Sur cette photographie, prise au mitan des années soixante un jour de liesse villageoise (Quatorze juillet ?...), je pose fièrement aux côtés de mon grand père maternel assis au volant de notre Teuf-Teuf, une Renault AX de 1907. Toute une épopée que celle de cette voiturette "simple et populaire" conçue par Louis Renault pour être accessible au plus grand nombre et qui deviendra l'un des modèles les plus répandus en Europe au
début du XXème siècle, utilisée comme taxi aussi bien à
Londres qu'à Paris.
Mais quels beaux moments de complicité et de rigolade. Sillonner les routes du canton de Perthes c'était déjà la promesse d'une possible grande aventure. De Fleury en Bière à Boissise le Roi, de Barbizon la forêt à Saint Sauveur sur École, chaque village avait alors son bistrot et chaque bistrot son billard. Autant d'étapes que d'occasions de rencontres. Les "salut Roger!" répondaient en écho aux "Bonjour m'sieur Porte!". Belote coinchée, jeu de Jacquet, Zanzibar ou carambole à trois billes, les compagnons de jeu et d'apéro ne manquaient jamais à l'appel. Faut dire que c'est dans l'arrière-salle de l'hôtel-restaurant "billard-dancing-salon pour noces de 300 couverts" que ses parents avaient racheté à la Croix-de-Berny, les "lauriers roses", qu'il avait fait ses premières classes après l'école hôtelière. Mais c'est là une toute autre histoire...
Les Lauriers roses, la Croix de Berny (la maison de mon enfance, à Antony) |
Lorsque mon grand-père a disparu - trop tôt, trop vite - cette voiture m'a été léguée et pendant encore deux décennies, elle a pétaradé et rutilé sur les jolies routes du Gâtinais; elle gît malheureusement, depuis dix ans, posée dans une grange de notre maison de Cély sur des cales de fortune. Désossée, démontée, bâchée, elle retourne peu à peu à l'état de carcasse dans lequel elle avait été il y a plus d'un demi-siècle trouvée. J'en éprouve aujourd'hui un fort sentiment de culpabilité mais comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, je crois que je suis définitivement fâché avec les automobiles. Je n'ai aucun talent de mécanicien ni même aucune appétence à essayer. Et puis, les parcours en auto m'ont toujours donné la nausée. Mais était-ce l'effet du grand air de ce cabriolet haut perché et toujours ouvert aux quatre vents, je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais été malade dans cette voiture-là. Pourtant, le réservoir était fort inopportunément placé sous le pare-brise, presque sur les genoux du passager. A chaque fois qu'il fallait - tâche qui m'était souvent confiée - ouvrir le petit robinet qui permettait d'assurer l'alimentation du moteur, s’écoulaient presque toujours sur nos pieds quelques gouttes d'essence à l'odeur entêtante qui, en d'autres circonstances, m'aurait soulevé le cœur. Si tu ajoutes à cela le parfum de tabac brun des Gitanes que fumait mon grand-dabe, sans aucune inquiétude d'ailleurs pour la proximité de l'inflammable liquide que quelques centimètres seulement séparaient du foyer incandescent de sa cigarette. En cette glorieuse époque, les interdits sécuritaires et hygiénistes n'étaient heureusement pas encore de mise. Jamais, te disais-je, le très explosif et écœurant cocktail clope/essence ne me souleva en ces circonstances le cœur.
Alors, ami lecteur d'un jour, quand j'aurai, de guerre lasse, à mon tour rejoint le boulevard des allongés. Quand plus jamais ne se lèveront mes co-naturels, pas même pour satisfaire une envie pressante. Quand
plus rien de moi ne sera que la mémoire, alors je me prends à rêver que peut-être je remonterai le haut marchepied métallique pour m'asseoir à la gauche de mon grand-père et actionner de nouveau la trompe pour avertir de notre arrivée prochaine tous les troquets du coin... Pouêt-Pouët !
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