jeudi 25 mars 2010

C'est pas rien !

Relisant ces jours derniers l'énorme (à tout point de vue, 1173 pages en poche...)  livre de Vassili Grossman, j'ai révisé mon point de vue sur la littérature russe contemporaine et la Vodka.

Un grand, un très grand livre. Une forme de "guerre et paix" contemporaine ayant pour toile de fond la bataille de Stalingrad, les camps de la mort et le goulag. Un condensé de ce que la révolution industrielle, les idéologies du XIXème et le productivisme du XXème siècle ont produit de pire. La forme la plus aboutie du meurtre de masse industrialisé. A mettre entre toutes les mains, à lire et à relire...

Lorsque Jean-Claude m'en avait recommandé la lecture il y a quelques années j'étais totalement passé à coté. Alors pour ça et pour le reste (?...), merci Jean-Claude ! Si tu lis ces lignes, tu te reconnaîtras.

Aujourd'hui je comprends mieux la véritable passion que certains éprouvent pour ce livre; l'oeuvre d'une vie; le roman d'un siècle. Tant il est vrai que l'écriture de Grossman emporte tout. Car il a été le témoin direct et un acteur de la "mère des batailles", lui, le vivant parmi les morts; il a été le premier journaliste a rentré dans Treblinka et à décrire l'horreur concentrationnaire; l'un des premiers à pénétrer aux cotés des troupes soviétiques dans Berlin. Mais il a aussi osé décrire et comparer la nature totalitaire des régimes soviétique et nazi. Lui l'écrivain communiste, il a dénoncé la dictature stalinienne. Lui, le thuriféraire, le serviteur zélé du régime, il s'est révolté et a voulu témoigner. Et de quelle manière !

Et puis il y a l'histoire du livre lui-même. Définitivement perdu, du moins le croit-on, saisi par les sbires du K.G.B. ; des copies clandestines miraculeusement retrouvées, et, enfin, un livre publié en Suisse.

Pourquoi la Vodka me demenderas-tu, cher lecteur ? Mais précisément parce qu'en Russie littérature et Vodka font si bon ménage qu'elles me semblent aussi indissociables que le grand tout et les petits riens qui composent cette chronique bloguesque. Alors, partageant, l'une des expressions favorites du locataire de l'Elysée, je te dirais, en guise de conclusion, vie et destin, crois- m'en, "c'est pas rien !"

dimanche 14 mars 2010

Une écuelle vide ou rien dedans...

C'est en 1990 que j'atterrissais pour la première fois sur la piste de béton préfabriqué de Rinas (l'aéroport de Tirana ne s'appelait pas encore NëNë Tereza, en hommage à Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, sans doute la plus célèbre des femmes albanaises; connue dans le monde entier pour avoir créé sous le doux nom de mère Teresa, à Calcutta, la congrégation des Missionnaires de la charité).  Air France était l'une des seules compagnies occidentales à oser encore (mais pour peu de temps…) s'aventurer en cette véritable terra incognita qu'était au cœur de l'Europe l'Albanie d’alors. Il fallait oser en effet se poser sur cette piste improbable au milieu des poules, des moutons et des gosses qui couraient en tous sens et ne semblaient devoir s’égayer au tout dernier moment que devant la puissance des réacteurs hurlants.

Le chauffeur d'un mien compatriote (un peu aventurier, un peu introduit dans certains cercles du pouvoir parisien d’alors, un peu marchand de tout, et surtout d'armes) qui m'avait attiré dans ce pays m'attendait à la sortie de l'aérogare. Il ne fut pas difficile de le reconnaître. Une seule voiture stationnait sur le parking : la R25 limousine de mon hôte ; noire, hérissée d'antennes, immatriculée en France, totalement décalée dans ce décor aux figurants à la mine patibulaire, portant la traditionnelle coiffe masculine de feutre blanc, dignes d’apparaître au détour des aventures de Tintin et d' Ubu roi réunis.

Premières images du "pays des aigles", premier contrôle routier dès la sortie de la zone aéroportuaire (il y en aura 3 ou 4 le long des 17 kilomètres qui séparent Rinas de Tirana...) De très jeunes militaires, Kalachnikovs de fabrication locale sous licence chinoise en bandoulière, connaissant visiblement bien « la » voiture qu’ils devaient contrôler mais surpris de ce passeport français ; de ce visa au petit numéro d’ordre ; et tout au long de la route, alignés au cordeau, des milliers de bunkers et de blockhaus en bêton, certains se faisant même face, signe tangible de la paranoïa d'une époque où le régime d’un pays alors totalement fermé au monde ne savait même pas d'où viendrait l'ennemi, ni même qui il pouvait être, mais était sur qu'un jour il attaquerait (quoi ? qui ? pourquoi ?..) Les Albanais ont nommé "champignons" ces verrues. Je ne pus m'empêcher de penser à l'immense gaspillage de béton qu'avait entraîné la construction de ces abris inutiles dans un pays qui manquait de tout, et d'abord de logements.

Premier contact avec la capitale. Une avenue large et vide de toute circulation à l’exception d’une charrette tirée par un âne famélique (la possession d'automobiles était alors strictement réservée aux seules autorités du pays) Et puis soudain, au détour d'une rue, la vision surréaliste d'un bus vert et blanc de la RATP, pas même repeint, bondé comme un tortillard de la banlieue de Bombay, et sur lequel figurait encore, signe parfaitement lisible de ses origines, le N°39 de la ligne Issy-les-Moulineaux/Gare du Nord. Un choc !

Installation à l'hôtel Dajti, vieux bâtiment décati à l'allure mussolinienne, héritage de l'occupation italienne et des ambitions colonisatrices du comte Gian Galeazzo Ciano, que le groupe français pour lequel je travaillais alors avait décidé de rénover pour le transformer en palace de rang international. Le froid, une nourriture infecte, un pain rassis au mauvais goût de sciure (mais la boulangerie de l’hôtel était la seule qui fonctionnait encore à cette époque à Tirana) et la découverte, pour se réchauffer un peu, de l'alcool local, le Raki, une eau-de-vie de prune très fermentée, très populaire en Albanie; mon crâne en garde un souvenir ému. Première nuit, mauvaise; veillé par les indicateurs de police présents partout et jusque dans les étages vides et sombres de ce fantôme d'hôtel .

Premier rendez-vous avec une autorité albanaise, le ministre des finances doit nous retrouver au bar du Dajti vers 11h00. Je découvre alors la réalité de la toute relativité du temps... Vers 15h00, une vision étrange s'offre à moi. Un bonhomme sans âge, vêtu d'un costume à l’évidence taillé du côté de Wunan dans les années 70, casquette Mao vissée sur la tête, larges lunettes fumées à la Jaruzelski et, détail saugrenu terminant le "total look Shqiptar", des pinces à vélo.... Car ce personnage important de la nomenklatura de l'ère post-Hodja était venu jusqu’à moi au guidon de sa bicyclette chinoise de fonction...

Ce premier voyage, ce fut aussi celui de la rencontre avec un très improbable Consul de France, terré dans son appartement du quartier réservé aux légations étrangères, protégé derrière des cartons de bouteilles de bière amoncelés et qui emplissaient le moindre espace encore disponible de son petit appartement. Stigmates d’une terrible dépendance alcoolique d’une diplomatie française à l’haleine chargée et au delirium tremens avancé. Souvenir fugace du malaise qui ne m’a pas quitté de tout ce tragique rendez-vous où en guise de petit déjeuner, je n’ai eu le choix qu’entre une assiette vide, un verre de Whisky, du Raki ou de la bière tiède; et dont le seul et obsessionnel sujet de conversation n’aura été que de définir le montant de la "commission" que ce fonctionnaire seul - et désespérant dans sa solitude désespérée - aurait pu être en droit d’exiger (?!!!...) si l’opération venait à se réaliser. Était-ce la déliquescence de ce pays qui déteignait sur lui ou n’était-il, cet ivrogne en fin de parcours, que le symbole terrible des espoirs fous et délirants que faisaient naître alors les rêves d’une économie de marché sauvagement libérale et totalement décomplexée ? Pourquoi m’en suis-je souvenu ?

Je voulais alors partir, quitter au plus vite ce pays que je n’imaginais pas alors fréquenter plusiers années et où je finirais même par me faire des amis; au rang desquels le cher Besnik Mustafaj, poète, homme politique, diplomate et écrivain dont l'un des plus célèbres romans s'intitule "Le vide". Je comprends aujourd’hui à quel point l'Albanie de cette époque symbolisait ce célèbre proverbe populaire "J'aime mieux mon écuelle vide que rien dedans". Tant il est vrai qu'il vaut mieux être dans le besoin et le savoir que posséder une chose en apparence et en être en réalité démuni.

lundi 22 février 2010

Oxymores, réalité virtuelle et vivant souvenir


Joli mot de la langue française que celui d'oxymore, cette forme d'expression qui permet de mettre côte-à-côte des mots aux sens opposés. Quelle richesse de la langue, quelle liberté aussi, celle qui autorise le mariage de tout et son contraire, du grand tout et des petits riens; la contradiction dans la cohabitation entre les mots eux-mêmes.

Contradiction. Comme cette "réalité-virtuelle" qui nous permet de trouver sur la toile un espace d'expression où tout n'est rien; rien qu'illusion numérique, chimère analogique, un support sans chair d'où, comme je l'ai déjà dit, les écrits d'aujourd'hui s'envolent à l'image des paroles d'autrefois (cf. "Scripta volant" du 5/10/09). Pourtant, il me faut bien admettre que ce rien technologique peut favoriser l'expression des souvenirs, activer une mémoire qui pouvait sembler morte. Car ce sont les lettres, les mots qui se forment et les phrases qui s'enchaînent qui donnent du sens et qui tissent un réel pourtant sans support physique.

Les quelques semaines récemment passées à rechercher sur le Net des traces de chansons que je croyais oubliées, de morceaux que nous écoutions et sur lesquels, au Bus Palladium, nous dansions dans les années 80, m'ont conduit à écrire ce texte. La première expression qui m'est en effet venue en surfant sur le site des amateurs de la musique du Bus fut celle de "vivant souvenir"; rejoignant en cela le poète Federico Garcia Lorca pour qui "rien n'est plus vivant qu'un souvenir".

Or, je croyais que le souvenir n'était qu'une évocation, une impression qui demeurait en mémoire d'un passé révolu. Comment dès lors pourrait il être vivant ? Pourtant, à chaque écoute, l'envie me vient de danser, de chanter, et les sensations sont bien réelles, vivantes, présentes, tellement même que je peux parfois sentir vivre ce passé... N'est ce pas finalement vivre que se souvenir ? Ces chansons, ces petits riens qui me reviennent en mémoire, je les entends, et, dès lors, tout me revient. Les images, les odeurs, les sons, les visages... D'un petit rien se forme un tout. Un tout vivant, évocateur, loin du monde virtuel; une manière de réalité.

Alors puisque ce sont ces airs dansants qui, en l'espèce, ont activé ma mémoire, quoi de mieux pour conclure que ces vers extraits d'une belle chanson du plus célèbre des fumeurs de Gitanes :

"On se souvient de rien, et puisqu'on oublie tout, rien c'est bien mieux, rien c'est bien mieux que tout".

vendredi 12 février 2010

Il suffit souvent d'un rien


Les championnats de "Air Guitar" n'existaient pas et pourtant nous étions nombreux en ce  milieu des années 80 rue Fontaine (où il y a foule, n'est ce pas Gainsbourg...) qui dansions sur la piste du Bus au rythme du meilleur de la musique de l'époque en nous accompagnant d'une invisible Fender Startocaster ou d'une Gibson Les Paul transparente !

Assis à notre table favorite, dans l'ambiance enfumée des boîtes d'alors, au plus près de la piste nous observions les danseurs en sirotant des Whisky-coca, des Vodka-orange, ou des Gin-Get les soirs de grande soif. Flight jacket Schott, Jean's Levis 501 foncés, ceintures mexicaines aux grosses boucles argentées et Santiags achetées chez Cowboy Dream aux Halles pour les garçons; T shirts blancs et Bandanas aux couleurs vives de chez Fiorucci sous un Perfecto noir, Jeans slim fit à revers larges et chaussures vintage à talons aiguilles pour les filles.

Le très entrainant "Howzat" - que j'ai longtemps cru être interprété par Genesis - d'un groupe australien au nom improbable de glace à l'eau, la grandiose version Claptonienne de l'hymne  de J.J. Cale "Cocaine", l'énorme "Goin' back to my roots" de Lamont Dozier, "Solsbury Hill" de Peter Gabriel, "Dreams" de Molly Hatchett ou encore l'héroïque "(I want you) Show me the way" d'un Peter Frampton qui faisait littéralement chanter sa guitare... Les titres et les morceaux s'enchainaient et les riffs nous emportaient au-delà du grand Océan, au-delà du Continent, au bout de la route 66, vers cette Californie fantasmée et le Rock FM des Doobie Brothers et de Steely Dan.

Quand la fête était finie, en échange de quelques francs nous achetions, avec la complicité de Josy, à la porte de la cabine du D.J., une cassette qui allait tourner dans la voiture des copains jusqu'à l'usure complète d'une bande magnétique finissant avalée par le lecteur, mais qui aurait encore évoqué pendant soixante minutes le souvenir de tant de soirées festives. Parfois, quand la nuit devenait jour,  il m'arrivait de partager un sandwich shawarma ou une dernière cigarette sur le trottoir avec Bruno le portier (on ne disait pas doorman à cette époque, et on l'appelait entre nous "Nobru"...) au petit matin avant de repartir, ivre de musique, vers la banlieue sud de mes jeunes années. Autre époque de ma vie nocturne dont les souvenirs me reviennent aujourd'hui. Une période moins insouciante, moins adolescente, plus noire, plus Rock; déjà annonciatrice des heures plus sombres de l'âge adulte; d'autres fêtes, d'autres têtes. Michel, Manuela, Lydie... vous en souvenez vous ?

Ces souvenirs sont encore bien vivants et, si par un incroyable malheur ils venaient à s'émousser, la liste de lecture "Bus Palladium Tribute" qui n'a cessé de s'enrichir depuis lors et passe en boucle sur mon i-pod et le talent unique de Nicolas Lespaule pour ranimer la flamme chaque samedi soir à la radio seraient là pour les réveiller. Il suffit souvent d'un rien...

dimanche 17 janvier 2010

Privilège ou vanité...


Ce matin je retrouve, et avec quelle joie, Albert de Paname sur Facebook.

Alors, comme Tristan à la fin des années 80, je suis de bonne, bonne, bonne humeur ce matin, y’a des matins comme ça...

Tellement de souvenirs remontent. Et surtout des bons !

Nos points de repère nocturnes s’appelaient alors Les Bains, la Nouvelle Eve, le Royal Lieu, le Palace et autre Balajo... Une chanson un peu ridicule,  un air de Mambo sur lequel nous dansions me revient en tête (Elle ne l'a jamais quitté en fait et pourtant cela doit remonter à une soirée au Privilège en 1983 ou 84...) : "Mange des tomates mon amour, mange des tomates tous les jours, ça donne bonne mine, c'est plein de vitamines, vitamines ABC, c’est bon pour la santé ! »

Ils n’avaient pourtant pas tous bonnes mines les danseurs d’alors ; et les vitamines de synthèse qu’ils consommaient c’est souvent dans les toilettes qu’ils allaient les prendre ….

Toutes les nuits n’étaient pas de pleine lune, mais une étoile filante prénommée Pascale illuminait de sa grâce la piste du Privilège lorsqu’elle dansait sur des airs latino-américains enchaînés par Albert, ou au rythme de la Disco endiablée programmée par Guy Cuevas.

Pascale nous a quitté, victime d’un abus de « vitamines » cité Bergère. Elle est morte dans la rue, à la porte du Privilège. Etait-ce une de ces nuits de la pleine lune ? Du titre éponyme de ce film qui la rendit célèbre, et qui illustra dans la série des dictons et proverbes une belle maxime champenoise : "Qui a deux femmes perd son âme, Qui a deux maisons perd la raison." Eric Rohmer est mort aussi…

Pourquoi cette évocation des soirées d’Albert me renvoie-t’elle à Pascale Ogier et Eric Rohmer? Sans doute le cinéaste a-t-il su toucher le cœur de cette génération à laquelle nous appartenions. Celle qui avait connu le Punk et sa philosophie « no future », le disco, ses paillettes et ses fêtes, la new puis la cold wave, et les fêtes mises en musique par Albert, maître de cérémonie incontesté de sets qui savait mixer comme personne les mélodies de Dario Moreno et les derniers morceaux à la mode de Joe Jackson ou de Kid Créole & ses Coconuts.

J’ai eu la chance d’être au Palace un certain mois de décembre et d’y assister à un concert mémorable de Serge Gainsbourg, avec les choristes des Wailers, les musiciens de Bob Marley et Peter Tosh, et plus particulièrement Sly Dunbar et Robby Shakespear à la rythmique.

J’étais là aussi pour un incroyable et totalement destroy  concert des Undertones interrompu avant la fin par une bagarre générale entre punks pleins de Valstar et de mauvais speed et skinheads défoncés à la colle à bois… Là encore, au Centre Ville, un endroit branché des Halles et gay avant l'heure dont le barman aristo nous avait pris en affection et nous offrait plus de cocktails que nous ne pouvions en payer, un soir de baston avec des skins qui s’étaient armés sur un chantier voisin de fers à béton et qui voulaient à tout prix entrer... Nous sortions avec mes amis Michel et Philippe d’un Cinéma voisin où nous avions vu le film des Clash. Ce soir là nous nous sommes un peu pris nous aussi pour des rude boys engagés dans une « white riot »… La rue du Bourg l’Abbé avec un Pacadis déchiré, dans l’attente d’un regard ou d'un geste de Marylin pour pouvoir entrer… Jenny Bel Air et le vestiaire du Palace, et puis son fumoir du premier où tout, ou presque, était autorisé… Et puis surtout les nuits dans les sous-sols de la rue du Faubourg Montmartre; ce sentiment, pour quelques grammes de matière plastique, d’appartenir, grâce à la carte que nous avait donné Fabrice, à une forme de noblesse de la nuit. Celle du Privilège. Vanité…

Tous ces souvenirs me reviennent en vrac. Mais ils sont pourtant là, bien présents et tellement vifs à ma mémoire. Et Albert - pourquoi plus que d’autres ?- en fait partie. La mémoire est comme çà, faite de grandes choses et de petits riens…

vendredi 15 janvier 2010

Presque rien. Initiation à l'Uchronie


Le 17 juillet 1453, une escouade de l'armée du roi de France se heurte à un corps expéditionnaire anglais sur les bords de la Dordogne, près du village de Castillon. Cette petite bataille assez peu connue, presque rien en fait, marque la fin de la guerre de Cent Ans.

Qu'en aurait-il été si les Anglais avaient gagné la guerre?

Imaginons un instant que le sort fut différent et que la paix scellée à l'issue de l’épisode sus-évoqué marque la victoire de l'aristocratie anglaise sur la noblesse de France. La capitale que les royaumes unifiés se choisissent est Paris; la langue officielle de la Cour (partant, de ses futures possessions et colonies) est le français. Pas de guerre de succession d’Espagne, pas de Révolution française, pas d'humiliation nationale à Waterloo (ultime revanche de Wellington sur la défaite de 1453...). Les Royaumes Unis forment l'ensemble le plus riche et le plus prospère en Europe. Ses émissaires sillonnent la planète, ses vaisseaux voguent vers de nouveaux mondes. Un Empire est né.

Nous sommes maintenant en l'an 1860 de cette uchronie. Une guerre de frontière au sud de la Nouvelle France a été évitée de peu. Pendant quelques heures, les redoutables amazones dahoméennes dépêchées par la Métropole depuis leur casernement d'Abomey ont assiégé La Nouvelle-Orléans et ont fait face aux bataillons d'Amérique des Royaumes Unis dirigées par le général de corps d'armée Boulanger. Seule l'intervention des aéronefs du Duc d'Anjou aura permis d'éviter le pire en semant la panique parmi les dromadaires et les éléphants des régiments de cavalerie lourde des assiégeants, ce qui favorisera une sortie et une percée décisive du corps d'élite des troupes royales de marine. Cet épisode marque la limite de l'expansion septentrionale de la vaste colonie établie par le royaume de Béhanzin 1er, roi du Dahomey et auto proclamé empereur des Africains de l'ouest, sur le sol du nouveau monde. On aura en tête qu'avec le soutien des troupes arabo-mauresques du Califat de Cordoue, le royaume du Dahomey étend désormais son empire sur chaque rive de l'océan Atlantique et gouverne une partie du monde depuis son vaste Palais en sa capitale d'Abomey. Ce 24 septembre 1860, le Cheikh Abd-el-Kader, plénipotentiaire dépêché par l'empereur sur le nouveau Continent, signe un traité de paix mettant fin à plusieurs années de tension et d'escarmouches. Des frontières sont établies, des ambassades dépêchées. Le français restera langue officielle d'un territoire s'étendant de l'Alaska à la Nouvelle-Orléans, la monnaie, la Livre Tournois, la capitale de la Province étant, quant à elle, définitivement établie à Québec.

A la fin des années 30 du Vingtième Siècle, les Royaumes Unis vivent une période de grande agitation politique. La question de l'indépendance de la Septimanie donne lieu à des débats passionnés. A Paris, capitale politique, tout comme à Londres, capitale économique et financière de l'Empire, la presse fait ses gros titres sur les menées séparatistes biterroises encouragées par le gouvernement Babouviste de la République de Catalogne en son siège de Perpignan. La tension est vive. Des attentats ont été commis au nom de la Liberté Septimanienne et la gendarmerie royale a payé un lourd tribu à la cause irrédentiste. A l'issue d'un référendum populaire d'initiative locale, Béziers décide d'une formule d'autonomie/association et le Comte de Montpellier est, en présence de tous les princes de sang et de nombreuses délégations étrangères, couronné vice-roi de cette Province à l'occasion d'une très belle cérémonie en la basilique royale de Vias.

En 1981, le Prince de Galles, Comte de Paris et héritier de la double couronne, défraie la chronique en épousant secrètement pendant ses vacances au "Club Caraïbe" de l'île de la Tortue, une vedette de Cinéma, jeune aristocrate mahométane désargentée d'origine Maltaise. La question de la succession est immédiatement ouverte et le Pape, depuis son palais d'Avignon, se doit d'intervenir pour rétablir l'ordre au sein de l'Église et de l'empire. Le roi, contraint d'agir, décide d'éloigner son fils de la capitale et lui donne mandat pour inspecter les possessions lointaines des Royaumes. La Princesse se languit, de l'ennui naît l'envie et bientôt les amourettes de la belle Dinah avec un garde du corps du Prince portant Kilt et Tartan s'étalent à la Une du "Soleil Royal" ; certes le plus trash des tabloïds parisiens mais un de ces médias qui font l’opinion. Le scandale éclate. La Princesse est répudiée. L'héritier pour sa part est obligé d'avouer au grand jour des amours contre nature avec des indigènes amérindiens. Le Pape, cette fois, condamne et on évoque même la possibilité d'un procès en excommunication contre le successeur des deux Trônes. Au sein de l'Église un schisme couve. Au nom de la tolérance et de l'ouverture certains évoquent la création d'une "Église Anglo-Galicane". Mais heureusement l'affaire se calme avec la décision du Roi de pardonner à son fils et de promulguer une Charte établissant les sodomites dans leurs droits comme égaux des hétérosexuels. La jeune Princesse répudiée trouve refuge auprès des Alaouites de Fès et les grands Ulémas de Belgrade et de Trieste appellent ouvertement au Djihad pour laver l'affront fait à l’Islam. Le grand Turc menace, au nom de la défense de la vraie Foi, de dépêcher ses janissaires à la tête de ses troupes Greco-Albanaises. La guerre est là qui fait vaciller sur un socle que tous croyaient inébranlable la « Pax Francia » établie depuis maintenant plus de 5 siècles sur le monde. Pour la première fois, certains échotiers et éditorialistes, notamment asiatiques, évoquent un risque de surpuissance et dénoncent un monde uni polaire dirigé depuis Paris. Les Ayatollahs de Qom en profitent pour jeter à bas le régime ami du Shah de Perse et instaurer un État théocratique. Le monde est au bord du gouffre et partout la violence s'installe. On évoque le spectre d'un conflit mondial.

Les Assassins de la forteresse d'Alamut, galvanisés par les discours du vieux Cheikh de la montagne, porteront bientôt partout le feu et la désolation. Une vague de terreur étend désormais son ombre inquiétante. De grands périls menacent. La folie des hommes et son cortège de malheurs semblent devoir entraîner le monde vers sa perte.

Quelle terrible époque, instable et inquiétante, nous aurions connue alors. Il n’en est heureusement rien. Cela s’est joué à peu de choses. Presque rien ...

mercredi 13 janvier 2010

Plagiats ....

Je m'apprêtai à publier ici même un texte intitulé "le saigneur des agneaux" et là, patatras, je découvre qu'il est déjà pris et qu'un pastiche burlesque du roman homonyme de Tolkien a été publié sous ce titre. Déception meurtrie de l'auteur de ces lignes ! Quoi ? Comment ? Un autre aurait eu la même géniale idée, et avant moi qui plus est ! L'audacieux, le malhonnête, en un mot, le plagiaire.

Mais après tout être traité de plagiaire, est-ce si infamant ? Car il en va des textes comme du reste d'un monde où comme l'a si justement écrit M. de Lavoisier : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

Régulièrement on voue aux gémonies tel ou tel, y compris parfois un ministre de la République, pris la main dans le sac du plagiat. Mais qui peut vraiment se vanter de ne subir aucune influence ? Ne passons nous pas notre temps à (souvent mal) imiter les maîtres qui nous ont enseigné ? A répéter, mais c'est l'art de la pédagogie me direz vous, des leçons parfois mal apprises...

Il me vient à ce moment précis l'agréable souvenir de lecture d'un joli petit essai de Jean-Luc Hennig qui si ma mémoire ne me fait pas trop défaut s'intitulait "Apologie du plagiat". En substance il disait :

"Ayez le courage de vos plagiats. Ne vous laissez pas abuser par les sirènes des censeurs, des puritains, des professionnels de l'indignation vertueuse. Vous volez des droits d'auteur ? Foutaises ! En fait, vous ne volez rien du tout, vous faites circuler les textes, vous êtes un passeur de mots, vous ne vous les réservez pas, vous les distribuez."

Avec l'avènement du Net, est-ce la mort de l'Auteur qui est annoncée ? Sans doute pas et les textes ont encore de beaux jours devant eux. Avec ou sans emprunts (grand ou petit), influences, imitations (volontaires ou pas) ou simple don de mimétisme, ils sont nombreux ceux qui au fil de l'histoire des lettres se sont inspirés de leurs aînés ou de leurs contemporains. La toile leur donne juste un peu plus de facilité puisque, sans ciseaux ni glu, ils coupent et collent à volonté. Mais qui peut vraiment se targuer de faire acte de création ? Combien sont ils les vrais génies créatifs ? Bien sur il faut préserver les droits intellectuels des auteurs sur leur oeuvre, mais il faut aussi transmettre et faire passer. Rien ne serait pire en effet qu'un monde de bibliothèques réservées aux seuls bibliophiles et aux rats éponymes qui, sous couvert de conservation, se réserveraient le savoir et, tels le moine du "Nom de la Rose" interdiraient par tous moyens aux non-initiés d'accéder à la connaissance. Certains parmi nos contemporains jouent aujourd'hui le rôle des copistes des abbayes du Moyen-âge et contribuent à transmettre et donc à diffuser le savoir. Plagiat n'est pas piraterie.

Pour autant, faut-il "célébrer le pastiche" comme nous le demandait Pierre Assouline dans le magazine Lire ? Pour ma part, c'est plutôt le Pastis que je veux fêter et au risque de plagier un célèbre dandy chanteur, comme moi, amoureux de la Balagne, plaçant au-dessus de tout l'amitié, amateur de single malts et de gros Vitoles je conclurai par ces mots : "On nous cache tout, on nous dit rien. Plus on apprend plus on ne sait rien. On nous informe vraiment sur rien."



vendredi 8 janvier 2010

Sorbonneries...


Un mien ami professeur et sénateur que je ne nommerai pas (il se reconnaîtra s'il lit ces quelques lignes...) animait autrefois l'un de ces clubs politiques qui fleurissaient dans les années quatre-vingt du siècle dernier. Un club justement appelé "Cercle Robert de Sorbon"; du nom même de celui qui en 1253 fonda le Collège devenu, au fil du temps, la plus célèbre et le plus prestigieuse des universités parisiennes.

Aujourd'hui, vendredi 8 janvier 2010, soit 757 ans après la fondation du lieu, j'ai eu l'extrême honneur de "professer" en Sorbonne. J'en suis encore tout esbaudi ! J'avais dû pourtant à regret quitter avant que le fromage ne fut servi un repas fort agréable et bien arrosé réunissant quelques camarades autour de notre ami Laurent qui bientôt quittera Paris pour s'installer en Terre Sainte. En affrontant les frimas hivernaux, j'ai rejoint la Sorbonne par la rue Claude Bernard et la rue Saint Jacques. Un huissier accorte m'indiqua très aimablement mon chemin à l'effet de trouver la salle où je devais officier en lieu et place d'une amie indisposée et qui m'avait demandé de la suppléer ; ce que j'avais accepté de faire.

Tête des étudiants qui l'heure venue, guettent leur professeure et voient, cher lecteur, arriver ton serviteur ! L'étonnement fait vite place à la curiosité et les escholiers présents attendent du "Maître" officiant que puisse leur être dispensé leur dose de Connaissance. Dois-je préciser qu'avec mes amis ripailleurs nous avions trouvé le thème définitif de mon exposé quelques minutes seulement avant que je ne me mette en chemin pour rejoindre les prestigieux amphithéâtres du Gai Savoir désormais installés où fût naguère la maison d'un certain Jean d’Orléans et les écuries contiguës de Pierre Pique-l’Ane cédés à Robert de Sorbon par la Reine Blanche de Castille ?

J'en étais encore à me demander ce que j'allais bien pouvoir raconter quand, magie du lieu ou encouragement puisé dans le silence attentif et recueilli de l'auditoire, un mot est venu, puis un autre, et, de phrase en phrase, les deux heures de conférence prévues ont passé sans même que je ne m'en rende compte. Et quand le moment de la fin du cours est arrivé, plusieurs de ces jeunes étudiants sont venus vers moi pour échanger encore quelques mots, solliciter un conseil, demander un service, une carte de visite... Pourtant, comme à chaque fois qu'il m'est donné de parler devant un auditoire, je doutais encore ce matin de ma capacité à pouvoir non seulement capter son attention mais aussi à pouvoir transmettre une once du modeste savoir que j'ai au fil du temps acquis et qui me donne, de loin en loin, l'occasion de pouvoir guider les pas de plus jeunes ou de moins expérimentés.

Si aujourd'hui j'ai pu, par la force du verbe et de l'expérience partagée, donner à certains l'envie et la passion de cette belle matière qu'est le tourisme et de ses métiers, ce soir sans doute suis-je en droit de me sentir un peu plus utile, et partant, meilleur. En un mot, un peu moins Sorbon à rien...