dimanche 28 mars 2021

Rien à écrire

Aujourd'hui dimanche ma page reste blanche.

Depuis plus d'un an, le calendrier voit se succéder des jours qui ne sont pas fériés mais qui sont marqués, pour beaucoup, du sceau de la maussade routine d'un désœuvrement imposé. 

Tant de choses à dire, mais rien à écrire.

vendredi 26 mars 2021

Rien n'est plus important

Dans les premières séquences du film Mon oncle d'Amérique1 d'Alain Resnais, qui voulait expliquer au début des années 80 les ressorts des comportements humains, le professeur Henri Laborit énonce : "la seule raison d'être d'un être, c'est d'être..." Est-ce si certain ? Quid du mouvement de la vie ?

Cette phrase toute empreinte d'une approche exclusivement ontologique nous renvoie à la question fondamentale du "Qui sommes-nous ?" Elle répond, en quelque sorte, à la question vertigineuse et souvent sans réponse du "Pourquoi sommes-nous ?" Mais est-il si essentiel de comprendre pourquoi nous sommes tels que nous sommes ? Est-il raisonnable (?) de consacrer tant d'efforts à vouloir rechercher dans le passé des causes qui nous échapperont toujours, en obéissant à une seule logique explicative ne se comprenant qu'en termes de causalité, plutôt que de nous efforcer à préparer un futur agissant, l'avènement d'un autre à-venir ? 

Ne faudrait-il pas davantage se poser la question du "Comment ?" Une question qu'il ne faudrait d'ailleurs pas uniquement aborder sous l'angle explicatif d'un enchaînement de raisons pouvant éclairer notre histoire mais bien sous celui plus implicatif, prospectif et ouvrant la voie à l'action, d'un agencement, d'une organisation permettant de devenir ce que nous sommes. En posant cette question, on changerait de plan et on aborderait la question existentielle sous la forme de l'action de l'homme sujet, acteur agissant de sa vie, plutôt que la simple essence de l'homme étant, objet passif de son destin.

Mais est-ce suffisant ? Ne faut-il pas aller encore plus loin dans la recherche du sens, de la raison même d'être ?

A un autre moment du film - à deux reprises d'ailleurs - la voix-off de Laborit dit au spectateur que "nous sommes les autres." A partir de là, il m'apparait que les deux premières questions posées (Pourquoi ? Comment ?) sont insuffisantes à donner un sens à notre existence. En acceptant l'idée que nous sommes l'autre en nous, il faut poser, me semble-t-il, deux autres questions : "Pour qui ? Pour quoi ?" Et, dès lors, ne  plus nous contenter du "Qu'est-ce qui m'a fait tel que je suis ?", ni même du "Où vais-je ?" et "Comment y vais-je ?" mais bien d'accepter l'idée que notre existence serait toute entière guidée par une démarche peut-être davantage métaphysique. L'homme - j'ai déjà eu l'occasion de t'en entretenir - est à mes yeux un être spirituel. Les causes que nous cherchons à l'extérieur, hors de nous, ne sont peut-être que des leurres visant à masquer notre quête existentielle de "supplément d'âme", cette connaissance intime de l'in-connu qui agit en chacun de nous. 

Après tout, rien dans le cheminement n'est plus essentiel que le chemin lui-même. L'action de celui qui chemine dans la vie ne saurait en aucun cas se résumer à son point de départ ni à son but, ni à sa naissance ni à sa mort, mais bien à sa manière singulière d'avancer, ici et maintenant, sur la voie qui ouvrira toujours la porte des possibles en faisant de lui le sujet capable et agissant de son existence, cette somme de petits riens d'un vécu qui toujours lui échappent et qui, mis bout-à-bout, formeraient le Tout d'un être. Pour qui ? Pour quoi ? Rien n'est plus important.

1 - Mon oncle d'Amérique - Alain Resnais, 1980

lundi 22 mars 2021

Perdre du temps à rien

" Tout en nous naît pour être inassouvi. "
    Emile Cioran 

Depuis plus d'un an maintenant, nous sommes nombreux à n'avoir plus que (trop) rarement pu quitter nos logements. Mais si les murs de nos maisons nous enferment, ils nous protègent aussi et peuvent même contribuer parfois à nous rassurer. Les lieux que nous habitons constituent souvent en effet, par leur douce familiarité, un véritable antidote à notre angoisse existentielle et donnent même au poète un espace où donner libre cours à sa fantaisie. Si je m'ennuie parfois d'être confiné, l'isolement ne m'ennuie pas. Le confinement imposé n'a guère entraîné chez moi de souffrance, tant il est vrai que toute ma vie peut m'apparaitre aujourd'hui comme une forme de longue préparation, un entraînement, parfois langoureux, souvent monotone, à cette interminable période de proscription - plus ou moins - volontaire et d'isolement qui, en donnant matière à nos contemporains de penser l'absence totale d'horizon, confine pour beaucoup à une manière de non-existence mais qui, chez moi, a été plus souvent propice à la rêverie. Car, comme l'a si joliment écrit Gaston Bachelard : " la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur..."

Je me suis souvent ennuyé. Alors, lire, écrire, s'ennuyer ! Songer, écouter, regarder, autour de soi et en soi, extravaguer, s'ennuyer ! Penser, s'ennuyer encore... Pour chasser la fastidiosité d'une vie confinée, faire, même peu, même pas grand chose, mais le faire, à l'effet d'occuper, en le remplissant de petits riens, le vide du Grand Tout de l'existence. 

Je regarde avec étonnement ceux qui, plus fous ou plus sages, croyant sans doute moins que l'être est dans le faire, ont adopté une philosophie de vie consistant à ne rien faire, mais à bien le faire. Je ne peux m'y résoudre et préfère me ranger derrière Cioran lorsqu'il écrit que "le plus dur n'est pas de faire quelque chose mais de vivre1."

J'adhère résolument au camp des amoureux du rien et de l'absolu, ceux qui cumulent, dans un temps qu'ils voudraient croire hors du temps, la recherche du même et son contraire. Je suis de ceux qui rêvent la vie dans une forme de dualisme rationaliste, et qui refusent d'opposer Eros et Thanatos, spirituel et corporel, physique et psychique, essence et immanence. Entre les débordements du tout et les contractions du rien, il me paraît que tout n'est rien, et réciproquement.

Plutôt que ne rien faire, j'aime perdre du temps à de petits riens. N'est-ce pas, au fond, le plus sur moyen de rester ouvert à tout, et, dès lors, mieux se préparer à laisser venir le Grand Tout ?

1- Cioran - Divagations, NRF/Gallimard 2019

lundi 15 mars 2021

Il suffit d'un rien (bis)

On entend parfois dire, dans une forme de truisme frappé au coin de ce qui semble à beaucoup être une manière de bon sens, qu'il n'est rien de tel que de voyager pour voir du pays. Pourtant l'esprit de l'homme est ainsi fait qu'il le porte parfois bien loin dans le temps et l'espace. On pourrait même dire que nous ne sommes réellement présent que là où le désir profond de notre âme ou la puissance de nos songes nous entraînent.

Depuis un an, à l'exception notable des vacances estivales, j'ai très peu quitté les murs de la quasi-cellule qu'est devenu mon bureau, ou alors c'était pour me déplacer d'une pièce à l'autre, dans la maison. Certains pourraient être tentés de penser que, pendant toute cette période, si nous avons été tenus éloignés du monde, c'est le monde qui est venu jusqu'à nous, tant nous sommes, plus que jamais auparavant ne l'avait été l'humanité, des êtres "connectés". Mais ça n'est pas de village global que je souhaitais t'entretenir, mais bien plutôt de voyages immobiles.

Plus simplement, quand je convoque le souvenir des douze derniers mois, j'ai l'impression d'avoir tout fait sauf du sur-place. Et, à l'effet qu'il ne puisse y avoir la moindre méprise entre nous, cher lecteur, entends-moi bien, je ne cherche pas ici à décrire une expérience de décorporation ni même l'un de ces voyages astraux chers à certains ésotéristes. Pas d'extase chamanique, ni transe, ni usage intempestif de produits psychotropes dans mes expériences intérieures. Et d'ailleurs, je ne crois ni à la décorporation ni au don d'ubiquité et j'ai bien trop peur de l'addiction pour user des drogues à la mode. Je me contente d'un verre de bon vin de temps à autre. 

Non, plus simplement, en relisant quelques-uns des courts textes que j'ai rédigés au long de ces temps confinés, je m'aperçois que l'écriture a constitué un très sûr moyen de déplacement vers d'autres lieux, d'autres temps, d'autres mondes. Une autre vision de la réalité du monde. Un autre monde... Comme une prise de conscience encore plus explicite que la carte n'est pas le territoire.

Un air entendu, une image aperçue, quelques mots d'un texte sont parfois plus utiles à nos transports qu'un billet de train, d'avion, une pilule ou un champignon. Même digitalisée, même distanciée, tant que nos esprits restent libres, la vie reste la vie.

Il suffit souvent d'un rien pour stimuler une imagination qui ne demande qu'à se mettre à l'œuvre. Et si on partait ?

mardi 2 mars 2021

Rien et tout

Au midi des terres australes il n'est rien, rien que le vide de l'espace intersidéral,

Au septentrion des banquises boréales, c'est tout un univers en expansion qui s'étale.

Ecrit en pensant à Serge Gainsbourg (2 avril 1928-2 mars 1991)




lundi 1 février 2021

Si proche de rien

Mardi 30, 2ème mois de la 13ème année du Grand Confinement. Ça pourrait être pire...

La nouvelle est tombée, relayée largement par toutes les chaînes d'infocon du groupe NETBOOK, géant mondial des médias né de l'absorption de FACEBOOK par NETFLIX: Depuis ce matin, renforçant le décret général ayant rendu obligatoire, sauf rares et très circonstanciées exceptions, le recours au télétravail et ayant banni tout enseignement présentiel, et, au-delà de la mesure de respect strict des frontières communales que l'armée, renforcée parfois par des paramilitaires municipaux zélés, déployée sur tout le territoire, est chargée de faire appliquer depuis un an dans le cadre d'une énième règlementation européenne d'exception sanitaire, il n'est plus possible de s'éloigner, au risque de se faire "neutraliser" par des représentants de la force publique autorisés à tirer sans sommation, à plus de 300 mètres de son domicile sans être muni d'une autorisation en bonne et due forme, d'une attestation sanitaire officielle ou pour des raisons d'urgence absolue (et de toute façon, ne sont plus seuls autorisés à accueillir du public que les hôpitaux, les pharmacies et les dispensaires) et revêtu d'une tenue NRBC complète à usage unique et muni d'un respirateur homologué. A l'exception des achats en ligne, même les courses essentielles sont interdites - tu me diras, toutes les boutiques sont depuis longtemps fermées... - et le ravitaillement en besoins indispensables à la survie et en nourriture, principalement lyophilisée et obligatoirement stérilisée, est exclusivement assuré en régie par les services communaux ou confié à quelques astucieux concessionnaires. Et tant pis pour ceux qui avaient fait le choix pour vivre de s'isoler un peu en restant à l'écart de la société...

Un voisin sortant ses poubelles

Chaque mercredi et chaque samedi matins sont, intercalés entre le lundi consacré aux ordures ménagères et le vendredi aux déchets recyclables et au verre,  désormais réservés au ramassage des dépouilles, assuré par le très officiel  C CADO,  le "Service de Collecte des Cadavres à Domicile " dont les agents, reconnaissables à leurs combinaisons intégrales rouges à respirateur intégré, sont, pour beaucoup de nos concitoyens devenus, alors même que nul n'a aperçu leurs visages toujours dissimulés derrière le masque qu'ils ne quittent jamais, des figures plus familières que celles de leurs amis dont le souvenir à leur mémoire s'estompe ou de leurs voisins qu'ils n'aperçoivent plus que rarement. 

En effet, pour faire face au volume de décès et au risque sanitaire, il n'est plus question d'autoriser quelque cérémonie funéraire que ce soit. Les dépouilles des défunts sont donc ramassées, sur le lieu du décès, deux fois par semaine et immédiatement transportées dans des "centres de traitements humains" (en fait, d'anciennes usines de valorisation des déchets reconverties à la va-vite et rebaptisées pour satisfaire au politiquement correct) pour y être incinérées. Les SDF retrouvés morts n'on pas cette chance dont les cadavres sont pris en charge sur place par des "unités mobiles de traitement rapide", vite rebaptisées "escadrons de la mort" et identifiables de loin à l'odeur pestilentielle et méphitique qui les accompagne. La mort, avec ses remugles fétides et toute son infâmie, nous est d'une certaine façon redevenue familières et domestique.

Les services de "deuil express" et "mort tranquille", les deux nouveaux géants digitaux américain et chinois d'assistance personnelle au deuil sans obsèques, dont les campagnes de publicité largement diffusées sur les écrans de tous nos appareils connectés et le marketing agressif sur nos smartphones de dernière génération promettent "une rapide résilience" par "un travail de deuil accompagné, efficace et définitif en quelques clics", ont maintenant supplanté les cérémonies funéraires, qu'elles fussent religieuses ou laïques, et les anciennes entreprises de pompes funèbres qui ont complètement disparu. Il est même question, depuis peu, que certains cimetières puissent être réformés, comme ce fut le cas au moment de l'extension de Paris au XIXème siècle. Des promoteurs peu regardant y voient la promesse d'un foncier rapidement disponible et peu onéreux. A quoi bon en effet conserver la trace physique des défunts puisque plus personne ne peut se rendre sur leurs tombes pour s'y recueillir. Plus question, évidemment, de déposer les ossements dans les catacombes, mais, construction rapide de nouveaux centres de traitement pour totalement éliminer les reliques, dépollution des sols, arasement et valorisation. De nouveaux programmes immobiliers sortiront très vite de terre. L'économie de la mort est florissante.

Alors que près de 15 % de la population européenne a disparu, ceux qui ont jusqu'à présent survécu ne vont pas nécessairement tous bien. Et l'on n'évoquera même pas ici les autres affections et maladies aux conséquences potentiellement mortelles qui ont continué à affecter nos contemporains, et peut-être même à en décimer davantage, en raison des difficultés physiques d'accès aux soins.

Après les grandes vagues de suicide collectif entrainées par les prônes des prophètes de l'apocalypse dans les dix-huit mois qui ont suivi le constat d'inefficacité des politiques vaccinales et la décision de recourir à un confinement permanent généralisé, il a fallu faire face à l'épidémie tout aussi inquiétante d'un état dépressif durable et largement répandu, notamment chez les plus jeunes. L'échelle de Cyrulnik est devenue l'indicateur d'aide au diagnostic le plus utilisé. C'est la mesure des larmes qui détermine désormais scientifiquement l’usure de l’âme. Tout individu dépassant les normes légales en matière de pleurs peut être déclaré "moralement usé" et soumis, par arrêté préfectoral, à la camisole chimique domiciliaire. Déjà légalement contraints de rester chez eux pour obéir aux mesures sanitaires générales de privation de liberté, les "usés", comme on les appelle communément, sont dorénavant enfermés dans la prison de leur propre corps, en permanence sédatés par les cocktails de drogues chimiques puissantes qu'ils sont contraints d'ingurgiter. Les protocoles de traitement de toutes les autres pathologies mentales ont été considérablement simplifiés par le recours à cette législation nouvelle et, les malades ne nécessitant plus guère d'hospitalisation, de nombreux hôpitaux psychiatriques, à l'instar des palais des congrès, centres de conférence et autres multiplex cinématographiques, ont été reconvertis en centres de soins intensifs et de réanimation. Une grande partie des patients psy est, à défaut d'être prise en charge, largement "traitée" chimiquement à domicile. Ne sortant plus de sa torpeur artificielle que pour satisfaire ses besoins physiologiques vitaux, 30 % de la population est désormais plongée dans un état de semi-hibernation.

Et malgré toutes les mesures prises, la litanie des morts quotidiennes (16 666 pour la seule journée d'hier) est là pour nous rappeler que rien ne semble pouvoir enrayer, malgré l'hubris et l’orgueil toujours aussi démesuré des mandarins qui gouvernent désormais de facto le monde, la progression d'un virus qui a dores et déjà décimé un quart de la population mondiale et dont les mortelles et incessantes mutations sont rapportées sur les réseaux du seul Dark Web, presque en temps réel, par quelques scientifiques rebelles, dingues et parfois géniaux, mis au ban de leur communauté.

Si demain sera un autre jour, l'humanité, elle, n'aura jamais été si proche de rien.



samedi 23 janvier 2021

Ça compte pas pour rien

Identité et mémoire. C’est dans notre mémoire que les morts vivent. Rien n’excuse l’oubli. Notre identité puise ses sources dans les Lumières et notre histoire, toute notre histoire, qui ont contribué à forger ce qu’on appelle parfois l’universalisme à la française. Notre vision de l'universalisme fondée sur une acception toute particulière du sécularisme, que nous nommons laïcité, est frappée aujourd'hui par une solitude terrible. L’humanisme oublié des Lumières ne fait plus école. La raison recule parfois devant l'absurde et les idéaux des Lumières suscitent même méfiance et doute. 

Rien n’est sans raison. Vraiment ? Objectent certains. Faut-il, doit-on, peut-on tout expliquer ? L'actualité  parait servir les causes les plus folles tant elle semble nous dire qu'une raison qui ne laisserait aucun espace au tragique, à l’inconnu, aux contingences peut être simplement dévastatrice ! Et on doit bien admettre qu'en cette année - de merde ! - 2020, le virus est venu nous rappeler que malgré notre prétention absolue, nous ne maîtrisions pas tout... Alors que croire ? 

Il ne s'agit pour autant pas de céder en tout à l'irrationnel, au risque que seul le faux se révèle. Dans un monde à la complexité tellement anxiogène, de plus en plus accessible mais de plus en plus indéchiffrable, nos grilles de compréhension et d'"interprétation raisonnable" sont confrontées chaque jour à un besoin d'intelligible qui laisse paradoxalement place aux discours les plus fous, aux impostures érigées en "vérités alternatives", aux théories complotistes encourageant la haine de l'autre et le retour des conflits et des déchirures, comme est tragiquement venu l'illustrer la fin de la campagne présidentielle américaine. C'est contre la connerie qu'il faudrait, d'urgence, vacciner nombre de nos contemporains.

Mieux qu'un vaccin, plus qu'une immunité, comme le dit si joliment l'une de mes amies, nous ne serons réellement sauvés que lorsque nous aurons enfin atteint une forme d'humanité collective ! Ça compte pas pour rien.

jeudi 7 janvier 2021

Non, rien...

Lundi 4 janvier 2021 - curieux comme le fait de changer ne serait-ce qu'une unité peut vite donner l'illusion que les choses vont tout de suite aller mieux... - nous avons bien ri, devant notre écran magique, en visionnant sur Netflix (je sais, je sais...) le bilan des douze derniers mois vu par les créateurs britanniques de la série Black Mirror : "Death to 2020" ! Un bilan décalé et irrésistible, que m'avait signalé un mien ami, d'une année terrible qui aura vu s'enchaîner les épisodes, tous plus anxiogènes les uns que les autres, d'une série catastrophe à laquelle personne ne pouvait s'attendre. Même s'il est  vrai que, pris sous un nouvel angle, une tournure plus parodique, les évènements paraissent tout de suite moins insupportables. Cette création tragi-comique vient heureusement nous rappeler également que l'année a été marquée par quelques bonnes nouvelles, dont la défaite de Donald Trump à la Présidentielle américaine n'aura surement pas été la moins savoureuse pour un certain nombre d'entre nous.

Images extraites de "Death to 2020"

Et puis, mercredi 6 janvier... Alors là, malheureusement, nous n'étions plus du tout dans la fiction et il est difficile de croire que, sur le même écran, puissent défiler en boucle les images, bien réelles cette fois, diffusées dans le monde entier, d'un tel déchaînement de violence et de haine, nourri de rancœurs, de frustrations et de délires complotistes et gavé à l'hormone de croissance des fake news de la réalité alternative présidentielle. 

Tout est là pour nous rappeler que le changement d'année tant attendu n'aura été qu'illusion et que ce putain de 21ème siècle a bel et bien commencé le 11 septembre 2001. Ce siècle est dramatique en tous points et chaque jour l’histoire et son cortège de catastrophes le rappellent davantage à notre mémoire. Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 60, vivent aujourd’hui sans doute la période historique la plus tragique de leur vie. Temps d'incertitudes généralisées et de pandémie mondiale, terrorisme et montée des intégrismes, menaces sur le modèle démocratique, bipolarisation exacerbée où chacun s’oppose désormais à l’autre, sans plus jamais prêter la moindre attention à un point de vue différent du sien, en étant certain de son droit et de sa raison, et prêt à les défendre, y compris jusqu’à l’absurde, au ridicule. Un ridicule qui tue ! Absence de recul, de réflexivité, de prise de hauteur et approche trop souvent binaire d'une réalité plus complexe qu'il n'y paraît parfois. Tous les ingrédients du scénario le plus sombre sont réunis. 

En voyant hier soir les émeutiers envahir le Capitole et s’en prendre à l’un des principaux symboles de la démocratie américaine, je n’ai pu m’empêcher de penser au choc que j’avais ressenti ce jour de décembre 2018 où une stèle représentant Marianne, et donc la République, avait été brisée à coups de marteaux à l’intérieur de l’Arc de triomphe. Ce jour-là, la haine aurait pu tout emporter sur son passage , et avec elle notre Démocratie, puisqu’on sait désormais que la question du recours au feu, c’est à dire au tir à balles réelles, s’est posée pour la hiérarchie policière, tant la violence à laquelle devait faire face les forces de l’ordre place de l’Etoile était inédite et extrême. Sans vouloir faire un parallèle osé, j'y perçois les mêmes germes de la haine de l'autre, d’une  manière de violence nihiliste et du rejet absolu de toute forme de pensée libre et exprimée dans un cadre démocratique.

Pour en revenir aux Etats-Unis : Comment imaginer que le Président élu d'un des plus grands états de la planète puisse encourager la croyance en une réalité parallèle portée par des miliciens suprémacistes arborant ostensiblement des signes nazis, alliés à des dingues qui professent l'existence d'un vaste complot pédophile mondialisé, ou qui croient à la réalité d’un pouvoir reptilien caché ou d’Illuminati dominant le monde et qui instrumentaliseraient le terrorisme et joueraient de la santé de l'humanité pour mieux imposer leur règne dans l’ombre sur une terre plate ? Au secours !

Le symbolisme c’est du réel. Briser les icônes, s’en prendre aux images, aux symboles, c’est attaquer les fondements de la démocratie même ! Le débat dont j'ai ici exalté les vertus semble avoir vécu. Nos contemporains ne se parlent plus que pour s'invectiver. Ils vivent désormais dans des mondes totalement différents et parallèles. Le relativisme s’est généralisé et vérité de l’un n’est plus du tout vérité de l’autre. Comment pourra-t-on réconcilier des visions de plus en plus antagonistes et dont les seuls points de rencontre semblent désormais se résumer au monde virtuel des réseaux sociaux et, demain, à une réalité devenue le théâtre absurde et tragique d’un affrontement mortel et définitif ? 

Comment auraient été traités les événements d'hier par les scénaristes de "Death to 2020" s'ils étaient intervenus quelques jours plus tôt, l'an passé ? Sans-doute par une forme subtile de dérision comique. Ils nous auraient alors rappelé qu'il est salutaire de vouloir rire de tout. Peut-être ? Autrefois, c'était au siècle dernier, il  n'y a pas si longtemps, le rire mettait tout le monde d'accord. Désormais, la censure progresse et une nouvelle forme d'ordre moral voudrait imposer son idéal déviant et mortifère à ceux qui veulent encore simplement vivre.

Nous sommes le 7 janvier aujourd'hui. Il y a cinq ans, deux dingues fanatisés faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et semaient la mort parmi la rédaction. Ces deux-là ne supportaient plus qu'on puisse penser, vivre et aimer rire !

L'un des enseignements majeurs de notre époque apagogique et déglinguée c'est que certains voudraient nous imposer de ne plus pouvoir rire de tout, de ne plus rire du tout, pour mieux nous contraindre à croire les plus délirantes folies, les idéologies les plus mortifères, les plus ineptes conneries, pour nous soumettre à leurs vérités, même au prix du sang et de la vie. Ce que je retiens de ces trois jours c'est qu'il faut se dépêcher de rire, de rien, de tout, tant que nous le pouvons encore, mais qu'on ne peut certainement déjà plus le faire avec tout le monde.

Quoi ? Non, rien...