dimanche 9 février 2020

Rien d'étonnant

"L'amour pour principe et l'ordre pour base, le progrès pour but", tels sont les fondements de l'église positiviste créée par Auguste Comte, un "culte sans dieu" qui proclame l'amour de l'humanité. Nous en reparlerons peut-être un jour en évoquant le quartier parisien du Marais où l'oeil averti peut encore trouver, près de la place des Vosges, la dernière chapelle positiviste de France et quelques souvenirs de voyages au Brésil, dont la devise nationale, emprunt direct et revendiqué à Comte, est "ordre et progrès"...

En parlant d'église, il me revient quelques souvenirs de voyages au Japon.

M'étant rendu à Kyoto avec un ministre qui souhaitait agrémenter son voyage officiel en allant admirer la floraison printanière des cerisiers le long du chemin de la philosophie du quartier de Higashiyama, j'y ai fait la connaissance d'un jeune prêtre catholique français, enseignant à des étudiants nippons le Kanshi, ou "poésie han", forme poétique traditionnelle japonaise ancienne de l'époque médiévale, dont l'écriture, en chinois classique, différente de toute langue chinoise écrite moderne, la rend difficilement accessible au contemporain. Cet enseignant-chercheur en littératures et langues anciennes, latiniste et helleniste de formation, avait commencé à élargir le spectre de son talent en s'intéressant aux langues scandinaves oubliées, et particulièrement au vieux norrois puis, sa curiosité l'avait amené à s'intéresser à plusieures langues du moyen et du lointain orient. 

Qu'est-ce qui avait pu conduire les pas de ce jeune curé breton polyglotte jusqu'à l'Université de Kyoto ? Je ne le sais toujours pas. Le personnage était fort intéressant. Acceptant un rôle de guide culturel, il nous avait accompagné au long de notre périple et notamment un après-midi, pour assister à une cérémonie traditionelle du thé, dans un maison éponyme où il nous fallut patienter plusieurs heures, sans bien saisir toute la signification de ce qui se passait devant nous, pour pouvoir enfin déguster, en guise de gratification, deux toutes petites tasses de thé Matcha.

Le soir venu, je l'ai invité à dîner dans un restaurant local de son choix où j'ai pu, non seulement apprécier la large gamme de la gastronomie locale, mais aussi goûter quelques Saké d'anthologie. A la fin du repas, à l'heure des confidences, il me raconta qu'il entretenait avec un personnage important de la Curie Romaine, une correspondance philosophique intense. Cette conversation qu'il reprenait presque tous les soirs, une fois la nuit tombée, par échanges de mails avec le Pape - puisque je comprenais que son interlocuteur n'était autre que le successeur de Pierre, évêque de Rome et chef de l'église catholique - cette conversation donc avait pour caractéristique de se faire en araméen. La langue du Christ sur le Net (!?!) Au Japon, pays où dialoguent sans cesse tradition et modernité, rien d'étonnant me diras-tu... Sans-doute ces deux érudits s'étaient-ils trouvés et ils prenaient plaisir à échanger dans cette lingua franca de l'empire Perse, langue véhiculaire historiquement employée pour exprimer des idées religieuses, et qui resta l'une des principales langues écrites du moyen-orient pendant près de 3 000 ans.

Dans le Shinkansen qui filait à plus de 300 km/h vers Tokyo, nous échangions encore sur cet étonnant homme d'église avec le directeur local de l'opérateur de l'Etat que je dirigeais alors, qui visiblement le connaissait bien et appréciait à sa juste mesure mon étonnement. Il me dit alors qu'il avait, parmi ses amis, un autre prêtre français, installé lui dans la capitale et que, si le coeur m'en disait et les effets de la fatigue ne se faisaitent pas trop sentir, il pourrait me le présenter, mais uniquement à la nuit venue. Mais pourquoi donc devoir attendre que la nuit tombe pour rencontrer un prêtre, me diras-tu ?

J'acceptais et ruminais le reste de la journée mon impatience à rencontrer ce "prêtre de nuit"...

Malheureusement, nous dûmes renoncer car les effets du décalage horaire et l'éreintement consécutif à notre périple à Kyoto eurent raison de ma curiosité. Cependant, le lendemain, avant de quitter l'empire du soleil levant, je demandais à Jean de m'en dire un peu plus. Il me compta alors l'histoire incroyable de cet autre clerc, un dominicain, qui tenait un bar de nuit à Tokyo et qui, l'alcool et la lassitude aidant (peut-être...), confessait et baptisait tardivement des white collars enivrés de bière, de whisky et de Saké. Incroyable et pourtant véritable histoire que m'a livrée cet ancien officier de marine marchande ayant posé, en escale, son sac à Tokyo, pour ne jamais plus en repartir. Je ne l'appris que plus tard, mais lui-même était devenu au fil du temps un personnage connu et reconnu du principal culte de cet étonnant pays. Tant et si bien qu'il avait même accédé à une manière de prêtrise shinto, cette religion spécifique au Japon, au caractère tout à la fois animiste et polythéiste, prisée et pratiquée par plus de 80 millions de japonais. Ainsi, installé au Japon depuis vingt-sept ans, il avait à plusieurs reprises eut l'honneur de participer, en tant qu'officiant, au traditionnel Kagami Biraki, cérémonie shinto à l'occasion de laquellle, chaque 11 janvier, pour célébrer l'entrée dans la nouvelle année, il est de coutume de briser un tonneau de Saké.


Et, paré d'un kimono cérémoniel et sceint du traditionnel bandeau Hachimaki, celui-là même qu'arboraient, dans leurs folles missions suicides, les Kamikazes plongeant en piqué sur les navires de la Navy, l'ancien marin en avait brisé des tonneaux de Saké...

J'ai quitté le Japon et ses mystères. Rien d'étonnant me diras-tu. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire