jeudi 26 janvier 2017

Le vide, c'est pas rien !

Où l'on voit bien que le monde n'existe que par nos yeux et que seul le regard que nous portons sur les choses les fait devenir ce que nous pensons qu'elles sont.

Entendu lundi matin dans le train cette phrase à première vue un peu étrange, mais au fond peut-être pas si absurde : "Je m'attendais à être à côté de toi mais finalement, c'est toi qu'est à côté de moi..."

Reprenant, d'une certaine façon, le fil de ma réflexion sur l'interprétation, j'en arrive à considérer que cette simple phrase pose, en l'illustrant, un nouveau type de problème :  celui de la dualité; où "un + un" fait bien "deux" mais est aussi "un". En effet, cette phrase adressée par une personne à son voisin exprime bien deux points de vue, à priori distincts et qui pourtant n'en font qu'un. En effet, quelle que soit la manière de l'exprimer, les deux membres de la même phrase, reliés par la conjonction de coordination ont bien pour objet de décrire une seule et même situation abordée de deux points de vue différents mais pourtant en correspondance, par une seule et même personne. 

Est-ce la position adoptée - et donc la vision qui en découle - qui changerait la perception ? Une question d'angle seulement ? Vraiment ? Alors pourquoi cette petite phrase, si anodine, résonne-t-elle avec autant d'écho à mon oreille ? Tout serait-il relatif  ? 

Le monde tel que  nous le percevons c'est celui que nous voyons, entendons, sentons, goûtons, touchons; c'est à dire tel que nous l’enregistrons avec nos sens. A l’intérieur de notre Cortex se constituent les images correspondant à ce que nos sens ressentent et auxquelles nous associons des représentations mentales. Au fond, les choses n'auraient pas de nature propre, pas d'être en soi. S'introduit alors une forme d'acceptation de l'inexistence de toute essence, de la vacuité, du vide, du néant...

Mais quelle image nous faisons nous du vide ? Comment représenter ce que l'on décrit parfois comme "l'absence de matière dans une zone spatiale" ? Notion très difficile à définir, le vide est en physique communément admis comme ce qui reste quand on a tout enlevé; une absence de présence, une absence de matière, une absence de vie; parfois représenté en art par un cube aux surfaces transparentes, sans rien à l'intérieur.

pompe à vide
Le vide n'est vide que par ce qu'il nous apparaît comme tel. Nos sens ne peuvent percevoir par exemple que le vide interstellaire est en fait un mélange de gaz, de rayons et de poussières cosmiques. Sans même aller jusqu'à dire comme en physique quantique que le vide est plein, on peut simplement considérer que le vide n'est pas vide. Certains projets scientifiques ont même pour seul objectif de démontrer par l'expérimentation que, par la technique dite de claquage du vide, il serait possible, au moyen d'un laser de très grande puissance, de générer des particules élémentaires à partir du vide... Des petits riens issus du néant!

Autre forme de vide, le vide existentiel. Celui qui se caractérise par un sentiment d'ennui généralisé associé à un état dépressif créant une condition psychologique négative; un exil en soi, une absence. Ce grand vide qui fait peur, qui aspire, malgré soi, dans une sensation proche du vertige. Celui qui s'installe quand toute espérance semble avoir disparu. Pour illustrer une nouvelle fois le caractère relatif des choses je te dirai, cher lecteur, que, dans le même temps, certaines philosophies prônent en appui des techniques de méditation qu'elles recommandent, un usage positif et curatif du vide. Pour aller mieux, il conviendrait d'arriver à "faire le vide en soi". Le vide pour ne plus avoir peur de ne pas être rempli ? Se prouver qu'on existe en faisant le vide... Quel paradoxe! A moins que tout ce vide créé ne fournisse, au fond, l'opportunité d'un nouvel espace à remplir ?

Au fond, le vide c'est pas rien !


mardi 17 janvier 2017

Des riens qui grandissent

Le "blue monday". Le  troisième lundi de l'année qui marquait le début de la semaine est censé être le jour le plus déprimant.

La déprime traditionnelle qui marque la fin du weekend y serait accentuée par un ciel gris et peu lumineux, le froid (en janvier, quelle surprise!...), des comptes bancaires au plus bas, en raison des étrennes et des fêtes; et, conséquence des excès lié à la même raison, un léger surpoids sur la balance; fini - déjà ! - les bonnes résolutions du début de l'année, pas envie de se lever ni d'aller bosser... C'est le blues de la mi-janvier !

Moi, mon blues du début de la semaine serait plutôt le fruit de ces petits renoncements qui - parfois - nous affectent, sans même seulement que nous nous en rendions compte. Comme la nouvelle, qui aurait pu passer totalement inaperçue, de ce projet de ratification concernant l'abandon de la souveraineté de la France sur Tromelin (sur quoi ?...).

Si, si, Tromelin! l'île de Tromelin! Une des cinq îles Éparses (Bassas da India, Europa, Juan de Nova, Glorieuses dans le canal du Mozambique et Tromelin)  qui forment - au cas fort improbable où tu l'aurais oublié - le 5ème district des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Un (tout) petit morceau de France, une "poussière d'empire", certes, mais un morceau d'une République qui est, comme l'exprime si bien notre Constitution, "Indivisible". Ce qui induit non seulement de mon point de vue l'unicité du peuple français mais porte également que la souveraineté nationale ne saurait s'aliéner.

L'îlot de Tromelin
Située au septentrion de la Réunion et visitée régulièrement par des agents de l'administration des TAAF, l'île de Tromelin découverte en 1722 par un navire français de la Compagnie des Indes, classée en réserve naturelle depuis les années soixante-dix, est  principalement peuplée de colonies d’oiseaux  marins (Frégate du Pacifique, Frégate ariel, Fou masqué, Fou à pieds rouges, Sternes… ) et de milliers de bernard-l’ermite. Territoire au format de confetti, il n'en demeure pas moins que c'est une partie de la France et qu'il bénéficie à lui seul d'une zone économique exclusive presque aussi importante que celle de la métropole. C'est ce territoire, et la richesse patrimoniale considérable qu'il génère en droit maritime, qu'un traité dit «de cogestion» devait céder à l'Île Maurice sans contrepartie aucune si l'Assemblée Nationale l'avait ratifié le 18 janvier. Au-delà du cas d'espèce, ce vote de ratification, s'il était intervenu, risquait de marquer le début du démantèlement de notre domaine maritime (qui est le deuxième du monde avec 11 millions de km²).

Bonne nouvelle! Ce texte, qui avait déjà disparu de l'ordre du jour de la séance publique en 2013 et n'avait jusqu'alors jamais été réinscrit, a de nouveau été retiré par le Gouvernement, sous la pression d'une campagne active qui s'est  notamment déployée sur les réseaux sociaux.

Les îles éparses, les Kerguelen, les Chesterfield, les îlots Hunter et Matthew, Clipperton, Crozet, Saint Paul... Tous ces petits riens, par la grâce des règles du droit international, permettent au drapeau tricolore de flotter sur des terres aux noms très exotiques et font potentiellement de la France une (très) grande puissance maritime.

Alors, sans nostalgie ni regrets d'un empire aux mauvais relents coloniaux, on peut quand même se prendre à rêver et comme l'écrivit en évoquant notre pays avec tant de justesse Cioran, croire encore que  "la France est grande par des riens".

mardi 10 janvier 2017

Ne vous occupez plus de rien

Alphonse Allais préconisait, en son temps, de " construire les villes à la campagne car l'air y est plus pur".

Et ce qui apparaissait alors comme le mot d'esprit absurde d'un humoriste, voir une forme d'oxymore, est en passe de devenir une réalité au Royaume-Uni. Reprenant l'utopique idée des familistères et des "villages jardins" du XIXe siècle, le gouvernement britannique vient d'initier le projet de - littéralement - bâtir des villes à la campagne. Mais n'y-a-t-il pas un certain paradoxe à vouloir implanter de nouvelles villes en zone rurale au motif de vouloir lutter contre la densification urbaine ? Après tout, on installe bien désormais des téléphériques au bord de la mer... Je lisais, hier, dans la presse un article sur les déboires que connaît le 1er téléphérique urbain installé en France. Il se trouve à Brest et relie les deux rives de la Penfeld, fleuve côtier qui  sépare les quartiers de Siam et des Capucins. Pannes à répétition, incidents, et même accident, rien ne fonctionne comme prévu depuis sa récente inauguration! (les câbles, c'est sur, n'apprécient guère les embruns et l'air iodé chargé de sel...). Cet appareil, si peu adapté à son environnement océanique, qui était annoncé comme un progrès pour les transports urbain brestois, paraît tellement peu répondre aux attentes des utilisateurs que certains locaux facétieux l’ont déjà renommé - j'ai tout particulièrement apprécié, comme tu pourras l'imaginer, ce nom de baptême : "le télé-fait-rien"!

Au risque d’une utopie assumée, allons encore bien plus loin pour reconnaître que l'avenir idéal des transports serait sans conteste la téléportation... Ces exemples ont pour seul objet de tordre le cou à l'idée généralement partagée qu'on peut avoir une confiance aveugle dans tout ce qui est annoncé comme relevant du progrès.

C'est au nom d'un certain progrès, mais aussi paradoxalement pour lutter contre l'informatisation et, désormais, la robotisation - et leurs conséquences sur le marché du travail - que d'éminents penseurs prônent, mettant en avant la sécurité pour les uns, une forme de liberté pour d'autres, la mise en place d'un revenu universel. C'est à dire l'idée que chaque individu puisse recevoir, de sa naissance à sa mort, un revenu inconditionnel versé par l’État (sic!) et ce, quelle que soit son activité: actif ou inactif, banquier ou SDF... Le sujet revient dans le débat à l'occasion de la campagne pour l'élection présidentielle.

Encore une belle utopie. Une belle connerie, oui...

Dernier avatar de la massification, de la négation de l'individu en tant qu'être; logique poussée à l'extrême d'une société où l'idéal se résumerait à encourager la capacité à consommer. C'est la même forme de pensée qui a inspiré, avec le succès qu'on leur connaît, la création du revenu minimum d’insertion (RMI), puis du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime pour l’emploi. Une philosophie qui se résumerait - au nom du progrès de l'humanité ! - à donner à chacun, non pas selon ses besoins, mais pour que chaque individu puisse mettre en œuvre une liberté formelle, celle de pouvoir accéder à la consommation.

Sécurité matérielle d'un côté, liberté de consommer de l'autre. De bien belles idées me diras-tu! Consommez, puisque vous le pouvez!  Et, surtout, ne vous occupez plus de rien.

Sous couvert d'humanisme et de bien-pensance, je trouve là une illustration très nette, au nom du progressisme, de cette influence croissante du pernicieux croisement entre une utopie gauchiste radicale (au nom d'une "urgence sociale" et dans le but - certes louable - d'éradiquer la pauvreté) et une tradition libérale mal comprise, réduite à la plus simple expression d'une liberté qu'auraient les individus à pouvoir disposer à leur guise d'une forme de capital de départ lors même qu'ils sont soumis à la pression d'un environnement qui les encouragent d'abord à consommer.

Et je ne pose même pas la question en terme de financement et des conséquences possibles et même probables, en matière de niveau de vie, d'une hausse - inévitable corollaire de la mise en œuvre de ce revenu généralisé - de la fiscalité. Non, sur un plan simplement philosophique, cette - vieille - idée de M. Friedman qui ressurgit dans le cadre du débat entre les candidats à la primaire de la gauche me semble mettre à mal le bon sens qui à lui seul permet de comprendre, et sans pour autant que j'adhère à une quelconque forme d'idéologie du travail et à son mythe du travail émancipateur, qu’une société d’oisiveté totale est non seulement impossible mais qu'elle n'est pas même souhaitable. Mais par-dessus tout, qu'une société où tout le monde bénéficierait, demain, d'un revenu - en théorie - inconditionnel, alloué par l’État, nous rapprocherait encore davantage du  monde totalitaire décrit par George Orwell.

La sujétion de la masse, née d'une forme de fonctionnarisation universelle, deviendrait en effet, on peut le craindre, la contrepartie de ce revenu généralisé. Au risque que cette rente puisse vite être utilisée comme un véritable outil d’oblitération du moi exclusivement dédié au maintien de l'intégrité d'une société humaine niant toute singularité et réduite à l'expression la plus simple d'un marché. On arrête pas le progrès...



lundi 2 janvier 2017

Des temps pornographiques... (Transhumanisme, suite)

PornHub et autre YouPorn, sites de rencontres pour célibataires ou "extra-conjugales", pour "les hommes qui aiment les hommes", applications de "speed dating" par téléphones pour adolescents pré-pubères en mal de sensations fortes ou encore sites beaucoup plus trash, spécialisés dans le SM fétichiste, ou encore plus trash, dans la zoophilie nécrophage, accessibles via le deep web (si, si, ça existe...!)... si 69 fut pour le poète une année érotique, l'époque dans laquelle nous vivons aujourd'hui me semble être celle des temps pornographiques. Une époque où le marketing et la pornographie feraient, en quelque sorte, sexe de tout bois. Celle où - déjà - des sites commercialisent des fellations virtuelles, avec webcameuses en ligne, et où des applications promettent, pour bientôt, des "french kisses" à distance...

Coïts pixelisés, sexe digital au plaisir tarifé. Tel est le quotidien de minable satisfaction et de grande frustration d'une humanité à la libido de plus en plus en berne, en recherche d'une jouissance immédiate et globalisée. Foin d'amour dans tout cela, du sexe pour le sexe, un orgasme individualiste, consumériste et mondialisé... Sans même parler de sentiment, plus question de partenaire avec lequel partager, mais seulement d'un objet sexuel uniquement destiné à satisfaire, dans l'instant, à la pulsion de jouissance.

Prochaine étape annoncée de cette "nouvelle révolution sexuelle" : des machines à faire l'amour (sic!).

Il me revient en mémoire la lecture de quelque ouvrage qui évoquait des amours - alors jugées comme transgressives - entre  humains et cyborgs, autant d'histoires qui nous paraissaient à la fin du vingtième siècle pure science-fiction. Pourtant, bien au-delà de la simple poupée gonflable, depuis l'avènement des "real dolls" et le lancement sur le marché, annoncé pour 2017, des premiers robots sexuels,  la réalité semble désormais rejoindre la fiction. 
 
La série inspirée du film Westworld cartonne sur le petit écran et la bande-annonce de la suite de Blade Runner est déjà visible en ligne. 

Certains nous expliquent que le cybersexe, rendu possible par le rapprochement entre la robotique et l'intelligence artificielle, permettra demain d'avoir, à l'image de Rick Deckard - le blade runner héros du film éponyme déjà cité - une relation sexuelle avec un/une androïde. "Les progrès sont si rapides - indique Elisabeth Alexandre dans un article paru récemment - que, en Corée du Sud, le ministre du Commerce, de l'Industrie et de l'Energie a lancé la rédaction d'un code d'éthique destiné à réguler et moraliser les futurs rapports entre les personnes et les créatures mécanisées".  
Non, non, tu ne rêves malheureusement pas....

Alors, dans un contexte où la libido, tellement sollicitée par l’étalage d’un sexe partout et tout le temps accessible, donne, à l’image du désir affadi d’un vieux couple, des signes d’essoufflement, faut-il se résigner à ce que la prochaine étape de la relation sexuelle soit celle de l’usage commun et généralisé de sextoys interactifs ?

Si rien n'autorise encore à craindre le pire, rien  ne permet non plus d'espérer le meilleur. La pornographie - la vraie - serait donc encore à venir...

lundi 26 décembre 2016

Non, rien de rien...

"Tu ne seras jamais heureux si tu continues à chercher en quoi consiste le bonheur et tu ne vivras jamais si tu recherches le sens de la vie."
Albert Camus

Psychologie positive, printemps de l'optimisme, bouquins et conférences en tous genres, stages de "réenchantement de la relation au travail", d'épanouissement individuel ou promesse de "mieux-être" (...) dans un monde sacrifiant au culte de l’hédonisme où tout est marchandise, la promesse du bonheur est devenue un marché comme un autre si l'on en croit un dossier publié récemment dans le supplément du Monde(1).

N'étant ni scientifique, ni philosophe, encore moins journaliste, tout cela pourrait m'être  parfaitement indifférent si, dans ce domaine comme dans d'autres, l'influence d'une forme de comportementalisme ne me semblait sous-tendre cet engouement autour de la notion même d'optimisme. "Je veux donc je peux" - véritable promesse auto-réalisatrice - est en quelque sorte le nouveau mantra des tenants contemporains de la célèbre méthode d'auto-suggestion du docteur Émile Coué. Malgré les progrès fulgurants de l'informatique et des neurosciences, vouloir croire que le cerveau est un ordinateur, que la mise en œuvre d'une "reprogrammation mentale " installant "une pensée positive" suffirait à garantir le bonheur des individus c'est peut-être oublier un peu vite que l'homme ne peut se limiter à sa seule partie consciente, qu'il n'est pas une machine ou un androïde dont l'on pourrait à sa guise programmer l'humeur en passant sous silence les facteurs affectifs et les émotions! 

Chaque jour nous apporte son lot de nouvelles désespérantes sur la nature profonde de l'homme et de l'humanité... C'est malheureusement souvent chez les gens qui en auraient le plus besoin que la psychologie positive peut faire - aux dires de certains spécialistes n'ayant pas encore sacrifié à une forme de physicalisme à la mode - le plus de dégâts.

Et pourquoi d'ailleurs prôner à tout prix une approche, assez matérialiste, nécessairement positive et volontairement optimiste ? J'ai appris, avec le temps, à me contenter d'une forme de pessimisme - sans l'ennui qu'on lui accole traditionnellement, mais, au contraire, assorti d'une envie de vivre et de jouir née de l'admiration de la création et d'un amour presque contemplatif de la nature -  qui ne réserve, de fait, que de bonne surprises. N'attendant rien de bon de la vie ou de mes contemporains, chaque petite joie de l'existence n'en est que mieux appréciée à sa juste valeur. Même si cette valeur est toute relative, j'en conviens.

Vous avez dit heureux ? Comme un imbécile ? 

Un ami milanais m'a un jour enseigné que le secret de la joie de vivre de ses compatriotes résidait justement dans le fait qu'ils savaient cultiver un véritable "art de la joie" et se satisfaire des petits contentements apportés par les plaisirs du quotidien, quand les français - comme l'exprime si bien Jules Renard dans son journal: "le bonheur c'est de le chercher" - nourriraient, eux, leur insatisfaction et leur frustration dans la quête intellectuelle d'un bonheur illusoire et indéfinissable.
Plaisir de l'action opposé à une forme déprimante de conscience d'être ? Simple philosophie hédoniste s'opposant à  une forme d'approche ontologique du bonheur ? Historiette pour sourire me diras-tu, cher lecteur, sans doute mais nourrie d'un fond de sagesse populaire transalpine.

Ne faut-il pas, au fond, se contenter de ces moments de joie que la vie nous réserve parfois et abandonner l'idée de la recherche du bonheur à tout prix (à tous prix...) ? Ce serait le gage d'une forme de détachement. Mais doit-on pour autant, comme Schopenhauer, croire que la véritable sérénité ne peut être atteinte que par l'extinction des pulsions et du désir - tribut que je ne suis pour ma part pas prêt à payer ? Non, rien de rien ne justifiera jamais de vouloir abandonner toute volonté, tout désir, il est vrai, tour à tour manque et souffrance, passion ou inclination, mais aussi source de joie et de création. Désir, source de nos émotions qui est, en ce qu'il nous tend,  le moteur même de nos vies. Désir de désir et désir de l'Autre qui au fond nous rend tellement humains.


(1) Peut-on encore être optimiste ? M - le Magazine du journal le Monde – N° 275 - samedi 24 décembre 2016



mercredi 21 décembre 2016

Un rien trop d'enthousiasme...

Les réseaux sociaux ont tourné en dérision le grand élan d'emphase lyrique, frôlant presque l'hystérie, de l'un des candidats à l'élection présidentielle qui, en conclusion d'un discours fleuve tenu à l'occasion d'un meeting le 10 décembre dernier, s'est un peu laissé emporter au risque, pour gagner quelques voix, d'y perdre la sienne. A l'image de cette scène insolite de mots hurlés devant une foule en liesse, certains  observateurs de la vie publique sont  même allés jusqu'à évoquer une forme d'épectase! Pourtant, foin de destin à la Félix Faure ou de transports funestes comme ceux du Cardinal Daniélou.

Trop près du divin, au sens classique et étymologique du mot enthousiasme, peut-être. Un rien transporté et extatique, sans-doute! Survolté, c'est certain! Personnellement, ces hurlements un peu surjoués de fin de discours m'ont plutôt fait marrer et j'ai trouvé qu'ils étaient davantage le signe d'un apprentissage trop rapidement expédié et d'une absence très marquée d’exercices de travaux pratiques en matière de salles des fêtes à moitié vides, de tribunes improvisées, d’improbables estrades et de préaux ventés...

Pourtant, en y réfléchissant un peu plus, il m'est apparu que l'ancien étudiant en philosophie avait peut-être aussi puisé une source d'inspiration auprès de certaines sectes gnostiques du début du christianisme, dont l'union au divin s'exprimait souvent dans une transe hystérique et hallucinée. Un peu comme  les adeptes d'Adelphius abandonnaient toute activité de labeur pour consacrer leur vie à la prière, à l'image d'un "Parfait" messalien, l'ancien inspecteur des finances a renoncé à sa carrière dans la haute fonction publique pour se concentrer désormais sur la conversion des électeurs;  avec son mouvement "en marche!", il voudrait entraîner ses partisans à bouger, comme les Euchites qui allaient, de lieu en lieu, sans attache, au seul service de leur foi nouvelle. Ayant claqué la porte des palais du pouvoir en place, se présentant en dehors des partis, en dehors du cadre contraignant d'une élection primaire, ce candidat apparait, comme ces derniers le prônaient, indifférent à toute forme de discipline.

Si ces gnostiques prétendaient - à l'image des Derviches tourneurs soufis - entrer en communication avec Dieu par l'extase, Emmanuel Macron, puisque c'est de lui dont il s'agit,  est apparu comme possédé par la divinité et saisi de ce qui ressemblait bien à une forme de transe. Alors, emportement du débutant enflammé par une salle conquise, calcul cynique de communiquant zélé ou seulement un rien trop d'enthousiasme ?...




vendredi 18 novembre 2016

Penser dans la langue de l'autre au risque de ne plus rien comprendre ?


"Chaque mot est un assemblage instantané d'un son et d'un sens, qui n'ont point de rapport entre eux. Chaque phrase est un acte si complexe que personne, je crois, n'a pu jusqu'ici en donner une définition supportable."
                                    Paul Valéry, Variété I. Poésie et pensée abstraite.

Si l'on veut bien considérer que le monde n'existe que par nos yeux, nos pensées et les mots que nous exprimons pour le représenter et le rendre intelligible à l'autre, comment traduire notre vision dans la langue de l'autre sans la déformer ?

Dans un texte publié précédemment(1), j'évoquais l'expérience amusante de la traduction en français d'images associées à un nom par l'assistant personnel de mon téléphone "intelligent".

Aujourd'hui c'est une autre situation vécue qui me revient. Nous hébergions, il y a quelques temps, le fils d'amis argentins de Véronique. A l'occasion d'une conversation de table, elle lui fit la remarque qu'il était "sud-américain". Ce qui eut pour conséquence de le contrarier, et même de l'énerver au point qu'il s'en défendit - comme s'il se fut senti attaqué - en lui répondant de façon très véhémente qu'il était "américain".

Comment comprendre cet échange si l'on ne s'arrête pas quelques instants sur le sens différent que nous pouvons donner aux mots :
Pour un hispanisant, un "americano" signifiera toujours un habitant de l'ensemble du continent américain, alors même qu'en français un "américain" sera presque toujours compris comme un habitant des États-Unis d'Amérique (qu'on traduit en espagnol par "estadounidense"), ce qui pourrait expliquer, sinon justifier, l'agacement perceptible de Pablo. La question essentielle résiderait donc dans le « qu’est-ce que ça veut dire ? »

Dans le domaine de la linguistique s'est développée une certaine forme de relativisme connu sous l'hypothèse de Sapir-Whorf qui soutient que les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, autrement dit que la façon dont nous percevons - et donc, par voie de conséquence, nous décrivons - le monde dépend du langage qui ne serait pas seulement le véhicule de communication qui permettrait à l'être parlant d'exprimer des idées mais serait à la base même de leur conception. 

Le monde n'existerait donc que par la projection mentale que nous en faisons et celle-ci ne pourrait s'exprimer que dans les limites de notre propre langue. Certains vont jusqu'à considérer que le langage est plus réel que les choses. Dans une approche psychanalytique, Le langage préexisterait même à l’être, en tant qu’il détermine le sujet avant toute histoire, tout événement, toute réalité.

Pour créer un lien entre signifiant et signifié, il nous faut indéniablement posséder une langue (au sens de l'avoir acquise). Cette question est bien connue des traducteurs ou des acteurs, que nous appelons aussi, les uns comme les autres, en français "interprètes", dénotant par là même le besoin d'une analyse permettant une adaptation libre à même d'assurer une restitution aussi fidèle que possible.

Au fond, n'y-a t-il pas, comme l'écrit si justement Michel Bernardy dans son célèbre ouvrage de leçon de diction, "travail de traduction, de transposition constant"(2), non pas uniquement lorsque nous pratiquons une langue différente de l'autre, mais tout aussi bien parce que chacun parle sa langue personnelle, même dans une langue commune et partagée, elle-même parfois éloignée des canons de la langue officielle d'une nation ?

Peut-on pour autant en conclure qu'il y aurait autant de visons du monde que de langues différentes ? Ne peut-on pas penser au-delà des limites de sa propre langue ? Penser dans la langue de l'autre nous ferait-il prendre le risque de ne plus rien comprendre ?


2.Michel Bernardy - Le jeu verbal

vendredi 4 novembre 2016

Rien n'est plus essentiel que l'inutile

Ce matin dans ma voiture, j'ai utilisé Siri pour appeler Véronique.
Si, si, Siri, Tu vois bien ? C'est cette application sensée conférer une intelligence « parlée » à mon téléphone, pour lui permettre de se transmuter en "assistant virtuel à reconnaissance vocale"...

Dans le langage, pourtant tout robotique de cet assistant électronique, j'ai relevé une poésie qui a fait ma joie. Entendu, après avoir formulé la demande, le retour de la machine m'a fait l'effet d'une jolie composition surréaliste. A la commande "Appeler Véronique",  la machine m'a fait cette réponse : "J'appelle Véronique, cœur rouge; visage aux yeux en forme de cœurs, visages aux yeux en forme de cœurs, visage aux yeux en forme de cœurs". Jolie traduction, dans un langage descriptif et finalement pas si déshumanisé que cela, d'un nom écrit dans cette nouvelle forme d'alphabet pixelisé que sont les émoticônes, tant affectionnés des ados dans leurs échanges de messages numériques :
Alors, comme l'exprime si joliment la paronomase italienne : "Traduttore-traditore"? Pas tant qu'il y paraît et même bien au contraire. Cette traduction n'a en rien trahi ma pensée, tant cette interprétation des images analogiques associées au prénom aimé reflète dans une formule à la tournure poétique le sentiment amoureux que voulait exprimer le choix des images associées. Mais si l'on veut bien considérer que le monde n'existe que par nos yeux, nos pensées et les mots que nous exprimons par des signes pour le représenter et le rendre intelligible à l'autre, comment expliquer qu'une Intelligence Artificielle puisse dévoiler le sentiment caché derrière une icône, l'émotion derrière l'image ?
Comment traduire dans le langage de la raison, via le langage logique et binaire de la machine, le message de l'émotion ressentie qui défie toute formulation ? N'a-t-on pas là la démonstration même que derrière l'objet se cache le sens ?

Au fond, la voix humaine digitalisée(*) m'a fait ce matin encore mieux comprendre que la réalité qui semble exister n'est, dans sa nature profonde, que simple apparence sans existence substantielle autre que celle de notre perception.

Je voulais, cher lecteur, partager les quelques réflexions sur cette petite expérience avec toi.
Comme Monsieur Jourdain et sa prose, cette anecdote matinale m'a peut-être conduit à approcher, sans le vouloir, des rives de la sémiologie.
La restitution cybernétique de Siri  est venue souligner que l’objet même peut devenir lieu du sens.
Décidément, rien n'est plus essentiel que l'inutile.



(*) Derrière la voix de synthèse de Siri se cache en effet  un comédien choisi parce que " sa voix utilise des fréquences audibles par un maximum de gens" et qui a dû enregistrer des milliers de mots et de phrases permettant à la machine, en les assemblant, de rendre l'illusion de la parole humaine.