jeudi 23 octobre 2025

Nouveau rien d'une pensée vide

Il y a quelques jours de cela j’écoutais, ami lecteur, la radio dans ma voiture - ce qui est déjà, reconnaissons le, une aventure intellectuelle en soi. Entre deux embouteillages et trois publicités pour des pneus « responsables », ce qui pourrait, en soi, justifier la rédaction d'une thèse sur la responsabilité morale des objets - surtout lorsqu'ils font preuve de l'élasticité que leur confère le caoutchouc... - une voix docte annonce le thème qui sera abordé dans l'émission du jour : la « malentendance ». Oui, tu as bien lu. Pas la surdité, pas la perte auditive, pas même l’hypoacousie. Non : la malentendance !

Alors évidemment, je tends l’oreille - par crainte, peut-être, d’être moi-même victime de ce nouveau fléau lexical. Ai-je mal entendu « malentendance » ? Ou suis-je tout simplement un vieil esprit conservateur qui ne comprend pas les subtiles évolutions de notre si belle langue ? J’interroge mon rétro, qui, bien qu'il me reflète, ne me répond pas. Je soupçonne pourtant que ce mot est bien celui prononcé par notre docteur en studio, et qu’il n’a pas glissé par mégarde une syllabe de trop.

Ce néologisme, censé sans doute adoucir le diagnostic, me fait penser à ces périphrases absurdes qui prétendent humaniser le réel tout en l’aseptisant. On ne dit plus « aveugle », on dit « non-voyant » ; on ne dit plus « femme de ménage », on dit « technicienne de surface » ; bientôt, on ne dira plus « mort », mais « personne à durée de vie achevée ». La novlangue n’a plus seulement pour but de masquer la vérité : elle prétend désormais nous protéger d’elle, comme si les mots blessants contenaient plus de violence que les réalités qu’ils désignent.

Et comme si cela ne suffisait pas à ébranler ma foi dans le langage, je tombe, en zappant sur France Cul’, sur un débat entre une psychanalyste et un neurologue dont la phrase d’ouverture restera gravée à jamais dans mon cortex auditif : « La spécialisation permet de… spécialiser! » Voilà qui est dit. Lapidaire, précis, incontestable. J’en suis resté coi, méditant sur la puissance tautologique de cette révélation scientifique. Le feu brûle parce qu’il est chaud. La pluie mouille parce qu’elle est humide. Et la spécialisation… spécialise.

Tu conviendras avec moi, ami lecteur, qu'il y a dans ces petits moments radiophoniques un enseignement plus profond qu’il n’y paraît. Derrière ces glissements lexicaux et ces évidences assénées comme des découvertes majeures, il y a toute une époque qui se raconte. Une époque où le langage ne sert plus à dire le monde, mais à le dissimuler ; où l’on croit penser alors qu’on ne fait que répéter ; où l’on enrobe les réalités rugueuses de mots moelleux pour ne pas avoir à les regarder en face.

C’est peut-être ce qui me dérange le plus : cette illusion que changer les mots suffit à changer le réel. Comme si dire « malentendance » rendait la surdité moins douloureuse, ou comme si proclamer que « la spécialisation spécialise » suffisait à expliquer l’extraordinaire complexité de l’activité neuronale du cerveau. C’est oublier que les mots sont les outils de notre pensée : s’ils deviennent mous, notre pensée s’amollit. S’ils deviennent vides, notre pensée s’évapore.

Je repense alors à cette idée, qui peut sembler paradoxale, que si le cerveau n’a pas besoin du monde, le monde, lui, n’existe que par le regard que nous portons sur lui. Autrement dit, notre esprit peut très bien fonctionner dans sa bulle tautologique, répéter à l’infini des formules creuses et des euphémismes élégants ; mais sans regard lucide posé sur les choses, sans mots précis pour les nommer, le monde disparaît sous une brume de bullshit words. À force d’appeler un chat « petit compagnon félin doté d’un potentiel ronronnant », on finit par oublier que c’est un animal et qu’il peut griffer.

Peut-être est-ce cela, au fond, le danger de la novlangue bien-pensante : elle prétend civiliser la pensée alors qu’elle se gorge de barbarismes ; elle prétend éclairer alors qu’elle assombrit ; elle prétend inclure alors qu’elle infantilise. Et moi, pauvre malentendant de cette époque malentendante, je m’interroge : suis-je devenu incapable de comprendre, ou bien est-ce le langage lui-même qui a cessé de vouloir dire ? Comme l'expression nouvelle du rien d'une pensée vidée de son sens.

Je n’ai pas la réponse, ami lecteur. Mais une chose est sûre : si un jour un expert vient m’expliquer que « l’intelligence permet d’intelliger », je crois que je raccrocherai mon transistor et irai converser avec mon chat. Lui non plus, ne me parle pas, et pourtant il me comprend.

mercredi 17 septembre 2025

Rien

« Rien n'arrive à personne qu'il n'est pas par nature capable de supporter » Marc Aurèle

Il est des moments où rien ne vient, plus l’envie d’écrire, plus rien à dire.

Ou plutôt : trop à dire. Alors surgit ce paradoxe étrange, familier à tous ceux qui s’essaient à l’écriture - vouloir tout dire et, de ce trop-plein, ne plus rien dire du tout.

Parfois, ce mot pèse plus qu’un cri. En cette rentrée 2025, plus envie d’enjamber les nouvelles, plus envie de commenter, juste le silence, ou presque.

Cette rentrée en France ne ressemble pas aux autres. Le gouvernement Bayrou s’est effondré, ébranlé par les défaillances politiques, par les attentes sociales, par ce fossé qui ne cesse de s’élargir. Des appels à “tout bloquer” se lèvent, citoyens sans étiquette, mouvements “apartisans”, réseaux sociaux en ébullition, défiant l’idée même que notre voix soit entendue ou qu’elle puisse changer quelque chose.

Et au-delà, dans l’air : la culture en ébullition. Les musées rouvrent des expositions qui promettent des évasions hors du temps — l’art comme refuge contre le tumulte, comme éclat fugace dans le gris. Paris regagne ses vernissages, ses rendez-vous, ses possibles de regard. Comme si, malgré tout, on avait besoin de beauté, ou simplement de luxe : celui d’une contemplation tranquille.

Mais dans tout ça, je ne trouve pas les mots. Le “rien” est une enveloppe, un manteau invisibilisé par les urgences, par les débats, par les cris. Ce rien, je le porte — il me rend sourd aux slogans, muet aux formules toutes faites.

Peut-être est-ce cela, justement, qu’il faut accueillir : le rien.

Les Anciens, ces stoïciens dont la pensée souvent m’accompagne, savaient déjà que la vacuité est parfois la plus haute forme de lucidité. Marc Aurèle écrivait dans ses Pensées pour moi-même qu’il ne s’agit pas toujours d’ajouter du bruit au monde, mais d’apprendre à se taire, à respirer. « Ne te trouble pas, retiens ton souffle », disait-il en substance. Dans ce vacarme de rentrée, où chacun commente, proteste, analyse, prophétise, peut-être que le rien est une résistance.

Ce qui change ? Tout. Ce qui demeure ? L’ombre d’une lassitude. Parce que quand on voit les manifestants marcher, les appels se multiplier, les rumeurs de guerre inquiéter, le pouvoir vaciller, il faudrait un mot fort. Mais tous les mots semblent usés. Même colère, même peur, même espoir : ils ont déjà été convoqués mille fois pour rejouer les mêmes scènes.

Et cependant, une petite lumière. Cette rentrée, pour tous ses orages, cette rentrée me convie au retrait. Non pas à l’exil, mais au silence. Au regard attentif. Aux jours comme des cailloux, que l’on ramasse un à un, sans présumer qu’ils formeront une phrase, ou un message. Ou peut-être rien. Peut-être même que c’est ça, la vérité — qu’il n’y aura pas de moment spectaculaire, pas de geste qui change tout, mais mille infimes riens, mille gestes minuscules qui tiennent, qui questionnent, qui pèsent.

Ce rien n’est pas un vide. C’est peut-être une chance.

Car c’est dans les interstices, dans les silences, que s’ouvrent d’autres possibles. Dans un monde saturé de discours, le rien ressemble à une forme de sobriété. On parle beaucoup de sobriété énergétique - il faudrait aussi penser à la sobriété verbale. Ne pas céder à l’injonction de l’urgence de commenter tout, d’avoir un avis sur tout, tout de suite. Laisser le réel nous traverser avant de le transformer en opinion.

Parce que ce rien est peut-être le lieu de nos plus justes mots à venir. Si je ne sais plus quoi écrire, c’est que je suis à l’écoute. D’un monde qui crie, oui - mais aussi qui chancelle. Et dans cette oscillation, le rien s’élève comme présage.

Alors j’écris quand même. Pas pour remplir le vide, mais pour le nommer. Pour dire que, oui, la France s’agite, la planète vacille, les certitudes se renforcent et, avec elles, le monde s’antagonise, et moi, je doute. Je regarde. Je retiens. Je laisse dans ce blog des petites traces : une information, un frisson, juste une image.

Rien à dire aujourd’hui, et pourtant, tant à témoigner.

Et ce rien - il est exactement ce point de départ. De ce silence, d’ici peu, jailliront peut-être les mots qui comptent. Les mots vrais. Ceux qu’on écrit parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Alors je reste ici. J’accueille ce rien.

Et j’attends.

jeudi 17 juillet 2025

Cela commence par presque rien

Il m’arrive de me réveiller avec la sensation étrange que le monde nous est livré comme un produit fini. Les journaux titrent, les influenceurs influencent, les réseaux commentent, les slogans fusent. Et tout semble déjà pensé à ma place.

Mais, persiste en moi, une résistance têtue. Comme un refus d’adhérer d’instinct, de répéter sans vérifier. Une liberté première, silencieuse et précieuse : celle de penser le monde.

Non pas penser sur le monde, mais penser avec lui. L’interroger, le regarder autrement, et, le cas échéant, changer d’angle de vue, en ne prenant pas simplement pour argent comptant ce que l’on me tend comme une évidence. Cette liberté commence souvent par une mise à distance. Un pas de côté. Un doute.

Longtemps, j’ai cru que penser consistait à avoir une opinion. Est-ce si certain ? Penser, c’est suspendre le jugement. C’est laisser les choses se déplier en nous, avant de leur assigner une place. C’est résister aux raccourcis confortables, aux réflexes grégaires.

Nos vies sont tissées de représentations. Ce que nous croyons être juste, normal, désirable, ou, au contraire, haïssable. Ce que nous appelons réussite, amour, bonheur. Tout cela repose sur des récits que l’on nous a racontés, et que nous avons, le plus souvent sans en avoir conscience, intégrés. Penser, c’est revisiter les fondations de ces histoires.

Notre première liberté, c’est celle de décaler le regard. D’ouvrir une brèche dans l’habitude. D’interrompre la chaîne des évidences.

Mais cette liberté n’est pas donnée une fois pour toutes. Elle se cultive, se travaille. Elle demande du temps, du silence, de la disponibilité. Elle suppose aussi le courage de l’inconfort. Penser, vraiment penser, c’est parfois se faire violence.

Je me surprends parfois à rentrer dans le moule et à rejoindre la doxa du moment, ou, pour le dire plus simplement, à penser comme tout le monde. À liker ce qu’il faut, à m’indigner avec les autres, à prendre position sur ce dont je ne sais rien. C’est humain, sans doute. On veut appartenir, on veut être du bon côté. Mais ce réflexe grégaire me dérange. Il fait taire la pensée, il étouffe la liberté.

Alors je me tais. Je lis. Je marche. J’écoute de la musique. Je laisse la poussière retomber. Et je me demande : qu’est-ce que je pense vraiment ? Pas ce que je devrais penser, mais ce qui résonne en moi, ce qui résiste, ce qui cherche encore sa forme.

Si je me suis surpris, souvent, à rejouer des scénarios qui n’étaient pas les miens, à trop vouloir ce que je croyais vouloir, à agir comme si. Comme si c’était ainsi qu’il fallait vivre. Comme si la conformité valait l’adhésion. Et puis un jour, la carapace craque. Et surgit la question simple, mais vertigineuse : « Et moi, que vois-je vraiment ? Que crois-je ? »

Peut-être, ami lecteur, te demanderas tu ce que cela change, de penser. À quoi bon, face à l’urgence, aux crises, à l’action nécessaire ? Je comprends cette question. Mais je crois que penser n’est jamais un luxe. C’est une condition de notre humanité.

Celui qui ne pense pas ne choisit pas. Il réagit. Il répète. Il obéit, souvent sans le savoir.

Penser, c’est retrouver la racine de sa liberté. C’est dire : « Je ne suis pas seulement ce que l’on m’a appris à être. Je suis capable d’examiner, de douter, de réinventer. » C’est, comme l’écrivait Camus,     « vivre sans appel » : sans dogme, sans absolu, mais avec exigence.

Penser le monde, c’est se réapproprier le regard. C’est refuser les cases trop étroites, les étiquettes rassurantes. C’est laisser l’autre exister autrement que dans ce que j’avais projeté sur lui. C’est apprendre à voir sans nécessairement vouloir classer.

Ce n’est pas confortable. Ce n’est pas toujours gratifiant. C’est parfois solitaire. C’est souvent même vertigineux. Mais c’est une liberté qui en rend d’autres possibles.

Car sans cette liberté intérieure, il ne reste que l’adhésion mimétique, les indignations préfabriquées, les appartenances de façade. Penser, au contraire, c’est choisir. C’est s’exposer à l’inconnu, à la nuance, à l’ambivalence.

C’est dire : « Je ne sais pas encore. » Et dans ce « pas encore », il y a toute la place du vivant.

Alors oui, ma première liberté, ce n’est pas de dire, de faire ou de croire. C’est d’abord celle de penser. De ne pas avaler le monde tout cru. De le goûter. De le ruminer. De le remettre en question.

Et parfois, cela commence par presque rien. Un silence. Un soupir. Une image qui dérange. Une phrase qu’on n’avait jamais entendue comme ça. Et soudain, une brèche s’ouvre. Une lumière passe.

Et c’est peut-être là que commence, discrètement, une forme de lucidité. Et avec elle, une manière plus juste, plus humble, plus libre d’habiter le monde.

samedi 7 juin 2025

Tout ça pour rien

« Il n’y a rien de mauvais dans le changement, si c’est dans la bonne direction » Winston Churchill


Il avait promis le renouveau, le dépassement des clivages, la modernité triomphante. En 2017, Emmanuel Macron est arrivé comme une fulgurance : jeune, brillant, dérangeant. Il balayait d’un revers de main les partis usés, les figures fatiguées, les discours poussiéreux. L’ancienne politique était morte, disaient alors les commentateurs les plus avisés et les experts auto-proclamés qui courent les plateaux des chaînes info. Place à l’intelligence, au dépassement des vieux clivages, à la modernité, à l’Europe, à la réforme. Huit ans plus tard, que reste-t-il ? Un champ de ruines, une majorité en miettes, une colère contenue, et 2027 qui se profile comme une impasse. Tout ça pour rien.

Il ne s’agit pas ici de villipender l’homme, mais de dresser le constat brut de ce qu’a été la Macronie : une parenthèse. Elle a prétendu incarner une rupture. Elle n’aura été qu’une transition – et encore, une transition sans atterrissage. Une forme avortée, s'opposant aux populismes de droite et de gauche, de populisme syncrétique, recourant dès 2016 à une rhétorique anti-système, et se revendiquant en même temps de droite et de gauche. Le président n'est pas à un paradoxe près.

Il faut se souvenir. L’effondrement simultané du PS et des Républicains n’était pas seulement un accident. C’était un séisme. Macron en a profité, certes, mais il en a aussi été le symptôme et même, d’une certaine façon, le responsable. L’implosion du vieux système partisan avait créé un vide, que lui seul semblait capable d’occuper. Ni vraiment de gauche, ni franchement de droite, il attirait les élites, les progressistes urbains, les libéraux assumés, les réformateurs fatigués d’attendre. L’idée était simple : gouverner autrement, faire bouger un pays sclérosé. C’était pour certains assez séduisant. D'aucuns ont pu y croire. Moi, y compris.

Mais cette promesse était bancale dès le départ. Car gouverner, en même temps, "de droite et de gauche", cela exige une ligne claire, un cap cohérent. Or, très vite, la méthode Macron s’est révélée : faire un peu à droite avec les juppéistes en marchant vers le centre, faire un peu de social-démocratie en jetant un PS totalement déboussolé dans les bras des  bolivariens. La fameuse "réinvention" de la politique s’est réduite à un recyclage bien habillé de vieilles recettes. Le "en même temps" est devenu un entre-deux flou, où tout le monde finit par se perdre. Faute de culture du compromis, de pratiques démocratiques renouvelées, le pouvoir s’est recentré sur le président. Un mode de gouvernance hyper-centralisé, technocratique, souvent méprisant. Emmanuel Macron, seul dans l’arène, décida tout, parla pour tous, imposa sa lecture du monde.

Mais on ne gouverne pas un pays fracturé comme on pilote une start-up et le mythe de la "start-up nation" a vécu. Les résistances n’étaient pas des bugs, elles étaient le réel. Le mouvement des Gilets Jaunes a explosé en plein vol le récit du président start-upper. Le peuple en colère n’était pas réformable à coup de punchlines. Puis est venu le Covid, puis la réforme des retraites. Et à chaque crise, le même réflexe : verticalité, improvisation, contournement du débat.

Les français ne sont même pas gréés au pouvoir des milliards d'"argent gratuit" déversés en aides en tous genres pendant la grande pandémie.

Résultat ? Un pays de plus en plus défiant, une majorité de plus en plus fragile, un président, honni et au plus bas dans les sondages, de plus en plus seul.

La Macronie n’a pas su ou voulu se transformer en véritable force politique. Elle a fonctionné comme une bulle : tout le monde y est entré un peu par intérêt, beaucoup par opportunisme. Des anciens du PS, des Républicains en rupture, des technocrates sans attaches. C’est ce conglomérat sans vraie colonne vertébrale qui a tenu le pouvoir huit ans. Mais au fil du temps, les démissions, les scissions, les trahisons et les ambitions personnelles ont laissé une coquille vide.

Et au fond, quelle est l’idéologie de la Macronie ? Une forme de social-libéralisme, professant une foi aveugle dans le marché, une obsession de l’efficacité, quite à abuser du recours aux audits de cabinets-conseil qui ne connaissent que très peu les rouages et les contraintes de l'Etat, un goût certain pour le symbole (l’arc républicain, le "grand débat", le Conseil national de la refondation...), mais rien de solide. Pas de projet de société. Pas de vision à long terme. L’écologie ? Rattrapée en catastrophe. L’éducation ? Fragmentée. La justice sociale ? Oubliée. La sécurité ? Longtemps délaissée..

Aujourd’hui, même ses soutiens ne savent plus ce que représente ce courant politique. Et c’est peut-être cela, le plus révélateur : une majorité présidentielle qui n’a jamais été un parti. Juste une plateforme. Une aventure individuelle érigée en doctrine.

Et maintenant ? La question pendante est simple : que va-t-il rester après Macron ? Ni héritier naturel, ni relève solide. Des noms circulent – Édouard Philippe, Gabriel Attal, ou même Gérald Darmanin – mais aucun ne suscite d’enthousiasme populaire. Des technos solides, bien formés, mais pas des leaders capables de parler au pays.

Pendant ce temps, l’extrême droite prospère. Marine Le Pen, même si on ne peut raisonnablement exclure qu’elle sera empêchée par la justice, n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Elle a pris le temps, lissé son image, et surtout, elle a bénéficié d’un contexte favorable : une gauche divisée, une droite sans leader ni projet, un président déconnecté des attentes des français.

La présidentielle de 2027 s’annonce comme un rendez-vous à quitte ou double. Alors, tout ça pour quoi ? Pour quoi, ce quinquennat reconduit malgré l’impopularité ? Pour quoi, ces réformes au forceps, ces "grandes concertations" sans suite, ces débats parlementaires sabordés ? Pour quoi, cette frénésie de communication, ces grands discours sans lendemain, ces conseils de défense en cascade ? Pour rien. Car rien n’a changé en profondeur. Les fractures sociales, territoriales, générationnelles sont intactes. Le déclassement se poursuit. Le sentiment d’abandon se renforce. Et la défiance envers les institutions atteint des sommets.

On nous avait promis le dépassement. On a eu l’épuisement. La fatigue démocratique est partout, et la colère gronde. Non pas la colère spectaculaire, mais une lassitude, une résignation active, un retrait. Les électeurs ne croient plus aux promesses. Ils s’apprêtent à voter contre, ou à ne plus voter du tout.

Il reste un mince espoir : que le vide actuel oblige les forces politiques à se réinventer. Que la gauche sorte de ses querelles de chapelle pour proposer un projet clair, désirable, concret, débarrassé des outrances du Mélenchonisme. Malheureusement le résultat intervenu lors de la récente élection du Premier secrétaire du PS ne va pas dans ce sens…. Que le centre et la droite se ressaisissent, trouvent un cap, renouent avec une base populaire, en ce dépouillant des derniers oripeaux du Macronisme finissant. Mais, face aux ambitions personnelles, aux petits calculs politiques et à une droite trop souvent maladroite, rien n’est garanti.

Et c’est là que l’échec de la Macronie devient tragique. Le Président avait l’occasion, historique, de rebattre les cartes, de créer une dynamique politique nouvelle, durable, responsable. Il a préféré gérer, contrôler, verticaliser. Résultat : le champ politique est encore plus dévasté qu’en 2017.

En tentant d'exclure les partis traditionnels du jeu, Emmanuel Macron, jetant le bébé avec l'eau du bain, a sorti les idées avec. Il a court-circuité la confrontation démocratique, au profit d’une gouvernance sans incarnation. Et maintenant, nous voilà face à l’inconnu, sans repères, sans boussole.

D’ici 2027, tout est possible - y compris le pire. Le scénario d’une victoire de l’extrême droite (car je n'ose, cher lecteur, même pas envisager un mauvais scénario où le leader maximo de pacotille de l'extrême gauche pourrait l'emporter...) n’est plus une provocation, c’est une hypothèse de travail. Et ceux qui, dans le champ républicain, s’y opposent ne disposent plus ni de structures solides, ni de récits mobilisateurs, ni de leadership incontesté. Alors oui, cher lecteur, on peut le dire sans emphase : tout ça pour rien. Après le quinquennat Hollande et les deux quinquennats Macron, c’est plus d’une décennie qui s’est écoulée. Une décennie pour en arriver là. Une décennie perdue à prétendre transformer sans rien changer. À gouverner sans construire. À incarner sans transmettre.

Les petits riens de la Macronie, ce sont ces gestes vides qui s’empilent : un Grenelle pour pas grand chose, une convention, des réformes avortées, un plan relancé puis oublié. Rien qui reste. Rien qui marque. Rien qui mobilise.

Et le pire, c’est que ce vide pourrait accoucher d’un monstre.

mercredi 14 mai 2025

Rien ne m'y avait préparé

Il est des matins où le silence pèse plus lourd que l'absence de bruit. Où la lumière, filtrant à travers les volets, semble révéler davantage les ombres que les formes. Ce matin-là, il y a quelques jours, à peine, le monde était pourtant le même : le café fumait dans la tasse, assise à mes pieds, la chienne réclamait sa caresse matinale, au jardin qui s'éveillait, les oiseaux chantaient leur ritournelle habituelle, et pourtant, quelque chose avait changé.

Je viens d'avoir 63 ans.

Rien ne m'y avait préparé.

Ce n'était pas une surprise, bien sûr. Les années s'égrènent avec une régularité implacable, et chaque anniversaire est une étape autant contrainte qu'attendue. Mais cette fois-ci, le chiffre a une résonance particulière. Il porte en lui une charge émotionnelle, une densité que je n'avais pas anticipée.

À 63 ans, cher lecteur, on est à la croisée des chemins. Plus un jeune bien sûr, mais pas encore un vieux con pourtant. Un entre-deux où le passé pèse d'autant plus que l'avenir, lui, va en s'amenuisant. Les souvenirs affluent, les projets se font plus rares. On commence à compter les années non plus depuis la naissance, mais jusqu'à une échéance tout aussi certaine qu'inconnue.

J'ai atteint un âge sans mode d'emploi. Les manuels de développement personnel s'arrêtent souvent à la cinquantaine, cet âge où, dans le monde du travail, on entre dans la catégorie des "seniors", ceux qui sont considérés comme moins performants, essorés, finissants. Ceux qu'il faut remplacer par des plus jeunes, dont le tour viendra bientôt d'être eux-mêmes évincés. Comme si au-delà d'un certain âge, il n'y avait plus rien à apprendre, plus rien à vivre. Mais la vie, elle, continue, avec ses surprises, ses joies, ses peines. Et l'on se retrouve, un matin, à se demander : "Et maintenant ?"

Les rides se sont installées, discrètes mais tenaces. Les cheveux ont blanchi, les articulations grincent parfois. Mais ce n'est pas le corps qui trahit le plus, c'est l'esprit. Qui nous fait chaque jour un peu plus prendre cette conscience aiguë du temps qui passe, de la finitude de l'existence. Cette lucidité qui peut être à la fois une bénédiction et une malédiction. Cette sagesse - parfois - qui est le fruit de l'expérience d'une vie, et que souvent rejette le monde professionnel.

À 63 ans, on devient le gardien de sa propre mémoire. Je me surprends à te raconter, cher lecteur, des histoires que personne ne m'a demandées de faire revivre, à évoquer des noms dont plus personne à part moi ne se souvient. A convoquer les fantômes de ceux qui ne sont plus. Je mesure chaque jour un peu plus le chemin parcouru, les choix faits, les regrets tus, les remords aussi...

Et puis, il y a cette pensée lancinante : mon père est mort à 64 ans. Il y aura bientôt un quart de siècle. Je m'approche inexorablement de l'âge qu'il avait quand la maladie l'a emporté. Chaque jour qui passe me rapproche de cette frontière invisible qu'il n'a pas franchie. Je vis les jours qu'il n'a pas eus, je porte en moi sa mémoire et son absence. J'appréhende presque de traverser une période de vie qu'il n'a pas eue la chance de vivre.

Tout soudain, j'ai eu 63 ans. Et personne, jamais, ne m'avait dit que ce serait ça.

lundi 28 avril 2025

Rien publié depuis deux mois

Deux mois. Soixante jours. Une éternité à l’échelle d’un blog. Pas un mot, pas une ligne, pas même une ébauche. Ce silence n’était pas prémédité, mais il s’est installé, doucement, sans fracas. Un jour, j’ai pensé : « Je publierai demain. » Puis demain est devenu après-demain, et ainsi de suite. La procrastination, ce mot aux sonorités presque poétiques, a pris ses quartiers, s'est installé et l'envie s'est faite moins pressante.

Mais pourquoi, après plus de quinze ans passés, cette soudaine inertie ? Le manque de temps, peut-être, le défaut d'inspiration, plus surement. Pourtant, le temps, on le trouve toujours pour ce qui nous tient à cœur. Était ce alors un manque d’envie ? Peut-être. Ou une peur sourde, celle de ne pas être à la hauteur, de ne pas trouver les mots justes.

La vérité, c’est que l’écriture, même celle de ces miscellanées, de ces courts textes qui composent ce blog des petits riens, est un acte intime, une mise à nu renouvelée à chaque publication. Chaque mot posé est une part de soi offerte au regard de l’autre. Et parfois, ce regard, même imaginaire, inhibe. On craint le jugement, on redoute l’indifférence. Alors on se tait.

Pourtant, les sujets n'ont pas manqué pendant cette période. L’actualité, les émotions, les rencontres, les souvenirs… Autant de sources d’inspiration. Mais l’inspiration ne suffit pas. Il faut l’élan, cette impulsion qui pousse à s’asseoir et à écrire. Et cet élan, je ne l’avais plus.

Peut-être est-ce le syndrome de l’imposteur qui a frappé à ma porte ? Ce sentiment de ne pas être légitime, de ne pas mériter l’attention. Ou peut-être est-ce simplement la vie, avec ses hauts et ses bas, qui m’a éloigné de l’écriture...

Mais aujourd’hui, je choisis de rompre ce silence. Non pas parce que j’ai retrouvé une source d'inspiration fulgurante, mais parce que je ressens le besoin de renouer avec toi, lecteur fidèle ou de passage. Parce que l’écriture me manque, tout simplement.

Je ne promets pas de publier régulièrement, ni de livrer des textes parfaits. Je m'engage seulement à continuer d'écrire, avec sincérité, au gré de mes envies et de mes humeurs. Parce qu’au fond, c’est cela, l’essence de ce blog : partager des petits riens qui, mis bout à bout, font un tout qui me raconte.

Alors, ami lecteur, merci de ta patience, de ta présence, silencieuse ou exprimée et à très vite, pour de nouveaux partages.

lundi 3 mars 2025

Emplir le rien qui nous entoure

Toucher du doigt le relativisme de l’existence humaine, c’est accepter l’idée vertigineuse que notre monde pourrait disparaître sans laisser la moindre trace dans l’immensité du cosmos. Avec ses 2000 milliards de galaxies, l’univers met en perspective la fragilité de notre espèce et la nature éphémère de nos réalisations. Que sont nos civilisations terrestres, si puissantes en apparence, à l’échelle cosmique ? Pourtant, nous continuons à nous comporter comme si nous étions le centre du monde, obsédés par des flux d’informations incessants qui ne reflètent que notre nombrilisme. Cette illusion de grandeur, cette démesure face à notre condition, relève de l’hubris, ce défaut tragique qui, selon les Grecs anciens, précipite la chute de ceux qui osent défier l’ordre du monde.

Notre terrible époque est marquée par une surexposition informative - que j'ai souvent dénoncée dans ces lignes - qui alimente une illusion de maîtrise et d’importance. Nous nous noyons quotidiennement dans des notifications incessantes qui nous tiennent en haleine sans jamais nous élever et qui sont la source de controverses futiles, de polémiques d'autant plus violentes qu'elles sont inconsistantes. Nous avons remplacé la réflexion par la réaction, le savoir par le bruit, l’être par le paraître. Et pourtant, face à l’insondable immensité du cosmos, qu’importent ces effervescences passagères ? Nos querelles politiques, nos indignations digitales et nos tempêtes médiatiques s’évanouissent dans l’insignifiance dès lors que l’on veut bien prendre un peu de hauteur. 

T'est-il arrivé, comme moi, de te demander ce que nous avions fait du logos, cette rationalité ordonnée, ce principe structurant que les philosophes présocratiques considéraient comme la voie vers une compréhension plus juste du monde ? Les grandes traditions philosophiques nous invitent à repenser notre rapport au temps et à l’existence. Les Stoïciens, à travers Marc Aurèle, enseignaient que "tout ce qui existe est éphémère" et qu’il faut embrasser cette réalité avec sérénité. Le bouddhisme, de son côté, fait de l’impermanence une vérité fondamentale et source de sagesse. La science, quant à elle, nous confronte à une question vertigineuse : si nous admettons que nous sommes la seule intelligence de l’univers observable, notre disparition signifierait alors l’extinction de toute conscience connue. 

Pour autant, si elle est vouée à ne pas faire trace, devons-nous considérer l'existence de l'humanité comme un échec ? L’art, la science et la pensée humaine ont une valeur intrinsèque qui ne dépend pas de leur conservation à l'échelle d'un espace-temps infini. Créer, aimer et comprendre ne sont pas vains parce qu’ils sont fugaces ; ils prennent, au contraire, tout leur sens dans l’instant présent.

Notre mission ne serait donc pas d'essayer de durer éternellement, mais de semer des graines qui porteront leurs fruits sous des formes inattendues et dont, peut-être, nous sommes même incapables d'envisager les conséquences.

La conscience de la fragilité de notre existence, plutôt que nous incliner au nihilisme, ne devrait-elle pas nous inciter à vivre pleinement ? Si nous sommes certains de notre finitude et que nous ne savons pas combien de temps nous avons, nous sommes en revanche forts de l'instant présent. Embrassons la vie, créons, aimons, explorons. Non pas pour l’éternité, mais pour la beauté du moment vécu intensément, ici et maintenant. Car, voici le paradoxe ultime : nous savons que l’humanité n’est qu’un grain de poussière perdue dans l’immensité, un éphémère frisson de conscience à l'échelle, inatteignable à notre comprehension, du cosmos et de l'espace-temps. Mais, dans le même temps, nous nous croyons indispensables, persuadés que c’est notre regard qui donne forme à l’univers, que sans nous, rien n’existerait plus.

La disparition du dernier homme signera-t-elle la fin du monde, non pas par une forme imprévisible de cataclysme cosmique, mais tout simplement parce qu’il n’y aura plus de conscience pour décrypter l’ordre de l'univers et lui donner un sens ? Nous oscillons toujours entre humilité cosmique et hubris intellectuelle, enfermés dans une contradiction que nous ne saurons jamais pleinement résoudre. Pourtant, face à l’abîme du néant, c’est dans nos actions quotidiennes, ces petits riens éphémères et futiles, que nous trouvons la ressource pour donner sens au rien qui nous entoure et emplir le vide inhérent à notre humaine condition.

mercredi 19 février 2025

Rien à savoir, rien à démontrer

Ami lecteur, n'as-tu pas, comme moi, parfois l’impression que nous avons tous été plongés dans une gigantesque expérience sociale sans avoir signé le moindre formulaire de consentement ? Où nous agirions un peu comme des cobayes coincés dans un labyrinthe où chaque issue est une impasse, mais où il est strictement interdit de réfléchir pour chercher une porte de sortie. Nous vivons désormais dans une époque dite "post-moderne" où avoir raison est devenu un concept flou, adaptable à la convenance de chacun. Plus besoin de démonstration, plus besoin d’arguments solides, plus besoin de faits vérifiables. Il suffit d’affirmer, de répéter et, surtout, de façon péremptoire, en faisant beaucoup de bruit. Plus c’est fort, plus c’est vrai! Et gare à ceux qui osent contester la vérité du moment : ils seront aussitôt cloués au pilori numérique sous un flot de hashtags assassins.

Dans cet univers parallèle où la rigueur intellectuelle est devenu un luxe ringard, la moindre information est sujette à un remix instantané. Un détail dérange ? On le coupe. Un fait historique contredit une belle indignation ? On le jette. Une citation ne va pas dans le bon sens ? On l’arrange. Une image gêne ? On la retouche. Et hop, une toute nouvelle vérité dite « alternative » succède à la réalité.

Pour mieux naviguer dans cette époque fascinante, voici quelques définitions revisitées, à la sauce post-vérité :

• Doute : Preuve irréfutable que vous êtes un suppôt du système (sauf si ce doute va dans le bon sens, celui de la doxa ambiante, bien entendu).

• Fait : Concept optionnel, utilisé uniquement s’il permet de conforter une opinion préexistante, et si possible sans aucun fondement critique.

• Esprit critique : Terme désuet, souvent confondu avec “remettre en cause tout ce qui me dérange”.

• Débat : Pratique frappée d'obsolescence remplacée par l’art d’invectiver sans écouter.

• Raisonnement : Acte suspect qui vous classe automatiquement dans la catégorie des « élites déconnectées ».

• Vérité : Notion à géométrie variable, livrée en kit par les algorithmes et personnalisable selon l’humeur et le besoin du jour.

C’est à croire que nous avons assisté, sans même nous en rendre compte, à la naissance d’une nouvelle langue officielle. Oui, une novlangue, comme dans 1984, mais en plus festif. Parce que là où Orwell imaginait une oppression brutale et visible, nous avons inventé, bien caché sous des oripeaux aux allures ludiques adaptés à l'homo festivus contemporain décrit par Philippe Muray, un système bien plus sournois : l’auto-flicage de la pensée. On ne nous force plus à penser d’une certaine façon - non! Nous le faisons nous-mêmes, avec enthousiasme, armés de certitudes renforcées par les "informations" qu'orientent vers nous sur internet des algorithmes sans conscience ni émotion, et le souverain mépris du sachant pour ceux qui osent encore douter et réfléchir.

Le plus beau, dans cette immense théatre de faux-semblants, c’est que tout le monde joue son rôle à la perfection. Les marchands de vérités prémâchées nous bombardent de concepts frelatés et de dogmes relookés, adaptés à une consommation avide et rapide et, dans le même temps, ayant abandonné tout esprit critique, trop nombreux sont les médias qui se contentent le plus souvent d’être des caisses de résonance, transformant l’information en un spectacle permanent où l’émotion l’emporte sur l'analyse et la réflexion.

Et nous, pauvres spectateurs, nous scannons frénétiquement nos écrans, à la recherche de notre dose quotidienne de révolte préfabriquée. Il faut avoir un avis. Tout de suite. Partout, sur tout ! Et il doit être tranché. Sinon, on est vite suspecté d'une forme de mol déviationnisme de la pensée. On ne cherche plus à comprendre : on choisit son camp. Il y a les bons et les méchants, les éveillés et les endormis, ceux qui savent et les naïfs. Nuancer, c’est capituler. Prendre du recul, c’est tromper. Douter, c’est trahir. L’essentiel n’est pas de savoir, mais d’affirmer qu’on sait !

Retour vers la lumière ?

À l’heure où certains des plus grands dirigeants mondiaux jouent aux échecs avec des vies humaines, il est tentant de sombrer dans le cynisme. Les récentes manœuvres politiques, où l’on voit un président américain fraîchement élu converser tranquillement avec un autocrate russe, laissent perplexes ceux qui croyaient encore en une diplomatie fondée sur des principes. Les Européens se retrouvent marginalisés et divisés sur la stratégie à adopter, tandis que des décisions qui intéressent au premier chef notre continent, se prennent aujourd'hui sans eux.

Alors que faire ? Devons nous, face à cette cacophonie géopolitique, capituler ? Accepter que la vérité soit constamment réécrite par ceux qui crient le plus fort ? Ou bien est-il temps de raviver notre esprit critique, de questionner les narratifs trop simplistes et de refuser les vérités préfabriquées ?

Peut-être que tout n’est pas perdu. Peut-être reste-t-il encore quelques individus prêts à défendre la complexité du réel, à s’opposer aux raccourcis intellectuels et à exiger une information rigoureuse, sourcée et vérifiée. Car si nous abandonnons cette quête, nous risquons de nous réveiller un jour dans un monde où l’on nous dira, sans sourciller, que 2 + 2 = 5, et où nous l’accepterons docilement. Le temps sera alors venu pour nous, comme dans le roman 1984 de George Orwell, de répéter comme un mantra le slogan de Big Brother : « La guerre, c'est la paix. La liberté, c'est l'esclavage. L'ignorance, c'est la force. » Il n'y aura plus rien à démontrer.