« Rien n'arrive à personne qu'il n'est pas par nature capable de supporter » Marc Aurèle
Il est des moments où rien ne vient, plus l’envie d’écrire, plus rien à dire.
Ou plutôt : trop à dire. Alors surgit ce paradoxe étrange, familier à tous ceux
qui s’essaient à l’écriture - vouloir tout dire et, de ce trop-plein, ne plus
rien dire du tout.
Parfois, ce mot pèse plus qu’un
cri. En cette rentrée 2025, plus envie d’enjamber les nouvelles, plus envie de
commenter, juste le silence, ou presque.
Cette rentrée en France ne
ressemble pas aux autres. Le gouvernement Bayrou s’est effondré, ébranlé par
les défaillances politiques, par les attentes sociales, par ce fossé qui ne
cesse de s’élargir. Des appels à “tout bloquer” se lèvent, citoyens sans
étiquette, mouvements “apartisans”, réseaux sociaux en ébullition, défiant
l’idée même que notre voix soit entendue ou qu’elle puisse changer quelque
chose.
Et au-delà, dans l’air : la
culture en ébullition. Les musées rouvrent des expositions qui promettent des
évasions hors du temps — l’art comme refuge contre le tumulte, comme éclat
fugace dans le gris. Paris regagne ses vernissages, ses rendez-vous, ses
possibles de regard. Comme si, malgré tout, on avait besoin de beauté, ou
simplement de luxe : celui d’une contemplation tranquille.
Mais dans tout ça, je ne trouve
pas les mots. Le “rien” est une enveloppe, un manteau invisibilisé par les
urgences, par les débats, par les cris. Ce rien, je le porte — il me rend sourd
aux slogans, muet aux formules toutes faites.
Peut-être est-ce cela, justement,
qu’il faut accueillir : le rien.
Les Anciens, ces stoïciens dont
la pensée souvent m’accompagne, savaient déjà que la vacuité est parfois la
plus haute forme de lucidité. Marc Aurèle écrivait dans ses Pensées pour
moi-même qu’il ne s’agit pas toujours d’ajouter du bruit au monde, mais
d’apprendre à se taire, à respirer. « Ne te trouble pas, retiens ton souffle »,
disait-il en substance. Dans ce vacarme de rentrée, où chacun commente,
proteste, analyse, prophétise, peut-être que le rien est une résistance.
Ce qui change ? Tout. Ce qui
demeure ? L’ombre d’une lassitude. Parce que quand on voit les manifestants
marcher, les appels se multiplier, les rumeurs de guerre inquiéter, le pouvoir
vaciller, il faudrait un mot fort. Mais tous les mots semblent usés. Même
colère, même peur, même espoir : ils ont déjà été convoqués mille fois pour
rejouer les mêmes scènes.
Et cependant, une petite lumière.
Cette rentrée, pour tous ses orages, cette rentrée me convie au retrait. Non
pas à l’exil, mais au silence. Au regard attentif. Aux jours comme des
cailloux, que l’on ramasse un à un, sans présumer qu’ils formeront une phrase,
ou un message. Ou peut-être rien. Peut-être même que c’est ça, la vérité —
qu’il n’y aura pas de moment spectaculaire, pas de geste qui change tout, mais
mille infimes riens, mille gestes minuscules qui tiennent, qui questionnent,
qui pèsent.
Ce rien n’est pas un vide. C’est
peut-être une chance.
Car c’est dans les interstices,
dans les silences, que s’ouvrent d’autres possibles. Dans un monde saturé de
discours, le rien ressemble à une forme de sobriété. On parle beaucoup de
sobriété énergétique - il faudrait aussi penser à la sobriété verbale. Ne pas
céder à l’injonction de l’urgence de commenter tout, d’avoir un avis sur tout, tout
de suite. Laisser le réel nous traverser avant de le transformer en opinion.
Parce que ce rien est peut-être
le lieu de nos plus justes mots à venir. Si je ne sais plus quoi écrire, c’est
que je suis à l’écoute. D’un monde qui crie, oui - mais aussi qui chancelle. Et
dans cette oscillation, le rien s’élève comme présage.
Alors j’écris quand même. Pas
pour remplir le vide, mais pour le nommer. Pour dire que, oui, la France
s’agite, la planète vacille, les certitudes se renforcent et, avec elles, le
monde s’antagonise, et moi, je doute. Je regarde. Je retiens. Je laisse dans ce
blog des petites traces : une information, un frisson, juste une image.
Rien à dire aujourd’hui, et
pourtant, tant à témoigner.
Et ce rien - il est exactement ce
point de départ. De ce silence, d’ici peu, jailliront peut-être les mots qui
comptent. Les mots vrais. Ceux qu’on écrit parce qu’on ne peut pas faire
autrement.
Alors je reste ici. J’accueille
ce rien.
Et j’attends.
Très vrai et apaisant Thierry.
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