’inspirent et que je relate avec satisfaction. Bien sûr, il est gratifiant de voir le compteur de visiteurs augmenter, de recevoir des retours et des commentaires encourageants, mais il arrive un moment où l’on réalise que le plaisir réside dans l’acte lui-même, voir dans la seule idée de l'acte, et non dans l’ambition de devenir "plus grand", "plus visible", "plus fort"...

Ce principe s’applique aussi dans ma pratique de coach. Un jour, lors d’un atelier de coaching collectif, un participant m’a confié, mi-sérieux mi-amusé, qu’il avait du mal à ne pas se comparer aux autres, à vouloir sans cesse atteindre une image idéalisée de lui-même, à vouloir, en tout, être "le" meilleur, mais que, loin de le rendre heureux, cela suscitait souvent en lui une forme d'insatisfaction qui le mettait mal à l'aise. Je lui ai alors rappelé que Lacan avait constaté dès 1960 l’"impuissance toujours plus grande de l’homme à rejoindre son propre désir", et, que même les objectifs les plus inspirants pouvaient devenir des sources d’angoisse si on oubliait d’apprécier aussi le chemin parcouru. Ainsi, en s'attachant à moins désirer, nous nous reconnectons à ce qui est, à la beauté de ce que nous avons déjà, sans être happé par la quête d’un "ailleurs" qui reste toujours insaisissable et n'est souvent qu'à la source d'une nouvelle frustration.

Ne rien déplorer


Enfin, "ne rien déplorer" nous apprend à ne pas être prisonnier du passé. Ce n’est pas nier nos échecs, ni minimiser nos erreurs, mais les accepter comme des éléments pleinement constitutifs de notre parcours. J’ai consacré de nombreuses années à construire une carrière riche de défis et d’apprentissages, des restructurations d’entreprises aux missions de médiation en passant par des transitions organisationnelles ou l'accompagnement de personnalités de premier plan. Des succès, il y en a eu, mais aussi, sans aucun doute, des échecs liés à des choix que j’aurais pu faire différemment.

Un jour, un de mes clients, en plein questionnement professionnel, m’a confié qu’il regrettait un poste qu’il avait refusé des années auparavant. En l’écoutant, je me suis souvenu de décisions similaires que j’avais pu prendre, des bifurcations qu'il m'était même arrivé de regretter peut-être autrefois. Pourtant, aujourd’hui, ces choix me semblent clairs, porteurs de sens. En adoptant une attitude stoïcienne face à ces regrets, on peut transformer ces épisodes passés en sources de résilience et d’enseignement. Rien ne sert de déplorer ce que nous avons vécu, car chaque expérience, même douloureuse, forge notre chemin et contribue à notre évolution.

Ainsi, "rien craindre, rien désirer, rien déplorer" peut fournir le socle à un véritable guide de vie, une invitation à poser sur chaque événement un regard apaisé et lucide. En adoptant cette perspective, nous nous ouvrons à une vie plus harmonieuse, où les défis sont accueillis sans anxiété, où les aspirations restent mesurées, et où le passé est source d’apprentissage plutôt que de regret.

Ces trois principes, appliqués au quotidien, deviennent plus que de simples maximes philosophiques : ils forment un cadre de pensée pour avancer, sans se laisser piéger par les aléas de l’existence. "Ne rien craindre" nous libère de l'illusion de tout maîtriser et nous pousse à agir malgré les incertitudes, en nous libérant de toute source d'anxiété. "Ne rien désirer" nous ramène à ce qui compte, sans se perdre dans une quête illusoire de perfection, ni risque d'entretenir nos frustration. Enfin, "ne rien déplorer" nous permet d’intégrer nos expériences passées sans en faire des boulets ni des sources de culpabilité, mais au contraire de les utiliser comme des leviers de transformation.

Plutôt que de chercher des réponses définitives ou des solutions parfaites, cette approche nous recentre sur l'essentiel : vivre en ajustant notre regard et notre rapport aux événements. La vie ne s’adapte pas à nos envies, et c’est à nous de trouver l’équilibre entre ce qui est et ce que nous voulons. Ces principes, loin de promettre la paix ou la félicité, nous offrent un cap : avancer, un pas après l'autre, avec l’authenticité et l'ancrage de celui qui sait que les choses n’auront jamais besoin d’être idéales pour être pleinement vécues et que c'est le regard que nous portons sur elles qui nous permettra de mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons.

vendredi 11 octobre 2024

Rien ne tue l'ennui

"Au commencement était l'émotion"
Louis-Ferdinand Céline

J’assistais, il y a peu, aux obsèques de la mère d’une amie très chère. La tristesse qui se dégageait de cette cérémonie était palpable et les pleurs du veuf, terriblement éploré, simplement déchirants. Impossible de rester insensible ou de tenir à distance l’émotion qui, tout soudain, a déferlé et que j’ai laissé s’installer ; manière, toute empreinte d'empathie sincère, de partager davantage encore la peine de ceux qui étaient les premiers concernés. Dans notre quotidien, les émotions surgissent sans qu’on y prenne garde. Elles sont parfois très puissantes et, le plus souvent, ne se prêtent guère à une analyse rationnelle. Face à la perte d’un être cher, vos amis, cherchant à vous consoler, vous diront que "le temps fait son œuvre et guérit toutes les blessures" ou que "les souffrances de la personne défunte ont pris fin", mais ces paroles rationnelles n'atténueront pas votre tristesse. Cette émotion liée à l'attachement et au vide laissé par la disparition de l'être aimé ne peut pas être simplement effacée par des arguments logiques.

A l’opposé, la joie, elle aussi, défie souvent la rationalité. On peut ressentir une joie immense en recevant un simple petit compliment, sincère ou pas d’ailleurs, ou en retrouvant un objet sans autre importance que la valeur sentimentale qu'on y attache et qu’on croyait avoir perdu. Cette émotion est une réaction spontanée, une réponse à une situation qui résonne profondément en nous. On n’a pas besoin de justifications logiques pour ressentir cette joie ; elle est immédiate et authentique.

Attachons nous, si tu veux bien, à une autre émotion : la peur. Il a dû t’arriver, ami lecteur, en marchant seul, le soir, dans une ruelle sombre et inconnue, qu’en entendant des pas derrière toi, une peur viscérale, bleue, irrépressible, t’envahisse. De celle qui te donne envie de prendre tes jambes à ton cou, de fuir. Notre cerveau rationnel peut analyser la situation, mais cette peur ne disparaîtra pas simplement parce que la probabilité d’un danger réel est très faible. L'émotion persiste parce qu'elle est déclenchée par des mécanismes plus profonds, liés à notre instinct primaire, notre instinct de survie.

La colère nous fournit aussi un autre bon exemple d'émotion qui peut nous égarer. Supposons que, alors que tu es au volant, un autre automobiliste te fasse une queue de poisson ou même qu'un cycliste te coupe la route de manière imprudente alors que tu t'engageais au feu vert sur une intersection. Je suis certain qu’il t’est alors arrivé de ressentir une colère violente, intense, même si, rationnellement, tu sais que s'énerver ne changera rien à la situation. Cette colère est une réaction émotionnelle à une perception d'injustice ou de danger.

Prenons enfin le cas de l'ennui, une émotion particulière qui semble défier toute tentative de rationalisation. Rien ne tue l'ennui, car il ne s'agit pas seulement du fruit d'une absence d'activité mais bien d'un état d'esprit profondément enraciné. On peut essayer de se distraire avec des activités diverses, mais l'ennui est là qui persiste, reflétant peut-être un besoin plus profond de sens ou de connexion. Là encore, essayer de tuer l'ennui par des moyens rationnels échoue souvent, car l'émotion elle-même obéit à des ressorts que l’on ne peut facilement expliquer.

Nos émotions ne sont pas simplement des réactions logiques à des événements ou à des sollicitations de notre environnement. Elles nous apparaissent souvent irrationnelles car elles obéissent à une logique inconsciente qui, par essence, nous échappe. Elles se fondent sur des expériences passées, des « vécus », des instincts, des déclencheurs subconscients et, parfois, le retour du refoulé. Essayer de les dissiper uniquement à l’aide d’arguments rationnels est le plus souvent totalement inefficace. C’est pourquoi il est important d’apprendre à reconnaître et à accepter nos émotions, plutôt que de chercher à les ignorer, à les refouler, à les nier.

Au lieu de vouloir consoler quelqu'un qui est triste en lui faisant miroiter que "tout ira mieux bientôt", il peut être plus utile de simplement être présent, à ses côtés, et de reconnaître sa douleur. Dire à une personne en colère de "se calmer" est rarement efficace ; il est souvent plus constructif de reconnaître la frustration qui est cause de son ire et de chercher à comprendre ce qui l’a provoquée. Et face à l'ennui, au lieu de chercher à l'éliminer par des distractions superficielles, il peut être plus sage de l'explorer, de comprendre ce qu'il révèle sur nos désirs et nos besoins non satisfaits. Comme l'a écrit Oscar Wilde, "l'émotion nous égare, c'est son principal mérite".

En acceptant que les émotions sont une part essentielle de notre expérience humaine, nous pouvons mieux les gérer et aider les autres à faire de même. Plutôt que d’essayer de rationaliser chaque émotion, nous devrions apprendre à les écouter, à les comprendre et à les intégrer dans notre vie de manière saine et constructive, même si, d'expérience, je sais que rien ne tue l’ennui ; pas même nourrir les pages d’un blog…

mardi 24 septembre 2024

A n'y rien comprendre

"Rien n'est vide ; car le vide n'est rien et ce qui n'est rien ne peut être"

Mélissos de Samos


A la tête des ministères, les instants de transmission entre deux locataires, ces "entre-deux", sont - à tord ! - parfois considérés comme des moments de grand vide. As tu, cher lecteur, comme moi, déjà fait l'expérience d'un "entre-deux" un peu curieux ? C'est en quelque sorte l'étrange ressenti que j'ai éprouvé hier matin à l'occasion des passations de pouvoir entre membres sortants et nouveaux entrants de notre Gouvernement. Plus que tout, j'ai eu l'impression d'un "entre-soi" qui ressemblait à s'y méprendre à un "entre-riens" ? Pourtant, comme nous l'ont enseigné les anciens, rien n'est vide. A n'y rien comprendre...

dimanche 15 septembre 2024

Rien ne change

Après avoir dû forcer un peu pour fermer la porte de la chambre d’un des garçons, alors que j’y réalisais quelques menus travaux de bricolage, impossible de la rouvrir. Me voilà coincé pendant quelques heures, sans pouvoir en sortir… Courte mais désagréable expérience de l’enfermement.

Je me suis, ami lecteur, alors surpris à gamberger. C’est dingue toutes les conneries auxquelles on peut penser dans ces cas là…

L’incendie d’abord ! Et si le feu se déclarait, lors même que je ne peux pas sortir. Que ferais je ?
Passer par l’un des Velux et grimper, sans glisser, au faîte du toit pour redescendre, côté jardin, via la terrasse de notre chambre ? Faisable, mais n’est pas Sylvain Tesson qui veut et je n’ai guère de goût pour l’escalade urbaine.

Appeler les pompiers et attendre qu’ils défoncent la porte à grands coups de hache ? 

Une livraison, que j’attends et que je ne pourrai réceptionner. Appeler le livreur pour lui demander de décaler sa venue ?

La femme de ménage qui va venir et à qui je ne pourrai pas ouvrir la maison. La prévenir, au risque du grand ridicule de lui narrer mes mésaventures ?

Un besoin naturel qui, au fil du temps s'est fait de plus en plus pressant. Chercher si une bouteille vide traîne dans la chambre ?

Bref ! Je laisse mon esprit divaguer et j’attends, comme sœur Anne, le retour de Wladimir qui, je l’espère, saura me délivrer d’un coup d’épaule puissant et salvateur. Trois heures ont passé et je l’entends de l’autre côté de la porte. Enfin, je vais sortir. Du moins le croyais je...
Car ce n’est pas l’étroitesse du chambranle qui maintenait la porte fermée. C’était - hélas ! - la serrure qui avait rendu l’âme et le pêne qui restait désespérément bloqué dans le trou de serrure et maintenait la porte close. Aucune autre possibilité à ce stade que de casser. À coups de pieds qu’il l’a fait ! Que dire de l’état de la porte et du chambranle... Banale fait divers domestique, sans autre conséquence que quelques travaux de réparation à prévoir.

Tiens, cher lecteur, en parlant de fait divers, je ne résiste pas à l'envie de te relater la petite anecdote suivante :

« Ce qui s’est passé hier passe après d’autres affaires qui se sont passées avant ».

Jolie phrase sous forme d’introduction pour ne strictement rien dire sur un fait divers, sinon banalement évoquer le temps qui passe, en ouverture d’un JT ce soir, dans la bouche d’un « grand » professionnel, « star » sur une chaîne info.

Décidément, rien ne change…

mercredi 4 septembre 2024

ça ne comptera pas pour rien

Alors que la France s'apprête à découvrir le visage de son prochain Premier ministre, la classe politico-médiatique dans son ensemble est en ébullition. Les spéculations vont bon train, les attentes sont immenses et les débats intenses. Les Français, lassés par une succession de crises et grandement désabusés par les postures théâtrales et trop prévisibles qu'offre la grande scène des jeux politiciens, espèrent enfin un leader capable de guider le pays avec sagesse et fermeté. 

Un dirigeant avisé ne se contente pas de suivre son propre instinct. Il sait s'entourer de conseillers compétents et prête attention à tous. Le futur Premier ministre devra incarner cette capacité d'écoute et démontrer, par la gouvernance qu’il mettra en œuvre, que la France est un pays aux multiples voix, et que chacune mérite d'être prise en considération. c'est l'une des caractéristiques du leader de prendre conseil et de savoir écouter. Libre à lui ensuite de décider.

Mais le rôle du Premier ministre ne saurait se limiter à écouter les conseils et les avis de chacun. Il doit faire preuve de discernement pour choisir les solutions les plus adaptées aux difficultés du pays. Cette tâche est d'autant plus ardue que les défis sont nombreux : garantir le pouvoir d'achat, et notamment des plus humbles, assurer la pérennité de notre système de retraites, relancer l’économie en affirmant la valeur du travail, rétablir les finances publiques, garantir la sécurité de tous et celle de la Nation et poursuivre la necessaire transition écologique.

Le prochain chef du gouvernement devra naviguer dans un environnement politique complexe, où les tensions sociales sont exacerbées et des mouvements sociaux de plus en plus fréquents. La crise de la construction et du logement, par exemple, est un sujet brûlant qui requiert une action rapide et efficace.

La réforme des retraites est un autre dossier épineux. Le vieillissement de la population française met à rude épreuve le système de protection sociale, et des réformes sont indispensables pour garantir sa pérennité. Pourtant, toute modification est susceptible de déclencher des manifestations et des grèves, comme cela a été le cas à maintes reprises par le passé. Le futur Premier ministre devra faire preuve de pédagogie et de diplomatie pour maintenir notre modèle de retraite sans fracturer davantage la société.

Sur le front écologique, la France a pris des engagements ambitieux dans le cadre des accords de Paris, mais la mise en œuvre de ces engagements reste un défi de taille. La transition vers une économie plus verte nécessite des investissements massifs et une réorientation des politiques industrielles et agricoles. Le futur Premier ministre devra faire preuve d'une vision claire et d'une détermination sans faille pour mettre en œuvre les mesures nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la protection de la biodiversité, tout en garantissant les conditions de la croissance économique durable et créatrice de richesse et d'emplois dont la France a besoin.

Un enjeu central et transversal à toutes ces problématiques est la question de la dette publique. La France est aujourd'hui confrontée à une dette qui dépasse 110 % de son PIB, un niveau qui limite considérablement les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement. La gestion de cette dette s’apparente à un exercice d'équilibriste : il faut concilier la nécessité de stimuler la croissance économique, qui peut nécessiter des investissements publics, tout en assurant la viabilité à long terme des finances publiques, sans trop augmenter une pression fiscale malheureusement déjà trop lourde pour beaucoup. Le futur Premier ministre devra trouver des solutions pour réduire le déficit budgétaire et maîtriser la dette sans compromettre les grands équilibres de notre modèle social.

Les citoyens français attendent de leurs dirigeants qu'il soient capables de comprendre leurs préoccupations tout en ayant le courage de prendre des décisions difficiles. Cette dualité, entre empathie et fermeté, est essentielle pour regagner la confiance d'une population souvent désabusée, en perte de repères et de confiance en l'avenir. Le nouveau Premier ministre devra, au-delà de la question des conditions du travail parlementaire dans une chambre à la composition unique sous la Cinquième République, instaurer un dialogue constant avec les différentes composantes de la société civile, des syndicats aux associations, en passant par les entreprises et les collectivités locales.

Enfin, sur la scène internationale, le futur Premier ministre devra, aux côtés du Président de la République, renforcer la position de la France au sein de l'Union européenne et sur la scène mondiale. Les crises internationales, qu'elles soient sanitaires, économiques ou géopolitiques, nécessitent une coordination étroite avec les partenaires européens et internationaux. La France, en tant que puissance influente, a un rôle crucial à jouer dans la promotion de la paix, de la sécurité et du développement durable à travers le monde.

En somme, le prochain chef du gouvernement sera confronté à une mission titanesque. Il devra faire preuve d'écoute active et de détermination réfléchie pour naviguer à travers les défis complexes et multidimensionnels qui se profilent à l'horizon à l’effet de conduire la Nation vers un avenir plus serein et prometteur, répondant aux attentes fortes exprimées dans les urnes par nos citoyens et respectueux des valeurs républicaines de liberté, égalité et fraternité dans le respect et la défense scrupuleuse des principes de laïcité, ça ne comptera pas pour rien.

vendredi 26 juillet 2024

Quand rien ne va

 Lorsque le monde semble s’effondrer autour de nous, qu’on traverse une période difficile, marquée par le stress, l’anxiété, le burn-out ou encore la dépression, et que chaque fibre de notre être crie son malaise, les normes sociales nous encouragent à feindre le bonheur et nous nous découvrons un talent inné pour le théâtre, les masques et la comédie. Car, dans notre société emprunte de psychologie positive, dire qu'on va mal, ça n'est pas bien. Il est alors fascinant de constater à quel point nombreux sont ceux qui, en proie à la douleur et au désespoir, excellent dans l’art de la dissimulation. La "positive attitude" et son injonction au bonheur, exacerbée par une certaine littérature du développement personnel et de trop nombreux influenceurs qui sévissent sur les réseaux sociaux, nous poussent toujours davantage à n'afficher que la meilleure version de nous-même.


Avouons le, il y a quelque chose de profondément rassurant pour l'autre dans le fait de lui faire accroire que tout va bien et ce phénomène n’est pas nouveau. Dans l’Antiquité, les philosophes stoïciens prônaient déjà une certaine impassibilité face aux vicissitudes de l’existence. Cependant, ce que nous observons aujourd’hui va au-delà du stoïcisme ; c’est une véritable performance qu'on attend de chacun, une attitude où l'on ne doit laisser entrevoir aucune faille. Mais si faire semblant que tout va bien est une forme de résistance, un moyen de défense qui permet de défier l’adversité avec élégance et dignité, que c'est aussi un moyen de ne pas alarmer notre entourage, de ne pas troubler l’harmonie sociale par l'expression de nos tourments intérieurs, c'est aussi, à moyen terme, la plus sure voie vers l'inévitable, car sourire pour maintenir une façade, c’est se tromper soi-même et faire semblant d'aller bien peut s'avérer dangereux pour notre santé mentale. Ce comportement peut conduire, en nous mentant à nous même, à mettre sous cloche nos vraies émotions. Sourire pour maintenir une « masque » ne fait que retarder des conséquences néfastes pour notre équilibre psychologique. Ainsi, cette comédie de façade a ses limites. Elle est une double lame : d’un côté, elle nous protège, et de l’autre, elle peut nous isoler. Car faire semblant peut parfois nous enfermer dans un mensonge solitaire, où, pensant à tort que tout va bien et que nous naviguons sans encombre dans les affres de l'existence, personne ne vient offrir une main secourable.

Paradoxalement, si on peut jouer le bonheur, on ne fait jamais semblant d’aller mal. Pourquoi ? Parce que la douleur authentique, la véritable souffrance, ne se joue pas. Elle est brute, viscérale, indomptable. Quand nous sommes réellement au plus bas, notre corps et notre esprit trahissent cette réalité sans que nous puissions y opposer de masque. Les pleurs, la fatigue, les regards éteints sont autant de révélateurs impitoyables de notre état d'âme. 

En fin de compte, la question se pose : pourquoi ce besoin de comédie ? Peut-être est-ce une preuve de notre optimisme indomptable. Peut-être croyons nous, même inconsciemment, que faire semblant que tout va bien finira par rendre cette illusion réelle, qu'arborer un sourire suffira à nous rendre heureux. Rien n'est plus faux.

Alors, la prochaine fois que vous apercevez ce sourire brillant sur un visage ami, souvenez vous que derrière chaque éclat de rire peut se cacher un soupir étouffé. 

Quand rien ne va, on ne fait jamais semblant d'aller mal, en revanche on peut faire semblant que tout va bien !

mardi 18 juin 2024

Rien n'est moins sur

Aujourd'hui je te propose, cher lecteur, une lecture mythologique des élections législatives en revisitant les thèses développées par Joseph Campbell dans "Le Héros aux mille et un visages". Cette œuvre, en explorant les archétypes mythologiques, éclaire la dynamique des récits humains et, par analogie, nous permet de comprendre les forces à l'œuvre dans le théâtre politique qui se joue sous nos yeux. Campbell propose le concept de monomythe, ou ce qu'il appelle le "voyage du héros", une structure narrative universelle qui traverse toutes les cultures. Ce modèle décrit le parcours du héros à travers trois phases principales : le départ, l'initiation et le retour. En transposant ce schéma à la situation politique actuelle en France, les élections législatives peuvent être vues comme une étape cruciale dans notre quête héroïque collective.

Le Départ : L'Appel de l'Aventure

Le départ du héros débute par un appel de l'aventure, souvent provoqué par une crise ou une situation insoutenable. Cet appel s'est manifesté à l'occasion du récent scrutin européen par l'expression d'une angoisse et d'un mécontentement face aux questions sécuritaires et identitaires, à celles liées au pouvoir d'achat, aux tensions sociales et, dans une moindre mesure, aux crises environnementales, entraînant un vote hostile à la majorité présidentielle. Ce résultat inédit a conduit le Président de la République à prendre la décision très soudaine et inattendue de dissoudre l’Assemblée nationale, créant, de facto, une situation de crise. Les élections convoquées en conséquence peuvent constituer une réponse à cet appel, une occasion pour les citoyens de chercher des solutions et de choisir des élus qu'ils penseront davantage capables de répondre à leurs attentes.

Comme dans le monomythe, cet appel est parfois accueilli avec réticence. Les électeurs peuvent légitimement éprouver de la lassitude ou du scepticisme envers le personnel et les promesses politiques, reflétant ainsi l'hésitation initiale du héros face aux choix qui s'offrent à lui pour son voyage. Cependant, la nécessité de changement finit par prédominer, poussant les électeurs, comme semblent l'anticiper les sondages, à s'engager davantage dans le processus électoral.

L'Initiation : Les Épreuves et la Transformation

Une fois le héros en route, il doit surmonter une série d'épreuves qui le transforment. Pour les citoyens comme pour les candidats aux élections législatives, ces épreuves se traduisent par des débats intenses, des campagnes électorales exigeantes, un engagement inconditionnel, des controverses et des confrontations idéologiques. Chaque alliance de circonstance, chaque parti politique, chaque candidat, cherche à prouver sa valeur et à convaincre les électeurs de la justesse de sa cause et de ses propositions.

Cette phase est marquée par des rapprochements et des trahisons, des adoubements et des bannissements, des succès et des échecs. Les épreuves politiques sont autant d'opportunités de transformation, non seulement pour les candidats eux-mêmes, mais aussi pour la société dans son ensemble. Les débats publics, les manifestations et les discussions sur les réseaux sociaux contribuent à une prise de conscience collective et à une redéfinition des priorités nationales.

Arrêtons nous un instant sur la montée en puissance des partis qui défendent les thèses les plus extrémistes. L'extrême gauche, représentée par un Nouveau Front Populaire largement animé par la France Insoumise et l'extrême droite, incarnée par le Rassemblement National et ses vassaux, souhaitent chacun s'approprier le rôle du héros salvateur. La France Insoumise, en mettant l'accent sur la justice sociale et l'écologie radicale, appelle à une transformation révolutionnaire de la société. Lors que le Rassemblement National, en focalisant sur les questions identitaires et sécuritaires, propose un repli sur soi aux influences réactionnaires. Ces deux approches représentent des visions diamétralement opposées du futur de la France, chacune prétendant détenir la bonne et unique solution aux problèmes actuels. Cependant, leur extrémisme peut être analysé comme une version déformée du voyage héroïque, où le héros se perd au risque même de périr de ses propres excès.

Le Retour : La Réintégration et le Renouveau

Le retour du héros, après avoir triomphé des épreuves, marque la phase finale du monomythe proposé par Campbell. Dans le contexte des élections législatives, ce retour se manifestera par l'émergence d'une nouvelle majorité au sein de l'Assemblée nationale. Les députés de la majorité qui sortira - ou pas -  des urnes seront investis de la mission de transformer les idéaux et les aspirations exprimés pendant la campagne en réalités concrètes et tangibles pour les français. Quelque soit leur camp, les candidats emportent dans cette campagne une promesse de renouveau et de changement.

Cependant, comme le retour du héros peut parfois être complexe et semé d'embûches, les nouveaux élus devront naviguer dans un paysage politique de plus en plus fragmenté et polarisé comme il l'a rarement été sous la 5ème République. La tâche qui les attend est ardue : restaurer la confiance du peuple, mettre en œuvre des politiques efficaces, tout en garantissant la sérénité des débats parlementaires et en assurant la pérennité de nos institutions. Seul leur succès ou leur échec déterminera si le cycle du héros se conclut en apportant un renouveau durable, en tout cas jusqu'à ce que recommence la quête à l'occasion d'un nouveau rendez-vous électoral et démocratique.

Les Archétypes Politiques et la Psyché Collective

Au-delà du schéma du monomythe, Campbell explore également les archétypes qui peuplent les récits mythologiques. Dans le paysage politique français, ces archétypes se manifestent à travers les différentes figures publiques et les rôles qu'elles incarnent. Le leader charismatique, le conseiller, le réformateur audacieux, le traitre et même l'antagoniste cynique sont des personnages qui résonnent avec des archétypes profondément ancrés dans l'inconscient collectif.

Le Rejet des Extrêmes : Une Lecture Critique

Refusant, à titre personnel, le choix de l'extrémisme, j'observe que ces deux voies incarnent des versions caricaturales de certains archétypes héroïques. La France Insoumise tente de se poser en champion du peuple opprimé, utilisant un discours messianique pour mobiliser les masses. Cette quête peut aisément se transformer en tyrannie de la vertu, où toute opposition est considérée comme une trahison, à l'image des anathèmes et des insultes jetés à la figure de ceux des insoumis qui, bien que n'ayant pas été réinvestis, on choisit de maintenir leurs candidatures. À l'autre extrémité, le Rassemblement National se présente comme le défenseur de la nation menacée, adoptant une posture symbolique de guerrier contre des menaces le plus souvent fantasmées. Cette narration peut sombrer dans un autoritarisme xénophobe, où la peur de l'autre justifie des politiques discriminatoires et régressives.

A l'issue des législatives de 2022, les deux extrêmes ont montré leurs limites. Les manifestations violentes et les discours incendiaires de La France Insoumise ont souvent aliéné des électeurs modérés, jusqu'à l'émergence d'une candidature sociale-démocrate incarnée par la liste conduite par Raphael Glucksmann aux élections européennes. De même, les positions radicales du Rassemblement National ont jusqu'à la récente prise de position, heureusement très isolée, d'Eric Ciotti, limité sa capacité à trouver des partenaires pour former des alliances durables.

Le Héros Collectif : Une Voie Médiane

A l'heure du choix, le peuple français est appelé à devenir le véritable héros de cette quête politique. Ce héros collectif, incarné par une société civile active et engagée, peut, je le crois, naviguer sans sombrer dans les écueils de l'extrémisme. La nouvelle Assemblée nationale qui sera issue des Législatives peut fournir un espace politique inédit sous notre République où le dialogue et le compromis seront, on peut le souhaiter, davantage valorisés. Les partis modérés pourront, autour de la majorité présidentielle, s'ils le veulent vraiment, et sans arrière pensée de moyen terme, contribuer à l'émergence de solutions pragmatiques et concrètes. Ils peuvent représenter des figures de médiation, essentielles dans le monomythe, qui aident le héros à trouver un équilibre entre ses pulsions les plus extrêmes.

En revisitant cette campagne pour les élections législatives à travers le prisme du monomythe et des archétypes de Joseph Campbell, apparaît, au cœur de la politique contemporaine, une dimension mythologique et universelle. Ce regard original souligne l'importance des récits et des symboles dans la formation de notre réalité sociale et politique. Les élections ne sont plus seulement des événements civiques, mais des moments de quête héroïque collective où chaque citoyen est invité à participer à la construction d'un futur commun.

Souhaitons que le rejet des extrêmes ouvre la voie à une voie de dialogue et de compromis permettant de transformer les défis présents en opportunités de renouveau et de progrès. En tant que héros collectifs, nous avons la capacité, par notre bulletin de vote, de façonner le destin du pays.

La situation politique actuelle, à la veille des élections législatives, peut être vue comme une étape cruciale dans le voyage héroïque du peuple français, un voyage qui aspire à transformer les défis présents en opportunités de renouveau et de progrès. Ce processus, nourri par une participation active et une réflexion critique, peut aboutir à un renouveau démocratique où les aspirations collectives trouveront enfin une expression authentique et durable même si, dans la situation d'extrême polarisation que nous vivons  aujourd'hui, rien n'est malheureusement moins sur...

dimanche 16 juin 2024

Rien ne justifie le choix de l'extrémisme

Dans le calme de cette matinée pluvieuse, alors que les premières lueurs du jour percent difficilement les nuages lourds de menaces qui assombrissent le ciel de France, je réfléchis sur notre époque troublée. Je me dis, ami lecteur, que, face aux tempêtes de l’histoire, il est essentiel de savoir garder le cap, de rester ancré dans les valeurs sur lesquelles notre pays s'est bâti. 

Au coeur de mes réflexions, une phrase prononcée par Jacques Chirac en forme de testament politique, lointaine mais pourtant d'une terrible actualité, me revient : "Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l'âme de la France dit non à l'extrémisme. Le vrai combat de la France, le beau combat de la France, c'est celui de l'unité, c'est celui de la cohésion. Oui, nos valeurs ont un sens !" Ces mots résonnent comme un avertissement. Un incendie ne se combat pas avec un lance-flammes. Les extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, n'emportent avec eux que la promesse du feu dévastateur de forces qui, au lieu de bâtir, ne cherchent qu’à détruire. On voudrait nous faire accroire que l'alternative, faite de cendres et de braises, ne se résumerait plus désormais qu'au choix entre, d’un côté, une alliance improbable où se côtoient toutes les nuances de gris d’une droite extrême dure et identitaire, jouant sur les peurs, les haines et les divisions de notre société, et, de l’autre, un front de gauche de circonstance, où l’on retrouve des figures d'un passé que l'on croyait heureusement révolu et les jeunes représentants des mouvements les plus radicaux, une fusion explosive où se mêlent social-démocratie et chaos annoncé par les tenants du communautarisme, du wokisme et de la révolution permanente, chacun prêchant sa vérité avec la ferveur de ceux qui ne voient plus le monde qu'au prisme de leur idéologie. Je ne le crois pas.

La phrase de Jacques Chirac nous rappelle que la véritable grandeur d’une nation ne réside pas seulement dans la puissance de ses armes ou dans la justesse de ses lois, mais dans sa capacité à se préserver des extrêmes, à maintenir l’équilibre entre les forces opposées et à croire en son destin.

La France, cette vieille dame au visage marqué par les siècles, la patrie des lumières et des droits de l'homme, mérite mieux qu'un choix mortifère entre réaction et révolution. Elle mérite une voie qui, au-delà des passions et de l'affrontement, cherchera toujours l'édification d'un avenir commun et partagé, dans l'harmonie des différences, à l'effet de créer une société où chaque individu, chaque génération, chaque voix, trouvera sa place. Nous devons rester fidèles à cette idée de la République, non comme un simple mot, mais comme une réalité vivante, une force qui, dans son essence, incarne aux yeux des nations les valeurs d'un humanisme à la française, celui qui, en rappelant avec clarté le principe de laïcité, s'incarne dans les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. 

Loin des tumultes de l'actualité, je contemple le vaste horizon de l’histoire humaine. Là, dans ce théâtre de la confrontation des idées, je me reconnais dans ceux qui ont cherché à trouver un juste milieu, une voie qui transcende les extrêmes, qui élève l’homme au-dessus de ses instincts les plus bas. C’est dans cette quête que réside la véritable grandeur d’un peuple, dans sa capacité à se dépasser, à trouver une harmonie entre ses désirs et ses principes, ses aspirations et la confrontation à la dure réalité du monde. 

Dans quinze jours, il faudra voter. Alors, en ce moment charnière où les choix se dessinent avec une douloureuse clarté, rappelons nous que la première force d’une nation c'est sa sagesse, sa capacité à rester unie dans la diversité, à lutter contre les tentatives délétères du repli sur soi et du communautarisme, et, à défendre ses valeurs avec courage et conviction. Entre des nationalistes qui attisent la haine de l'autre et des mondialistes mus, pour certains, par la détestation de la patrie, il y a une place pour ceux qui aiment la France et croient à l'universalisme de son message. A l'heure où nombreux sont ceux qui, parmi les plus jeunes, doutent du système démocratique (selon un récent sondage, près de la moitié des 18/24 ans ne considèrent pas comme "très important" de vivre dans un pays gouverné démocratiquement!*...), c'est le sens même du combat pour la République, laïque, une et indivisible, que, même si j'ai conscience qu'il est désormais en partie utopique, j'appelle aujourd'hui de mes vœux. N'en déplaise à ceux qui, sur les réseaux ou ailleurs, évoquent à son propos de "vieilles soupes...", en 1995 j'ai pleinement adhéré au discours prémonitoire sur la fracture sociale et la menace qu'elle faisait porter sur l'unité nationale. Chiraquien j'ai été, Chiraquien je reste, parce que c’est dans cette fidélité à nos idéaux républicains et démocratiques que se trouve la véritable essence de notre être commun. Ensemble, portons haut les couleurs de la raison et de l’unité, pour que cette France que nous aimons tant, demeure, aux yeux du monde qui nous regarde, l'un des phares qui montre un chemin possible d'unité et de concorde dans la tempête cruelle et terrible des passions humaines. Rien ne justifie le choix de l'extrémisme et du renoncement à nos idéaux démocratiques. Rien.

(*) Enquête publiée le 3 février 2022 par les sociologues Olivier Galland et Marc Lazar pour le compte de l’Institut Montaigne.

jeudi 6 juin 2024

Rien oublier

Chaque année, le 6 juin, les regards du monde se tournent vers les plages de Normandie. Les vagues de la Manche qui lèchent doucement le sable, en ce matin d'un été encore timide et hésitant, ignorent tout du sang et des larmes versés ici il y a huit décennies. En effet, ce même rivage, ces mêmes plages, ces mêmes dunes de sable blond qui regardent vers le large et le lointain occident furent, Il y a quatre-vingts ans, le théâtre tragique d’un événement qui a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale : le débarquement des troupes alliées en Normandie.


L'histoire humaine est une mosaïque complexe de moments glorieux et de tragédies qui nous paraissent parfois insurmontables. Si nous sommes capables de la regarder avec une certaine sérénité, c’est parce que, comme le dit l'adage populaire, le temps fait son œuvre, et qu'il a le pouvoir de cicatriser même les plaies les plus profondes. Il est cependant des événements que nous ne devrons jamais laisser se diluer dans les brumes de l’oubli. Le D-Day en est un.

Le 6 juin 1944, à l'aube, les forces alliées ont lancé l'une des opérations militaires les plus déterminantes de la guerre et l'une des plus audacieuses de toute l'histoire humaine. Des milliers de jeunes hommes, venus de très loin et pour la plupart à peine sortis de l'adolescence, ont été jetés dans le tumulte et le chaos des combats, sur les plages aux noms désormais gravés dans l'histoire : Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword. Ces noms résonnent aujourd'hui, non pas comme des souvenirs lointains, mais comme des échos d'un sacrifice immense, au service de notre liberté.

L’histoire humaine est tragique, non pas parce qu'elle est ponctuée de malheurs, mais parce que ces épreuves sont souvent le produit de nos propres actions. Les guerres, les génocides, les massacres ne sont pas des calamités naturelles. Ils sont le résultat de décisions humaines, de haines cultivées, d'incompréhensions encouragées et de peurs irrationnelles. Le D-Day, malgré son aspect héroïque, est le fruit de l'une des périodes les plus sombres de l'humanité : la Seconde Guerre mondiale. Une époque où l'intolérance et la barbarie avaient atteint des sommets heureusement depuis jamais égalés.

En ce jour de commémoration, il est essentiel de se rappeler que le débarquement de Normandie n’a pas seulement été une victoire militaire. C’était une réponse à l’oppression, une lueur d’espoir dans un monde plongé dans les ténèbres. Ce 6 juin marqua le début de la fin pour une idéologie qui prônait la suprématie raciale et la destruction de tout ce qui ne correspondait pas à son abjecte idéologie.

Les histoires individuelles de ceux qui ont participé à cet événement historique sont autant de témoignages poignants de courage et de sacrifice. Imaginez un instant un jeune homme de vingt ans, traversant la Manche, ne sachant pas ce qui l'attendait sur cette côte inconnue et hostile et conscient du risque bien réel qu'il pourrait ne jamais revenir. Chaque soldat, chaque marin, chaque aviateur portait sur ses épaules non seulement le poids de son équipement, mais aussi celui d'une angoisse intime mêlée à l’espoir collectif qu'il concrétisait alors pour des millions de personnes opprimées à travers l’Europe.

Il est tentant - et tu le sais, cher lecteur, je suis assez sensible à cette émotion - de regarder le passé avec une certaine nostalgie. On peut aussi se dire que nous avons su en tier les leçons. Pourtant, l'histoire nous rappelle chaque jour, avec une tragique obstination, les parts d'ombre de l'humanité et la propension des hommes à toujours répéter les mêmes erreurs. Les conflits armés, les discriminations, l'oppression et les injustices persistent. Le devoir de mémoire, que nous accomplissons en ce jour, est bien plus qu’un hommage aux héros d’hier. C’est un appel à la vigilance et à l’action concrète pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent.

Ne jamais oublier signifie aussi reconnaître les signes avant-coureurs des drames et des catastrophes. Le monde d'aujourd'hui, avec ses avancées technologiques et des frontières toujours repoussées, n'est pas à l'abri de graves dérives. Les discours de haine, les nationalismes exacerbés, les tentations autoritaires et les promesses prométhéennes d'un post humanisme non maîtrisé sont autant de menaces que nous devons affronter avec la même détermination que celle des soldats qui débarquèrent en Normandie.

En célébrant le quatre-vingtième anniversaire du D-Day, nous honorons non seulement la mémoire de ceux qui ont combattu, mais nous réaffirmons aussi notre engagement à défendre les valeurs de liberté, de justice et de paix. Chaque croix blanche, chaque monument érigé sur ces plages, chaque vétéran honoré en ce jour est un rappel silencieux mais puissant de ce que nous pouvons accomplir lorsque nous sommes unis par une cause juste.

Aujourd'hui, nous nous souvenons des sacrifices consentis, des vies perdues, des rêves brisés. Mais nous nous souvenons aussi des victoires, de la résilience, de l’espoir renaissant. L'histoire humaine est tragique, certes, mais elle est aussi ponctuée d'actes de bravoure et de moments de rédemption. L'histoire humaine est tragique, rien ne saurait nous en prémunir. Mais l'espérance ! En ce jour anniversaire du débarquement de Normandie, pour que vive l'espérance, il convient de ne rien oublier. Jamais !

mardi 7 mai 2024

Ne rien regretter

Dans les méandres de la pensée, l'essence se fragmente en éclats évanescents qui, peu à peu, disparaissent, tels des brumes irisées dans la lueur éthérée de l'absence. Le sens, comme un papillon éphémère, voltige entre les voiles diaphanes de l'illusion, échappant à toute tentative de capture dans les filets inconsistants du non-être. Mais qu'est-ce donc que le sens, sinon une énigme, une question sans réponse, entre toute-présence et néant.

Dissimulé entre blanc et noir, entre Yin et Yang, entre immanence et transcendance, dans les hiatus et les replis de l'existence, le sens se joue des velléités désespérées de notre entendement. Les mots eux-mêmes se dérobent dans le chaos du non-sens, laissant derrière eux un vide abyssal, une béance saugrenue. Les philosophes, dans leur quête éperdue de vérité, sont comme des somnambules égarés dans les méandres de la pensée, cherchant à percer les mystères en s'aidant d'outils aussi émoussés que leur propre raison. Le langage lui-même devient un piège, un dédale sans issue où les mots se perdent et s'entremêlent dans une farandole sans queue ni tête, se dissolvent en volutes insaisissables, s'entrelaçant dans une chorégraphie qui semble parfois même échapper à toute logique. Chaque syllabe, chaque phonème, chaque mot paraissent comme émerger d'un rêve effacé, s'évaporant sans plus laisser de trace. La signification, cette chimère insaisissable, se dérobe alors à toute tentative d'appréhension, laissant l'âme errante du cherchant dans un dédale de non-sens et d'oubli. 

Et que dire de la sensation, cette pulsation éphémère qui parcourt l'essence de l'être ? Elle se dissipe tel un souffle fugace, se perdant dans les circonvolutions labyrinthiques de l'illusion sensorielle, échappant à toute tentative de captation. La sensation nous attrape et nous relâche dans un tourbillon d'émotions discordantes. Elle oscille entre présence et absence, une étreinte fugace qui s'évanouit dès qu'on tente de la saisir. Est-elle le reflet voilé de la réalité, ou bien une hallucination fugitive née de l'interstice entre l'être et le néant ?

Dans le chaos de la vie, peut-être est-il temps, cher lecteur, de tirer le rideau, de renoncer à toute prétention de compréhension, et de se laisser emporter par le flux tourmenté de l'existence. Dans ce monde dénué de sens, je t'invite à lâcher prise, à t'abandonner à la douce folie de l'absurde, et à accepter de vivre au rythme effréné de l'incertitude. Peut-être est-il temps de reconnaître que le sens, s'il existe, n'est peut être qu'une illusion fugace, un mirage dans le désert sans fin de notre ignorance transcendante.

La quête absolue de vérité fait de nous les naufragés d'un océan d'illusions, cherchant désespérément un rivage stable, un havre d'ancrage dans un monde en perpétuel mouvement. Chaque pensée, chaque idée, semble s'évanouir dans les brumes de l'oubli, laissant derrière elle un vide béant de sens. Et pourtant, nous continuons à chercher, à espérer, à rêver d'un avenir où le sens émergera enfin de l'obscurité. Mais peut-être que, loin d'être un but, la quête du sens nous invite plutôt à un voyage sans fin qui donnera paradoxalement sens à notre existence même. Peut-être que c'est dans la recherche elle-même que réside la véritable essence du sens, dans le mouvement incessant de la pensée, dans la danse perpétuelle entre conscience et inconscience. Face à l'énigme de la vie, peut-être apprendrons nous que la vraie sagesse réside dans la capacité à ne pas chercher à tout saisir, mais simplement à savourer chaque instant avec le sourire ironique et narquois de celui qui sait qu'il ne sait rien, pour ne rien regretter,.

lundi 8 avril 2024

Rien ne va s'arrêter

" Au-delà de cette voûte étoilée, qu'y a-t-il ? De nouveaux cieux étoilés. Soit ! Et au-delà ? L'esprit humain, poussé par une force invisible ne cessera jamais de se demander : Qu'y a-t-il au-delà ? Veut-il s'arrêter soit dans le temps, soit dans l'espace ? Comme le point où il s'arrête n'est qu'une grandeur finie, plus grande seulement que toutes celles qui l'ont précédée, à peine commence-t-il à l'envisager que revient l'implacable question et toujours, sans qu'il puisse faire taire le cri de sa curiosité." 
Louis Pasteur


Dans le flux chaotique de l’univers, seule une - rassurante tout autant qu'angoissante - certitude demeure : rien ne va s'arrêter. C'est une idée à la fois simple et profonde que je souhaite explorer avec toi, cher lecteur, inspiré par les enseignements de l'ésotérisme gnostique, la pensée de Carl Gustav Jung et celle d'Emmanuel Levinas.

La pensée gnostique, ésotérique, ancienne et mystérieuse, offre une perspective fascinante sur la nature de la réalité qui façonne l'ordre de l'univers. Selon les gnostiques, le monde matériel est le champ de bataille d'une lutte éternelle entre le bien et le mal, les forces de la lumière et de l'obscurité. C'est un flux incessant d'énergies en perpétuel mouvement au sein duquel les âmes sont piégées dans un cycle de naissance, de mort et de renaissance. Chaque pensée, chaque action, chaque relation à la nature ou à l'autre contribuent ainsi à l'évolution de notre être et de l'univers tout entier. C'est dans ce tohu-bohu que nous trouvons la promesse de transcender nos limites et de nous élever vers des horizons plus vastes. Dans cette vision, le chaos est omniprésent, mais il est aussi porteur de potentiel : c'est dans le tumulte de cette lutte cosmique que les âmes peuvent se libérer et retrouver leur véritable essence divine.

Les travaux de Carl Gustav Jung sur l'inconscient collectif et les archétypes résonnent avec cette vision gnostique d'un cosmos imprégné de symboles et de motifs universels. Dans ce réservoir primordial, rien n'est figé ; tout est en constante transformation, reflétant les luttes, les défaites et les victoires internes à l'âme humaine. Dans son exploration des profondeurs de l'esprit humain, Jung met en lumière les forces invisibles qui façonnent nos pensées, nos émotions et nos comportements. Dans cette perspective, rien n'est statique ; tout est mouvement, en constante transformation.

Emmanuel Levinas, quant à lui, nous invite à transcender notre individualité pour reconnaître l'étincelle de présence divine en chaque être humain. Dans sa philosophie de l'altérité, il souligne l'importance de regarder au-delà de nous-mêmes et de reconnaître l'autre dans sa pleine différence. En nous exhortant à reconnaître l'Autre en nous-mêmes, il nous rappelle que notre existence est intrinsèquement liée à celle des autres. Ainsi, lorsque nous parlons de la continuité inéluctable de la vie, nous évoquons également le lien profond qui nous relie les uns aux autres, ainsi qu'à quelque chose de plus grand que nous-mêmes, ce lien intime entre notre existence individuelle et la transcendance.

Dans notre vie quotidienne, la perspective gnostique d’un chaos permanent nous rappelle que chaque expérience est une occasion de croissance spirituelle, un pas de plus vers la connaissance de soi et de l'univers. Même dans les moments les plus sombres, nous pouvons trouver une parcelle de lumière. Mais cette idée peut aussi être source d'angoisse, car elle souligne le caractère éphémère de notre existence terrestre. Si rien ne s'arrête, où est la permanence, l'immanence dans ce tourbillon incessant de changement ? La sagesse gnostique nous enseigne à chercher le salut dans la connaissance de soi et dans la connexion avec la parcelle de divin qui est au plus profond de chacun de nous. En reconnaissant que rien ne va s'arrêter, nous sommes invités à embrasser et à vivre pleinement, ici et maintenant, notre rôle dans le grand drame cosmique. Chaque pensée, chaque action, chaque relation contribue à l'évolution de notre être et, partant, de l'univers tout entier. C'est dans cette danse éternelle que nous trouvons la promesse de transcender nos limites et de nous élever vers des horizons plus vastes.

Dans ce contexte, la pensée d'Emmanuel Levinas prend une dimension particulière. En nous exhortant à reconnaître l'autre en nous-même, il nous rappelle que nos existences sont intrinsèquement liées. Dans cette vision, la continuité de la vie est indissociable de notre capacité à nous ouvrir aux autres et à reconnaître leur humanité. C'est dans la relation avec autrui que nous trouvons la possibilité de transcender notre individualité et de nous connecter à quelque chose de plus grand que nous. De leur côté, les enseignements de Carl Gustav Jung sur l'inconscient collectif et les archétypes soulignent l'importance de reconnaître les motifs universels qui sous-tendent nos expériences individuelles. Dans cette perspective, rien n'est jamais figé ; tout est en mouvement, en perpétuelle évolution. Chaque rencontre, chaque expérience nouvelle, est une occasion d'explorer les profondeurs de notre propre psyché et de nous connecter à l'essence même de l'humanité.

Dans notre quête de sens et de compréhension, ces différentes perspectives se rejoignent pour nous rappeler que rien n'est jamais immuable, que l'univers est énergie et mouvement et qu'il n'y a ni commencement ni fin. Et c'est dans cette dynamique perpétuelle que résident à la fois notre plus grande liberté et notre plus grande responsabilité. C’est au coeur de ce tohu-bohu que nous trouverons la promesse de mieux nous connaître nous-même et qu’émergera la possibilité même d’une forme de transcendance. Du chaos peut-être alors l'ordre pourra renaître...

mercredi 27 mars 2024

Rien, et encore moins

"Il y a deux tragédies dans la vie : l'une est de ne pas satisfaire son désir et l'autre de le satisfaire."
Oscar Wilde


Que désire l'homme qui n'a rien vécu ? Rien, et encore moins. Car, selon Freud, on ne pourrait désirer que ce qu'on a connu.

Dans les méandres de l'âme humaine, existe-t-il, cher lecteur, quête plus profonde que celle de désirer ce que l'on n'a jamais entrevu ni pénétré ? Un tel questionnement plonge au cœur même de notre essence, explorant les profondeurs de notre être et de nos aspirations les plus intimes. Alors, que peut bien désirer celui qui n'a rien vécu ?

On peut trouver un début d'explication dans l'œuvre de Freud. En effet, le père de la Psychanalyse avance que le désir est intrinsèquement lié à l'expérience. Selon lui, nous ne pouvons aspirer à quelque chose que nous n'avons pas déjà connu, que ce soit consciemment ou inconsciemment. Comment l'homme qui n'a rien vécu pourrait-il alors désirer ce qu'il n'a pas encore expérimenté ? Cette assertion soulève à mes yeux une multitude de questionnements. Sommes nous réellement condamnés à désirer uniquement ce qui nous est déjà connu ? N'est-ce pas le propre de l'homme que de pouvoir imaginer, rêver, fantasmer et en concevoir des désirs nouveaux, étrangers à son expérience ? Si seul le vécu est le fondement du désir, alors que dire des aspirations qui paraissent surgir de nulle part, des rêves qui semblent émerger de l'obscurité de l'inconnu ? Force de l'inconscient me répondront sans doute certains... Mais peut-être l'homme qui n'a rien vécu soupire-t-il simplement à l'idée de vivre et son désir n'est autre que l'expression d'une pulsion de vie. Son désir pourrait alors être purement symbolique, un appel fantasmé à l'existence elle-même, à la découverte et à l'exploration de sa propre terra incognita. C'est alors peut-être dans la vacuité de son existence que résiderait un potentiel infini, celui d'une toile vierge sur laquelle il pourrait donner vie à ses chimères.

Il est également possible qu'au fond nous n'aspirions qu'à l'idée d'expérience. Notre désir ne serait que le lointain écho d'une curiosité, d'une soif d'aventure qui transcenderait les limites du connu. Le cœur des hommes, vierge de tout passé, pourrait battre au rythme de l'anticipation, de l'excitation procurée par l'immensité de ce qui reste encore à découvrir. Dans le vide apparent de son existence, l'homme qui n'a rien vécu pourrait chercher la plénitude, une forme de satisfaction qui échappe à ceux qui ont déjà tout connu. Son désir répondant alors à une quête de sens, une recherche de quelque chose de plus grand que lui-même, quelque chose qui lui donne enfin un sentiment d'accomplissement, comme un désir d'éternité.

L'homme qui n'a rien vécu n'est, je le crois, pas condamné au néant d'une vaine existence. Son désir, aussi insaisissable soit-il, est une invitation libre à explorer les profondeurs de son être et à embrasser l'inconnu.

Tu as le droit, cher lecteur, de ne pas finir ce texte, de le relire ou même de le laisser de côté et de passer à autre chose, avant d'y revenir plus tard. Rien ne l'interdit. Dans cette liberté de choix réside une singulière beauté. Tout comme l'homme qui n'a rien vécu, tu peux explorer les territoires de la connaissance à ton propre rythme, selon tes propres désirs. L'expérience de la lecture, tout comme celle de la vie, est une aventure personnelle, façonnée par tes envies et tes aspirations. Nul besoin de suivre un chemin préétabli pour découvrir de nouveaux horizons, tu es libre de t'arrêter, de revenir sur tes pas ou même de faire un pas de coté pour - qui sait ? - mieux avancer.

mercredi 6 mars 2024

Rien sans corps

"Nous habitons notre corps, bien avant de le penser." 
Albert Camus

Sommes nous dans notre corps ou sommes nous notre corps ?  La question de notre existence en tant que corps ou entité indépendante de celui-ci est une question philosophique complexe qui a alimenté les débats depuis des siècles et est aujourd'hui particulièrement mise en lumière par les interrogations de notre époque sur la sexualité et l'identité de genre. 

Notre corps est d'abord un véhicule, un capteur sensoriel à travers lequel nous expérimentons le monde. Il est l'instrument par lequel nous ressentons, agissons et interagissons avec notre environnement. Sans notre corps, notre existence dans le monde physique serait impossible. Nous sommes ancrés dans le monde grâce à notre corps qui contribue à notre connaissance de la réalité, et, notre identité est largement façonnée par l'expérience sensorielle et cognitive inscrite dans nos cellules.

L’idée que nous ne serions rien sans notre corps suggère une interdépendance fondamentale entre notre être et notre enveloppe corporelle mais l'affirmation que nous ne serions qu’un corps mérite certainement d'être nuancée tant la construction de notre identité transcende également ces limites physique. De nombreuses traditions philosophiques et religieuses suggèrent en effet l'existence d'une dimension plus profonde de l'être, parfois appelée âme, souffle vital, esprit ou conscience. Cette dimension transcende notre simple enveloppe charnelle et est souvent considérée comme immatérielle et éternelle.

Ainsi, bien que notre corps soit indubitablement essentiel à notre existence dans le monde matériel, notre identité va bien au-delà de notre simple anatomie. La conscience, la pensée et la subjectivité définissent notre être au-delà de la simple enveloppe corporelle. Ainsi, nous résidons dans notre corps en tant qu'entités conscientes, mais notre essence s'étend au-delà de ses frontières matérielles, explorant les profondeurs de l'existence au-delà de la chair et des os. Etres spirituels, nous sommes des créatures complexes, mêlant nos expériences sensorielles et cognitives à des perceptions plus intangibles et souvent inconscientes. La dualité entre le corps et l'esprit ne cesse d'inspirer la réflexion philosophique, invitant chacun à explorer la nature profonde de son être et à se questionner sur le sens même de l'existence humaine.

La complexité de l'identité corporelle s'étend bien au-delà de la simple enveloppe physique, évoluant dans une mosaïque d'influences psychologiques, sociales, culturelles et temporelles. L'affirmation chère à certains et aujourd’hui largement répandue selon laquelle "rien ne définit l'identité d'un corps" nous invite à une exploration métaphysique de la nature de notre être, défiant les catégorisations rigides et soulignant la profondeur de notre existence incarnée.

Le corps, loin d'être une entité biologique isolée, devient une manifestation où se déploient les expériences existentielles, les interrelations sociales et les récits culturels. L'identité corporelle se modèle ainsi par des forces psychologiques, façonnant la manière dont nous nous percevons, intégrons les expériences vécues et naviguons dans notre propre réalité physique. Les normes esthétiques, les idéaux de beauté et les pressions de la société participent de la construction de l'image que nous souhaitons donner de nous-mêmes.

La dimension sociale joue un rôle essentiel dans cette construction. Les relations interpersonnelles, les dynamiques familiales et les liens communautaires contribuent à la définition de notre identité corporelle. Les normes culturelles et les attentes sociales exercent une influence subtile mais puissante, créant un écheveau complexe de significations et de rôles attribués au corps dans divers contextes.

L'identité corporelle est, de surcroît, indissociable de la temporalité. Tout au long de la vie, le corps subit des métamorphoses, de la naissance à la vieillesse, chacune de ces phases s'accompagnant de modifications physiques, psychologiques et émotionnelles. Les moments marquants de l'existence, tels que la maladie, la maternité ou des événements traumatiques, tant psychiques que physiques, laissent des empreintes profondes sur la manière dont nous interagissons avec notre propre corporéité.

Si, dans ce contexte, l'affirmation selon laquelle "rien ne définit l'identité d'un corps" peut être la source d’une réflexion approfondie sur la fluidité et la transcendance des catégorisations préconçues, prenons conscience qu'elle peut aussi encourager certains, en repoussant la part la plus la plus irrépressible dans le social que constitue notre sexe, à considérer l'identité corporelle non pas comme une entité statique, mais comme une réalité fluide, en constante évolution, défiant ainsi les contraintes conventionnelles.

Au-delà de la question du genre, je t'invite, cher lecteur, à élargir la focale au thème du transhumanisme. Les avancées technologiques et médicales contemporaines, telles que les transplantations d'organes, la bio ingénierie, les prothèses connectées tout autant que les altérations corporelles volontaires (tatouages, scarifications, implants...) ouvrent la porte à un fascinant questionnement philosophique. Comment ces modifications somatiques influent elles sur la continuité de l'identité ? Peut-on redéfinir notre essence à travers des interfaces technologiques ou des modifications de notre représentation physique ? Ces interrogations transcendent les frontières traditionnelles de la métaphysique, incitant à explorer la coévolution de la technologie et de l'identité humaine.

Nous sommes tout à la fois notre corps et bien plus que lui. Toute réflexion élargie sur l'identité corporelle invite à une observation plus profonde de notre existence. Et, si elle souligne sans doute la nécessité d'embrasser une vision plus nuancée et inclusive de l'identité, prête, comme l’a écrit la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle dans son livre, Eloge du risque*, à accueillir l'émergence d'une réalité corporelle aux contours redéfinis où, d’un corps qu’il a - un corps ressenti, perçu - l’individu pourrait demain (se) faire le corps qu’il est - un corps voulu et désiré -, véritable " espace en devenir d’un sujet lui-même à venir", prenons cependant garde au risque existentiel pour notre Humanité que, dans un fol élan démiurgique soutenu par une idéologie individualiste radicale et déconstructiviste, certains ne parviennent un jour à mettre en œuvre leur délirant projet de décréation du monde pour pouvoir "mieux" le recréer. Car quand, demain, les évolutions de la morale et les progrès de la science auront repoussés les limites de tous les possibles, rendant probable l'autocréation de soi et une totale désincarnation, sans même évoquer la théorie de la "désincorporation" chère à mon ami Claude, le risque est lui bien réel que notre humanité ne soit un jour plus réduite qu'à rien, ni avec ni sans corps.


(*) Anne Dufourmantelle - Eloge du risque - Editions Rivages & Payot 2011