dimanche 12 juin 2022

Rien sur rien

En parlant de Louis XV, Jules Michelet écrivait : "dans son âme il y avait le rien". Comment interpréter cette phrase ? Evoquait-il, en usant de l'imparfait, un petit rien d'hier ou anticipait-il déjà la nature d'un grand rien qui devrait encore advenir ? Cicéron, lui, nous enseigne "que l'homme n'est rien d'autre que son âme". Comment arriver à te faire partager, ami lecteur, cette mienne passion des riens qui parfois m’anime, tant il est difficile de nourrir un blog dont le thème que je lui ai sciemment imposé n'était rien, pire même, des (petits) riens ?

Il m’est très vite apparu en essayant d'écrire les premiers courts textes qui égrènent ces pages numériques qu’il n’était pas facile de rester simple pour parler de rien. En fait, je me suis fait une manière de philosophie qui consiste à penser qu’on peut parler de rien sans complexe mais qu’il est complexe de parler de rien. Prétentieuse posture, penseras-tu peut-être? Je ne le crois pas. Ambitieuse proposition, c'est certain.

Pourtant, je ne prétends pas y trop penser et avant de commencer à écrire, je ne sais rien de mes textes. Ni le début, ni le plan, ni la fin. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour pouvoir parler de rien, sans trop en dire. 

Au fil de cette plus que décennie écoulée d'existence, très épisodique, du blog des petits riens, j'ai compris qu’en fait on parlait le mieux de rien quand on écrivait sur tout. Alors j'ai couché sur l'écran souvenirs, commentaires sans prétention, courtes fictions ou historiettes du quotidien et anecdotes vécues, rapportées ou parfois même partiellement, voir totalement, inventées. La matière s’est assez vite avérée relativement féconde tant la vie est un patchwork de tous petits riens. Féconde, certes, mais heureusement pas suffisamment pour pouvoir mettre plus de ponctualité à écrire. Mais après tout la rareté, même subie, est-elle si fâcheuse ? Une trop importante somme de riens aurait sans doute conduit à risquer les contours d'un grand tout fait de pas grand-chose ; alors que l'irrégularité de la publication - involontaire, vraiment ? - reste conforme à l'idée d'inscrire ce blog dans la tradition d'une très modeste forme de  chronique du rien. On pourrait presque en tirer la leçon que, pour peu de le faire avec parcimonie, il n'est au fond guère plus difficile d’écrire lorsqu'il n’y a rien à raconter.  

Aujourd'hui, je peux affirmer qu'on peut parler de rien sans complexe. Mais qu'il est difficile de rester simple pour parler de rien ! Heureusement le temps n'est pas encore venu où je ressasserai davantage de souvenirs des petits riens du passé que je ne pourrais encore en vivre de nouveaux, bien réels. Ce jour-là, par moi tant redouté, sera le signe que la nostalgie qui vient aura commencé de s'installer et le temps sera alors venu d'arrêter l'exercice et de ne plus rien écrire. Plus rien. Plus rien sur rien...

samedi 4 juin 2022

Rien sur la mort

Ô que ne suis-je mort il y a dix mille ans et ressuscité entre-temps à trois reprises déjà. Elias Canetti


Comme l'a un jour écrit Woody Allen : "Marx est mort, Freud est mort, Dieu est mort. Et moi-même, cela ne va pas très fort"... Ce qui peut rendre la chose compliquée avec la vie, c’est que ce petit rien qui nous préoccupe tant, porte non seulement en lui la possibilité permanente de la non-vie, mais que ce qui fonde son existence même c'est l’assurance inéluctable de sa finitude. Nous sommes nés pour mourir, et notre première respiration porte en elle la promesse de notre dernier souffle. Déjà, dans la naissance s'annonce le trépas. Sombre et universelle perspective, me diras-tu. D'accord, mais l'espérance...

Comment accepter l’idée que la vie ne serait qu’un chemin - certainement trop court pour certains, peut-être trop long pour d’autres - nécessitant tant et tant d'efforts quotidiens tant il est semé d’embûches, mais une voie sans issue, une route qui ne conduirait nulle part ? Une marche vers le néant, une porte entrouverte sur rien... L'avenir aurait-il un aboutissement ? J'aspire quant à moi à vivre assez longtemps pour connaître ma propre mort.

On dit parfois que le trajet compte bien plus que la destination. Il est néanmoins, en règle générale, plus facile de cheminer dans une certaine direction pour avancer.  Même si, comme l'écrivit Pierre Dac, l'avenir est devant nous et que nous l'aurons dans le dos chaque fois que nous ferons demi-tour. Alors cheminer, oui, mais vers où, vers quoi ? Un futur radieux nous promettent certains, un sombre destin nous annoncent les autres. A l'image de la ligne d'horizon, notre avenir ne s'éloigne-t-il pas au fur et à mesure qu'on s'en approche, jusqu'à même disparaître à la fin ?

Alors l’homme a inventé l’espérance. Pas seulement un quelconque espoir, une possibilité discutable, non, mais bien une foi, religieuse ou philosophique, indiscutable, une croyance absolue en l’assurance d’une vie de l’âme au-delà de la mort. Qu'elle soit physique (la résurrection de la chair) ou seulement spirituelle (le passage de l'âme d'un corps à un autre être), qu'on la nomme palingénésie, résurrection, réincarnation, transmigration des âmes ou métempsychose, l'idée d'une autre vie après la mort est l'un des concepts les plus partagés par les principaux courants de pensée religieuse ou spirituelle. Les grandes religions sont religions de mort en ce sens que le mythe qui, pour l'essentiel, contribue à les fonder réside dans l'espérance - après la vie terrestre - d'un ailleurs, d'un à-venir, d'un Au-delà du néant. Et comment espérer, sinon, de sa vie faire un peu plus que rien, si l’on est, au fond de soi, convaincu que tout est vain et qu’au bout il n’y aura rien ?

La peur de la mort est certainement l'émotion la mieux partagée parmi les hommes. Pour s'en prémunir, d'aucuns la nient et affirment n'y jamais penser, pour d'autres c'est une pensée permanente, obsédante et angoissante. Enfin, il y a ceux qui pensant qu'on peut s'amuser de tout, font de la mort - et souvent de la perspective de  leur propre disparition - un sujet d'en rire. Avec l'humour noir, on touche au rire tragique qui va au-delà même de la mort ! Comme l'a si justement écrit Umberto Eco, seul le rire permet de lutter contre la certitude que, inéluctablement, nous avançons vers la mort. En attendant, et, dans l'entre-temps, « quels tourments, jour après jour, pour être un peu plus que rien »!*







samedi 28 mai 2022

Rien sur la vie - Dystopie

C'est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.
William Shakespeare - Macbeth


28 mai 2023. Après douze mois qui auront été marqués par un triste record en matière d’homicides de masse, la vente et la détention d’armes à feu - hormis celles destinées à la chasse - ont, à l’issue d’un des débats les plus tendus qu’ait connu Washington, été interdites le 1er mars dernier par le Congrès américain. Depuis quelques semaines, les ultras de la NRA, encouragés par les discours enflammés d’un Trump déchaîné, appelaient les patriotes à se soulever pour défendre, je cite, "les libertés fondamentales, leurs droits et la démocratie menacés ! "
En quelques jours, les affrontements armés entre les milices et les forces de l’ordre se sont multipliés et, lors, les statistiques s’affolent. Tant dans les effectifs des représentants de la loi que chez les émeutiers, déjà plusieurs centaines de morts sont à déplorer. Après la mise à sac et la destruction de bâtiments publics, dont plusieurs immeubles de l'ATF, du FBI et de la DEA, le lynchage de personnalités politiques de tous bords - au cri de "tous pourris!" - et de fonctionnaires fédéraux  - "tous collabos!" - la loi martiale a été décrétée par les Gouverneurs de douze états, mais rien n’y fait. Militants d’extrême droite, complotistes, adeptes des thèses Qanon et proud boys sont, cette fois, déterminés à laver dans le sang l’affront subi au Capitole le 6 janvier 2021 et les autorités, quant à elles, bien décidées à ne pas les laisser faire. La confrontation des idées au Congrès a désormais laissé place à l'affrontement des armes dans la rue. Plusieurs États du sud menacent de faire sécession et la Floride a d’ores et déjà unilatéralement proclamé son indépendance, immédiatement reconnue par Poutine, Maduro et Bolsanaro. La spirale de la violence est engagée et nul ne sait comment l'arrêter.

Les experts et les spécialistes de la société américaine sont désormais convaincus que les hostilités vont se généraliser et évoquent ouvertement le terrible scénario d’une nouvelle guerre de sécession. Après le conflit en Ukraine qui ensanglante l’Europe depuis plus d’un an, la crise alimentaire, l’instabilité sociale, les émeutes de la faim et les troubles politiques qui ont secoué l’Egypte, une partie du  Maghreb et une trentaine d’autres pays, c’est maintenant le spectre de la guerre civile qui menace le continent américain. 

Pourtant, l’adoption d’une législation nationale restreignant la circulation des armes à feu par le Gouvernement fédéral avait été saluée favorablement par une grande partie de la planète. Certains bien sûr craignaient des troubles mais personne ne s'attendait vraiment à une réaction d'une telle violence. C'était oublier un peu vite la réalité sociologique et l’histoire de ce pays-continent, et omettre que les seuls citoyens américains détenaient plus de la moitié des armes appartenant à des civils dans le monde. Comment croire que les choses auraient pu se passer autrement dans un pays où la proportion était en 2019 de plus de 120 armes pour 100 habitants et où le principal parti d’opposition affiche ouvertement et de façon répétée son refus d’une telle législation. C’était oublier que 75 millions d’électeurs avaient apporté leur voix à Trump à l’élection présidentielle de 2020 et que beaucoup de Républicains restent encore aujourd’hui convaincus que la victoire leur a été volée.

Ah ! le Gouvernement liberticide veut interdire aux braves patriotes de détenir des armes, et bien c'est par ces mêmes armes qu'il périra ! 

En invoquant le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique (adopté en 1791...) qui reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice « bien organisée » pour contribuer « à la sécurité d'un État libre »,  nombre de politiciens,  cyniques ou dans les mains des lobbys, n'ont, depuis des années, cessé de revendiquer le droit inaliénable pour tout citoyen américain de détenir des armes.

Il y a un peu plus d'un an, une fusillade dans une école primaire du Texas avait fait 21 morts, parmi lesquels 19 enfants. L'assassin avait 18 ans depuis peu et, alors même qu'il ne pouvait légalement pas encore prétendre à consommer ni acheter d'alcool, il avait pu, dans cet Etat, se porter, pour quelques dollars, acquéreur de deux fusils semi-automatiques et de centaines de munitions. Toujours dans la mesure qu’on lui connaît et n'étant pas à un paradoxe rhétorique près, l’ancien président américain, Donald Trump, s'exprimant, au Texas, devant la convention nationale de la NRA, avait appelé, trois jours après le drame,  à "armer les citoyens" pour "combattre le mal dans notre société", à l’origine, selon lui, de l’effroyable tuerie (sic !). Armer les américains, faire circuler toujours plus d'armes à feu, pour endiguer la violence et éviter les massacres, bon sang mais c’est bien sûr ! Il fallait y penser…

En ce printemps 2023, les américains paraissent prêts à s'entre-tuer, au nom de la liberté, pour les uns, de vivre sans crainte pour leurs enfants et, pour les seconds, de s'armer contre la peur de l'autre. Décidemment, les temps contemporains nous enseignent que les hommes n'ont rien appris sur la vie.

jeudi 19 mai 2022

S'agiter ou ne rien faire ?

« La vie intense est contraire au Tao » Lao Tseu


Nombre de commentateurs glosent sur le temps qui s'est écoulé entre l'élection du Président de la République et la nomination de la nouvelle Cheffe du Gouvernement, et, désormais, sur l'anormale durée (trois jours ont, il est vrai, passé !) pris par icelle pour désigner les membres de son Cabinet. Et tous d'être suspendus à la publication d'une liste de noms...

La tentation du mouvement, au risque même d’une certaine frénésie, voir d'une épuisante agitation, toujours vouloir faire plus, aller plus vite en pensant aller plus loin, tel est le lot très commun de la perception de l'efficacité chez une grande majorité de nos commensaux. Et l'immédiateté de la circulation de l'information, l'absence absolue de recul dans les analyses et les commentaires encouragés par les réseaux sociaux et le traitement, souvent hystérisé, de l'actualité par les chaînes d'information continue accentuent sans doute cette perception d'une manière d'exigence, en tout et pour tout, d'urgence permanente. Mais ce désir de faire, ce que Cioran appelle « tentation d’exister », s'il est mu, au fond, par l'espoir fou de repousser au plus tard possible l’inéluctable issue qui de nous fait des mortels et, partant, des hommes, n’a t’elle pas souvent le paradoxal effet de hâter la fin ? Alors faut-il continuer à s'agiter ou accepter parfois si ce n'est de ne rien faire mais d'au moins laisser un peu plus de temps au temps ?

Sommes nous condamnés à ne prendre conscience de nous-même que dans l’imminence de l'action, même au risque du trop plein, au risque de trop vouloir (en) faire ? Comment, alors que rien ne semble nous y disposer - nous qui passons une bonne partie de notre existence à toujours vouloir faire plus, plus vite - se défaire de l’anxiogène hantise du vide qui habite notre âme, de cette peur du rien qui sans cesse nous tourmente ?

Un proverbe populaire français nous enseigne que "la nuit porte conseil". Et si, plus que tout autre chose, notre bien commun - une part de cette humanité que nous avons en partage - résidait dans la capacité que nous avons tous quotidiennement de ne rien faire, de nous abandonner au repos, de dormir et de rêver ? Qui que nous soyons, il nous est physiologiquement et psychiquement vital de sombrer régulièrement dans les bras de Morphée, et tous, au cœur d’un sommeil dit paradoxal, nous rêvons. Peu, parmi nous, considèrent alors qu'ils lanternent. La nuit appartient à chacun et le secret de nos songes n’est heureusement encore accessible à nul autre qu’à nous-même. Que nous nous souvenions de nos rêves, ou pas, le sommeil est une période d’intense activité cérébrale - d’aucuns disent même que c’est l’inconscient qui parle alors - et, d’une certaine façon, les songes qui peuplent nos nuits nous permettent sans doute, au sens propre, de supporter les pressions de notre quotidien, d'accepter notre sort, de vivre, tout simplement. 

Alors puisque le rêve est unanimement partagé, il m'arrive souvent de me demander à quoi peuvent bien rêver ceux qui nous gouvernent. A quoi donc songe notre Président lorsqu'il dort (peu, dit-on...) ? Et - faisant référence à la plus cruelle des actualités - un autocrate, un dictateur, est-ce que ça rêve aussi ? Même le pire des hommes reste un homme. Philipp K. Dick posa la question de savoir si les androïdes rêvaient de moutons électriques. Les tueurs songent-ils toujours en dormant à leurs crimes ou font-ils encore de doux rêves d'enfants ? Je livre, ami lecteur, à ta méditation cette interrogation qui n'appelle évidemment aucune réponse immédiate en retour...

vendredi 22 avril 2022

Rien d'autre que la démocratie

"Le patriotisme c'est l'amour des siens. Le nationalisme c'est la haine des autres." Romain Gary


Dans l’école Potemkine de Marioupol dont les images sont, depuis hier, abondamment relayées par les médias propagandistes aux ordres du pouvoir moscovite, on peut apercevoir des affiches à l’iconographie tout droit sortie des archives des "studios de création" soviétiques, aux slogans ultra-nationalistes et guerriers. Bon sang mais c’est bien sûr ! La priorité des priorités est bien, avant même l’apprentissage des savoirs essentiels, de délivrer aux enfants un message politique et idéologique ayant pour finalité de leur inculquer les rudiments d’une vérité historique aussi tordue que définitive, une réalité totalement subjective mais qu’on voudrait indiscutable. Au-delà du drapeau de l’Union soviétique brandi sur certains équipements militaires russes, et notamment des chars, depuis le début de l’invasion en Ukraine, dans les territoires "libérés" et désormais parcourus par les troupes tchétchènes, des mercenaire syriens et les supplétifs du groupe Wagner, on voit également fleurir aux frontons des administrations locales des drapeaux rouges frappés de la faucille et du marteau. Ce ne sont plus des envahisseurs qui combattent contre les courageux résistants ukrainiens mais bien des "libérateurs", inscrivant leurs pas dans ceux de la glorieuse armée rouge, qui luttent contre des "nazis". Du moins, à quelques jours maintenant de la date toute symbolique du 9 mai, c'est ce qu'ils voudraient faire croire au peuple russe...

Vérité alternative, post-soviétisme et nostalgie de l’empire semblent être les fondements du nationalisme néo-expansionniste russe théorisé par Poutine. Jusqu’où, jusque quand ?

Dans quels autres pays que les autocraties et les dictatures voit-on des affiches guerrières aux murs des salles de classe ? Dans quel autre pays les unités militaires utilisent-elles, pour marquer leurs conquêtes, des drapeaux évoquant, avec une forme de nostalgie malsaine, les heures les plus sombres de son histoire ? Je te pose, ami lecteur, la question. Au rang des démocraties, je n’ai rien trouvé…

Alors, puisque dans quelques heures il va nous falloir désigner notre nouveau chef de l'Etat et, au risque de me répéter, en cette époque du retour d'un étendard tragiquement marqué du sang des innocentes victimes ukrainiennes, rien ne peut justifier de céder un pouce de terrain et, plus que jamais, la défense des valeurs démocratiques et humanistes qui fondent notre République, l'Europe et notre civilisation doit l'emporter dimanche. Tout justifie de se rassembler derrière le Président de la République. Tout dans notre histoire nous y engage, tout dans l'actualité du monde nous y oblige, toute dans le projet présidentiel nous y entraîne. Rien d'autre que la démocratie et le rassemblement. Personnellement, j'ai choisi.

samedi 9 avril 2022

Rien plus juste ce qu'il faut

"Certains hommes changent de parti en fonction de leurs opinions, d’autres changent d’opinion en fonction de leur parti.”
Sir Winston Churchill


La France est engagée dans la dernière ligne droite du processus de désignation du Président de la République. Sur internet, sur les réseaux dits sociaux, dans certains cercles, on commence à voir fleurir des prises de position inquiétantes qui accréditent l’idée de la planification d’une fraude électorale massive, l'organisation d’une élection truquée, le risque d’une élection volée... Comme un délirant écho à la fièvre conspirationniste qui accompagna - largement alimentée par les rumeurs propagées par des trolls venus d'ailleurs - l’élection présidentielle américaine de 2020. On se souvient jusqu'où cela avait entrainé les plus dingues.

Taux d’indécision jamais atteint, lassitude démocratique (Sic!), délires complotistes, tous les ingrédients du mauvais scénario d’un mauvais film sont réunis. L’épidémie de Covid n'en finit pas de continuer à sévir, la guerre est aux portes de l’Europe, la conjoncture est tragique, l'économie incertaine, la crise menace, la peur s'étend. Jamais dans la période récente un suffrage ne s'était tenu dans un aussi anxiogène contexte.

Depuis longtemps, et jusqu'au 1er tour de cette élection, on a voulu nous faire accroire que deux camps s'affronteraient que tout semblait opposer. D’un côté il y aurait les grincheux, les complotistes en tout genre, les prophètes de malheur, les mauvais coucheurs et les philosophes rageux et réactionnaires, ceux qui regrettent "la France d’avant" et, de l’autre, les tenants d'un progressisme teinté de "culture" woke, les défenseurs de la théorie du genre, d’une écologie dite "de combat" aux relents néo-païens, les indigénistes, ceux qui prônent en tout le séparatisme et qui revendiquent la (dé)construction du  "monde d’après". On a voulu nous enfermer - et, je l'avoue, j'ai pu parfois me laisser faire - dans ce (non) choix manichéen entre deux partis décrits et vécus comme antagonistes et irréductibles. Mais quand l'Histoire est cruelle et l'essentiel en cause...

Au risque d’apparaître moi-même un tantinet manichéen, en ce qui touche à l’humanité je pensais être l'adepte d’une forme d’approche passablement dualiste des choses. Car, au fond, au-delà de ceux que j’aime, ma famille, mes ami(e)s, je ne reconnais que deux genres qui, fort heureusement, ne sont à mes yeux pas irréductibles : celles et ceux que j'aime quand même et les autres, tous les autres… Tu me diras, ami lecteur, et tu n'auras pas tort, que cela fait trois catégories et non pas deux. Et me voila rattrapé par une forme toute hégelienne de dialectique ternaire. Chassez le naturel... L’âge et l’expérience m’ont enseigné de me méfier de mes propres préjugés et, en introduisant la catégorie de ceux que "j'aime quand même", je me risque à une manière de synthèse entre ceux que j'aime et les autres. Une façon d'"en même temps" affectif. Et, si, souvent, j'ai pensé avec Hegel que c'est la confrontation qui faisait avancer le monde, je suis aujourd'hui convaincu que seule la réconciliation lui permet de le faire dans la bonne direction.

Alors, heureusement, en politique comme en toutes choses, il nous reste l'espérance. Non, rien n’est joué. Rien n’est écrit et la démocratie n’a pas dit son dernier mot. Le pouvoir, le vrai, c'est celui de choisir et l'arme la plus efficace que nous ayons entre les mains est un bulletin de vote. Seul le suffrage ne ment pas. N’en déplaise à tous les néo-cons souveraino-populistes et aux tenants d'une bien-pensance progressiste et moralisatrice aux relents sectaires, la France figure, et l'on devrait quotidiennement s'en réjouir, aux rangs des pays - leur nombre ne cesse malheureusement de diminuer - où liberté et démocratie se conjuguent réellement au quotidien. Ici, la voix de chacun compte et l'on peut librement décider du choix de ses dirigeants. Les plus récents évènements nous enseignent à quel point la liberté est chose fragile et nous obligent.

L'une des leçons que l'histoire retiendra de la campagne pour le 1er tour de l'élection présidentielle qui s'achève c'est que, même à la droite de la droite, on trouvera toujours plus extrême que soi, et que cela peut même contribuer à faire les affaires de certaine blonde candidate... Et que dire du camp d'en face ? On s'est, depuis belle lurette, habitué, dans un ordre d'idée similaire, à la présence totalement anachronique, sur la gauche de la gauche, de candidats se revendiquant ouvertement du Marxisme-Léninisme à la mode Trotski ou dans sa tout aussi tragique version Stalinienne (!!!). Les tenants de la lutte des classes, de la révolution permanente et de la dictature du prolétariat, candidats à une élection libre et démocratique !... La vie politique française est unique en son genre. En ce domaine aussi, le temps de la réconciliation est sans doute venu. Et si la solution était à trouver ailleurs que dans l'affrontement permanent entre deux partis, dans un choix se résumant exclusivement à devoir se positionner "pour" ou "contre" ? Et si, au moment où un certain terrible autocrate moscovite a tragiquement fait le choix d'abolir, sur le sol européen, l'humain dans l'humain, on décidait de s'affranchir, enfin, des idéologies irréconciliables héritées du XIXème siècle pour inventer une nouvelle voie politique, celle, par delà les passions partisanes, de l'ambition collective retrouvée et de la concorde. Comme l'a écrit la philosophe Simone Weil : "Seul le bien est un motif légitime de conservation. Le mal des partis saute aux yeux."*

Peut-être le résultat de la Présidentielle se jouera-t'il à pas grand chose, presque rien ; rien plus juste ce qu'il faut. Et déjà j'entends hurler avec les loups les procureurs en illégitimité. Mais c'est le principe existentiel du scrutin majoritaire qui veut qu'un l'emporte sur l'autre. Même d'une poignée de bulletins.  Le résultat, même s'il est serré, ne saurait, en démocratie, être questionné, et surtout pas en instruisant le procès en illégitimité du vainqueur. La victoire oblige et il appartiendra à celui qui sera désigné par les électeurs de tendre la main et, bien plus que d'ouvrir artificiellement le jeu, de rassembler - au-delà des mots - toutes les bonnes volontés. C'est possible. Alors, plus qu'en réponse à une situation qui l'ordonne, au devoir qui commande ou à des circonstances qui nous contraignent, avec raison, pour la défense des valeurs qui sont les nôtres et qui, je l'espère, rassembleront le plus grand nombre, j'ai choisi.

samedi 2 avril 2022

Rien de magique

“On croit ce que l'on veut croire.” 

Démosthène


Positif !

Après plus de vingt-quatre mois de pandémie et alors même que nous commencions à envisager une sortie de crise, je m’étais forgé la très solide conviction que j'y échapperai, que le virus m’oublierait, que non je ne serai pas malade. Mais, m’étant sans doute trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne, me voilà, moi aussi, positif. Comme un signe du destin pour venir me rappeler à la réalité cruelle de cette saleté de micro-organisme qui - il y a déjà presque deux ans - a emporté ma mère et, au moment où j'écris ces lignes, d'ores et déjà causé la mort de plus de six millions de nos contemporains. Un signe qui vient surtout souligner, comme s'il en était toujours besoin, notre humaine condition  de mortelle créature.

Pourtant, ami lecteur, j’ai tout (bien ?) fait - du moins le pensais-je - pour tenir éloigné le risque d’être à mon tour infecté par cette saloperie. Et, pour plagier une célèbre campagne de communication de ma jeunesse, contre un autre terrible virus, je croyais naïvement que "le sars cov 2 ne passerait pas par moi !

Scrupuleusement, depuis les premiers signes d'épidémie, j'ai respecté les gestes barrières, le confinement strict et le port du masque. Il me revient d'ailleurs que, quand, dès le mois de février 2020, je portais - instruit par l'expérience de séjours passés en Asie - un masque pour aller faire mes courses au marché, les gens me regardaient de façon un peu étrange. Ils ignoraient alors que, bientôt, tous seraient contraints de sortir masqués.

Au début, emporté que j'étais, par le désir de croire que les progrès de la science nous garantiraient la découverte rapide d'un traitement magique et par le témoignage de miens amis sudistes, j'ai prêté attention au discours définitif et sans nuance aucune du "spécialiste" marseillais. La prise d'Hydroxichlorochine, associée à un antibiotique banalement courant, apparaissait alors comme le miraculeux remède qui allait sauver la planète. Illusion !

Groupe O, Rhésus positif, je me suis ensuite laissé bercer d'illusions un temps par le résultat des "études" qui pointaient du doigt un risque d'infection diminué pour les individus de mon groupe sanguin. Rassuré je le fus un temps, en feignant d'appartenir à une forme de "caste" que je n'avais pas choisie, une "élite" protégée, à son corps défendant, et pour des raisons scientifiques très obscures à mes yeux de néophyte. Comme tant d'autres alors, je ne me suis guère intéressé à l'appendice qui indiquait pourtant clairement que "cette diminution restait (toute) relative..."

Ensuite, vinrent les campagnes de vaccination et la promesse qu'elles portaient de jours meilleurs. Une première dose reçue du vaccin recombinant Oxford/AstraZeneca (si, si, j'en fus et sans effets secondaires aucun), puis, combo parfait disait-on alors, deux doses du vaccin à ARN messager Comirnaty du laboratoire Pfizer. Face au virus, je me croyais devenu presque invincible, en tout cas désormais protégé, tel Captain America, par ce "bouclier vaccinal"...

De confinements, total ou partiel, en couvre-feux, de mesures sanitaires en interdits sociaux, nous avons vécu deux ans dans l'ombre morbide d'une maladie étrange et déroutante et puis - enfin ! - le Gouvernement, à l'approche du Printemps, a levé les mesures barrières. Plus besoin de masque ni de jauge pour accéder aux lieux accueillant du public, réouverture des discothèques, fin du passe sanitaire (ou plus exactement, sa  suspension...). Adieu les contraintes et foin des restrictions ! 

Inutile donc de s'inquiéter puisque, dorénavant, et bien que le régime d'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au trente-et-un juillet, on ne parle plus quotidiennement du virus à la télévision. On n'en parle plus, c'est donc qu'il n'y a plus de risque. Le retour - enfin ! - à une vie "normale" ?  La fin du cauchemar nous était promise. Du moins l'ai-je cru...

Et puis, patatras ! Une petite trace rose sur la bandelette réactive d’un applicateur de test en fait foi : je suis infecté. Et me voila de nouveau enfermé entre les quatre murs d'un bureau devenu, par la force des choses et pour cause d'isolement imposé, salle à manger, chambre à coucher et salon. Ô bien sur, jusqu'à présent les symptômes sont assez légers (même si le mal de gorge est intense et la fatigue inhabituelle) et, sans doute, la triple vaccination me garantit-elle du risque d'une forme gave. Sans doute... 

On croit souvent ce que l'on veut croire. Comme l'a écrit le Psychologue Olivier Houdé* : "...nos jugements et décisions sont le plus souvent dominés par des heuristiques intuitives très rapides, fondées sur des biais cognitifs erronés."
Ce qu'on appelle biais de confirmation est même de tous les biais cognitifs, certainement le plus fréquent. Parce que nous nous croyons intelligents et rationnels, nous refusons la plupart du temps d'accepter que nos croyances perdurent même face à des preuves évidentes, même face à l'épreuve des faits et de la réalité. Nous préférons privilégier la prise en considération des informations qui confirment nos croyances, même les plus irrationnelles. 

Selon l’adage populaire "quand on veut, on peut !..." A l’inverse, l'expérience vécue nous enseigne qu'il ne suffit pas de ne pas vouloir quelque chose pour que cette chose n’advienne pas. Encore une illustration que la pensée magique n’est qu’illusion. Doit-on pour autant en déduire que rien n’est magique ?

mercredi 23 mars 2022

Rien ne subsistera

Si rien ne reste, ou si peu, et que souvent nous croyons avoir oublié, tout toujours perdure quelque part en nous.

Après des mois de lutte contre un étrange et redoutable virus (qui semble, si l'on en croit les nouvelles, n'avoir toujours pas capitulé...), le monde fait désormais face au plus grand risque de conflit armé généralisé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et, une fois encore, une fois de plus, comme victime d'une lointaine et terrible malédiction, l'Europe est le théâtre de cette sanglante confrontation. Pour ceux qui, comme moi, ont cru que la belle idée de la construction européenne était l'assurance d'une paix durablement retrouvée sur notre continent, grande est la désillusion. Pourtant, j'ai la prétention de m'être, depuis longtemps, intéressé aux questions de défense. Ancien auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, j'ai même pris l'engagement de diffuser dans la société et de partager "l'esprit de défense". C'était hier, c'était il y a vingt ans déjà... 

Le thème retenu pour notre cinquante-cinquième session nationale portait sur le risque de "guerres asymétriques". Un an après l'attaque des tours jumelles du World Trade Center, certains de nos intervenants d'alors, affirmant que nous étions entrés dans une nouvelle ère de l'Histoire du monde, anticipaient le risque religieux, la montée des communautarismes, le regain d'une manière de nationalisme 2.0 et les tentations centrifuges qui pourraient les accompagner dans nombre de régions du monde, annonciatrices de confrontations armées d'un nouveau genre à venir, mais tous nous enseignèrent alors que le risque d'un conflit de grande intensité sur le sol européen n'était plus guère retenu comme hypothèse de travail, ni la fédération de Russie comme une potentielle menace… Encore une fois l'Histoire, qui se moque bien des algorithmes, des analyses et des prévisions, a, avec son éternelle malice, donné tord aux experts, aux spécialistes et aux sachants.

Pourtant, ce sont, nous dit-on, les hommes qui font l'histoire, tout comme ils peuvent changer leur vie bien plus que la vie ne les transforme.  Il est plaisant de feindre qu'en modifiant notre vision du monde, nous nous transformerions et que, par voie de conséquence, nous pourrions transformer le monde. Et si pour une fois nous consentions, ami lecteur, à la croyance inverse ? Et si nous n'étions que le fruit de notre histoire et l'humanité toute entière le jouet impuissant d'un fatum qui la dépasse, emportée qu'elle est dans le tourbillon de l'Histoire. Vie et destin...

Souvent, ici, j'ai affirmé la grande méfiance qui est la mienne (depuis une certaine campagne présidentielle de 1995...) des experts et de leurs pronostics. Sous sommes, à coups surs, entrés dans une période de grands périls, bien malin qui pourrait, aujourd'hui, dire où va le monde ?

Alors, pour ma part, je préfère me contenter de la petite (toute petite) histoire de cette modeste littérature du rien qui alimente ce blog depuis bientôt quatorze ans. Et, en relisant certains des textes qui en ont jalonné l'existence toute numérique, je réalise à quel point nos pensées sont influencées par notre environnement, la conjoncture, et qu'ils composent une manière de journal des petits riens, de ceux qui, mis bout-à-bout, font une vie. Le présent fuit, le passé n'est qu'illusion, seul le futur est encore imaginable. Rien ne subsistera sinon des riens.