mardi 10 octobre 2017

Un rien paranoïaque...

Je lisais récemment que, selon des statistiques tout à fait officielles, 157 personnes seraient mortes en 2016 en France, victimes de la violence de leur conjoint. En incluant les victimes collatérales et les suicides consécutifs, la mort de plus de 250 personnes a été causée par ces violences l'année dernière. Sombre et terrible vérité des chiffres. Un rien morbide. Une comptabilité qui devrait inciter  tous ceux dont l'objectif de vie se résume - parfois à n'importe quel prix - à trouver l'âme sœur, à faire davantage preuve de prudence. Voir, à développer, sans sombrer dans le délire de la persécution, une forme de prudence paranoïde de précaution.

Bon, d'accord, toutes les femmes ne sont heureusement pas des Catherine Tramel en puissance. Mais n’empêche...

Pour ma part, au risque qu'on dise de moi que j'ai du sang de navet, j'ai tendance en toutes choses à préférer prévenir plutôt que guérir. Je fais gaffe, je veille au grain et je me méfie de l'eau qui dort. Car, comme le veut le dicton populaire, on n'est jamais trop prudent!

Un rien paranoïaque... Et alors ? A mon sens, la seule, l'unique question à se poser incessamment, c'est : Le suis-je suffisamment ? A cultiver, sans délire psychotique ni mégalomanie, la voie d'une méfiance raisonnable, je crois en effet qu'on travaille à écarter le risque de voir un jour burinée sur sa pierre en guise d'épitaphe :
"que n'a-t-il su être plus prudent!..." 

Bon, en même temps, si comme le dit le proverbe oriental "la prudence fait la moitié de la vie", peut-on considérer que l'autre moitié serait faite de témérité et d'audace ? Voir...


lundi 25 septembre 2017

Rien d'autre qu'illusion...

Passant ce matin devant un abribus, j'ai relevé que chacune des 9 personnes - hommes, femmes, jeunes et vieux - qui y étaient présentes avait le visage penché sur l'écran de son téléphone. Neuf têtes baissées comme en signe de soumission à la machine, neuf taches lumineuses formées de leurs figures éclairées par le halo pâle des écrans Led. Vision déprimante d'une société trans-humaine et connectée attendant son autobus dans le petit matin.

Dans son besoin frénétique d'hyperactivité, l'homme urbain post-moderne ne peut plus accepter la simple hypothèse de ne rien faire. Ou plus exactement, d'avoir simplement le temps de laisser son esprit vagabonder au gré de ses pensées et de son imagination, sans support, sans béquille numérique; pour échapper au monde sensible et accéder au règne de l'idée. 

Par peur sans doute de la solitude ou pour, à l'inverse, s'y réfugier, par crainte de manquer quelque chose (oui mais quoi?), du temps perdu (pour qui?), par souci d'imitation aussi ou par simple - et mauvaise - habitude, dès que nous le pouvons - et moi le premier - nous plongeons dans un univers digital dont le support est un miroir où nous nous oublions.

Introduisant un voile supplémentaire, l'image pixelisée dont nous ne pouvons plus nous passer, loin d'ouvrir ou d'élargir notre regard, fait pourtant écran à notre vision du monde. Pour reprendre mon exemple du matin, aucun des personnages aperçu ne regardait autour de lui, aucun n'avait la perception directe des autres ou des choses qui l'entouraient. Qu'il est loin le temps où l'on savait prendre son temps à le perdre, à surtout ne rien faire. Si, si ! Rien ! Car rien, ça peut être bien...

En disant cela, je ne m'exonère pourtant pas, tant il est vrai que le décompte du temps passé sur les écrans qui jalonnent mon quotidien suffirait à lui seul à comprendre que je suis certainement affecté du même mal. Mais après tout - paradoxe des paradoxes - c'est aussi par la voie digitale que j'ai choisi de m'exprimer et de t'acheminer, cher lecteur, ces quelques lignes; d'écrire, même au risque de donner l'impression parfois de parler pour ne rien dire; prouvant s'il en était besoin que ce monde numérique n'est finalement pas si différent de celui qui nous entoure. Depuis Platon et sa caverne, chacun sait en effet que la vie n'est rien d'autre qu'illusion.

Seule l'interrogation permanente, le doute et une manière de scepticisme questionnant me permettent de m'exonérer du monde sensible pour essayer d'accéder à une autre forme de réalité; même si elle est parfois dérangeante, même si le prix à payer est de bousculer le confort illusoire des habitudes. La connaissance du monde intelligible est à ce prix. Seul le travail sur soi permet de changer radicalement notre perception des choses et des êtres en convertissant notre regard pour nous libérer des voiles de l'illusion, percevoir le monde tel qu'il est, comprendre qu'il n'est de réalité que dans le domaine des idées et, partant, renouer avec l'espérance.

Une raison supplémentaire de se revendiquer d'un pessimisme de raison, tempéré d'un optimisme par passion.

jeudi 31 août 2017

"You don't owe me nothin', sir..."

2000, NYC, intérieur jour, tôt le matin dans une chambre de l'hôtel Novotel Times Square, je me réveille...

Après m'être habillé pour descendre prendre mon petit-déjeuner, je cherche, pour prendre connaissance de mon emploi du temps du jour, le Time System que j'utilise depuis le début des années 90 et qui, au fil du temps et des saisons qui passent m'est devenu un véritable bureau ambulant; ce gros agenda à la couverture de cuir que j'ai traîné partout, sous toutes les latitudes, par tous les climats et qui ne me quitte jamais. Impossible de le trouver. Mon passeport, mon billet de retour, mon chéquier y sont soigneusement rangés. Je suis à Manhattan. Panique!

Alors j'essaie de me rappeler et de reprendre le fil des souvenirs de la veille...

Début de soirée au piano-bar de l’hôtel Sofitel, à proximité de la cathédrale St Patrick et des bureaux des services français du tourisme aux États-Unis situés dans le bel immeuble du New Yorker. Nous étions convenus de nous y retrouver avec le directeur local d'Air France, qui deviendra, un temps, mon adjoint à Paris. Quelques standards de jazz plus tard, largement arrosés de cocktails et de scotchs bien tassés, la faim se faisait ressentir. Le responsable de notre bureau de New-York nous proposa d'aller dîner downtown dans un endroit qu'il décrivit comme "surprenant". La surprise fut en effet totale...

Fin de soirée, intérieur nuit, lumière tamisée sur fond de Rock lourd, dans une steak house tenue par des bikers à la mine patibulaire, autour d'une bière fraîche et d'un hamburger dont seuls les américains ont le secret. Une cuisine sans fioritures, des boissons (trop) alcoolisées, la fumée des cigarettes et (très) peu de présence féminine. Un peu l'impression - rétrospectivement - d'être plongé dans un épisode de la série Sons of Anarchy.

Ça y est, ça me revient! Je me souviens être arrivé dans ce bar avec mon agenda à la main. En revanche - mettons ça sur le compte du jet-lag et de l'abus d'alcools forts - je ne me rappelle pas du tout être rentré à l'hôtel avec. Merde!  J'ai dû l'oublier chez les bikers. Seul un miracle, me dis-je alors...

Appel au NYPD, branle-bas de combat au Consulat de France. Il faut attendre que le bar ouvre, dans l'après-midi. L'aventure ne me déplait pas même si je suis un peu inquiet de l'utilisation peu conforme aux usages qui pourrait être faite d'un joli passeport de service de la République française.

Et puis le coup de fil salvateur d'une collaboratrice du bureau qui a reçu un appel de la police. Une voiture de patrouille est passée au bar. Il semble qu'ils aient trouvé quelque chose. Vite! un yellow cab, je prépare 50 dollars que je donnerai, le cas échéant, en guise de récompense.

Arrivé devant l'entrée de l'établissement de nuit, qui me paraît beaucoup plus glauque à la lumière du jour, je me glisse entre les Harleys et les Indians garées en épis et je sonne. Des pas trainants, un homme d'entretien latino m'ouvre et me guide jusqu'au bureau du boss. Chemise de bûcheron canadien, perfecto et jeans noir, bottes de moto et bagues à chaque doigt, il est là qui m'attend, un cigare aux lèvres, une canette posée devant lui. Il me demande mon nom, semble satisfait de ma réponse, et sort du tiroir de son bureau en acajou sombre l'agenda que j'avais oublié sur la table de restaurant la nuit précédente. Je suis soulagé et, maladroitement, je le remercie en lui tendant les billets que j'avais préparés - en forme de reward - à cet effet: "Thank you so much. This is for you." Il lève alors les mains et, comme un télévangéliste presbytérien, me dit en me regardant droit dans les yeux: "You don't owe me nothin', sir. That's God's will!"*
 
Le rade recommandé par la très sérieuse NYC bar association était certes le quartier général d'un gang de motards mais il s'agissait en fait du chapitre new-yorkais des "solid rock riders" de la "Christian Motorcyclists Association". Un de ces groupes charismatiques qui œuvrent notamment à l'évangélisation de la communauté motocycliste.


Non seulement j'avais retrouvé mes papiers et mon billet d'avion, mais, sans même que nous le sachions, le barbu tatoué en blouson de cuir et gilet en jeans qui nous avait servi jusqu'à une heure avancée de la nuit avait, tout en nous abreuvant de Coors et de Budweiser, dit des grâces pour le salut de nos âmes de pêcheurs et le patron, au look de chef de bande, qui n'était rien d'autre que le ministre du culte de l'association, n'avait exigé de moi qu'une simple prière en guise de remerciement. L'Amérique c'est heureusement ça aussi...

 
* "Vous ne me devez rien, monsieur. C'est la volonté de Dieu!"

jeudi 17 août 2017

Ne rien faire, mais le faire plus longtemps

Notre nature ayant horreur du vide, et le débat sur le simple fait de ne rien faire - encore plus lorsqu'il s'agit de le faire seul - est tellement ancien qu'il est assez fascinant d'apprendre que non seulement l'oisiveté ne serait pas un vilain défaut mais que, comme le démontrent certaines études médicales récentes, si le repos est indispensable pour "recharger nos batteries", il pourrait être aussi essentiel pour garantir le bon fonctionnement de notre cerveau.

L'absence de stimulation garantirait le repos nécessaire, grâce au passage de notre cortex en mode "par défaut", qui permettrait une meilleure compréhension de notre environnement et favoriserait, par voie de conséquence, l’adaptabilité nécessaire à la survie.

Ce constat tombe fort à propos, car c'est précisément comme ça que nous envisageons, chaque été, notre villégiature calvaise. Se contenter de s'abandonner dans la contemplation des bleus changeant du ciel et de la mer. N'avoir qu'à choisir entre la plage et les rochers, tel bar, telle paillote ou le pagliaghju de Pierrot où nous partagerons un verre - parfois deux - entre amis, dîner sur la plage ou dans un de ces si beaux villages de Balagne, poursuivre la soirée chez Tony ou à l'Eden puis continuer chez Tao, jusqu'au bout de la nuit, au cœur de la fière citadelle génoise si bien chantée par Higelin. Et, enfin, dormir. Dans son lit, sur le sable, les rochers ou même sur le pont d'un bateau. Mais surtout, en faire le moins possible...

Une activité, certes soutenue, mais - Ô combien ! - réparatrice quand la saison des transhumances est venue.

Même dans les grandes cités, comme Paris, la circulation se fait beaucoup moins dense et certains profitent alors des boulevards qui s'abandonnent enfin aux flâneurs, aux amoureux de Paris, à quelques rêveurs et autres touristes qui forment une véritable société de connaisseurs (n'est-ce pas Laura ?...). C'est un peu comme si la ville elle-même profitait de la trêve estivale pour respirer un peu mieux et se refaire une santé en prévision de l'agitation à venir, à la rentrée.

Au risque d'en faire trop à un moment où, précisément, le devoir de farniente est de mise, je vais immédiatement me déconnecter pour mieux pouvoir rouvrir mon bulbeux encéphale en son mode "par défaut", juste à l'effet d'en faire le moins possible, presque rien, et surtout le faire longtemps. Le plus longtemps possible... Alors, à l'issue d'une période de repos que je te souhaite, ami lecteur, allongée et réparatrice, je reprendrai, lorsque le temps des vaines agitations laborieuses sera revenu, le fil de mes pensées errantes.

Bonnes vacances !


lundi 10 juillet 2017

Gaieté surprenante des petits riens


"Je ne sais si vous dites vrai, ou non; mais vous faites que l'on vous croit."
Dom Juan - Molière - Acte II, scène 2.

Tel un moderne Dom Juan, pour séduire, le Président philosophe a parlé.

Comme d'autres, je me suis demandé à quoi M. Macron pouvait bien faire référence en évoquant, dans son discours devant le Congrès du Parlement, la "gaieté surprenante des commencements" (?) car comme le dit si justement M. Nunez, "Ne cherchez pas. Nous n'avons pas la mémoire ni des origines ni des commencements1.

Faisait-il allusion à J.-B. Pontalis - auteur chéri de... l’auteur de ces lignes (cf. ici-même mon post du mercredi 20 mai 2015) - et son amour des commencements 2 ? Ce qui fait, dans les écrits du psychanalyste, la joie du lecteur que je suis, c'est l'évocation désordonnée des lieux et des événements - "C'était quand déjà ?" - autant de résultats d'une mémoire très certainement influencée par le présent. Autant de commencements qui résonnent presque comme autant de débuts de vies différentes, mais qui sont aussi synonymes de séparations et sans-doute tout autant de fins.

Évoquait-il, avec plus de légèreté, "la première gorgée de bière (et autres plaisirs minuscules)" de Philippe Delerm - Cette multitude de petits riens qui font et défont l'existence d'un être et qui, racontés, font comme une petite musique de mots qui semble venir de l'intérieur ? Ou bien faut-il y trouver une référence au "gai savoir" - cet art des troubadours et des trouvères de "faire gaia chanso", de composer à partir de petits riens - de Friedrich Nietzsche et à sa conception d'une existence au tragique affirmé mais d’une vie retrouvée, comme réconciliée avec elle-même, affirmant sa préférence de la gaieté à la joie ?

Le plus étonnant dans la phrase du Président est sans-doute le recours à l'adjectif surprenante. Pourquoi cette surprise ? Introduirait-il une forme implicite de critique de ce que certains décrivent comme le mythe des commencements ?

En relisant quelques-uns des textes que j'ai publiés sur ce blog au long de ces neuf dernières années, je réalise - avec une certaine surprise d'ailleurs - qu'ils donnent une image étrange, presque impressionniste, par cette forme qui se dessine à la longue et est le fruit du collage de nombreuses tranches de vie(s) et, souvent, de commencements qui défilent sans logique ni temporalité. Des tranches de vie(s), certes, mais dont rien n'indique qu'aucune ne soit vraie. Des petits riens associés pour essayer de produire quelque chose comme un cuisinier accommoderait les restes pour en faire un plat goûteux.

Des commencements, certes, mais assez peu de fins...

Prends, cher lecteur, l'exemple de la politique. Après plus de trente ans d'engagement, il m'arrive encore de l'envisager presque comme un passe-temps tant j'y ai, avec l'âge, mis de la distance et relativisé les enjeux. Et si j'y ai consacré une grande partie de mon temps, j'y aurais, au final, mis assez peu de passion ; mon esprit, certainement, mon cœur, beaucoup plus rarement. Pourtant, je suis toujours engagé, à défaut d'être enragé, tant je me surprends parfois à encore y prendre quelque plaisir, même bref, même petit, souvent pas grand-chose, presque rien.

1 - Laurent Nunez - L'énigme des premières phrases - Grasset, 2017.
2 – J.-B. Pontalis – L’amour des commencements – Folio, 1986
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lundi 3 juillet 2017

Une polémique pour rien ?

"Une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien"...

Avec cette phrase au premier abord assez curieuse, prononcée devant un parterre d'entrepreneurs la veille de la réunion du Congrès du Parlement à Versailles, le Président de la République pouvait-il vraiment faire l'économie d'une polémique ?

Le simple choix du verbe être, introduisant un axe résolument ontologique à cette sentence, n'était, à minima, pas très judicieux et sans-doute le débat aurait-il été moins vif si le Jupitérien souverain s'était contenté d'évoquer "ceux qui n'ont rien". Car l'utilisation de ce verbe introduit, de fait, une négation même de l'humanité, refusant la simple idée que l'on puisse être sans avoir, que l'homme puisse exister sans réussir. La réussite matérielle comme un accomplissement ? Alors faut-il, pour réussir, "avoir quelque chose" ou plutôt "être quelqu'un"

La force paradoxale de cette phrase est telle qu'elle pourrait laisser entendre que, pour être, l'humain est condamné à réussir. En creux, elle laisse accroire que celui qui ne réussit pas ne serait pas (humain) et serait donc renvoyé à une qualité différente (inférieure ?). Pourtant, si n'être rien c'est être parti de pas grand chose pour aboutir finalement nulle part, je ne crois pas que l'aspiration à être (simplement humain) saurait seulement se résumer au vouloir posséder, à une simple course à l'avoir.

De qui parle M. Macron ? En évoquant "les gens qui réussissent" (et quoi d'ailleurs ?) il crée un curieux distinguo en faisant le tri - quoi de plus normal dans une gare, me diras-tu, ami lecteur... - entre ceux qui auraient et d'autres qui ne seraient pas.  L'accomplissement d'une vie peut-il se résumer à la seule aulne de la réussite matérielle ? C'est en tout cas une vérité de notre époque que pour "être", l'homme moderne désire toujours plus "avoir".

Si le choix entre les verbes Être et Avoir, avoir ou être, constitue une autre forme du débat au moins aussi classique que la querelle des anciens et des modernes à laquelle le Président fait souvent référence, avec ce débat-ci le danger est grand de susciter quelques questionnements légitimes, tant existe le risque de constater une fois encore que l'attitude (la "réussite") centrée sur la simple possession (l'"avoir") produit presque nécessairement un désir de puissance, et donc, de domination de ceux qui auraient tout sur ceux qui ne seraient rien. La certitude d'avoir réussi, d'être "arrivé" (oui mais sur quel quai ? Dans quelle gare ?), ne porte-t-elle pas en elle les germes d'une illusion de toute-puissance risquant de conduire au sentiment de supériorité sur les autres ? 

Au-delà du fait que, dans cette phrase, on peut distinguer deux temporalités opposant le "ici et maintenant" de l'être, au "futur" de l'avoir, considéré comme une réussite - le simple fait d'affronter ceux qui réussissent et qui, dès lors,  jouissent de la sécurité de l'avoir, à ceux dont le nom est "rien" - ceux dont la personne-même devient l'équivalent du nom qui les qualifient, c'est à dire "rien" - suffit, il me semble, à introduire le désir de domination des uns sur les autres et la violence qui en est toujours le corollaire. 

Au fond, le véritable héros qui traverse ce hall de gare décrit par le Président est-il celui dont le but est de satisfaire son orgueil de réussir par la conquête d'un toujours plus ou celui qui a le courage d'abandonner tout ce qu'il a pour se rendre disponible à l'Autre ? 

On pourrait alors, en guise de conclusion très provisoire, et revenant sur des textes déjà publiés ici-même, faire contrepoint aux propos de M. Macron en évoquant la simple joie d'être (faisant référence à la joie de la vie éveillée de Maître Eckhart), pour l'opposer au plaisir d'avoir, on pourrait même dire, à la jouissance d'avoir (celle qui naît de la seule satisfaction très hédoniste d'un désir de réussite). 

Alors, une polémique pour rien ? Vraiment ?...

lundi 26 juin 2017

Rien ne sera plus comme hier...

Bonnets rouges, zadistes, nuit debout, sens commun, frondeurs du PS, République en marche, Républicains constructifs et maintenant les progressistes... L'uberisation de la politique est désormais une réalité qui a trouvé, dans les urnes, une concrétisation synonyme de déroute pour les représentants des partis traditionnels aux dernières élections législatives.

Querelle classique des anciens et des modernes, du parti du mouvement face à tous les tenants de l'immobilisme, de la création libre de l'avant-garde face au conservatisme du classicisme? En tout cas, force est de reconnaître que rien aujourd'hui ne ressemble plus guère à ce que nous avons connu hier.

Les électeurs seraient-ils, à l'instar des consommateurs décrits dans les modernes manuels de marketing, devenus des zappeurs dont la fidélité n'aurait d'égal que leur inculture politique, comme ceux dont la voix a pu passer, entre deux tours de scrutin, de la France Insoumise au FN sans barguigner ? 

Le moderne citoyen se moque bien d'avoir sa carte dans un parti politique et s'il est prompt à signer un jour une pétition en ligne, à s'engager le lendemain pour une cause à laquelle il ne connait rien mais qu'il trouve "sympa" ou à défiler pour dire "non", il s'abstient pourtant de voter à l'occasion d'une élection majeure qui engage son avenir pour plusieurs années... Va comprendre!

A l'Assemblée, on annonce aujourd'hui la création possible d'un nouveau groupe politique, situé entre celui du Président et les socialistes. La fragmentation entamée avec les constructifs à droite trouvera-t-elle son pendant à senestre? L'ancien Premier ministre - dont l'élection même est fortement contestée sur sa gauche - n'a pas cru devoir rejoindre le groupe du parti qui fut celui de sa majorité jusqu'à la semaine passée... 

Ce que certains décrivent comme de simples péripéties politiques m'apparaissent comme autant de signes d'une uberisation en marche, caractérisée, en contrepoint du fait collectif d'un groupe majoritaire pléthorique, par l'affirmation d'initiatives individuelles ou numériquement très faibles. Au final, et malgré le poids écrasant de l'ensemble majoritaire, on battra peut être cette semaine au Palais Bourbon le record du nombre de groupes sous la cinquième République. Comme si chacun de ceux qui ne se revendiquent pas de la majorité élue voulait s'assurer son petit "sam'suffit" et s'en contentait.

Recomposition ou décomposition ?

Après les temps héroïques des cathédrales, celui des grandes ambitions collectives et partagées, semble être venu celui du développement des petites chapelles individuelles. Querelles picrocholines et divertissement garantis grâce au mariage du formatage médiatique qui s'impose au discours et d’un accès supposé interactif au plus grand nombre rendu possible par la médiation du Web, mais union et efficacité dans l'action sans doute très fortement fragilisées. Après tout, peut-être ce retour d'un choix plus ouvert est-il annonciateur de l'avènement d'une démocratie plus directe, plus représentative et moins figée? Mais pour ceux qui, comme moi, ont été biberonnés au lait des grands partis qui ont façonné la France de la deuxième moitié du vingtième siècle, pour ceux qui considèrent qu'au-delà des égoïsmes et du tumulte des passions du moment la plus belle des ambitions reste d’essayer de rassembler ce qui est épars, il est bien difficile de s'y retrouver...

Non, décidément, rien ne sera plus comme hier.


dimanche 11 juin 2017

Sous la mer, rien ne bouge...

Printemps 1996, en patrouille quelque part sous la Méditerranée occidentale... A bord d'un sous-marin nucléaire d'attaque de la Marine Nationale portant le nom illustre de son prédécesseur qui fit partie des Forces Navales Françaises Libres et fut fait Compagnon de la Libération.

Jusqu'à cet embarquement, que je dus à la bienveillance de mes collègues marins du cabinet militaire de Matignon, la dissuasion m'était apparue comme un concept pour tout dire assez théorique. Et puis tout soudain, en plongée à bord de ce bâtiment de classe Rubis de la force océanique stratégique, j'ai pu comprendre, bien qu'il ne s'agisse pas d'un SNLE, le sens profond de l'engagement de ces équipages au service de la puissance maritime de la nation. Un engagement qui allie discrétion et force dans le cadre des opérations de lutte anti-sous marine engagées au profit de la dissuasion.


Le souvenir que je garde de la navigation en surface de ce bâtiment de plus de 2 500 tonnes reste associé à la très inconfortable flottaison d'une coque ronde qui roule comme un bouchon de liège ballotté par les flots et au sifflement d'un vent fort et désagréable sur le massif. En revanche, après une courte mais indispensable immersion périscopique et un très impressionnant exercice de plongée rapide, la stabilisation de l'assiette à une profondeur de plusieurs centaines de mètres sous le niveau de la mer me revient comme un agréable moment. Tout soudain, plus un bruit ne vient troubler le silence de la mer, à l'exception des sons, inquiétants je l'avoue pour le néophyte, de la coque épaisse se contractant sous l'effet de la pression. Surtout, plus un mouvement. Ni tangage, ni roulis. Juste un ronronnement discret et une très légère vibration dus au système de propulsion. Bien loin du tumulte de la vie terrienne...

N'eut été l'alternance de lumière rouge et de lumière blanche, les quelques échos du sonar provenant du PCO et les données affichées par les diodes du profondimètre du carré dans lequel une bannette m'avait été assignée, aucun élément extérieur ne me permettait alors de me repérer dans le temps ou l'espace alors même que le sous-marin progressait, à l'aveugle, dans les profondeurs de la Méditerranée, seulement guidé par des sons, des bruits, des ondes. Je me craignais claustrophobe mais ce n'est pas l'enfermement qui m'a le plus marqué, plutôt cette curieuse impression d'être plongé comme "hors du temps", au sein - bien loin de la rue de Varenne - d'un "ailleurs" auquel rien sur terre ne ressemble, auquel rien ne prépare. Drôle de sensation...

En partageant - même pour quelques heures seulement - la vie de ces hommes, condamnés à cohabiter plus de quatre mois en vase clos dans un quotidien marqué par la promiscuité, l'urgence et une forme de vigilance extrême et permanente rythmée par les messages flash reçus par satellite de l'escadrille, on comprend assez vite pourquoi seuls les volontaires sont admis à servir sur un sous-marin.

Je crois déjà l'avoir ici-même écrit, ce qui m'avait alors particulièrement impressionné c'était qu'à 38 ans, j'étais alors déjà plus âgé que le capitaine de frégate qui commandait aux 70 hommes, d'une moyenne d'âge inférieure à 30 ans, de l'équipage rouge qu'accompagnaient, pendant cette mission, quelques nageurs de combat et autres "techniciens" et "experts" embarqués avec moi à Toulon.

Je me souviens avec délice de mon traditionnel baptême de sous-marinier. Je l'ai vécu tel un rituel initiatique bien codifié auquel, depuis, d'autres ont fait écho... Après que le commandant m'eut tendu un grand verre d'eau de mer puisée à - 300 mètres que j'ai du avaler cul-sec, ce fut au tour d'un excellent Saint-Emilion; un grand vin que l'on boit malheureusement d'un trait pour chasser le goût salé laissé dans la bouche par le premier breuvage.

Puis vint le temps des exercices et des simulations de tirs de torpilles et de missiles en direction de cibles qui ignoraient tout du terrible danger qui les menaçaient alors. Le professionnalisme, la concentration sur les manœuvres et le strict respect des protocoles et des ordres, dans cet univers où la "discrétion acoustique" est une règle absolue, marqueront pour toujours ces instants dans ma mémoire. Ce sont des instants qui permettent d'apprécier tout le poids des responsabilités qui pèsent sur les épaules du commandant et de ses hommes et la conscience aiguë qu'ils ont de la puissance de feu terrible que représente le bâtiment à bord duquel ils servent.


Carnet de plongée...
Les ordres reçus de l’État-major à Toulon, la route précise fixée par le commandant conduisirent ensuite le sous-marin jusqu'au large des côtes d'un pays d'Afrique du Nord, dans le cadre d'une mission de surveillance et de renseignement, mais de cela je ne parlerai pas. Comme le disent souvent les marins pour évoquer leurs missions frappées du sceau du secret : "il suffit de lire la presse pour avoir une petite idée du lieu où nous a conduit notre patrouille"...

Plus de 20 ans ont passé et le Rubis sera désarmé cette année. Mais en retrouvant aujourd'hui le livret personnel de plongée sur lequel furent consignés mes - très modestes - "états de service à la mer", je mesure pleinement la chance et le privilège que j'ai eus de pouvoir partager la vie tellement exceptionnelle de ces hommes engagés et discrets dont la seule ambition est de servir.

Si, trop souvent, notre actualité terrienne est chaude et agitée par le tumulte des passions, sous la mer, heureusement, tout est calme, rien ne bouge.