lundi 23 décembre 2019

Critique de la zététique comme une esthétique

Un mien ami très cher, que je qualifierais volontiers de scientifique sceptique, m'écrivait récemment, en réponse à un envoi : "C’est super dangereux cette acceptation que tout peut être vrai .... c’est comme ça qu’on fini par répéter des âneries ou laisser se développer le nazisme (...) il ne doit pas y avoir acceptation quand la vérité de l’efficacité n’a pas été démontrée. C’est pas une religion c’est juste du bon sens". Selon lui, je cite, "dans le raisonnement pur, la priorité c'est la justesse".

Je ne suis pas d’accord. Si la justesse doit en effet, en tout, tenir lieu de fondement à l'éthique, la raison pure peut et même doit être critiquée (dans la ligne de la philosophie d'Emmanuel Kant). C'est précisément en ne doutant pas qu’on laisse se développer les théories scientistes. Tout est démontrable. La science pense avoir une solution à tout. Elle est même parfois finale...! Le régime nazi ne fut-il pas l'un des tout premiers à avoir créé un « ministère de la science » et même à avoir fait de certaines sciences, dont la biologie, des « sciences nazies » (sic!), obsédé qu’il était à tout rationaliser, y compris l’extermination de masse de millions d’etres humains. 

Je n'affirme pas pour ma part que tout peut être vrai et ne suis en rien adepte ni des thèses complotistes, ni d'un quelconque relativisme cognitif. Mais je dis que, même en matière scientifique, vérité d'aujourd'hui n'est pas, et heureusement, nécessairement vérité de demain et que par une forme de relativisme philosophique, il faut savoir relativiser et même parfois douter; que la connaissance est bien autre chose que l’accumulation de savoir(s) et que, seul un rapport actif au monde par la réflexion et l’introspection autorise la représentation. La méthode scientifique n'est pas l'unique voie d'investigation du réel et à force de vouloir tout objectiver, on risque de perdre la notion de sujet, d’oublier l’humain derrière l’objet d’étude. A trop vouloir ne considérer que les faits, on renonce parfois au réel, même s’il est - souvent - illusoire. Seule une forme d’élévation, au-delà du perceptible et de l’intelligible (au-delà même de l’entendement) permet de s’approcher du « Dasein » cher à Heidegger, cet « être-là » si particulier et paradoxal qui, bien qu’enfermé dans la solitude existentielle de sa finitude, la conscience de sa propre mort, vit quand même, ici et maintenant, en relation avec les autres et le monde, sans se laisser vaincre par la raison qui pourrait l’amener à penser que tout est vain. Seule une forme de métaphysique transcendantale, délivrée du religieux, permet d’atteindre une manière de morale universelle et de comprendre, à l'instar du conseil du Dr Alexandre à ses enfants que "mieux vaut apprendre à décoder le monde qu’à coder des programmes".

L'approche scientifique poussée à l'extrême, cette foi absolue dans les principes de la science -  la zététique - peut, à l'image de ce que l'intégrisme est aux religions, conduire à une forme de dévoiement extrême et de négation de l'Homme. Le scientisme n’est au fond qu’une forme de pensée globalisante et collectiviste, qui, désirant le triomphe unique de la raison au nom de "l’efficacité scientifique", en vient à vouloir contrôler l’existence des hommes en tant qu'individus - sujets - aux fins de la seule réalisation d'un objet global et déshumanisé, le groupe, pensé comme un système.

Portrait de François Rabelais
La vérité est indispensable, mais sans humanité elle devient insupportable. Je vous livre cette pensée matinale. C’est ma façon de dire, comme Rabelais, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Croire que la science peut résoudre et gérer tous les problèmes, et considérer que toute critique de la matière scientifique ne peut relever que de l'ignorance ou de la mauvaise foi revient à nier l'art du doute qu'affirme incarner la zétetique et peut, je le crains, parfois mener à la négation même de l'Humanité. Pour lutter contre le risque d'être crédule, j'affirme qu'on peut douter de tout, même de l'évidence.

"Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n'auront plus que des crédulités scientifiques"
Anatole France


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