samedi 28 mars 2020

Rien d'autre

Ma grand-mère maternelle, Simone, a, tristement, été orpheline de père à 5 ans. Il est, comme tant d'autres, mort pendant l'hiver 1918/1919 des suites du virus de la grippe espagnole. Simone - qui est décédée dans sa cent-quatrième année - m'en parlait encore peu de temps avant de nous quitter, en 2018, et, confiante qu'elle était dans les progrès de la science, c'était pour se féliciter que ceux de ma génération et celle de mes enfants puissent être garantis de ne pas avoir à revivre un tel fléau. Plus de quatre-cent mille de nos compatriotes sont en effet morts en ces mois terribles, où le monde sortait tout juste de la grande guerre, des suites de cette pandémie qui aura été plus meurtrière à l'échelle de la planète que le premier conflit mondial, et même si les statistiques, à l'époque comme aujourd'hui encore, peuvent toujours être sujettes à questions, puisque les estimations vont allègrement de vingt à cinquante millions de morts! 

Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher d'éprouver une forme de soulagement qu'elle nous ait quittée avant que les faits ne viennent malheureusement lui donner tort. Quelle aurait pu être la réaction de cette femme qui avait traversé le siècle et ses drames, faisant toujours face tout en gardant au cœur la blessure intime de la tragique disparition de son (jeune) père, face à cette nouvelle catastrophe sanitaire ?

Cette pandémie, qui s'étend inexorablement à l'ensemble du monde, nous rappelle, une fois encore, que malgré notre science et toute notre fatuité d'êtres humains et pensants, nous sommes (presque autant qu'au début du siècle précédent) démunis face aux attaques invisibles d'une particule infectieuse microscopique qui utilise et retourne contre nous notre propre machinerie cellulaire. 

Un siècle a passé depuis la grippe espagnole. Et ?

Les palinodies médicalo-médiatiques des dernières semaines ne font pas illusion. Jamais avare d'étaler aux yeux du monde sa "science", la Faculté glose et s'écharpe devant les caméras des chaînes infos. Les journalistes ne parlent plus que de çà. Le passage à la TV d'un directeur d'administration centrale, qui égrène les statistiques du nombre de malades et de morts, est désormais devenu le grand rendez-vous quotidien de l'info! Et ?

En fait, personne ne sait de façon certaine comment combattre le virus autrement qu'en nous cachant derrière des masques et en nous cloîtrant chez nous, pour, en s'isolant, essayer de le tenir à distance. Et ?

On nous informe aujourd'hui que les deux semaines qui arrivent seront encore plus difficiles. Mesure-t'on les conséquences pour des citoyens confinés, inquiets pour leur santé et celle de leurs proches, préoccupés par leur situation professionnelle et paniqués à l'idée des conséquences de la crise économique encore à venir, des discours officiels alarmistes, répétés en boucle, dont le caractère anxiogène ne peut laisser personne indifférent ? 

Toute voie discordante, même - et surtout - si elle peut susciter un début d'espoir, est vilipendée sur les plateaux, menacée, parfois traînée dans la boue et discréditée dans le sérieux de son travail. Les tenants de la doxa académique sont là pour veiller, (sur)veiller et, surtout, ne laisser aucune autre émotion s'installer que la peur... 

"Françaises, Français, ayez confiance et soyez rassurés apeurés: Demain sera bien pire qu'aujourd'hui, et rien ne nous garantit pour après-demain!" La transparence ne devrait-elle pas avoir certaines pudeurs, à défaut de limites ? Vanité des vanités...

On ne parle plus que de malades, de morts, de la mort...

Et la vie ?
Ne pourrait-on pas un peu parler de la vie ? D'une vie qui ne se résumerait pas seulement à des journées entières de (triste) confinement ponctuées de quelques secondes d'exaltation collective et planifiée, chaque soir, en ces instants fugaces où un peuple reconnaissant applaudit et gueule de conserve pour rendre, à sa fenêtre, un sonore hommage aux soignants. Ce "geste citoyen", bien que j'en approuve les raisons profondes, ne me rappelle rien d'autre que ces fêtes qui tombent à dates fixes et que chacun, même s'il en a perdu le sens et la valeur, se croit obliger de célébrer. Instinct grégaire ou réelle manifestation spontanée de soutien ?  Geste de sympathie reconnaissante ou simple besoin de sortir pour se retrouver et partager ?

A cet instant, il me revient en mémoire ces récits d'anticipation, que je lisais en abondance lorsque j'étais adolescent, des histoires à faire peur où quelques survivants, tout ce qui restait des hommes, vivaient confinés, sous terre ou dans quelque abri, pour se protéger d'une atmosphère viciée et porteuse de virus mutants et mortels. Et puis, un jour, un héros, un saint ou un fou, finissait par sortir. Il découvrait alors une terre régénérée où la nature avait repris ses droits, mais où un semblant d'humanité, réduite à l'état de zombies cannibales, s'entre-dévorait pour survivre.

Bon, mais après tout, çà n'était que science-fiction. Et comme le disait ma grand-mère : "Je ne souhaite vraiment pas que vous ayez un jour à vivre ce que nous avons vécu. Heureusement, çà n'arrivera plus jamais..."

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