mardi 19 septembre 2023

Rien de plus sérieux

"La conversation n’est pas un remplissage du temps, au contraire c’est elle qui organise le temps, qui le gouverne, qui impose ses lois qu’il faut respecter."
Milan Kundera


J'ai profité de l'été pour lire quelques ouvrages de Milan Kundera. Sa célèbre phrase, "Rien de plus sérieux que la légèreté," peut s'interpréter comme indiquant que la capacité de prendre du recul et d'adopter une perspective légère peut être extrêmement importante, voire cruciale, dans la vie, voire même, essentielle à la vie. Elle met en avant l'idée que la légèreté, l'humour et la capacité à ne pas se prendre trop au sérieux peuvent être des outils puissants pour faire face aux défis et aux situations complexes de manière plus saine et équilibrée.

La légèreté ne signifie pas nécessairement l'irresponsabilité ou l'insouciance. Elle peut même, au contraire, être une réponse consciente à des situations sérieuses ou anxiogènes, permettant aux individus de mieux gérer le stress, de maintenir une perspective positive et de favoriser des relations harmonieuses avec les autres. L'équilibre entre la gravité et la légèreté dépend des circonstances, des valeurs personnelles et de la manière dont chacun choisit d'aborder les différents aspects de l'existence. La légèreté peut être une composante essentielle de la vie, tout comme la gravité et le sérieux, elle peut contribuer à une meilleure qualité de vie et à un bien-être général. On a tendance à trop prendre avec gravité des sujets parfois dérisoires alors qu'en réalité il n'y a essentiellement rien de sérieux. Souvent, nous accordons trop d'importance à des sujets qui, en réalité, ne sont pas aussi sévère que nous le pensons. Cette tendance à prendre au sérieux des choses dérisoires peut être attribuée à plusieurs facteurs :
  • Perception individuelle : Ce qui peut sembler sérieux à une personne peut paraître insignifiant à une autre en raison de différences de perspective, d'expérience et de valeurs personnelles ;
  • Stress et préoccupations : Dans un monde souvent stressant, nous pouvons être enclins à réagir de manière exagérée à des problèmes mineurs car ils représentent une manière d'échappatoire à des préoccupations plus importantes ;
  • Pression sociale : La société, la culture, les médias ou les réseaux sociaux peuvent influencer nos perceptions de ce qui est important. Parfois, il est perçu comme socialement essentiel de donner de l'importance à des sujets qui, en réalité, ne le méritent pas ;
  • Mauvaise gestion des émotions : Lorsque nous ne parvenons pas à gérer nos émotions efficacement, nous pouvons réagir de manière excessive à des situations triviales.
Cependant, il est important de noter que même si certains sujets peuvent sembler dérisoires, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils n'ont aucune valeur. Les petites choses de la vie, comme l'humour, les passe-temps et les moments de détente, revêtent une grande importance pour notre bien-être émotionnel et mental. A contrario, il convient parfois de ne pas minimiser l'importance des problèmes qui peuvent sembler mineurs à première vue, car ils peuvent avoir des implications plus profondes dans certaines situations. L'essentiel est de trouver un équilibre entre prendre les choses au sérieux lorsque c'est nécessaire et savoir lâcher prise et profiter des moments plus légers de la vie. Cela peut utilement contribuer à une vie plus équilibrée et satisfaisante. 

Peut-on parler sérieusement de tous les sujets sans pour autant se prendre au sérieux ? Toute conversation impose t'elle ses lois ? La manière dont nous abordons un sujet et la façon dont nous nous comportons lors de la discussion peuvent varier considérablement, même lorsque le thème abordé est d'importance. Voici quelques éléments que je livre, cher lecteur, à ta considération, à l'effet de pouvoir parler sérieusement sans se prendre trop au sérieux :
  • Reconnaître l'importance du sujet : Même si on ne se prend pas au sérieux, cela ne signifie pas qu'on minimise l'importance du sujet. Il est tout à fait possible de discuter sérieusement d'un problème tout en maintenant une attitude ouverte et détendue.
  • Maintenir l'ouverture d'esprit : Etre prêt à entendre les opinions et les perspectives des autres, même si elles diffèrent des nôtres. L'ouverture d'esprit permet une discussion sérieuse et constructive ;
  • Utiliser l'humour avec discernement : L'humour peut être une manière efficace de détendre une conversation sérieuse, d'alléger l'atmosphère et de permettre à chacun de s'exprimer plus librement mais il convient de le faire avec discernement car, comme le dit l'adage, on peut rire de tout mais pas nécessairement avec tout le monde ;
  • Éviter l'arrogance et garder un ton respectueux : Ne pas se prendre au sérieux signifie également ne pas être arrogant ou condescendant envers nos interlocuteurs. Même si c'est parfois compliqué,  il faut s'efforcer de respecter la manière dont l'autre exprime opinions et idées et maintenir un ton respectueux et courtois. Les attaques personnelles ou l'agressivité ne contribuent généralement pas (c'est un euphémisme...) à une conversation productive ;
  • Prendre du recul : Il est parfois utile de savoir prendre du recul et de se rappeler que les sujets sérieux sont souvent complexes et nuancés. Reconnaître cette complexité peut aider à ne pas se prendre trop au sérieux.
En guise de conclusion provisoire, allons une fois encore chercher une citation dans l'œuvre de Milan Kundera : "L'histoire est tout aussi légère que l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain."(*) 

N'oublions jamais, cher lecteur, que la légèreté de l'insignifiance se joue bien souvent du rien.

dimanche 18 juin 2023

Un rien de perversion

Je viens de terminer la lecture du dernier roman d'espionnage(*) publié par le - toujours - très bien renseigné Cédric Bannel. Ayant pour toile de fond l'actualité dans l'Est de l'Ukraine, comme à chaque fois qu'il nous entraîne à suivre une aventure de son agent "Sigma" de la DGSE, son récit est passionnant tout autant que glaçant par son réalisme froid.

Pourtant, en posant ce soir le livre achevé, et en allumant le poste de TV pour prendre connaissance des titres des actualités du jour, un léger malaise m'envahit. Pendant que je prenais plaisir à lire les aventures d'un héros de fiction, des hommes, des femmes, êtres de chair et de sang, se battaient pour leur liberté en Ukraine, y mourant chaque jour, victimes du pire conflit armé qu'ait connu notre continent depuis la seconde guerre mondiale. Un rien de perversion ? Quel plaisir peut-il en effet y avoir à lire une fiction s'appuyant sur une aussi sordide actualité ? 

Je me suis alors souvenu que certains des meilleurs films de guerre et d'espionnage sur le conflit mondial de 39-45 étaient sortit des studios d'Hollywood alors même que, en Europe, en Afrique et dans le Pacifique, les combats faisaient encore rage et qu'au même moment d'aussi illustres réalisateurs que John Ford, Howard Hawks ou Franck Capra s'illustrèrent, en réalisant des films de genre et, pour dire le vrai, d'excellents supports de propagande en faveur de la lutte contre les forces de l'Axe. Alors, toutes choses étant égales par ailleurs, lire aujourd'hui des œuvres qui exposent les crimes des séides et des sbires de la Russie poutinienne au grand jour, même sous un tour romanesque, et qui mettent en valeur le rôle des hommes de l'ombre qui, chaque jour, risquent leur vie pour défendre la nôtre et qui luttent pour notre commune conception de la démocratie, est-ce si malencontreux ?

Lire une fiction qui s'appuie sur une actualité dramatique peut offrir plusieurs plaisirs et avantages. Je te propose, cher lecteur, quelques points que tu voudras bien considérer :
  • Exploration des émotions : La lecture d'une fiction basée sur une actualité dramatique peut permettre d'explorer et de ressentir les émotions associées à cet événement réel. Cela peut susciter des réactions émotionnelles intenses, offrant une catharsis et une occasion de réfléchir sur les conséquences émotionnelles de l'actualité.
  • Compréhension approfondie : La fiction peut offrir une compréhension plus approfondie de l'actualité en la replaçant dans un contexte narratif. Elle peut donner vie aux personnages et aux situations, permettant aux lecteurs de mieux saisir les enjeux et les dilemmes auxquels chacun d'entre nous peut être confronté.
  • Réflexion critique : Lire une fiction basée sur l'actualité la plus sombre peut inciter à porter une réflexion critique sur les problèmes sociaux et les enjeux politiques qui sous-tendent ces événements.
  • Créativité et imagination : La fiction offre une liberté créative qui peut permettre aux auteurs de présenter des perspectives alternatives, des personnages complexes et des histoires captivantes. Cela peut enrichir l'expérience de lecture en offrant une vision différente de l'actualité et en stimulant l'imagination du lecteur.
  • Sensibilisation et empathie : Lire une fiction basée sur une actualité dramatique contribue, j'en suis persuadé, à sensibiliser les lecteurs à des problèmes auxquels ils pourraient ne pas avoir été exposés auparavant. Cela favorise l'empathie envers les personnes affectées par ces événements et peut même encourager l'action individuelle.
Sans compter que le plaisir ou simplement l'effet provoqué à la lecture d'une fiction basée sur l'actualité la plus pathétique peut considérablement varier d'une personne à l'autre. Lors que certains peuvent  chercher une évasion totale de la réalité, d'autres peuvent trouver de la valeur dans l'exploration de thèmes pertinents à travers la fiction. Chacun a ses propres préférences et motivations de lecture. Une des caractéristiques fondamentales de la fiction est de s'appuyer sur le réel pour l'interpréter et le reconstruire. Les œuvres de fiction puisent souvent leur inspiration dans la réalité. Les auteurs utilisent alors ces éléments réels comme matériau pour créer des mondes imaginaires, des personnages et des situations qui reflètent ou commentent la réalité d'une manière particulière, offrant des perspectives et un angle de vue différents.

La fiction permet enfin de donner un sens et une forme narrative aux expériences et aux idées. En utilisant des éléments du réel, elle peut explorer nos émotions de manière plus profonde et nuancée. En reliant la fiction à la réalité, les auteurs peuvent susciter des résonances chez les lecteurs et les inviter à réfléchir sur des questions essentielles. Relevons, cependant, que la fiction ne se limite pas à reproduire simplement la réalité telle qu'elle est. Les auteurs ont la liberté de manipuler, de déformer ou de réinventer le réel selon leur vision artistique et leur intention narrative. Après tout, n'est-ce pas l'essence même de toute œuvre de fiction que de s'appuyer sur le réel pour l'interpréter et le reconstruire ?



mercredi 14 juin 2023

Rien ne me plaît tant que rien

Véronique me fait fréquemment remarquer que j'attache trop d'importance à l'heure, au temps, aux contraintes du calendrier. Et si le temps n'existait pas ? Et si nous l'avions inventé pour mesurer ce sur quoi nous n'avons aucun contrôle ? Cela remettrait en question notre conception fondamentale de la réalité tant le temps est une composante essentielle de notre expérience quotidienne, influençant nos actions, nos projets et nos interactions avec le monde qui nous entoure.

Si nous considérons que le temps est une simple construction humaine, cela signifie que notre perception de la durée, du passé, du présent et de l'avenir est très largement arbitraire. Les horloges, les calendriers et les unités de mesure du temps deviennent de simples outils que nous avons créés pour ordonner notre existence.

Si l'on croit qu'il n'existe pas, le temps devient une illusion collective, une convention sociale. Nous pourrions imaginer que chaque instant est une éternité en soi, sans division ni succession. Les notions de passé, de présent et d'avenir se dissolvent, et nous sommes confrontés à un continuum intemporel. Cela soulève des questions profondes sur notre compréhension de la causalité et de la responsabilité. Sans le temps comme repère, notre capacité à mesurer les conséquences de nos actions serait remise en question. Le passé et le futur n'auraient plus d'influence sur nos décisions, car chaque moment serait dès lors indépendant et autonome.

D'un autre côté, si nous considérons que le temps est une invention pour mesurer ce qui nous échappe, cela pourrait refléter notre désir de donner un sens et une structure à un monde chaotique, complexe et changeant. Le temps nous permettant alors de planifier, de coordonner et d'organiser nos vies en nous offrant un cadre pour comprendre les processus naturels, l'évolution et les rythmes du monde.

Néanmoins, si nous prenons pour hypothèse que le temps est une création de l'esprit humain, il peut être intéressant de réfléchir à notre relation à cette notion. Nous pourrions même être amenés à remettre en question notre dépendance vis-à-vis du temps, à nous interroger sur notre obsession de toujours vouloir mesurer et quantifier. A toujours vouloir être à l'heure, à la bonne heure pour certains, ou à toujours être en avance ou en retard, pour d'autres. Chacun sa névrose... Peut-être que la réalisation que le temps est une construction nous inciterait à adopter une perspective plus holistique, à apprécier davantage l'instant présent et à vivre pleinement chaque moment, indépendamment de toute notion de passé ou d'avenir. Aujourd'hui, hier, demain : ces notions ont-elles un sens à l'échelle de la relativité de l'espace et du temps de l'univers ?

En fin de compte, que le temps soit une réalité objective ou une invention humaine, il reste un aspect essentiel de notre expérience et de notre compréhension du monde. La question de son origine et de sa nature véritable peut susciter une réflexion philosophique profonde, mais quelle que soit la réponse, notre interaction avec le temps façonne notre existence de manière significative, en donnant à nos vies un rien d'ordonnancement. Dans ma quête des petits riens, qu'est-ce que je recherche au fond ?

Rien ne me plaît tant que rien, cet espace-temps hors du temps. Cette notion paradoxale peut sembler étrange, mais elle résonne profondément en moi. Dans un monde en mouvement, un monde où tout un chacun est en quête de nouveauté et d'excitation, une vie où l'assurance de notre finitude nous donne constamment le sentiment que le temps file et nous échappe, je trouve la voie d'une forme de paix  dans le rien, dans le vide apparent. Car le rien est un espace où le temps n'existe pas, un lieu où l'on peut s'échapper de la frénésie du quotidien, où l'on peut trouver un refuge tranquille. C'est un moment de calme et de quiétude, où l'on peut se déconnecter du bruit du monde et se reconnecter avec soi-même. Dans ce vide, il n'y a pas de contraintes, pas d'attentes, pas d'horaire à respecter ni de pression. Je peux simplement être, sans aucune obligation ni responsabilité. Je peux alors laisser mon esprit vagabonder librement, sans aucune limite. Je peux explorer les recoins les plus profonds de ma créativité, laisser mon imagination se déployer sans entraves et se laisser porter par des petits riens. Les idées se forment et se transforment, les rêves prennent vie. Rien ne me limite, rien ne me retient.

Le rien est une invitation à la contemplation. En accordant une attention particulière au moment présent, en savourant chaque sensation et chaque expérience, nous découvrons la beauté et la richesse qui se cachent dans les petites choses. Nous réalisons que même dans le rien, il y a tout.

Rien mieux que rien ne me permet de me libérer des attentes externes et de me reconnecter à mes propres désirs et besoins. Je peux me débarrasser des pressions sociales et me concentrer sur ce qui est authentique pour moi. Dans ces petits riens, je trouve ma véritable essence, mes valeurs fondamentales. Alors, oui, rien ne me plaît tant que rien. C'est dans ce vide apparent que je trouve la plénitude, la liberté et la joie. C'est dans le rien que je me trouve et que je me perds à la fois. C'est là que je me sens vraiment vivant. Ni le temps, ni l'espace, plus rien ne me limite.

mardi 23 mai 2023

Faire du sens avec du flou

Parce que l'une de ses ambitions, cher lecteur, est de donner à réfléchir, ce blog est, à l'image du misérabilisme français, performatif. En t'invitant à lire, ce blog réalise en effet ce qu'il énonce et démontre, de facto, la distinction en partie illusoire entre parole et action. La dimension performative de la parole et de sa transcription à l'écrit, c'est, au-delà de la représentation, sa capacité à agir sur le réel. Tu as pu, de toi même, vérifier que les assertions que contiennent ces pages ne sont bien souvent ni vraies ni fausses. Elles ne peuvent être évaluées que selon un résultat qu'elles induisent car, la plupart du temps, elles accomplissent l’action à laquelle elles font référence. 

En gros : Dire c'est faire, et c'est plus souvent qu'à son tour, l'une des caractéristiques de ce blog. C'est parfois même essayer de faire du sens avec du flou, même si cela peut, au premier abord, sembler paradoxal, tant le flou est souvent associé à une absence de clarté ou de précision. Cependant, parfois même au risque de l'aporie, il m'arrive souvent de recourir au flou de manière intentionnelle, tant pour susciter un regain d'intérêt que pour ajouter une dimension poétique, mystérieuse, symbolique ou onirique à mes petits textes, en laissant une grande part d'interprétation au lecteur. La quête de sens et l'interprétation varient d'un lecteur à l'autre. Ce qui peut être profondément significatif pour une personne peut ne pas l'être pour une autre. Certains peuvent même trouver du sens dans l'acceptation du flou ou de l'absence de sens.

La question du sens est éminemment subjective. Notre cerveau compose en permanence avec la réalité et goûte particulièrement les validations subjectives. Pour faire simple, nous passons notre temps à essayer de valider subjectivement ce en quoi nous croyons. La croyance devient alors à nos yeux vérité.

Recourir au prisme du flou permet d'aborder différemment notre perception de la réalité ou la nature même de la connaissance que nous en avons. Toute réalité que nous croyons vraie est reconstruite à partir de nos souvenirs et des associations que nous passons inconsciemment notre temps à faire. Contrairement au savoir, que l'on peut résumer au fait de posséder des aptitudes ou des informations acquises par l'étude et l'expérience, la connaissance est beaucoup plus complexe que ce que nous avons tendance à croire et il est souvent nécessaire de prendre le temps d'interpréter pour comprendre, malgré le flou qui peut entourer telle ou telle situation.

La connaissance implique généralement une compréhension approfondie et une intégration des informations dans un contexte plus large. Ce n'est pas seulement le fait de recueillir des observations, mais aussi de les assimiler, de les analyser, de les évaluer et de les relier à d'autres concepts et idées. La connaissance nécessite une réflexion critique et une capacité à esquisser des hypothèses et tirer des conclusions à partir des informations dont nous disposons. Explorer les zones les plus floues permet alors de donner une signification différente aux choses et d'aborder une autre dimension de compréhension, une autre approche de la réalité qui va au-delà de la simple possession d'informations mais permet de les contextualiser et de stimuler une réflexion critique, pour essayer de mieux comprendre le monde qui nous entoure, même dans un environnement flou et instable. Si le savoir est avant tout accumulation d'information, la connaissance, elle, entraîne une transformation.

Et parce qu'on m'a récemment posé la question, oui, ce blog, sans fournir de résolutions faciles ni souvent de réponses claires aux questions qu'il soulève, se veut performatif et aporétique à la fois, tant il me plaît de penser que cette combinaison peut non seulement engager le lecteur de manière active, mais aussi le pousser à réfléchir et à explorer les idées au-delà des contradictions ou de dilemmes apparemment insolubles. Faire du sens avec du flou...

jeudi 4 mai 2023

Un peu de tout, beaucoup de rien

Ordo Ab Chao ?

L’effet papillon est une métaphore qui fut formulée pour la première fois par le météorologue Edward Lorenz et qui peut être résumée par la question suivante : " Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ". L'effet papillon est matérialisé par une chaîne d'événements, sans lien apparent, qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant. 

Et s’il en était de même pour nos vies et, au-delà, pour l’humanité elle-même. Chaque instant porte inscrit en lui sa mortelle part d’incertitude. Comme l’a, avec tant de justesse, énoncé Paul Ricoeur : " Toute mort, même la plus attendue, intervient dans la vie comme une interruption ". Heureusement, les actes de chaque être humain entraînent une chaîne de conséquences imprévisibles qui traversent les siècles et les civilisations, bien au-delà de leur propre disparition.

Chacun de nos actes nourrit le flux que certains appellent le cours du monde. En prendre conscience c’est lutter contre l’illusion de la continuité et accepter la finitude de notre existence terrestre, tout en réalisant que tout n’est que mouvement et que chacun de nos gestes, la moindre de nos actions, contribuent à l’édification du monde sensible. Nous vivons au cœur d’un univers vibratoire, d’une énergie sans cesse mouvante qui se transforme en une multitude de faits et d’actions non nécessairement liés les uns aux autres et qui portent en eux-mêmes leur propre signification.

La vie n’est qu’une construction chaotique et nous n’avons de cesse d’essayer de donner l’apparence de l’ordre à un tumulte fait d’un peu de tout et beaucoup de rien. Un chaos que, parce que nous sommes perpétuellement en quête de sens, nous essayons pourtant d’ordonner tant, plus encore que le vide, la possibilité même du néant, la matière qui se dérobe, le non-sens et l’absence de logique sont pour nous, dans la relation intime que chacun entretient au monde, la source continue d’une angoisse métaphysique que seule la mort vient pénétrer. Citons une fois encore Paul Ricoeur : " La vie, du moins au stade humain, est un paquet de tendances dont les visées ne sont ni claires ni concordantes ; il faut une situation de catastrophe pour que, soudain, sous la menace de l’indéterminé absolu — ma mort —, ma vie se détermine comme le tout de ce qui est menacé ".

La vie : Un peu de tout et beaucoup de rien...

samedi 1 avril 2023

Rien n'a d'importance

A l'heure où chaque jour nous apporte son lot, amplifié par des réseaux dits sociaux, d'inexactitudes, d'affabulations, de charlatanisme, de "vérités alternatives" et de "fake news", de complotisme et d'impostures, dans sa "liste des gens dont il faut se méfier", un auteur met en garde contre "les vantards de leurs riens."*

Dans sa quête de vérité, le lecteur averti devrait donc, selon lui, prendre garde, en exerçant son esprit critique, à se méfier ou, à tout le moins, à ne pas accorder trop d'importance à ceux qui se vantent de choses insignifiantes ou sans importance réelle. Le besoin égotique de se mettre en valeur, ou une confiance en soi fragile, peut tous nous pousser à exagérer ou à mentir. Mais, après tout, qu'est-ce que la réalité ?

Tu seras sans doute d'accord avec moi pour considérer que la réalité est avant tout un concept subjectif et dépendant de la perspective de l'observateur. Nous percevons le monde par nos sens qui sont autant de filtres qui donnent un sens particulier à la vérité telle que chacun la ressent dans l'expression de "sa réalité". Pourtant, selon certaines théories philosophiques, la vérité est une propriété objective qui peut être attribuée à une proposition ou une déclaration si elle correspond aux faits. Est-ce si certain ?

Pour beaucoup - à commencer par les scientifiques - la vérité n'existe que dans le reflet de l'erreur qui serait la seule chose vraie. On se souviendra que dans la dialectique hégelienne, à partir d'une hypothèse, c'est toujours l'antithèse qui fonde la thèse. Pour le philosophe, lorsqu'une hypothèse est proposée, elle est confrontée à des objections et à des arguments contraires, ou une "antithèse", qui pousse le penseur à repenser son hypothèse et à la développer davantage pour répondre aux objections. Ce processus dialectique peut mener à une nouvelle idée ou une nouvelle "synthèse" qui intègre les perspectives précédemment opposées et pose les fondements d'une manière de vérité.

Toute vérité devrait donc pouvoir être récusable et c'est l'erreur même qui la confirmerait alors. Ce qui est faux n'apparaissant que comme l'autre face indissociable de ce qui est vrai, la vérité ne s'exprimerait que dans une approche duale.

Quant au  mensonge, il n'est le plus souvent qu'une erreur consciente ou, dans les lapsus de parole, une révélation involontaire de l'inconscient et des pensées refoulées.

A la lecture de ce blog peut-être t'est il arrivé, ami lecteur, de parfois te dire qu'on n'était jamais trop méfiant des vantards de leurs riens et de leur expression de la réalité... Mais, après tout, est-ce si grave ? Surtout si l'on veut bien songer qu'en ce samedi 1er avril, au fond rien n'a d'importance.


(*) Charles Dantzig - Encyclopédie capricieuse du tout et du rien

dimanche 26 février 2023

Rien ne décrit le silence

"Le mot empêche le silence de parler." Eugène Ionesco

Je n'ai jamais compris l'expression "se murer dans le silence". Comme si le silence dressait des murs, qu'il enfermait et était privatif d'une quelconque liberté alors qu'au contraire, à mes yeux, le silence souvent contribue à  libérer ! Et d'abord, la parole qui prend sa source dans le silence qui la précède et la fonde. Puis, dans le fait même de se taire pour mieux recevoir la parole de l'autre. Se taire pour écouter, faire silence pour entendre. On dit même que la liberté se gagne dans le silence de celui qui sait l'observer. Seul notre silence rend la parole possible et, d'une certaine façon, la libère. Pour qu'il y ait échange, celui qui écoute, se tait. Pour bien entendre, il est indispensable que s'installe le silence, comme au spectacle où le lien entre les artistes et le public ne peut s'établir que dans le silence de l'auditoire. Pour laisser éclore la pensée et advenir la parole, nous avons besoin de ce silence qui, pourtant, ne peut être produit. Le paradoxe veut en effet que pour "faire silence", il convient surtout de s'abstenir de rien faire. Le silence ne peut s'épanouit que dans le rien. 

Notre discours nous rend existant aux autres car nous sommes des êtres sociaux. Mais qu'en est-il de ceux qui se taisent ? Et puisqu'on ne peut pas ne pas communiquer, le silence est, pour le moins, partie à la communication. Dans certaines situations, il est même des "silences actifs" (certains psychologues évoquent alors la figure du "passif agressif", celui qui peut aller jusqu'à "attaquer par le silence"...). Qu'on se souvienne, à titre d'illustration, du mutisme de résistance opposé aux soliloques de l'officier allemand, francophile et francophone, par le personnage de la  nièce de la famille dont la maison, au début de la seconde guerre mondiale, a été réquisitionnée par l'occupant dans "le silence de la mer" de Vercors. Le silence serait ainsi parfois utilisé comme une technique de manipulation, à tout le moins comme un mécanisme de protection. Le non-dit peut être plus éloquent que l'exprimé.

Le silence est aussi parfois considéré en philosophie comme l'indice du rien. Le silence pourrait donc également être une voie, un chemin possible, une ascèse dans l'espoir, enfin, d'arriver à être libre, à n'être plus rien. Le silence comme un langage de l'âme, une parole qui donne un cadre à l'intime. On dit alors que rien n'est plus parlant que certains silences, partant, rien ne décrit le silence. Le silence n'existe que par contraste. L'absence de parole de celui qui se tait et, par extension, une absence de sons, l'absence de tout bruit. Le silence ne serait-il alors qu'une absence ? Pourtant, le solfège nous enseigne qu'en musique, il existe sept sortes de silences : La pause, la demi-pause, le soupir, le demi-soupir, le quart de soupir, le huitième de soupir et le seizième de soupir. Il y aurait donc, au moins en art musical, plusieurs nuances de silence. Mais comment nuancer ce qui ne se décrit pas ? Et, ce que nous appelons silence l'est-il vraiment ?

Notre image sonore du monde n'est pas le monde, mais une perception des sons de l'univers rendue partielle en raison des limites physiques de notre sens auditif. Notre oreille n'est en effet sensible qu'à une gamme spécifique de fréquences et d'intensités qui définissent ce qu'on appelle le champ auditif humain. Toutes les vibrations acoustiques qui sortent de ces limites ne sont plus considérées comme des "sons" par nos oreilles. Etres limités, nous ne percevons ni les ultrasons ni les infrasons qui sont pourtant entendus par d'autres espèces. Ainsi, ces sons, pourtant bien réels, l'homme ne les entend pas car ils appartiennent à un plan inaccessible à ses sens. Ce que nous appelons silence est-il donc réellement si silencieux ?

En guise de provisoire conclusion, je voudrais, ami lecteur, te faire, plus qu'un conseil, une libre suggestion : la prochaine fois où tu devras prendre la parole, assure toi d'abord que ton silence ne serait pas plus éloquent. Et souviens toi que tu as le droit de rien dire.

vendredi 17 février 2023

Rien ne dure

"La vraie connaissance est de connaître l'étendue de son ignorance." Confucius


Si les mots "savoir" et "connaissance" sont souvent utilisés de manière interchangeable, leurs significations sont pourtant bien différentes. Le savoir s'acquiert et peut être transmis alors que la connaissance m'apparait, elle, comme le fruit d'un long processus d'apprentissage individuel.

Le savoir peut être défini comme une compréhension ou une information acquise à un instant donné et issue d'un enseignement et de l'expérience d'une pratique. Parce qu’il est en général basé sur des faits concrets, il peut être considéré comme relativement fiable mais il dure jusqu'à ce que l'état des connaissances en la matière évolue et n'infirme le soir ce que l'on pensait encore le matin immuable. Ainsi,  le savoir qu'on peut définir comme une manière d'expertise acquise dans un certain domaine est le fruit de la formation intiale suivie et de l'expérience. Il est souvent l'un des fondements d'une certaine légitimité à prendre la parole.

La connaissance est un terme plus large qui s’inscrit dans une forme de mouvement, un processus d'élaboration personnelle continu qui englobe le savoir en lui adjoignant également une dimension de compréhension et d'identification des interactions et des relations entre les différents éléments qui en sont constitutifs. La connaissance peut également être considérée comme une combinaison dynamique et évolutive entre savoir, compréhension et capacité, pour un individu, à mettre à profit cette réflexion pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions. Plus que le savoir acquis, la capacité à toujours s'adapter aux modifications de l'environnement n'est rendue possible que par la connaissance. Elle conforte la légitimité de celui que la position qu'il occupe conduit à devoir prendre des décisions.

On dit parfois que le savant est celui qui maîtrise parfaitement et dans ses moindres aspects un savoir par essence limité. Mais, le sachant, n'est-il pas celui qui a, au fil du temps, acquis une forme de connaissance aux contours beaucoup plus larges ?

Si l'on considère le savant comme un individu qui a accumulé une grande quantité de savoir et d'expertise dans un domaine donné, il est possible qu'il sache suffisament de choses pour légitimer sa prise de parole dans ce domaine. Cependant, personne ne peut prétendre savoir absolument tout sur un sujet, même celui qui est perçu comme « sachant ». La connaissance est en constante évolution, et il y a toujours des découvertes à faire et des choses à apprendre.

A l'occasion de la pandémie mondiale, on a assisté pendant des mois au défilé cathodique quotidien de scientifiques devenus, pour certains, les chroniqueurs attitrés des chaînes d'information permanente. Depuis bientôt une année et le début de l’invasion russe en Ukraine, ils ont disparu, presque du jour au lendemain, pour laisser leur place encore chaude sur les plateaux à des officiers généraux, réservistes ou en retraite, qui, chaque jour, commentent l’actualité de la guerre et les manoeuvres des assaillants comme des défenseurs. Les treillis ont supplanté les blouses blanches.

Mais de quoi cette surabondance d’experts est-elle le nom ? Une foi inébranlable dans la parole de celui qui est censé savoir ?

Si tout peut, un instant, sembler vrai, la seule réalité c'est que rien ne dure. La connaissance humaine est, au regard d'un Univers infini qui ne cesse de s'étendre, par nature, limitée. Il y aura toujours des mystères et des incertitudes à explorer. A l’instar de l’horizon, on pourrait dire que plus on croit s’en approcher, plus la connaissance nous échappe. Ce que l'on croit savoir et que l'on pense fiable et durable n'est souvent qu'éphémère. Non, vraiment, rien ne dure.