mercredi 25 mars 2020

Un rien d’éthique

A propos du débat, souvent vif, qui se développe sur tel traitement qu'il conviendrait, affirment certains, ou pas, pontifient d'autres, d'administrer aux malades les plus gravement atteints du Covid19, on évoque aujourd'hui beaucoup la question du choix. Au fond, la seule vraie interrogation qui vaille serait peut-être de se demander s’il y a une position qui pourrait être considérée comme plus éthique que l'autre ?

Peut-on, en période "d'état d'urgence sanitaire", s'autoriser à déroger aux règles de prudence et prescrire aux malades un traitement qui, bien qu'il n’a pas encore été scientifiquement validé, parait  à beaucoup comme porteur d'espoir, et alors même qu’aucun autre soin efficace n’a encore été trouvé ?
ou,
convient-il de privilégier l'application, en toutes circonstances, du principe de précaution et respecter scrupuleusement des protocoles scientifiques établis, au risque de ne pas sauver des vies ?

Si, en effet, le rapport risque/bénéfice doit être en permanence au cœur - si j’ose dire - du raisonnement médical, nous faisons bien là face à une question éminemment éthique. Il s'agit non seulement de déterminer ce qui devrait être, au sens kantien, mais bien de se demander ce qui serait le mieux pour les malades ? Foin de morale partagée ou de règle normative qui s'imposerait à tous à ce stade, mais bien plutôt une question essentiellement personnelle, une interrogation toute intérieure, s'évaluant au degré d'empathie de chacun et à sa capacité à ne mesurer le caractère bon ou mauvais de ses actes qu'à raison de leurs conséquences pour les autres.

Le spectre des valeurs fondatrices de la pensée, qui est sensée précéder l'action, est extrêmement large. Entre altruisme et utilitarisme, pensée magique et irrationnelle et scientisme zététique (trop) zélé, les débats médiatiques actuels en sont une parfaite illustration.

Guerre des ego, jalousies, ambitions contrariées, frustrations mal digérées... les certitudes mandarinales s'opposent et étalent leurs divergences sur les plateaux télé, façon discussions de comptoir, aux yeux d'un grand public décontenancé et perdu. La parole publique donne, elle, parfois le sentiment d'errer au gré des derniers avis scientifiques émis, multipliant la création de conseils et de comités "stratégiques", au risque pour la démocratie d'un gouvernement de techniciens. Quant aux journalistes et chroniqueurs en tous genres, ils apparaissent subitement devenus instruits en tout et s’érigent, par la grâce cathodique, en arbitres des débats scientifiques.

On nage en pleine folie médiatique et l'inactivité forcée fournit, pour nombre d'entre-nous, la possibilité d'assister en direct à des controverses auxquelles j'avoue, pour ma part, ne pas entendre grand chose. Chacun y va de son avis et les réseaux sociaux sont tout à la fois le théâtre et le terrain d'expression de soutiens inconditionnels, parfois irréfléchis, d'anathèmes, souvent exagérés, de joutes houleuses et de prises de positions "expertes", tout autant définitives qu'elles sont souvent totalement infondées. Certes, le droit à l'information est un droit au moins aussi essentiel que la liberté de pensée, mais l'un comme l'autre ne devraient pouvoir s'exercer en s'exonérant des règles morales supérieures que sont l'honnêteté, la bienveillance, la responsabilité et la tolérance.

Et si, demain, la morale personnelle qui fonde notre éthique devenait une dimension permanente et conscientisée de chacun de nos comportements ? Et si, au-delà de ces questions d'éthique médicale, la crise actuelle nous permettait de nous poser enfin la question du sens que nous voulons bien, chacun, donner à notre vie ? Que sont les valeurs qui fondent les idéaux que nous poursuivons, les principes sur lesquels reposent nos actions et jusqu'où sommes-nous prêts à nous engager pour défendre les normes et les règles sociales qui les encadrent ? Et si, chacun d'entre-nous, acceptait d'introduire un rien d'éthique dans sa vie ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire