jeudi 20 mars 2014

Nul n'en saura jamais rien

A la fin de la semaine dernière, pour la première fois de ma vie, j'ai ressenti physiquement les effets de la pollution. Pour la première fois j'ai eu du mal à trouver dans l'air qui m'entourait l'oxygène si nécessaire à ma vie. Pourtant, ami lecteur, je t'assure que la soupe chimique qu'il m'est arrivé de respirer à Cracovie du début des années 90 - lorsque les proches aciéries de Nowa Huta donnaient encore à plein rendement - n'avait rien à envier à la très sulfureuse atmosphère du Beijing d'aujourd'hui.

D'augustes pédagogues m'avaient autrefois enseigné que l'air que nous respirions était composé  d'azote, d'oxygène, de gaz rares (en infime quantité) mais aussi de dioxyde de carbone, de méthane et autre ozone. La semaine passée, j'avais tout bonnement le sentiment de remplir mes poumons de merde. Alors je sais, on va m'objecter que je suis un pollueur et, une fois de plus, le méchant mâle occidental devra faire son acte de contrition et s'excuser de vivre encore. J'ai déjà  ici écrit (cf. ma chronique du 13 janvier 2013) à quel point la conduite de ma voiture automobile était pour moi le gage  toujours pleinement assumé d'une liberté individuelle revendiquée. Lundi, pour lutter contre les effets de la pollution, nos illustres gouvernants n'ont rien trouver d'autre que de me demander de laisser mon véhicule au garage.

Ayant eu la malchance de tirer, au grand loto du répertoire des immatriculations, un numéro se terminant par le chiffre 2, pour moi ce jour là fut synonyme de "pair et manque". Alors comme tant d'autres de mes contemporains, j'ai laissé mon auto au garage et j'ai marché, au prix d'une activité physique qui m'était pourtant formellement déconseillée par la Faculté. Paradoxal paradoxe.

A l'image de trop nombreuses et malheureuses initiatives de cette majorité, même cette mesure prise dans l'urgence par un Gouvernement totalement désemparé l'aura été à contretemps. Cinéma et agitation médiatique à quelques jours du premier tour des municipales... Ce n'est pas une opération de diversion encore une fois tout entière tournée contre la liberté de beaucoup de nos concitoyens qui allait améliorer les choses. Le pic de pollution était, de l'avis même des experts, déjà derrière nous.

Pour assainir notre environnement, ce n'est pas d'un mauvais usage alterné dont la France aurait grand besoin, mais d'une bonne alternance. Un hebdomadaire a choisi de ne pas publier au début du mois un sondage plaçant, sans pour autant aller jusqu'à "souhaiter son retour", DSK en tête des personnalités politiques qui  "pourraient faire mieux que François Hollande " (sic!) pour diriger la France. Un spécialiste des parties de cul fines auraient-ils mieux été qualifié pour engager la lutte contre les particules fines ? Nul n'en saura jamais rien.







dimanche 27 octobre 2013

Celui qui n'attend rien fait-il bien ? (Bis)

Soirée d'été, il est un peu tard. Demain nous quitterons la Corse. Un dernier verre avec Véronique, Seb, Zach et Wlad chez Tao, au cœur de la citadelle de Calvi. 

Soudain, alors que rien ne l'annonçait, nous allions vivre une séance de nostalgie rétro-futuriste à l'occasion d'un bœuf improvisé et inattendu d'Izia et Jacques Higelin répondant à l'invite de Tao-By.

Alors que le grand Jacques attaque seul au piano les premières notes de Banlieue Boogie Blues, les paroles de la chanson me reviennent « Parti de rien...T'as toutes les chances d'arriver nulle part »(*).

Jacques et Izia Higelin, boeuf chez Tao, août 2013


Alors je suis de nouveau l'adolescent d’Antony, ce lycéen de 1ère B bleue à qui son professeur d'économie, et professeur principal, promettait une "brillante carrière"... Que pouvait-il bien en savoir? Et quel drôle d'oracle cet adulte fort de son statut a-il fait lourdement peser sur les épaules du gamin de seize ans que j'étais. 

Bien loin de ces propos définitifs (!), en ce soir d'été 2013, je suis bien. Les garçons me regardent, un peu étonnés par mon enthousiasme, surpris même que je connaisse ce chanteur, cet air, ces paroles qui ne leur évoquent rien. Tout me revient, les mots sont là, ils coulent et je chante en chœur avec le chanteur. Je me paie même le luxe de souffler au vieil auteur-interprète à la voix cassée des paroles que le Libecciu qui souffle sur la Balagne a du emporter au large, vers le continent, loin de sa mémoire. Si en écoutant son disque dans ma chambre de la rue du Nord j'avais pensé qu'un jour je pourrais chanter avec lui...

 « Rien, je ne veux rien...
Rien, je n'attends rien du tout...
Et qui sait… » (**)

(*) Banlieue Boogie Blues - Jacques Higelin - No man's land - 1978; (**) Rien - Jacques Higelin - Alertez les bébés - 1976

vendredi 25 octobre 2013

Celui qui n'attend rien fait-il bien?

Celui qui n'attend rien fait bien. En lisant cette phrase au détour de ma lecture matinale, je perçois une forme de catéchisme pessimiste au premier abord séduisant. Pour autant, celui qui attend tout a t-il vraiment tort?  C'est une question que je me suis souvent posé.

N'espérant rien de bon - Jamais! -  j'avais, jusqu'à une période récente, tendance à considérer que cette posture ne pourrait me réserver que de, bien que rares, bonnes surprises. Il n'en fut rien.

Il y a maintenant de nombreuses années (et donc, tu me l'accorderas cher lecteur, prescription!...) je séjournais pour la toute première fois au royaume du Siam. La tête pleine des souvenirs émus de quelques "lectures" adolescentes (je fais ici référence aux œuvres immortelles d'Emmanuelle Arsan et de Gérard de Villiers...), j'abordais ce court séjour comme une aventure sensuelle et j'espérais connaître - enfin!- la  torride langueur des émois exotiques. Mais en fait d'émotion j'ai ressenti, dès la descente du taxi qui me déposait devant le Grand Hyatt Bangkok, une impression de malaise mêlée de dégoût. A peine avions-nous posé le pied par terre que des agents recruteurs aux gestes très explicites nous proposaient, photos très crues à l'appui, la farandole des plaisirs défendus dans un bouge proche. Était-ce l'effet des 11 heures 15 de vol, du décalage horaire ou le choc thermique, mais j'ai immédiatement été pris de nausée... 

Pourtant, le soir venu, après un délicieux repas partagé dans le jardin tropical d'un restaurant vietnamien proche de l'hôtel, une fois rentré dans ma chambre, je n'ai pas résisté à la tentation (désir de chair, cher désir...) de composer le numéro qui figurait en gras sur de suggestives affichettes de "room service" disposées savamment sur la table de nuit, dans la salle de bains et même au dos de la porte des toilettes, pour le cas où un client distrait les aurait manquées. A peine avais je raccroché qu'une mama-san est venue frapper à ma porte pour me proposer les services d'une jeune femme à la mise pas très sage dans sa petite robe trop courte pour être vraiment traditionnelle... Une douche pour moi, un lavage en règle des pieds pour elle et me voilà allongé sur le King-size bed de ma Deluxe room palacière.

Après quarante-cinq minutes d'un très agréable massage aux vertus toutes relaxantes, l'experte manipulatrice me proposait, en échange d'une rallonge de 1000 bahts  un "body-body... Safe, sir... Hand sex only!" aux excitantes promesses. A ce moment précis la nausée m'a repris, et malgré la sensuelle présence de cette jeune femme exotique assise sur mes cuisses dont les mains huilées frôlaient - bien accidentellement (!) - la partie la plus intime de mon anatomie, malgré le trouble érotisme de la situation, je l'ai remerciée et congédiée. J'ai rarement lu une telle incompréhension ni un tel étonnement dans le regard d'un interlocuteur. Mais sans insister, sans poser de question, elle est repassée par la salle de bain, s'est rechaussée rapidement puis elle a quitté la chambre comme elle était venue, sans un mot. 

Quelques minutes plus tard, la sonnerie du téléphone me surprit dans mon premier sommeil. La mama-san très ennuyée appelait pour s'excuser, me demandant ce qui m'avait déplu et me proposant les services d'une autre de ses masseuses. Je n'eus pas le cran de lui dire que la proposition et l'idée même de pouvoir jouir de cette façon m'avait écœurée au point de m'ôter tout désir. En fantasmant ce voyage et cette situation, j'avais eu le tort d'en trop attendre et j'en avais nourri un réel dégoût qui, encore aujourd'hui quand j'y repense, me soulève le cœur.


samedi 28 septembre 2013

Mieux vaut rire de tout que pleurer pour rien

 
Pour le regretté Pierre Desproges, on pouvait rire de tout, mais pas avec tout le monde.

Je te le demande, ami lecteur : ne vaut-il finalement pas mieux rire de tout avec tout le monde que pleurer pour rien seul dans son coin?

La question, au-delà d'une formule, mérite d'être posée. On peut aussi pleurer de rire, mais c'est une toute autre histoire...

A propos de rire de tout, il me revient en mémoire un fait-divers terrible dont je fus le témoin direct au mitan des années 2000, celui qui impliqua Bérenger Brouns, le traiteur assassin du marché Saint Martin...

Bérenger - un blase pareil, ça ne s'invente pas - tenait son étal au marché couvert, rue du Château d'eau, dans le Xème arrondissement de Paris. A cette époque, j'habitais à quelques encablures , à l'angle de la rue Taylor, et j'avais au marché l'habitude de faire régulièrement mes courses de bouche. En 2005, ce garçon au physique un peu rond, au passé d'ancien marin, a, dans son arrière-boutique, découpé en morceaux son employée, le fils de celle-ci et son petit chien. L'histoire est évidemment affreuse et tragique, mais les circonstances n'ont cessé, par leur caractère grand-guignolesque, d'une certaine façon de m'étonner, et sa narration a parfois suscité chez certains de mes auditeurs un sourire incrédule et parfois amusé.

Tout le quartier s'était longuement apitoyé sur la tristesse de cet homme qui, en cette fin d'hiver, justifiait auprès de tous ses clients sa mine triste et fatiguée par le fait qu'un jour elle s'en était allée sans laisser d'adresse... On sentait bien pourtant, à son récit, qu'il ne pleurait pas seulement l'employée partie.

En effet, Christelle - c'était le prénom de cette jeune femme de 26 ans qui, depuis un an, travaillait à ses côtés - l'avait rendu, lui le père de famille marié depuis 20 ans, complètement dingue d'amour.

Je n'ai rien vu, rien compris, rien su... et il m'est arrivé même de partager un café avec ce charcutier affable et apprécié des autres commerçants que je trouvais fort déprimé et touchant depuis le très soudain et inexpliqué départ de sa vendeuse...

Au bout de quatre mois d'enquête, placé en garde à vue, Bérenger a craqué. Il faut dire que les condés avaient, paraît-il, trouvé dans la cave d'affinage de sa fromagère de femme un sac plastique contenant des effets féminins; surtout, un reporter de Détective avait relevé des traces de sang suspectes, totalement passées inaperçues aux yeux des enquêteurs, sur le chambranle d'une porte du petit logement qu'il louait pour Christelle à proximité du marché. Il a expliqué qu'au cours d'une dispute intervenue un dimanche de février, elle l'avait giflé. Alors, de rage sans doute, il l'a étranglée. Puis il a tué Lucas, le fils, et étouffé le chien. Il a ensuite transporté les corps dans son arrière boutique, les a méticuleusement découpés dans son atelier de charcutier et s'en est débarrassé en les dispersant dans les poubelles du quartier.


Pierre Desproges,
alors procureur du Tribunal des flagrants délires
Son avocat a eu beau plaider le crime passionnel, Bérenger a été condamné en 2007 à trente ans de prison. J'imagine l'exploitation qu'un Desproges aurait pu faire d'un pareil fait-divers au tribunal des flagrants délires. Nul doute qu'il aurait su nous en faire rire, avec une de ses formules bien à lui : "...le meurtrier était un ami de la famille. On frémit à l'idée que ç'aurait pu être un ennemi de la famille".

Aucune trace ne fut jamais trouvée du reste des corps suppliciés. J'ai pour ma part toujours cru (ou cuit, peu importe...) qu'il les avait passés à la moulinette; et comme il faisait des lasagnes à la viande délicieuses qu'il livrait régulièrement à la rédaction d'un célèbre hebdomadaire pour bobo dont les bureaux étaient situés rue René Boulanger, je te laisse imaginer ce que parfois même il m'est arrivé de penser... Sans rire.

jeudi 5 septembre 2013

Protégé de rien...

Du 27 décembre 1974 au 1er janvier 1975, se déroula le quinzième Congrès International des Pueri Cantores (*) à Rome. C'était sous le Pontificat de Paul VI; le vent réformateur du concile Vatican II soufflait encore sur l’Église catholique. Ce rassemblement de manécanteries venues du monde entier avait une saveur toute particulière puisque son organisation coïncidait avec les célébrations de l'ouverture de l'Année sainte. C'était une époque où mes doutes étaient encore vaguement tempérés par ce qui subsistait encore de ma foi d'enfant et où, avec la Maîtrise de Sainte Marie d'Antony dont j'étais au rang des Alti, nous avions pris le train pour un long voyage de 21 heures (si, si, cher lecteur; c'était bien avant les records de vitesse du TGV...!) nous menant de la ville lumière à la ville aux sept collines. Nous n'y allions pas nous, comme Max Lambert et Pierre Bizet, dit "le séminariste", pour y récupérer le magot d'un demi-milliard en or, enterré près d'une petite chapelle des environs de Rome...

Les petits chanteurs de Sainte Marie, à Rome, 1974

Mais je m'égare. L'Année sainte ne saurait en effet se résumer à un film de Jean Girault, fut-il excellent... Elle est d'abord, pour les Catholiques, une année durant laquelle  l'indulgence plénière, c'est à dire une rémission pleine et entière de toutes les peines dues en raison des péchés est traditionnellement accordée à certaines conditions, aux rangs desquelles figure le pèlerinage de Rome. Sans le savoir, en allant au Vatican pour y recevoir la bénédiction du Pape, pour qui nous avons chanté dans la chapelle Sixtine et la Basilique Saint Pierre, j'ai bénéficié de cette immense faveur. Si cette année-là, sans même m'en rendre compte, j'ai été sauvé de tout, je dois à la vérité de reconnaître que je n'ai malheureusement été protégé de rien...

Au risque de choquer mes amis croyants, ce séjour à Rome reste, dans ma mémoire, surtout évocateur de souvenirs en grande part profanes dont le rapport au prétexte religieux de ce beau voyage n'est - au mieux - que très lointain. A l'instar du réveillon du nouvel an et des meubles et vieux objets qui, symboles de l'année terminée,  s'envolaient dans un ballet fascinant par les fenêtres des immeubles romains en ce soir de la "Capodanno". On encore du goût unique de ces premières pâtes "al dente" que des bonnes sœurs à Cornette nous servaient comme le veut la tradition culinaire italienne, en primi piatti, à chaque repas au réfectoire du couvent où nous logions... Des cyprès se détachant sur le bleu du ciel ensoleillé et si lumineux de l'hiver du Latium ...

D'un moment d'éternité lorsque nous avons chanté, sous le plafond peint par Michelangelo, dans la chapelle Sixtine... Du tube au titre imprononçable d'Adriano Celentano - "Prisencolinensinaiciusol" - qu'on entendait alors en boucle sur les radios italiennes... De Saint Louis des français, aussi, et d'une messe chantée par l'ensemble des chorales françaises en l'honneur du Président de la République, protecteur de cette basilique romaine (Ô tempora...)... Assise, enfin, et une rencontre fraternelle avec de vieux Franciscains pour qui le vœu de pauvreté ne m'a pas semblé pas être un vain mot...

De tous ces petits riens qui font des souvenirs et que je garde précieusement en mémoire, de tous ces petits riens qui m'ont durablement donné le goût et l'amour de l'Italie. Quelques mois plus tard j'assistais à mon premier concert Rock. La bénédiction papale n'aura pas suffi à me tenir longtemps éloigné de cette musique du diable. Heureusement, je n'ai été protégé de rien...

(*)  La Fédération Internationale des Pueri Cantores est une Association internationale de Droit Pontifical réunissant les fédérations nationales de manécanteries.

lundi 14 janvier 2013

Des transports - bien trop - communs...

Les transports en commun sont à mes yeux, ami lecteur, des transports bien trop communs pour que je me résigne à  devoir les emprunter. Et à qui d'ailleurs les emprunterais-je ?
J'ai cinquante ans et au quotidien, je suis heureux de pouvoir - mais pour combien de temps encore ? - me permettre le luxe de rouler en véhicule automobile. N'en déplaise à MM. Baupin et consorts qui ont décidé, à force d'ubuesques travaux et de réglementations en tous genres, de dégoûter mes commensaux, j'aime conduire ma voiture. Et encore bien plus jouir du privilège d'y être seul et de pouvoir y écouter de la musique, fumer si ça me chante et râler contre mes contemporains!

Jamais je ne troquerai cinq minutes de Métropolitain bondé contre les quelques heures de "désagrément" solitaire que provoquent les encombrements ou l'exaspérante traque d'une place pour pouvoir garer ma voiture sans devoir descendre sous terre. Car pour ce qui est de m'enterrer, ça attendra...

Bientôt ils auront tant et si bien fait qu'ils vont finir par  asphyxier le cœur de Paris que le Baron Haussmann et le progrès triomphant du 19ème  siècle industriel avaient pourtant réussi à désengorger. Renouant avec les désagréments décrits  par Montesquieu dans les lettres Persanes, les rues du centre de la capitale sont au bord de l'apoplexie et ses habitants n'en peuvent plus. Certains esprits éclairés qui sont en cour à l'Hôtel de ville n'ont pourtant rien trouvé de mieux, pour améliorer les choses, que de réduire encore les voies de circulation en réservant aux "circulations douces" l'une des voies sur berge. Comme si pour lutter contre le risque de thrombose, un Diafoirus du moment nous expliquait que la solution consiste à davantage encore boucher les artères!

samedi 22 décembre 2012

Quand plus rien de moi ne sera


Sur cette photographie, prise au mitan des années soixante un jour de liesse villageoise (Quatorze juillet ?...), je pose fièrement aux côtés de mon grand père maternel assis au volant de notre Teuf-Teuf, une Renault AX de 1907. Toute une épopée que celle de cette voiturette "simple et populaire" conçue par Louis Renault pour être accessible au plus grand nombre et qui deviendra l'un des modèles les plus répandus en Europe au début du XXème siècle, utilisée comme taxi aussi bien à Londres qu'à Paris.



Les cocottes qu'elle abritait lorsqu'il l'a dénichée n'avaient plus grand chose à voir avec celles que les dandys de la Belle Époque conduisaient à son bord au bal du Moulin Rouge ou chez Maxim's. Mon grand père l'avait en effet trouvée à l'état d'épave, dans une grange délabrée où elle avait été recyclée en poulailler de fortune, un pommier malingre ayant  même eu l’idée saugrenue de pousser en son milieu... Il y mit tout son cœur dans la rénovation de l'ancêtre. Tant et si bien qu'à la fin, elle avait vraiment fière allure avec ces cuivres qu'il fallait avant chaque sortie astiquer au Mirror, son coffre de bois ciré à la belle patine blonde qui sentait l'encaustique et sa sellerie noire en épais cuir de buffle; mais surtout on l'entendait venir de loin avec sa corne dont j'actionnais la poire avec frénésie, les inquiétants craquements de sa boîte non synchronisée à 3 rapports et son moteur bicylindre en ligne de 1 060 cm3 au son unique de pétarade burlesque qui lui permettait les jours de grand vent arrière d'atteindre la belle vitesse de 60 km/heure. Encore fallait-il avoir pu démarrer, si l'on veut bien se souvenir que tout ça se faisait alors à la force du poignet. A combien de reprises ai-je entendu mon grand-père jurer en s’escrimant en vain jusqu'à ce qu'un mauvais tour de reins le contraigne à devoir renoncer. Alors, je prenais mon tour. Il fallait chercher pour obtenir l'emballement des pistons le fameux "point de compression", se mettre dans la meilleure position possible pour éviter de se faire mal au dos; et puis toujours penser à garder le pouce vers l'extérieur pour éviter le méchant et dangereux retour de manivelle, potentiellement générateur d'une mauvaise entorse. Bref! Bien loin du confort moderne qu'offre le démarreur électronique de ma berline du moment.

Mais quels beaux moments de complicité et de rigolade. Sillonner les routes du canton de Perthes c'était déjà la promesse d'une possible grande aventure. De Fleury en Bière à Boissise le Roi, de Barbizon la forêt à Saint Sauveur sur École, chaque village avait alors son bistrot et chaque bistrot son billard. Autant d'étapes que d'occasions de rencontres. Les "salut Roger!" répondaient en écho aux "Bonjour m'sieur Porte!". Belote coinchée, jeu de Jacquet, Zanzibar ou carambole à trois billes, les compagnons de jeu et d'apéro ne manquaient jamais à l'appel. Faut dire que c'est dans l'arrière-salle de l'hôtel-restaurant "billard-dancing-salon pour noces de 300 couverts" que ses parents avaient racheté à la Croix-de-Berny, les "lauriers roses", qu'il avait fait ses premières classes après l'école hôtelière. Mais c'est là une toute autre histoire...

Les Lauriers roses, la Croix de Berny (la maison de mon enfance, à Antony)

Lorsque mon grand-père a disparu - trop tôt, trop vite - cette voiture m'a été léguée et pendant encore deux décennies, elle a pétaradé et rutilé sur les jolies routes du Gâtinais; elle gît malheureusement, depuis dix ans, posée dans une grange de notre maison de Cély sur des cales de fortune. Désossée, démontée, bâchée, elle retourne peu à peu à l'état de carcasse dans lequel elle avait été il y a plus d'un demi-siècle trouvée. J'en éprouve aujourd'hui un fort sentiment de culpabilité mais comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, je crois que je suis définitivement fâché avec les automobiles. Je n'ai aucun talent de mécanicien ni même aucune appétence à essayer. Et puis, les parcours en auto m'ont toujours donné la nausée. Mais était-ce l'effet du grand air de ce cabriolet haut perché et toujours ouvert aux quatre vents, je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais été malade dans cette voiture-là.  Pourtant, le réservoir était fort inopportunément placé sous le pare-brise, presque sur les genoux du passager. A chaque fois qu'il fallait - tâche qui m'était souvent confiée - ouvrir le petit robinet qui permettait d'assurer l'alimentation du moteur, s’écoulaient presque toujours sur nos pieds quelques gouttes d'essence à l'odeur entêtante qui, en d'autres circonstances, m'aurait soulevé le cœur.  Si tu ajoutes à cela le parfum de tabac brun des Gitanes que fumait mon grand-dabe, sans aucune inquiétude d'ailleurs pour la proximité de l'inflammable liquide que quelques centimètres seulement séparaient du foyer incandescent de sa cigarette. En cette glorieuse époque, les interdits sécuritaires et hygiénistes n'étaient heureusement pas encore de mise. Jamais, te disais-je, le très explosif et écœurant cocktail clope/essence ne me souleva en ces circonstances le cœur.

Alors, ami lecteur d'un jour, quand  j'aurai, de guerre lasse, à mon tour rejoint le boulevard des allongés. Quand plus jamais ne se lèveront mes co-naturels, pas même pour satisfaire une envie pressante. Quand plus rien de moi ne sera que la mémoire, alors je me prends à rêver que peut-être je remonterai le haut marchepied métallique pour m'asseoir à la gauche de mon grand-père et actionner de nouveau la trompe pour avertir de notre arrivée prochaine tous les troquets du coin... Pouêt-Pouët !

lundi 1 octobre 2012

A n'y rien comprendre

En mai dernier, je n'ai pas fêté mon cinquantième anniversaire. Ma grand-mère maternelle qui a quatre-vingt dix-sept ans a connu la première guerre mondiale, ma mère a quant à elle connu la seconde. Moi, en matière de conflit armé, je n'ai connu - et encore ! - que la violence toute relative de la guerre des sexes... Pourtant, les statistiques démographiques nous classent - ma grand-mère, ma mère et moi - dans la même catégorie. Si, si... 

Je suis désormais affublé dans les études de l'INSEE du qualificatif sans doute pratique mais il faut bien l'admettre un peu fourre-tout de "senior" ! Le Petit Larousse  décrit en effet les seniors comme "les plus de cinquante ans". Et je ne parle même pas de ceux qui dans le monde de l'entreprise considèrent élégamment au nom de la rentabilité productiviste que le cap de la séniorité est franchi dès 45, 47 ans... Mais quel junior en mal de reconnaissance a pu donc un jour imaginer de tels critères?

S'il n'existe aucune définition officielle, il est communément admis qu'un senior est une personne âgée ou retraitée. Je ne me sens pas encore (trop!) âgé et bien loin d'être retraité. Alors senior, vraiment? Comme ma mère, comme ma grand mère... Et depuis cinq ans déjà ? Et je ne m'en serais pas rendu compte? Même pas mal !

Dois-je envisager sérieusement d'être pendant les vingt prochaines années encore un "senior actif"? Mais dans quel état arriverai-je donc à la retraite et de quoi pourrai-je alors bien être qualifié? Jeune senior fatigué? Vieux senior toujours (un peu) actif ou senior passif déjà dépassé?

Ma grand-mère a perdu son père de la grippe espagnole en 1915 et moi je suis né en 1962, l'année même où elle s'est retirée dans le sud de la Seine et Marne pour y prendre, avec son mari, une retraite anticipée. Cinquante années. Le temps qu'il m'aura fallu pour la rattraper et, à mon tour, grossir les rangs des seniors en espérant, au mieux, pouvoir prendre ma retraite dans vingt ans d'ici. Au rythme où vont les crises financières, économiques et monétaires qui agitent le monde, du temps qui s'accélère et de l'agitation, c'est vraiment à n'y rien comprendre...