“Notre vie est ce qu'en font nos pensées”
Marc Aurèle
Rien craindre, rien désirer, rien déplorer : ces trois maximes inspirées des pensées de Marc Aurèle sonnent comme une invitation à repenser notre rapport à la vie. Dans un monde où tout va vite et où l’on est sans cesse sollicité, elles nous offrent un espace de recul, un moment de réflexion sur ce qui, finalement, compte vraiment. En revisitant quelques anecdotes tirées de mes expériences personnelles, ces principes prennent une couleur plus vivante, parfois amusante, et s’ancrent dans notre quotidien.
Ne rien craindre
Ne rien craindre, c’est accepter que la vie est par essence incertaine. Prendre la parole devant un groupe de cadres dirigeants ou mener une séance de coaching avec un client qui accède à de grandes responsabilités, comme récemment avec le directeur exécutif d'un grand groupe multinational, exige de composer avec l’imprévu. Parfois, malgré toute la préparation, le contexte nous échappe. Je me souviens de ce jour où, étant à l'époque directeur général d'une grande organisation, alors même que j'allais introduire un séminaire stratégique où il allait être question de prévision et de maîtrise, un soudain et violent orage, comme seul les cieux tropicaux en ont le secret, s’est abattu sur le site, rendant la connexion totalement instable et plongeant la salle dans l’obscurité la plus totale. Bel exemple d'imprévu.
Face à ces situations, il est tentant de craindre le pire, d’imaginer l’effet désastreux sur notre audience. Mais comme le rappelle ce principe stoïcien, "ne rien craindre" signifie avancer en toute humilité. Après tout, l'essentiel n'est pas dans la perfection de chaque détail, ni dans la maîtrise de situations qui, par essence, nous échappent, mais dans la capacité à improviser et à savoir répondre avec humanité. Ce jour-là, entre sourires et quelques blagues pour détendre l’atmosphère, nous avons rapidement repris le fil de notre programme. Le résultat fut même meilleur qu'espéré : ce petit évènement météorologique avait parfaitement illustré l'impossibilité de tout prévoir, même et surtout l'imprévisible.
Ne rien désirer
La tentation du "toujours plus" est l’une des principales sources de stress de notre époque. Que ce soit sur les réseaux sociaux, où le nombre de "likes" et de "followers" devient un étalon de réussite et l'expression même du succès, ou dans des projets professionnels, où l’on aspire constamment à l’optimisation de la "performance", le désir s’invite souvent sans être sollicité. Sur les pages de ce blog, tu le sais cher lecteur fidèle, il m'est plus d'une fois arrivé d'écrire sur ces petites choses du quotidien qui m’inspirent et que je relate avec satisfaction. Bien sûr, il est gratifiant de voir le compteur de visiteurs augmenter, de recevoir des retours et des commentaires encourageants, mais il arrive un moment où l’on réalise que le plaisir réside dans l’acte lui-même, voir dans la seule idée de l'acte, et non dans l’ambition de devenir "plus grand", "plus visible", "plus fort"...
Ce principe s’applique aussi dans ma pratique de coach. Un jour, lors d’un atelier de coaching collectif, un participant m’a confié, mi-sérieux mi-amusé, qu’il avait du mal à ne pas se comparer aux autres, à vouloir sans cesse atteindre une image idéalisée de lui-même, à vouloir, en tout, être "le" meilleur, mais que, loin de le rendre heureux, cela suscitait souvent en lui une forme d'insatisfaction qui le mettait mal à l'aise. Je lui ai alors rappelé que Lacan avait constaté dès 1960 l’"impuissance toujours plus grande de l’homme à rejoindre son propre désir", et, que même les objectifs les plus inspirants pouvaient devenir des sources d’angoisse si on oubliait d’apprécier aussi le chemin parcouru. Ainsi, en s'attachant à moins désirer, nous nous reconnectons à ce qui est, à la beauté de ce que nous avons déjà, sans être happé par la quête d’un "ailleurs" qui reste toujours insaisissable et n'est souvent qu'à la source d'une nouvelle frustration.
Ne rien déplorer
Enfin, "ne rien déplorer" nous apprend à ne pas être prisonnier du passé. Ce n’est pas nier nos échecs, ni minimiser nos erreurs, mais les accepter comme des éléments pleinement constitutifs de notre parcours. J’ai consacré de nombreuses années à construire une carrière riche de défis et d’apprentissages, des restructurations d’entreprises aux missions de médiation en passant par des transitions organisationnelles ou l'accompagnement de personnalités de premier plan. Des succès, il y en a eu, mais aussi, sans aucun doute, des échecs liés à des choix que j’aurais pu faire différemment.
Un jour, un de mes clients, en plein questionnement professionnel, m’a confié qu’il regrettait un poste qu’il avait refusé des années auparavant. En l’écoutant, je me suis souvenu de décisions similaires que j’avais pu prendre, des bifurcations qu'il m'était même arrivé de regretter peut-être autrefois. Pourtant, aujourd’hui, ces choix me semblent clairs, porteurs de sens. En adoptant une attitude stoïcienne face à ces regrets, on peut transformer ces épisodes passés en sources de résilience et d’enseignement. Rien ne sert de déplorer ce que nous avons vécu, car chaque expérience, même douloureuse, forge notre chemin et contribue à notre évolution.
Ainsi, "rien craindre, rien désirer, rien déplorer" peut fournir le socle à un véritable guide de vie, une invitation à poser sur chaque événement un regard apaisé et lucide. En adoptant cette perspective, nous nous ouvrons à une vie plus harmonieuse, où les défis sont accueillis sans anxiété, où les aspirations restent mesurées, et où le passé est source d’apprentissage plutôt que de regret.
Ces trois principes, appliqués au quotidien, deviennent plus que de simples maximes philosophiques : ils forment un cadre de pensée pour avancer, sans se laisser piéger par les aléas de l’existence. "Ne rien craindre" nous libère de l'illusion de tout maîtriser et nous pousse à agir malgré les incertitudes, en nous libérant de toute source d'anxiété. "Ne rien désirer" nous ramène à ce qui compte, sans se perdre dans une quête illusoire de perfection, ni risque d'entretenir nos frustration. Enfin, "ne rien déplorer" nous permet d’intégrer nos expériences passées sans en faire des boulets ni des sources de culpabilité, mais au contraire de les utiliser comme des leviers de transformation.
Plutôt que de chercher des réponses définitives ou des solutions parfaites, cette approche nous recentre sur l'essentiel : vivre en ajustant notre regard et notre rapport aux événements. La vie ne s’adapte pas à nos envies, et c’est à nous de trouver l’équilibre entre ce qui est et ce que nous voulons. Ces principes, loin de promettre la paix ou la félicité, nous offrent un cap : avancer, un pas après l'autre, avec l’authenticité et l'ancrage de celui qui sait que les choses n’auront jamais besoin d’être idéales pour être pleinement vécues et que c'est le regard que nous portons sur elles qui nous permettra de mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons.