mercredi 25 mars 2020

Un rien d’éthique

A propos du débat, souvent vif, qui se développe sur tel traitement qu'il conviendrait, affirment certains, ou pas, pontifient d'autres, d'administrer aux malades les plus gravement atteints du Covid19, on évoque aujourd'hui beaucoup la question du choix. Au fond, la seule vraie interrogation qui vaille serait peut-être de se demander s’il y a une position qui pourrait être considérée comme plus éthique que l'autre ?

Peut-on, en période "d'état d'urgence sanitaire", s'autoriser à déroger aux règles de prudence et prescrire aux malades un traitement qui, bien qu'il n’a pas encore été scientifiquement validé, parait  à beaucoup comme porteur d'espoir, et alors même qu’aucun autre soin efficace n’a encore été trouvé ?
ou,
convient-il de privilégier l'application, en toutes circonstances, du principe de précaution et respecter scrupuleusement des protocoles scientifiques établis, au risque de ne pas sauver des vies ?

Si, en effet, le rapport risque/bénéfice doit être en permanence au cœur - si j’ose dire - du raisonnement médical, nous faisons bien là face à une question éminemment éthique. Il s'agit non seulement de déterminer ce qui devrait être, au sens kantien, mais bien de se demander ce qui serait le mieux pour les malades ? Foin de morale partagée ou de règle normative qui s'imposerait à tous à ce stade, mais bien plutôt une question essentiellement personnelle, une interrogation toute intérieure, s'évaluant au degré d'empathie de chacun et à sa capacité à ne mesurer le caractère bon ou mauvais de ses actes qu'à raison de leurs conséquences pour les autres.

Le spectre des valeurs fondatrices de la pensée, qui est sensée précéder l'action, est extrêmement large. Entre altruisme et utilitarisme, pensée magique et irrationnelle et scientisme zététique (trop) zélé, les débats médiatiques actuels en sont une parfaite illustration.

Guerre des ego, jalousies, ambitions contrariées, frustrations mal digérées... les certitudes mandarinales s'opposent et étalent leurs divergences sur les plateaux télé, façon discussions de comptoir, aux yeux d'un grand public décontenancé et perdu. La parole publique donne, elle, parfois le sentiment d'errer au gré des derniers avis scientifiques émis, multipliant la création de conseils et de comités "stratégiques", au risque pour la démocratie d'un gouvernement de techniciens. Quant aux journalistes et chroniqueurs en tous genres, ils apparaissent subitement devenus instruits en tout et s’érigent, par la grâce cathodique, en arbitres des débats scientifiques.

On nage en pleine folie médiatique et l'inactivité forcée fournit, pour nombre d'entre-nous, la possibilité d'assister en direct à des controverses auxquelles j'avoue, pour ma part, ne pas entendre grand chose. Chacun y va de son avis et les réseaux sociaux sont tout à la fois le théâtre et le terrain d'expression de soutiens inconditionnels, parfois irréfléchis, d'anathèmes, souvent exagérés, de joutes houleuses et de prises de positions "expertes", tout autant définitives qu'elles sont souvent totalement infondées. Certes, le droit à l'information est un droit au moins aussi essentiel que la liberté de pensée, mais l'un comme l'autre ne devraient pouvoir s'exercer en s'exonérant des règles morales supérieures que sont l'honnêteté, la bienveillance, la responsabilité et la tolérance.

Et si, demain, la morale personnelle qui fonde notre éthique devenait une dimension permanente et conscientisée de chacun de nos comportements ? Et si, au-delà de ces questions d'éthique médicale, la crise actuelle nous permettait de nous poser enfin la question du sens que nous voulons bien, chacun, donner à notre vie ? Que sont les valeurs qui fondent les idéaux que nous poursuivons, les principes sur lesquels reposent nos actions et jusqu'où sommes-nous prêts à nous engager pour défendre les normes et les règles sociales qui les encadrent ? Et si, chacun d'entre-nous, acceptait d'introduire un rien d'éthique dans sa vie ?

jeudi 19 mars 2020

Rien de plus

Là, dehors, juste devant le portail de la maison, plus rien ne bouge, ou c'est tout comme.

La circulation est désormais presque interrompue. Nous sommes tous "confinés".

De temps à autre, un véhicule passe, discrètement, sans faire de bruit. Comme si son conducteur prenait scrupuleusement garde à se faire le plus silencieux possible pour ne pas déranger les gazouillis des oiseaux que l'arrivée du printemps enchante. Plus de klaxons intempestifs ni de freins hurlants à l'approche du stop du coin de la rue ; plus de pétarades des pots de détente de deux-roues trafiqués ni de "musique" imposée aux oreilles de tous par une sono trop puissante crachant ses décibels par les fenêtres entrouvertes de 4X4 allemands aux moteurs surgonflés ; moins de bruit, plus de silence. Moins de vie !

Les voisins d'en-face sont partis. Le petit jardin public qui jouxte la maison est fermé. Dans la rue, c'est un peu comme si, seuls les ouvriers du chantier voisin continuaient - mais pour combien de temps encore ? - à travailler. Alors que, pas plus tard que la semaine passée, souvent je pestais contre le bruit de leur ouvrage, je guette aujourd'hui, chaque matin, l'écho de leur présence. C'est étrange comme un dialogue dont juste quelques bribes nous parviennent, le simple son d'un coup de marteau ou le chant d'une scie sur une planche peuvent faire existence...

Ailleurs, le grondement sourd qui rythme le quotidien des habitants de la ville s'en est, lui aussi, allé. Seules les sirènes puissantes des ambulances et des camions de pompiers brisent le calme imposé quand ils s'annoncent, du plus loin qu'on puisse les entendre. Il faudra s'y habituer. 

Allant furtivement et d'un pas pressé, de rares piétons se rendant à la pharmacie ou chez le boulanger, ou plutôt leurs silhouettes, évoquent encore, en passant, la vie qui va. Des ombres, ou presque. Une évocation. Rien de plus.

mardi 3 mars 2020

Rien n'a été dit

"Il faut vouloir être heureux et y mettre du sien"
Alain - Propos sur le bonheur

Billet en forme de clin d'oeil à un mien ami poète qui se reconnaîtra, si l'idée lui venait de se perdre sur ce blog.

En parcourant les propos sur le bonheur du philosophe Alain, j'ai relevé cette phrase qui m'a interpellé tant sur un plan philosophique que dans ma pratique professionnelle : "il est bien aisé de ne pas croire, alors que rien n'a été dit". Que peut bien vouloir signifier l'auteur ? Le non-dit, le non-exprimé, rend-il plus facile l'incrédulité ? Et, partant, protège-t'il de la crainte ? Faudrait-il abandonner tout espoir, au prétexte que l'espoir lui-même nourrirait la peur ? Car que peut bien redouter celui qui ne croit en rien ?  Ce questionnement relève à mes yeux du même raisonnement que celui du blagueur qui, face à telle ou telle attitude empreinte de crédulité naïve et d'irrationnel, affirme, crânement, "ne pas être superstitieux car cela porte malheur!"

Gare à tout ce qui peut s'entendre. Les propos définitifs comme les paroles qui peuvent nous paraître sur l'instant les plus insignifiantes. Car même les petits riens restent en mémoire, nourrissant leur part d'ombre, et, un jour ou l'autre, au moment parfois où l'on s'y attend le moins, resurgissent et peuvent nous troubler au point que nous ayons alors l'impression que les évènements donnent vie à nos craintes les plus sombres. C’est vrai des névroses d’angoisse, cette  forme d’anxiété, bien connue des psy qui l’appellent anticipation anxieuse, qui produit souvent la situation que précisément nous redoutons le plus. L’anxiété fait craindre d’être anxieux. C’est bien sûr vrai également en matière de névroses obsessionnelles, avec la culpabilité injustifiée et parfois inconsciente qui les accompagnent. Force de l'Inconscient diront certains, puissance du Verbe diront d'autres, ou tout simplement besoin vital de croire. Même à l’incroyable. Même en des chimères.

Le monde chaotique qui nous entoure nous ramène toujours aux désespérantes limites de notre existence en nous enseignant que si la vie peut nous paraître souvent imprévisible et parfois injuste, son issue, elle, est toujours inéluctable. Alors entre aujourd'hui et le dénouement fatal annoncé, pourquoi ne pas avoir envie de croire, pour donner Sens. Croire en la vie, croire en l'homme et, d'abord, croire en soi. Car croire que l'on est rien, c'est se porter à n'être rien. Accepter notre état d'être spirituel c'est, au contraire, faire le choix de l'espérance qui est volonté de faire, même et surtout de petites choses, au lieu que ne s'installe le désespoir, par la simple force de ce qui est.  C’est surtout peut-être considérer que rien n'a encore été dit, plutôt que tout...

samedi 22 février 2020

Pas pour rien

Attiré ce matin hors de la maison par le joli soleil presque printanier de ce samedi de fin février, je suis allé flâner dans les allées du marché aux livres anciens du parc Georges Brassens, cet endroit unique à Paris auquel m'a initié il y a bien longtemps mon vieil ami Jean. Au détour de l'étal d'un marchand, j'ai découvert deux volumes de la bibliothèque de la Pléiade des oeuvres d'Alain. Je n'avais jusqu'à présent jamais rien lu de cet auteur du tournant du siècle, tout à la fois journaliste, essayiste et philosophe. En parcourant rapidement le premier volume, j'ai été immédiatement enthousiasmé par ses propos. Une manière d'accumulation de billets et d'articles inspirés par l'actualité, une pensée de tel ou tel philosophe ou encore des souvenirs, ou même les petits riens de la vie de tous les jours. Considérations souvent empreintes d'une profonde pensée philosophique ou parfois futiles, voir négligeables, et pourtant importantes aux yeux de l'auteur, et qui font souvent écho chez le lecteur, même encore aujourd'hui. A cent ans de distance, ces propos ont immédiatement résonné en moi, tant j'y retrouve un style décousu, parfois aporétique, rationaliste et critique, à l'image de celui que j'essaie, très modestement, d'apporter à la rédaction des petits riens.

Le fait de rédiger quelques lignes sur ce blog, comme je le fais désormais régulièrement depuis plus de dix ans, à l'attention d'un lecteur qui, voisin ou habitant de l'autre bout du monde, distraira un peu de son temps à me lire, contribue, je le crois, à m'assurer une forme d'hygiène de vie. Comme une manière de réponse à ce besoin d'écriture et de rencontre avec l'autre, essentiel et pourtant longtemps réprimé et contenu par un sentiment de vacuité et d'insuffisance. Plus même que le confort personnel que m'apporte l'écriture, constater que mes textes ont rencontré ne serait-ce qu'un lecteur m'est devenu la source de réels petits bonheurs.

Si, comme Alain l'a écrit [1], « le bonheur dépend des petites choses », suis-je fondé à croire que de petits riens puissent engendrer de grands bonheurs ? Ces petits riens qui donnent le goût de l’autre. L’autre qui amuse, l’autre qui séduit, l’autre qu’on aime et qui aime en retour. Ou même tout simplement l'autre qu'est ce lecteur inconnu qui, un jour, par hasard, est tombé sur le blog des petits riens et en a parcouru telle ou telle autre bafouille. Ce lecteur inconnu de moi et, partant, que je ne connais pas mais que pourtant j'aime pour le moment de bonheur que la simple constatation qu'il a lu l'un de mes textes m'apporte. Tant il est bien vrai qu'on aime à être aimé. Etre aimé pour soi-même, pour ce qu'on fait, ce qu'on dit ou ce qu'on écrit. Pas pour rien.


[1] Alain - Propos sur le bonheur - Gallimard, 1928

mardi 18 février 2020

Rien du tout

As-tu déja réalisé, ami lecteur, amie lectrice, que seules quelques dizaines d'ancêtres t'ont précédé(e) depuis l'époque où Auguste, premier empereur romain, régnait en maître absolu sur l'ensemble du bassin méditerranéen en imposant au monde la pax romana et où, quelque part en Galilée, naissait Jésus de Nazareth ? 

Si l'on veut bien, en effet, considérer que chaque siècle voit se suivre trois ou quatre générations (en moyenne), et qu'en mille ans au plus quarante génération se seront succédées, alors seulement quatre-vingt ancêtres au maximum (moins de cent êtres humains! moins que l'addition des joueurs des équipes du tournoi des six nations...) nous séparent directement de l'époque de la naissance du Christ (ou nous y relient...) Autant dire, rien du tout à l'échelle de l'univers.

Et si l'on veut alors bien accepter que nous ne sommes pas le fruit du néant - des êtres issus de rien - peut-être pouvons-nous trouver un sens à notre humanité par les liens du sang qui nous rattachent, directement, à tous ceux qui nous ont précédé; à leurs joies, à leurs peines, à leurs angoisses, à leurs désirs. Tel est sans doute le lien de la vie qu'il nous est si difficile de percevoir et impossible à expliquer. Si notre naissance nous fait bien advenir dans un univers qui nous semble chaotique et dont le sens nous échappe le plus souvent, ce qui peut faire sens c'est ce rapport, pas si lointain, ce lien avec ceux qui nous ont précédé et la conscience que d'autres nous succèderont, ce qui fait alors de nous des êtres en vie, c'est à dire, en devenir.

Vivre, comme l'a si bien écrit François Cheng [1], c'est advenir et devenir. Et, si je peux m'autoriser un ajout, je dirais aussi : parvenir. Advenir, devenir et parvenir jusqu'à la toute dernière étincelle de vie qui nous sépare de la mort.  Car envisager que nous ne sommes pas le fruit du hasard et du néant mais bien reliés à la ligne de vie (la lignée) de ceux qui nous ont précédés, c'est poser clairement la question de la mort. Puisque nous acceptons l'idée que nous ne sommes pas issus de rien, qu'est-ce qui nous contraint à croire que, mort, nous retournerions au néant ? 

L'heureux paradoxe qui affleure c'est que, bien que nous soyons des êtres humains, c'est à dire des êtres pensants et, partant, conscients de notre état de mortels, rien ne nous condamne heureusement à n'envisager la vie qu'au regard de son inéluctable finitude. Je crois même, comme je l'ai déja ici écrit, que ce qui fait aussi, et surtout peut-être, de nous des êtres humains c'est notre état d'êtres spirituels, c'est à dire notre capacité à aborder la transcendance, en sachant porter notre regard au-delà du perceptible et des possibilités de l'intelligible. Et à considérer parfois l'idée que, d'un certain point de vue, l'univers n'est peut-être pas aussi désordonné qu'il y paraît. Un ordre né du chaos...



dimanche 9 février 2020

Rien d'étonnant

"L'amour pour principe et l'ordre pour base, le progrès pour but", tels sont les fondements de l'église positiviste créée par Auguste Comte, un "culte sans dieu" qui proclame l'amour de l'humanité. Nous en reparlerons peut-être un jour en évoquant le quartier parisien du Marais où l'oeil averti peut encore trouver, près de la place des Vosges, la dernière chapelle positiviste de France et quelques souvenirs de voyages au Brésil, dont la devise nationale, emprunt direct et revendiqué à Comte, est "ordre et progrès"...

En parlant d'église, il me revient quelques souvenirs de voyages au Japon.

M'étant rendu à Kyoto avec un ministre qui souhaitait agrémenter son voyage officiel en allant admirer la floraison printanière des cerisiers le long du chemin de la philosophie du quartier de Higashiyama, j'y ai fait la connaissance d'un jeune prêtre catholique français, enseignant à des étudiants nippons le Kanshi, ou "poésie han", forme poétique traditionnelle japonaise ancienne de l'époque médiévale, dont l'écriture, en chinois classique, différente de toute langue chinoise écrite moderne, la rend difficilement accessible au contemporain. Cet enseignant-chercheur en littératures et langues anciennes, latiniste et helleniste de formation, avait commencé à élargir le spectre de son talent en s'intéressant aux langues scandinaves oubliées, et particulièrement au vieux norrois puis, sa curiosité l'avait amené à s'intéresser à plusieures langues du moyen et du lointain orient. 

Qu'est-ce qui avait pu conduire les pas de ce jeune curé breton polyglotte jusqu'à l'Université de Kyoto ? Je ne le sais toujours pas. Le personnage était fort intéressant. Acceptant un rôle de guide culturel, il nous avait accompagné au long de notre périple et notamment un après-midi, pour assister à une cérémonie traditionelle du thé, dans un maison éponyme où il nous fallut patienter plusieurs heures, sans bien saisir toute la signification de ce qui se passait devant nous, pour pouvoir enfin déguster, en guise de gratification, deux toutes petites tasses de thé Matcha.

Le soir venu, je l'ai invité à dîner dans un restaurant local de son choix où j'ai pu, non seulement apprécier la large gamme de la gastronomie locale, mais aussi goûter quelques Saké d'anthologie. A la fin du repas, à l'heure des confidences, il me raconta qu'il entretenait avec un personnage important de la Curie Romaine, une correspondance philosophique intense. Cette conversation qu'il reprenait presque tous les soirs, une fois la nuit tombée, par échanges de mails avec le Pape - puisque je comprenais que son interlocuteur n'était autre que le successeur de Pierre, évêque de Rome et chef de l'église catholique - cette conversation donc avait pour caractéristique de se faire en araméen. La langue du Christ sur le Net (!?!) Au Japon, pays où dialoguent sans cesse tradition et modernité, rien d'étonnant me diras-tu... Sans-doute ces deux érudits s'étaient-ils trouvés et ils prenaient plaisir à échanger dans cette lingua franca de l'empire Perse, langue véhiculaire historiquement employée pour exprimer des idées religieuses, et qui resta l'une des principales langues écrites du moyen-orient pendant près de 3 000 ans.

Dans le Shinkansen qui filait à plus de 300 km/h vers Tokyo, nous échangions encore sur cet étonnant homme d'église avec le directeur local de l'opérateur de l'Etat que je dirigeais alors, qui visiblement le connaissait bien et appréciait à sa juste mesure mon étonnement. Il me dit alors qu'il avait, parmi ses amis, un autre prêtre français, installé lui dans la capitale et que, si le coeur m'en disait et les effets de la fatigue ne se faisaitent pas trop sentir, il pourrait me le présenter, mais uniquement à la nuit venue. Mais pourquoi donc devoir attendre que la nuit tombe pour rencontrer un prêtre, me diras-tu ?

J'acceptais et ruminais le reste de la journée mon impatience à rencontrer ce "prêtre de nuit"...

Malheureusement, nous dûmes renoncer car les effets du décalage horaire et l'éreintement consécutif à notre périple à Kyoto eurent raison de ma curiosité. Cependant, le lendemain, avant de quitter l'empire du soleil levant, je demandais à Jean de m'en dire un peu plus. Il me compta alors l'histoire incroyable de cet autre clerc, un dominicain, qui tenait un bar de nuit à Tokyo et qui, l'alcool et la lassitude aidant (peut-être...), confessait et baptisait tardivement des white collars enivrés de bière, de whisky et de Saké. Incroyable et pourtant véritable histoire que m'a livrée cet ancien officier de marine marchande ayant posé, en escale, son sac à Tokyo, pour ne jamais plus en repartir. Je ne l'appris que plus tard, mais lui-même était devenu au fil du temps un personnage connu et reconnu du principal culte de cet étonnant pays. Tant et si bien qu'il avait même accédé à une manière de prêtrise shinto, cette religion spécifique au Japon, au caractère tout à la fois animiste et polythéiste, prisée et pratiquée par plus de 80 millions de japonais. Ainsi, installé au Japon depuis vingt-sept ans, il avait à plusieurs reprises eut l'honneur de participer, en tant qu'officiant, au traditionnel Kagami Biraki, cérémonie shinto à l'occasion de laquellle, chaque 11 janvier, pour célébrer l'entrée dans la nouvelle année, il est de coutume de briser un tonneau de Saké.


Et, paré d'un kimono cérémoniel et sceint du traditionnel bandeau Hachimaki, celui-là même qu'arboraient, dans leurs folles missions suicides, les Kamikazes plongeant en piqué sur les navires de la Navy, l'ancien marin en avait brisé des tonneaux de Saké...

J'ai quitté le Japon et ses mystères. Rien d'étonnant me diras-tu. 



mardi 14 janvier 2020

Sur l'impression de n'être rien

Une récente discussion de fin de soirée entre amis nous a conduits sur le chemin de ce sentiment de vide qui parfois nous étreignait. Cette douloureuse impression de "n'être rien" que l'on peut ressentir parfois. Je te livre ici les quelques réflexions que ce sujet a, depuis lors, suscité chez moi...

Dans une époque où l’humanité ne semble plus agir qu’instinctivement, dans l’instantanéité de la réponse à un "post" sur un "réseau social" ou la réaction à une image fugace sur un "service de partage de photographies" (convient-il même encore de parler de photographie ?...), où seule compte la satisfaction immédiate des pulsions, il serait bon de nous rappeler que c’est d’abord le fait d’être doté d’un esprit qui fait de nous des êtres humains. Car, n'en déplaise à certains, nous sommes bel et bien des êtres spirituels. Libres et responsables.

En effet, être humain c’est accepter que liberté et responsabilité caractérisent notre existence. Dans le sens où, d'une part, nous avons le loisir et l'aptitude de dompter notre part animale et de nous libérer de l’influence de nos instincts pour faire appel à notre capacité à décider par nous-même et en appeler à ce que Viktor E. Frankl désigne comme « la liberté de la volonté humaine ». Et, d’autre part, qu'en être responsable nous sommes d'abord responsable envers nous-même, pour pouvoir davantage l’être envers les autres, mais aussi à l’égard de l’environnement qui nous entoure et dans lequel nous évoluons. Et peu importe alors le degré d’insatisfaction ou de frustration que nous pouvons avoir vis à vis de l’existence. Le simple fait de nous interroger sur notre vacuité et de porter sur la vie un regard qui peut être, au mieux dubitatif, au pire désenchanté, prouve notre état d'être pensant; doté d'un esprit; pour tout dire, spirituel. Questionner le sens de sa vie et, partant questionner son existence même n’est-ce pas, à l'instar du rire bergsonien, le propre de l’homme?

Car en tant qu'homme, à la différence des autres êtres vivants, nous ne nous contentons pas d’être mais nous pensons et décidons ce que nous sommes. Et que cette décision soit consciente ou inconsciente n’aliène en rien notre liberté de choix. Nous sommes libre de faire, de ne pas faire, voir même de ne rien faire et laisser faire. Et que nous ayons - ou pas - conscience de ce qui nous a conduit à opérer tel ou tel choix importe peu au fond.

L’autre élément constitutif majeur à mes yeux de notre état d’être humain est la conscience de notre finitude d’être mortel. Le caractère temporel et temporaire de notre existence est, en soi, un paramètre tangible et factuel de notre existence. Je suis puisque je sais que demain je ne serai plus.

La seule question pourrait alors être de savoir si cet homme que je suis est bien celui que je rêvais d'être. Mais cette question n’est sans doute pas d’importance car, dans le même temps, comment saurais-je que rien dans l’homme que je suis n’évoque l’homme que j’aurais pu être ?

Je te laisse, cher lecteur, à ta réflexion...

mardi 31 décembre 2019

Un rien de vent

Il me revient en mémoire le souvenir d'une nuit de réveillon sous les tropiques. 

Sur la route du retour qui me faisait traverser les bananeraies et les champs de canne du sud de la Martinique, la seule station de radio locale que j’arrivais a capter à peu près sur le mauvais tuner de la voiture de location retransmettait une émission musicale nocturne de France Inter. J’ai redécouvert à cette occasion l’incroyable Funeral for a friend/Love lies bleeding d’Elton John qui - à l'instar, pour ceux de mes amis du Bus qui s'en souviennent, de la version live du Mirage de Jean-Luc Ponty apportant un point final aux nuits de la rue Fontaine - venait conclure le set. Un choc!

Dans ce noir si intense de la nuit tropicale, les plus de onze minutes de ce morceau d’anthologie m’ont accompagné jusqu’à Grande Anse et m'ont empêché de succomber à la moite torpeur. Un rien de vent, une cloche qui sonne, un sifflement dans le lointain, quelques notes sur un synthé... puis soudain le piano. 

Je le place désormais dans mon panthéon pop/rock personnel au même niveau que Bohemian Rhapsody. Mêmes envolées lyriques, même mélancolie profonde, même force brutale des riffs de guitare. De Goodbye yellow brick road, fabuleux double album enregistré au studio d’Herrouville, qui tournait beaucoup sur la platine de ma chambre adolescente en 73/74, j’aimais surtout la rage agressive et empreinte de glam de Saturday night's alright for fighting (qui a toujours évoqué pour moi les Who) et l'étrange groove un peu boogie de Bennie & the jets. Comment ai-je pu passer à côté de cet immense titre signé Dwight/Taupin, qu’il m’a fallu attendre plus de 30 ans pour apprécier à sa juste valeur ?

En souvenir des années 70 et de ce réveillon de la Saint Sylvestre 2004, et pour accompagner le passage à la nouvelle année, j'espère que, comme moi, tu apprécieras de réécouter ce titre. Un rien de vent...

"Oh it doesn't seem a year ago to this very day..."



Bonne année 2020 !