vendredi 8 novembre 2019

Presque rien

Hier soir, j'ai regardé le film Jungle avec Daniel Radcliffe, adaptation d'un livre de Yossi Ghinsberg, mettant en scène le dramatique périple d'un groupe d'amis, baroudeurs amateurs, dans l'Amazonie bolivienne. Au moment où l'on parle surtout de la plus grande forêt du monde pour évoquer les terribles et dramatiques feux qui la ravage, quelques souvenirs, heureux, de cette région unique, ce coeur battant du monde, me sont revenus en mémoire.

Que ce soit en Guyane, au Centre d'entraînement en forêt équatoriale de la Légion étrangère,ou, au milieu de la plus grande zone humide française, au coeur du marais de la montagne de Kaw avec les bushinengés, ou encore sur le luxueux Santana, ce "river boat"tout de bois précieux de mon ami Jean-Philippe, sur le Rio Negro ou dans les arbres, j’ai à plusieurs reprises eu la chance de dormir dans la forêt amazonienne. De me baigner dans ses eaux. De faire de la pirogue sur le Maroni ou la rivière Mataroni. De rêver d'aventures en écoutant les inquiétants bruits de la nature la nuit...

Ariau towers jungle lodge
Avec Léon Bertrand, sur le Rio Negro
Le Santana I
Il me revient cette fois où, arrivant de Sao Paulo avec le ministre Léon Bertrand, fils d'un père créole et d'une mère amérindienne du Surinam et grand connaisseur de la zone, après un crochet par Brasilia où nous avions remis un courrier du Président Chirac au Président Lula da Silva, nous avons vogué jusqu’à l’hôtel Ariau jungle lodge, incroyable ensemble de cabanes et de ponts suspendus construits dans la canopée par les brésiliens, à cinq heures de navigation de la capitale de l'état d'Amazonas. Nous avions rejoint Manaus à la nuit tombée - cette nuit tropicale si intense, si noire, si dense, si chaude et humide - au coeur d'orages dantesques et de leurs éclairs uniques que l'on ne rencontre qu'au confluent de l'Amazone et du Rio Negro. Dans cet environnement, Léon me paraissait bien plus heureux que dans son froid cabinet de minsitre parisien.

Et comment décrire Manaus ? Ce Paris des tropiques dont les tours de béton et d'acier surgissent comme un mirage dans l'horizon, au coeur d'une embouchure large de plusieurs dizaines de kilomètres. Cette ville dotée d'un opéra de 700 places perdu au milieu de la forêt primaire. Le "théatro Amazonas" est le monument emblématique de l'apogée économique de la ville, inauguré en 1896, il fut construit, à grands frais, grâce aux fortunes de l'Hévéa et du caoutchouc, avec des matériaux importés d'Europe, et notamment de France.

Lors de mon séjour à Régina, avec les légionnaires du CEFE qu'accompagnait un détachement de pionniers brésiliens du Centre d'instruction de la guerre dans la jungle, au point de confluence du fleuve Approuague et de la rivière Mataroni, il fut question d'expérimenter, à l'occasion d'une brève initiation, la vie en totale autarcie dans la forêt. Ce fut surtout une occasion unique de manger un repas préparé par le cuisinier brésilien du camp, composé exclusivement de produits trouvés sur place, celle de goûter la viande d'Agouti accommodée du fruit de l'arbre à pain, de bananes plantins et de farine de Manioc, en buvant le jus de fruits dont j'ai oublié jusqu'aux noms... Et puis, j'en ai ramené un surnom. Refusant de me rouler avec mes camarades de promo dans la boue humide et profonde du parcours d'entraînement, au prétexte falacieux, je le reconnais aujourd'hui, de ne pas "saloper mon treillis", j'en suis revenu affublé du petit nom de "Schtroumpf coquet". Une manière de nom de guerre que certains de mes amis n'ont toujours pas oublié. Moi non plus...

En visionnant ce film hier, j'ai réalisé, moins intensément que ses héros bien sur, à quel point jamais ailleurs dans le monde je n'avais ressenti un tel sentiment d'oubli et d'immensité que sur les fleuves, au coeur de la jungle amazonienne. Rien ne peut décrire ce que l'on éprouve alors, si ce n'est la conscience de n'être pas grand-chose, presque rien, perdu entre le vert profond de la forêt, le gris insondable du fleuve et le bleu sans cesse ennuagé des cieuxl équatoriaux. Presque rien.

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