lundi 23 décembre 2019

Critique de la zététique comme une esthétique

Un mien ami très cher, que je qualifierais volontiers de scientifique sceptique, m'écrivait récemment, en réponse à un envoi : "C’est super dangereux cette acceptation que tout peut être vrai .... c’est comme ça qu’on fini par répéter des âneries ou laisser se développer le nazisme (...) il ne doit pas y avoir acceptation quand la vérité de l’efficacité n’a pas été démontrée. C’est pas une religion c’est juste du bon sens". Selon lui, je cite, "dans le raisonnement pur, la priorité c'est la justesse".

Je ne suis pas d’accord. Si la justesse doit en effet, en tout, tenir lieu de fondement à l'éthique, la raison pure peut et même doit être critiquée (dans la ligne de la philosophie d'Emmanuel Kant). C'est précisément en ne doutant pas qu’on laisse se développer les théories scientistes. Tout est démontrable. La science pense avoir une solution à tout. Elle est même parfois finale...! Le régime nazi ne fut-il pas l'un des tout premiers à avoir créé un « ministère de la science » et même à avoir fait de certaines sciences, dont la biologie, des « sciences nazies » (sic!), obsédé qu’il était à tout rationaliser, y compris l’extermination de masse de millions d’etres humains. 

Je n'affirme pas pour ma part que tout peut être vrai et ne suis en rien adepte ni des thèses complotistes, ni d'un quelconque relativisme cognitif. Mais je dis que, même en matière scientifique, vérité d'aujourd'hui n'est pas, et heureusement, nécessairement vérité de demain et que par une forme de relativisme philosophique, il faut savoir relativiser et même parfois douter; que la connaissance est bien autre chose que l’accumulation de savoir(s) et que, seul un rapport actif au monde par la réflexion et l’introspection autorise la représentation. La méthode scientifique n'est pas l'unique voie d'investigation du réel et à force de vouloir tout objectiver, on risque de perdre la notion de sujet, d’oublier l’humain derrière l’objet d’étude. A trop vouloir ne considérer que les faits, on renonce parfois au réel, même s’il est - souvent - illusoire. Seule une forme d’élévation, au-delà du perceptible et de l’intelligible (au-delà même de l’entendement) permet de s’approcher du « Dasein » cher à Heidegger, cet « être-là » si particulier et paradoxal qui, bien qu’enfermé dans la solitude existentielle de sa finitude, la conscience de sa propre mort, vit quand même, ici et maintenant, en relation avec les autres et le monde, sans se laisser vaincre par la raison qui pourrait l’amener à penser que tout est vain. Seule une forme de métaphysique transcendantale, délivrée du religieux, permet d’atteindre une manière de morale universelle et de comprendre, à l'instar du conseil du Dr Alexandre à ses enfants que "mieux vaut apprendre à décoder le monde qu’à coder des programmes".

L'approche scientifique poussée à l'extrême, cette foi absolue dans les principes de la science -  la zététique - peut, à l'image de ce que l'intégrisme est aux religions, conduire à une forme de dévoiement extrême et de négation de l'Homme. Le scientisme n’est au fond qu’une forme de pensée globalisante et collectiviste, qui, désirant le triomphe unique de la raison au nom de "l’efficacité scientifique", en vient à vouloir contrôler l’existence des hommes en tant qu'individus - sujets - aux fins de la seule réalisation d'un objet global et déshumanisé, le groupe, pensé comme un système.

Portrait de François Rabelais
La vérité est indispensable, mais sans humanité elle devient insupportable. Je vous livre cette pensée matinale. C’est ma façon de dire, comme Rabelais, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Croire que la science peut résoudre et gérer tous les problèmes, et considérer que toute critique de la matière scientifique ne peut relever que de l'ignorance ou de la mauvaise foi revient à nier l'art du doute qu'affirme incarner la zétetique et peut, je le crains, parfois mener à la négation même de l'Humanité. Pour lutter contre le risque d'être crédule, j'affirme qu'on peut douter de tout, même de l'évidence.

"Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n'auront plus que des crédulités scientifiques"
Anatole France


jeudi 12 décembre 2019

Défense d'un petit rien: l'apostrophe

Cher lecteur, mon billet du jour est en forme d'interpellation. Que dis-je, d'apostrophe même!

Sais-tu qu'à Cambridge, King's road (la route du roi) a été rebaptisée, au nom d'une forme de simplification au caratère modernisateur affirmé, et faute d'apostrophe, kings road (la route des rois) ? Disparition annoncée du "génitif saxon" qui détermine le nom qui suit ?

Courrier International, dans sa livraison du 8 décembre, nous apprenait que, face à tant d'adversité, la vénérable et très britannique Apostrophe Protection Society a décidé de jeter l'éponge. "Une victoire pour l'ignorance et la paresse" s'est finalement résigné son président John Williams, reconnaissant le caractère illusoire et désormais inutile du combat que menait depuis 2001 cette association à l'humour so british, dont l'objet était très officiellement de "promouvoir le bon usage de ce signe de ponctuation par trop maltraité".

Apostrophes : tel fut, de 1975 à 1990, le nom du magazine littéraire hebdomadaire animé par Bernard Pivot, à une époque où le service public osait programmer sur son navire amiral (Antenne 2, alors) une émission pour tous au caractère intellectuel revendiqué, diffusée à une heure qu'il est convenu de qualifier de grande écoute. Comment ? Quoi ? Une émission toute entière consacrée aux livres, à la littérature et aux auteurs, diffusée le vendredi soir ? Une production 100% française, où les invités se contentaient de causer et qui dépassait régulièrement les 12% de part de marché!

Impossible me diras-tu ? Et pourtant, cher lecteur de moins de 30 ans, ce programme a bel et bien existé et il a été diffusé à 724 reprises. Je peux en témoigner. Je n'en ai pas manqué beaucoup. Cette seule raison suffirait à se faire aujourd'hui un devoir de relever le gant pour la défense de l'apostrophe!

Si l'apostrophe est, en rhétorique, une forme d'interpellation et que, plus rarement, elle sert à signaler l'apocope et l'aphérèse, elle désigne aussi le signe de typographie qui marque, en français, une élision grammaticale, c'est à dire une absence, la trace d'un petit rien qui évoque la suppression de la voyelle finale de certains mots devant un autre mot commençant par une voyelle ou un h muet. Compliqué! me diront peut-être certains... Je me suis déjà ici épanché sur la conviction que j'ai empruntée au grand Jacques Brel, que "la bêtise c'est de la paresse".

Car, oui, vouloir à tout prix se débarrasser de tout ce qui peut nous paraître un tant soit peu compliqué c'est bien une forme de paresse dont le risque principal est qu'elle nous mène tout droit à l'ignorance. 

Alors, pour qu'on puisse continuer à s'émerveiller et à s'embrasser en se disant je t'aime, j'espère que nous ne nous laisserons pas une fois de plus influencer par une certaine mode anglo-saxonne, même et surtout pas si elle est empreinte d'une moderniste et simplificatrice bonne intention, et que nous maintiendrons, quoi qu'il en coûte, l'usage de ce petit signe de ponctuation qui donne un peu de poésie à notre langue écrite, ce petit rien qu'est l'apostrophe.

lundi 11 novembre 2019

Contre les "méchants pour rien"

Jamais le politique n'a autant cherché à codifier, encadrer, organiser ou restreindre, même au risque de la perte de liberté. Comment analyser ce besoin de légiférer, cette "envie de pénal", comme l'écrivait Philippe Muray, dans l'empire du bien?

Newton et la pomme © Kak
Un exemple? Depuis 2005, le sacro-saint "principe de précaution" est inscrit dans la Constitution française et mis en avant pour justifier la restriction du champ des possibles, la limitation de notre capacité d'action, au risque même de parfois attenter aux libertés. Et l'on voit mal comment, à l'heure où l'Intelligence Artificielle régit de plus en plus nos existences, l'institution que forment l'Etat et son administration (fixe par définition) pourrait, sans être toujours en retard d'une (r)évolution, réglementer et codifier le domaine du réel (par définition mobile), avec des normes uniques et figées destinées à encadrer des réalités par essence multiples et mouvantes.

Prudence, prévention et précaution sont-elles sur le point de supplanter notre belle devise républicaine ? La liberté, sacrifiée à la prévoyance ? L'égalité, à la réserve ? La fraternité, à la sûreté ?

Peut-on se contenter d'une attitude, somme toute assez conservatrice, qui vise avant tout à (se) prémunir de tout, tout le temps, même du risque inhérent au progrès? Ne plus assumer le moindre risque, c'est se renfermer, s'éloigner du vivant, se déshumaniser. Si, comme l'écrit Alfred Adler, "être homme, c'est se sentir inférieur"(1), à considérer que nous pouvions être inférieurs - et donc, en danger - nous avons été condamnés à progresser pour survivre. N'est-ce pas en effet notre qualité même d'être humain que d'avoir toujours su nous adapter à notre environnement ? Alors, on peut envisager avec une certaine attention la phrase du même célèbre dissident de Freud: "il faut considérer l'histoire de l'humanité comme l'histoire du sentiment d'infériorité et des tentatives faites pour y trouver une solution"(1). Et, paradoxalement, c'est cet état affectif permanent qui nous abaisse qui pousse la civilisation sur la voie ascendante du progrès, tant le sentiment d'infériorité ressenti par l'homme le conduit à (ré)agir, pour arriver à toujours plus de sécurité. Nier ou simplement vouloir enfermer le progrès dans des règles normatives figées, même et surtout au nom d'un principe, n'est-ce pas ralentir notre évolution et nous mettre, d'une certaine façon, encore plus en danger ?

La liberté de penser, si chèrement acquise par nos aînés, n'avait plus autant été menacée par la police de l'esprit depuis sans doute l'avènement des Lumières. Alors même que l'emprise de la fausse altérité ne cesse de grandir et que se développe une forme sournoise de communautarisme larvé qui remet en cause les fondements de notre République, dans le même temps, une doxa bien-pensante, à la bienveillance toute paternaliste et sirupeuse, réductrice et faussement protectrice, nous est imposée au travers du vide universel porté par les canaux multiples de la communication de masse. L'universalisme de l'Humanisme est menacé par une forme nouvelle d'égalitarisme déshumanisé. Vouloir tout contrôler pour mieux protéger, mieux uniformiser; tout réglementer pour limiter les risques, tous les risques, même ceux nés de la rencontre avec l'inconnu, de la différence ?

Dans le nouveau monde multipolaire où les anciennes alliances semblent avoir vécu et où, dans la recherche du profit, tout est permis. En cette époque de vague-à-l 'âme démocratique où les peuples grondent d'une colère qui, bien que parfois irrationnelle n'en est pas moins réelle, et, où le populisme est devenu tendance. En ces temps troublés où l'ennemi est partout et nulle part mais où les menaces de conflits et de guerres sont, elles, bien réelles. Dans un univers de techniciens et d'ingénieurs où le rapprochement à venir des biotechnologies et de l'Intelligence Artificielle porte sans doute autant d'opportunités que de terribles menaces, le principe de précaution fait-il encore sens ? En écrivant ces quelques lignes, me revient le souvenir des textes que j'ai publiés ici-même, où j'anticipais le conflit à venir entre bio-conservateurs et trans-humains néo-progressistes (Cf. Transhum' contre biocons).

Au moment de l'histoire où certains tenants d'une manière d'évolutionnisme faussement humaniste soulignent, comme l'écrivait Yuval Noah Harari en 2017 dans Deus, que "le conflit est une chose dont il faut se féliciter au lieu de s'en lamenter. Il (le conflit) est la matière première de la sélection naturelle, moteur de l'évolution", convient il encore de chercher, à tout prix, à se garantir de l'affrontement à venir et à s'en protéger ? A l'heure où la menace est d'abord asymétrique peut-on même encore imaginer d'être en capacité de totalement se préserver de la belligérance ? Oui, mais contre qui ? Contre nous-même d'abord, et contre les tentations d'une partie de l'humanité de donner naissance à des surhommes ? Contre l'extérieur, cet univers qui nous échappe, au fond, que nous faisons tout pour oublier et qu'il conviendrait de mieux observer pour davantage le comprendre ? Contre l'inconnu, celui de ce monde à venir, fascinant et inquiétant, tout à la fois fait de superstitions d'un autre âge et de croyances irrationnelles, de biotechnologies, de neurosciences et des algorithmes de l'IA ? Ou tout simplement contre les autres ? Les méchants du dehors, ces méchants pour rien ?

"Contre les méchants du dehors, méchants si vite, méchants pour rien".

vendredi 8 novembre 2019

Presque rien

Hier soir, j'ai regardé le film Jungle avec Daniel Radcliffe, adaptation d'un livre de Yossi Ghinsberg, mettant en scène le dramatique périple d'un groupe d'amis, baroudeurs amateurs, dans l'Amazonie bolivienne. Au moment où l'on parle surtout de la plus grande forêt du monde pour évoquer les terribles et dramatiques feux qui la ravage, quelques souvenirs, heureux, de cette région unique, ce coeur battant du monde, me sont revenus en mémoire.

Que ce soit en Guyane, au Centre d'entraînement en forêt équatoriale de la Légion étrangère,ou, au milieu de la plus grande zone humide française, au coeur du marais de la montagne de Kaw avec les bushinengés, ou encore sur le luxueux Santana, ce "river boat"tout de bois précieux de mon ami Jean-Philippe, sur le Rio Negro ou dans les arbres, j’ai à plusieurs reprises eu la chance de dormir dans la forêt amazonienne. De me baigner dans ses eaux. De faire de la pirogue sur le Maroni ou la rivière Mataroni. De rêver d'aventures en écoutant les inquiétants bruits de la nature la nuit...

Ariau towers jungle lodge
Avec Léon Bertrand, sur le Rio Negro
Le Santana I
Il me revient cette fois où, arrivant de Sao Paulo avec le ministre Léon Bertrand, fils d'un père créole et d'une mère amérindienne du Surinam et grand connaisseur de la zone, après un crochet par Brasilia où nous avions remis un courrier du Président Chirac au Président Lula da Silva, nous avons vogué jusqu’à l’hôtel Ariau jungle lodge, incroyable ensemble de cabanes et de ponts suspendus construits dans la canopée par les brésiliens, à cinq heures de navigation de la capitale de l'état d'Amazonas. Nous avions rejoint Manaus à la nuit tombée - cette nuit tropicale si intense, si noire, si dense, si chaude et humide - au coeur d'orages dantesques et de leurs éclairs uniques que l'on ne rencontre qu'au confluent de l'Amazone et du Rio Negro. Dans cet environnement, Léon me paraissait bien plus heureux que dans son froid cabinet de minsitre parisien.

Et comment décrire Manaus ? Ce Paris des tropiques dont les tours de béton et d'acier surgissent comme un mirage dans l'horizon, au coeur d'une embouchure large de plusieurs dizaines de kilomètres. Cette ville dotée d'un opéra de 700 places perdu au milieu de la forêt primaire. Le "théatro Amazonas" est le monument emblématique de l'apogée économique de la ville, inauguré en 1896, il fut construit, à grands frais, grâce aux fortunes de l'Hévéa et du caoutchouc, avec des matériaux importés d'Europe, et notamment de France.

Lors de mon séjour à Régina, avec les légionnaires du CEFE qu'accompagnait un détachement de pionniers brésiliens du Centre d'instruction de la guerre dans la jungle, au point de confluence du fleuve Approuague et de la rivière Mataroni, il fut question d'expérimenter, à l'occasion d'une brève initiation, la vie en totale autarcie dans la forêt. Ce fut surtout une occasion unique de manger un repas préparé par le cuisinier brésilien du camp, composé exclusivement de produits trouvés sur place, celle de goûter la viande d'Agouti accommodée du fruit de l'arbre à pain, de bananes plantins et de farine de Manioc, en buvant le jus de fruits dont j'ai oublié jusqu'aux noms... Et puis, j'en ai ramené un surnom. Refusant de me rouler avec mes camarades de promo dans la boue humide et profonde du parcours d'entraînement, au prétexte falacieux, je le reconnais aujourd'hui, de ne pas "saloper mon treillis", j'en suis revenu affublé du petit nom de "Schtroumpf coquet". Une manière de nom de guerre que certains de mes amis n'ont toujours pas oublié. Moi non plus...

En visionnant ce film hier, j'ai réalisé, moins intensément que ses héros bien sur, à quel point jamais ailleurs dans le monde je n'avais ressenti un tel sentiment d'oubli et d'immensité que sur les fleuves, au coeur de la jungle amazonienne. Rien ne peut décrire ce que l'on éprouve alors, si ce n'est la conscience de n'être pas grand-chose, presque rien, perdu entre le vert profond de la forêt, le gris insondable du fleuve et le bleu sans cesse ennuagé des cieuxl équatoriaux. Presque rien.

jeudi 31 octobre 2019

Couleur de la colère

Ce soir, la nausée le dispute à la rage. Oui, la rage. Pas seulement la colère mais bien la rage, celle qui donne des idées de violence, des envies de sang, un désir de destruction bien massive. Et d’où me vient, me diras-tu, ce soudain accès de fièvre?

Je suis tombé, en rentrant en auto, sur une émission de radio surréaliste, un temps d’antenne consacré aux "frugalistes"! Une manière de transcendance de la crétinerie ou quand la connerie atteint au sublime.

Un type de 40 ans, invité comme témoin, expliquait très doctement et sans rire, à grand renfort d’anglicismes qui trahissaient tout autant une influence new age californienne que le reflet du degré ultime de sa parisienne boboïtude, un type donc qui annonçait qu’il avait choisi de changer de vie pour devenir "frugaliste". Fruga quoi ?!!!! Je ne m’énerve pas, j’explique; mais alors là... Celui-là on avait juste envie de lui arracher la langue avec des pinces chauffées à blanc pour lui fermer son claque-merde à débiter des sornettes.

Ex-banquier d’affaire (tout un programme...), l’enflé suffisant expliquait sans aucune retenue, qu’après avoir gagné beaucoup (sic!) d’argent, il avait décidé d’arrêter de travailler. Une façon à ses yeux de lutter contre les excès de la société de consommation en abordant les rives de la décroissance. Faire pauvre pour être comme les autres, comme la grande majorité de l’humanité qui vit sous le seuil de pauvreté. Être exemplaire jusqu’à l’expiation ? J’aurais pu éventuellement comprendre si, se retirant du monde dans le dénuement, il avait rejoint son ermitage ou même s’il avait choisi le silence et la prière de la vie monastique. Mais non, ça c’est dans doute trop difficile et n’est ni Henry-David Thoreau ni François d’Assises qui veut, car - Ah oui! J’oubliais de le préciser - le gandin avait investi toutes ses (généreuses) éconocroques en bourse et annonçait bravement vivre "assez confortablement" (re-sic!) des revenus de son (important) patrimoine. Frugalité avez-vous dit ? Les rentiers ont vécu, place aux frugalistes! 

Mais de qui se moque-t-on ? L’indigence n’a pas de prix, ou plutôt si, elle en a désormais un, et il est réservé à ceux qui en ont les moyens. S'il s'agissait de se racheter une belle conscience après avoir gagné beaucoup de fric, on pourrait éventuellement comprendre. J’aurais même pu accepter l'idée qu’il veuille se consacrer quelques années à un beau projet, aux autres, à ses enfants... Mais d’enfant il n’y avait; pas même un projet... Juste le choix, assumé, d’arrêter de bosser pour se consacrer avant tout à lui-même. Comble d’un narcissisme non assumé se parant des oripeaux de la nouvelle bien-pensance, ou peut-être tout simplement égotisme parfaitement revendiqué au nom de je-ne-sais quelle méthode new-age de développement personnel à la mode. À gerber...

Ce soir, ma rage est rouge, rouge sang même! De cette écarlate couleur dont se pare la colère. Rien, mais alors rien n’excusera jamais une telle dose de cynisme. Rien!

vendredi 11 octobre 2019

10 ans! Et toujours rien

En écrivant ces quelques lignes, je réalise que cela fait 10 ans que je partage avec toi, ici, ami lecteur, mes réflexions, mes questionnements et  mes doutes.

Loin de l'archétype du savant, du professeur, celui qui sait, ou du chercheur, celui qui trouve, il me plaît de me considérer parfois comme un cherchant, celui qui doute. Et c'est en quelque sorte l'ombre de mes hésitations, de mes tâtonnements et de mes incertitudes que, au fil du temps qui passe, j'essaie de communiquer en les proposant en partage, à la lumière de ce blog. Des doutes, oui mais jamais - en tout cas je m'y efforce - de spéculations, tant ma crainte est grande qu'elles n'entraînent avec elles des projections qui rendent alors très difficile la perception de la réalité, et surtout celle de l'autre.

Depuis l'automne de l'année 2009, l'évocation des souvenirs a commercé avec une réflexion qui m'apparaît aujourd'hui comme une manière d'ouverture à la liberté de chercher au-delà de la perception des sens, de s'ouvrir au monde, dans une forme d'exercice d'oubli du savoir que nous pensons avoir acquis des choses. La recherche d'un troisième terme échappant à la lecture simplement binaire, analytique et causale du monde, qui est le fruit de notre éducation, pour, de temps en temps, oublier le cartésianisme et accepter l'irrationnel; une démarche que j'ai envie de qualifier, bien que détachée de toute religiosité, de spirituelle (d'aucun dirait mystique), allant même parfois jusqu'à une forme d'acceptation de l'inconcevable.

Album beaucoup écouté...
En disant cela, je pense aux questions de coïncidences et de synchronicité que nous avons récemment abordées en cours (et oui, me voici de retour sur les bancs de l'école...) et me dis que si l'hypothèse de la synchronicité avancée par Jung ne permet sans doute pas, à elle seule, de résoudre la question d'un ordre sans cause, elle éclaire d'un jour nouveau certaines de mes propres réflexions et met en lumière le fait que chaque rencontre, chaque "coïncidence" a participé à la satisfaction d'un besoin très certainement inconscient mais constitutif d'un processus d'individuation.

Alors, quelle est au fond l'importance de déterminer la cause de cette soudaine envie, goût devenu besoin, puis addiction même, de faire partager mes vaines réflexions, ces tout petits riens ? Et de poursuivre cette ineptie pendant 10 ans ? En posant cette question, je comprends qu'il n'est pas absolument indispensable, au risque de l'aporie, d'en chercher la réponse.

10 ans! Et toujours rien...

mercredi 25 septembre 2019

L'IA ou rien ?

Animant hier soir un dîner-débat autour des auteurs, la lecture de l'essai publié sous la forme d'un dialogue entre le Docteur Laurent Alexandre et Jean-François Copé [1] m'a inspiré ces quelques lignes.

"Gnothi Seauthon". Le "connais-toi toi-même" socratique, gravé au fronton du temple d'Apollon à Delphes, m'est apparu comme l'un des sujets majeurs abordés par les auteurs. Ne sommes-nous, au fond, qu'un assemblage de mécanismes biochimiques, demain observés, gérés et, le cas échéant, entretenus et réparés par l'IA, ou l'idée si chère à la pensée humaniste d'un libre-arbitre influencé par nos affects est-elle encore d'actualité?

Après le statut d'observant de l'homme religieux que nous avons longtemps été, celui de citoyen de l'homo politicus, puis d'agent de l'homo economicus, le développement de l'IA nous entraîne-t-il irrémédiablement sur la voie d'une Humanité devant se résumer, d'une part, à une caste d'"homo deus" et, de l'autre, à la masse des "hommes inutiles" ? L'alternative qui s'offre à nous de résumera-t-elle à devoir choisir son camp entre ceux qui seraient prêts à sacrifier progrès et humanisme sur l'autel d'une forme de néo-paganisme aux relents apocalyptiques (les bio-réactionnaires décrits par Laurent Alexandre, tous ceux qui agitent le spectre de la grande disparition et plaident pour la décroissance), et ceux, les autres, qui considéreraient que la mutation de l'espèce a déjà commencé, tous ces adeptes d'une philosophie trans-humaniste et autre "dataïstes" (néologisme emprunté à Yuval Noah Harari [2]) qui considèrent que la technologie toute-puissante surmontera toutes les difficultés ?

Point de troisième voie ? Y-a-t-il encore une place pour d'autres possibles ?

Si l'on y réfléchit, le système démocratique a-t-il encore un sens au moment où Google connaît mieux nos opinions politiques que nous-même, où Facebook est devenu la plus grande base de données personnelles au monde, où Amazon connaît mieux mes goûts musicaux que moi...? L'usage immodéré des outils connectés ne contribue-t-il pas, sous nos yeux, à saper les fondements même de la démocratie représentative ?

Face à un pouvoir technologique désormais concentré entre les mains d'une poignée d'acteurs américains et chinois - alliance improbable des libertariens de Palo-Alto et des néo-communistes de Pékin - aux moyens illimités, y-a-t-il encore une place pour le politique, pour la démocratie et une certaine idée européenne de l'humanisme ? Et comment éviter la "guerre des intelligences" prophétisée par Laurent Alexandre dans un précédent essai [3] ?

Ces interrogations sont au cœur de cet ouvrage qui a le mérite de vulgariser des questions pour le moins complexes.

Si l'approche des deux auteurs est différente, et même parfois antagoniste, ils conviennent ensemble qu'une hypothèse n'est pas nécessairement vérité et que probabilité ne signifie pas fatalité. Au fond, ils nous disent que si l'IA est bien une révolution, le rôle - et même d'une certaine manière - la mission de l'homme politique est d'en anticiper les effets, pas de courir après, pour éviter le scénario catastrophe d'une IA forte qui échapperait à son créateur.

Notre choix ne se résumerait-il qu’à l’IA ou rien ? Ne peut-on imaginer un autre possible, un troisième terme qui ne serait ni l’un, ni l’autre, mais une autre voie, plus équilibrée ? 

Si l’on veut bien suivre un peu les conseils délivrés par Laurent Alexandre à ses enfants dans la lettre qu’il leur adresse en forme de postface à la guerre des intelligences, je cite, « mieux vaut apprendre à décoder le monde qu’à coder des programmes informatiques » car, écrit-il, « l’humanité ne doit pas se transformer sans débat philosophique et politique ». Enfin, il les engagent, et cette morale pourrait être universelle, « à faire un peu de bien au nom d’une morale détachée de Dieu ». Rien à rajouter.


1. L’IA va-t-elle aussi tuer la démocratie ? - JC Lattès - 2019
2. Sapiens – Yuval Noah Harari - Albin Michel - 2015
3. La guerre des intelligences - JC Lattès - 2017

dimanche 8 septembre 2019

Lorsqu'il n'y a plus rien

Quand j'étais môme et que j'explorais chaque recoin de notre village de Cely, je passais beaucoup de temps a errer dans des ruines. Chantier abandonné d'une maison qui n'accueillerait jamais aucun occupant, ancienne gare désaffectée d'une ligne de chemin de fer depuis longtemps délaissée par les voyageurs, cabane de forestiers inoccupée depuis des lustres ou tout simplement tristes vestiges d'une maison tombée dans l'oubli. Chaque ruine m'attirait et me fascinait tout autant qu'elle m'effrayait.

Foin de château ni de manoir hanté mais juste les témoins de la vie passée, de vies passées.

Pour partir en exploration, je me munissais d'un petit panier de pêche en plastique que je passais en bandoulière autour de mon épaule, à l'effet de le garnir - du moins l'espérais-je alors - de tous les trésors que je pourrais découvrir au fil de mes visites alentour.

Et puis, quand j'en avais fini avec les vieilles pierres, j'arpentais les champs de maïs proches de la maison, à la recherche de fossiles ou, le croyais-je alors, de silex taillés. Me voyant revenir de l'une de mes expéditions,  mon père me dit un jour, sur le ton docte de celui qui sait : " tu seras archéologue, mon fils..." (sic!)

Non, je ne cherchais pas là l'imitation d'un quelconque Indiana Jones avant l'heure, mais j'avais déjà le goût de ces petites choses, ces petits riens que l'histoire n'étudie pas. Tout ce qui donne support à l'imagination pour s'envoler et qui permet aux enfants de créer, à partir de pas grand chose, des mondes, voir des univers... Et puis, au-delà, j'aimais, et j'aime toujours, aller à la recherche de ce qu'il reste lorsqu'il n'y a plus rien.