mardi 13 mars 2018

Je n'ai rien appris...

Un mien et docte lecteur - sans doute par excès de bienveillante amitié - me faisait récemment remarquer l'inanité de mon blog et soulignait, au-delà, le caractère un rien narcisse et vaniteux de l'exercice. 

Piqué au vif, et même pour tout dire un peu peiné, voir vexé, je me suis demandé si je devais continuer à essayer de décrire une forme de vide en remplissant des pages, à fortiori des pages virtuelles, ou plutôt renoncer définitivement à écrire dans le vent.

Mais au fond qu'est-il de plus vain ? Exprimer ses doutes sur un support digital et donc, de facto, éphémère et dématérialisé, ou avoir un avis tranché et savant sur tout ? Depuis que j'ai commencé leur rédaction, je n'assigne à ces petits riens d'autre prétention que de m'apporter quelque satisfaction d'écriture. S'il leur arrive de rencontrer parfois tel ou tel lecteur égaré dans les méandres de la toile, c'est alors, je le reconnais, la promesse d'un petit plaisir en bonus, pour ma plus grande joie. Vanitas vanitatis !

En y réfléchissant bien, qu'y a-t-il d'illogique à ce que l'exercice consistant à essayer d'écrire régulièrement sur des riens ne donne au bout du compte pas grand chose...

Et puis, est-ce si grave puisque j'ai, en toute connaissance de cause, résolument pris le parti de décrire les petits riens d'un quotidien somme toute assez banal ? Et où, sinon dans des souvenirs, plus ou moins personnels, plus ou moins reconstitués, aurais-je pu, ou dû, puiser la matière à tout ce vide ? Devais-je ne pas regarder dans le miroir de la mémoire pour essayer d'en inventer la matière ?

Ce blog ne sert à rien. Tant mieux!

En effet, si ces quelques lignes peuvent paraître, au regard de certains, futiles, c'est qu'alors je me serais approché au plus près de mon but qui était d'assumer, pour vivre mieux, le désir d'être inutile.

Le monde n'existe que par le regard imaginaire que nous portons sur lui. Il vit dans les yeux des rêveurs. Il ne mourra que lorsque les hommes auront définitivement renoncé à l'inventer.

Je n'ai finalement rien appris des erreurs que j'ai commises en ne suivant pas les conseils les moins bien avisés. Et c'est tant mieux ! A bon entendeur...

mercredi 7 mars 2018

Ceux qui n'ont rien...

La nuit tombe, ils sont là, sur le trottoir, près du bureau. Trois hommes et une femme qui essaient de trouver un peu de réconfort dans une bouteille de mauvais rosé et un peu de chaleur dans une bouche d'aération du Métro. Le printemps approche. Bientôt déjà on aura oublié les rigueurs de l'hiver et nul n'évoquera plus dans les médias, jusqu'aux prochains frimas, les souffrances, pourtant tout aussi terribles une fois les beaux jours revenus, des GSL.

Je déteste l'expression de "sans domicile fixe", et encore davantage l'acronyme de SDF, et préférerais - et de très loin - qu'on lui substitue celle de "gens sans lieu". 

Ceux qui n'ont pas d'abris, pas de logis, qui sont contraints de dormir dans la rue ou qui cherchent refuge dans des endroits non prévus à cet effet sont nos frères en humanité. Des gens qu'il convient de nommer comme tels. Comment décrire ces hommes, ces femmes et, malheureusement de plus en plus souvent, ces enfants sans même leur accorder le droit le plus fondamental, celui d'être ? 

Des SDF, les SDF... On essaie de masquer la persistance d'une réalité douloureuse derrière un sigle froid, sans humanité. Trois lettres qui ne disent rien de la réalité de ceux qu'elles sont censées décrire.

Les choses étaient-elles si différentes quand on parlait des vagabonds, des trimardeurs, des clochards et des chemineaux ou, plus simplement, des sans-abris ?

J'ai déjà eu l'occasion de partager ici-même les réflexions que m'avait occasionnées la lecture du Paris insolite, ce très beau livre de Jean-Paul Clébert ou encore le formidable vagabonds de la vie de Jim Tully, et cet intérêt qui me porte à vouloir regarder dans la direction de ceux qu'on ne voit pas.

Ne rien avoir abolit-il définitivement toute possibilité d'être ? Ceux dont certains considèrent qu'ils ne sont rien car ils n'ont rien sont-ils condamné à vivre et à mourir comme des riens ?

Même la mort ne saurait être synonyme de repos éternel pour ceux qui, à défaut de pouvoir s'offrir une sépulture et des obsèques, ne peuvent espérer meilleur sort qu'une inhumation en terrain commun, cette fosse commune qu'on appelait autrefois "carré des indigents" et qui prolonge, même au-delà de la mort, leur condamnation à des lieux qui n'ont guère d'existence.

Comment savoir qu'un être humain a vécu, qu'il a souffert, qu'il a lutté pour sa survie-même si, à l'issue d'une vie sans feu ni lieu, on lui promet encore une sépulture anonyme et, prolongeant dans l'au-delà l'errance de son existence vagabonde, l'assurance que ce qu'il restera de lui sera, un jour ou l'autre, déplacé une fois encore, pour libérer de l'espace à l'effet d'accueillir de nouveaux défunts? 

Comment accepter qu'après leur avoir dénié si peu de vie, nous concédions aux gens sans lieu, à ceux qui n'ont rien, si peu de mort ?

jeudi 1 mars 2018

Je n'en crois rien

"Rock is much better than it sometimes sounds!"


J'écoute aujourd'hui plus de Rock que je ne l'ai jamais fait. Je réalise chaque jour un peu plus, au mitan de la cinquantaine, que comme l'a si bien dit Picasso: "on met longtemps à devenir jeune"...

Lorsque l'on évoque le Rock, on pense immanquablement aux mythes fondateurs qui l'accompagnent et qu'a si bien su mettre en musique Ian Dury : le sexe, la drogue et les excès en tous genres de la jeunesse. Mais que peuvent bien revêtir les voiles du sexe, de la drogue et du Rock'n Roll sinon une voie d'interprétation du sens même de la vie ?
Il convient pour s'en convaincre de tirer le Rock des ténèbres des salles obscures pour l'éclairer de sa propre lumière.

La musique en général et le Rock en particulier peuvent être envisagés comme des véhicules permettant une forme d'initiation par la transgression, une libération progressive de l'esprit permettant, si ce n'est d'abolir, du moins de lever les voiles qui cachent à notre vision la réalité du monde. Au sens de l'aide qu'il peut apportée du dehors au travail intérieur dont résulte une forme de développement spirituel, le Rock fournirait alors le support à un mode d'accomplissement, au même titre que certaines voies initiatiques traditionnelles ou que certaines transes orphiques. Il suffirait, pour s'en convaincre, d'avoir expérimenté la manière d'"égrégore" que crée parfois, à l’occasion d'un concert, le choc émotionnel puissant d'une vibration partagée collectivement par une foule de spectateurs emportés par des rythmes et des sons issus du mariage de la musique et de l'électricité.

Le Rock peut nous éveiller à connaître la vérité sur les choses et, en passant de l'illusion du sensible à la connaissance intelligible, à réaliser que tout est déjà ici et maintenant, à construire la vie pour la vie, en acceptant que l'existence ne vaut que par la douceur même de la vie.

A titre d'illustration, on peut citer "Are you experienced ?" (qu'on peut traduire littéralement par "êtes-vous initié ?") de Jimi Hendrix. Avec ce  titre qui conclut l'album éponyme de 1967, le génial guitariste abordait la question même de l'initiation par la lumière dans une narration qui se rapproche de l'allégorie de la sortie de la caverne de Platon*. Il nous enseigne que le Rock peut être une musique libératoire en ce sens qu'elle libère du conformisme social, de la pensée étriquée et formatée, qu'elle élève, bien au-dessus des opinions toutes faites, des dogmes et de l'obscurité de l'ignorance et, sollicitant l'imaginaire le plus débridé, permet l'accession à une lumière d'ordre philosophique, à une vision vraie qui montre le réel tel qu'il est et qui permet d'affirmer que si le monde existe c'est bien dans le regard éclairé que nous portons sur lui.

Le Rock comme une clef lumineuse qui intimerait mystérieusement à l'univers l'ordre d'être beau et ouvrirait, au-delà du monde sensible, la secrète porte de celui des idées.

On dit parfois que le Rock est une musique nihiliste. Je n'en crois rien.


* Pour en savoir plus : Rock'n philo -Vol. II de F. Métivier - Poche 2016

jeudi 25 janvier 2018

Se méfier des mots, se défier des maux


Les mots peuvent susciter l'émotion, faire pleurer, rire... Même impersonnelle, l'écriture ne se situe jamais, à aucun moment, en dehors de la vie. Si l'émotion de l'écriture ne saurait se résumer au fruit artificiel d’une rencontre entre l'écrivain et son art, elle résulte plus sûrement de la confrontation de l'émotion de l'écrivain avec celle du lecteur qui, au-delà de leurs perceptions personnelles, font l'expérience d'un partage unique médiatisé par les mots.

Si le but de l'écriture consiste - selon Deleuze - à porter la vie à l'état d'une puissance non personnelle, il faut savoir se méfier des mots eux-même. 

L'existence d'un mot, même bon - surtout bon - peut tuer plus sûrement que les maux de l'existence dont on se défie tant. 

vendredi 24 novembre 2017

Rien n'est moins certain

On dit souvent que, si le silence est d'or, la parole est d'argent. 

Mais après tout, le silence est-il  aussi vertueux que la sagesse populaire veut bien nous l'enseigner ?

Je connais de fieffés imbéciles dont le silence cache la bêtise et de parfaits abrutis qui, lorsqu'ils l'ouvrent, ne peuvent s'empêcher de dire beaucoup de conneries... 

S'il ne suffit pas de maîtriser l'art oratoire pour tenir des propos intelligents, une éloquence mal maîtrisée vaudra, à mes yeux, toujours mieux  que le silence qui n'est pas toujours emprunt de sagesse, n'en déplaise à Lao Tseu et Euripide, et peut même, dans certains cas, offrir un voile pratique pour masquer l'ignorance. N'oublions jamais que le verbe est au commencement de toute chose et qu'une parole, même imparfaite, même vide, luttera contre l'angoisse en remplissant l'espace bien mieux qu'un pesant silence.

Je crois pour ma part que lorsqu'on en dit, les mots en disent bien plus que l'absence de mots ne dira jamais. Alors faut-il mieux se taire plutôt que parler, même lorsqu'on a rien à dire ? Rien n'est moins certain.

mercredi 25 octobre 2017

Absence. Il n'y a rien.

"Je ne suis rien. Je le sais. Mais je compose avec un petit morceau de tout."
Victor Hugo

En cas d’absence, c’est que je ne suis pas là.
Si tu n'es pas là non plus, alors il n’y a personne.
Ne m’appelle pas, je n’ai plus de téléphone et, de toute façon, si j’en avais un,
je ne répondrais pas.
Tu peux tout faire, on a beau faire, rien ne vaut la peine de rien.
Nous sommes nous et nous ne sommes pas nous. Nous ne sommes rien.
Il n'y a rien à attendre. Rien est un absolu.
Je ne te salue pas, tu n'es pas là. Moi non plus d'ailleurs.
Il n'y a rien. C'est tout.

mercredi 11 octobre 2017

Un rien peut rendre un homme élégant

"L'élégance est moins capricieuse que la mode, elle a des lois."

Anne Baratin.


Jeune homme, il m'est plus d'une fois arrivé de croiser dans telle ou telle boutique de mon goût monsieur Jean Rochefort.

Avec son compère Philippe Noiret, il fut pour moi un modèle et une source d'inspiration, non seulement de classe et d'élégance dans la vêture mais aussi parce que j'ai eu moi-même très tôt une certaine inclination pour cette nonchalance sans affectation, ce style toute en flegme si britannique, qui ne saurait en rien n'être pourtant le signe d'une belle indifférence.

Le rencontrer quand je venais choisir une chemise ou un pantalon était pour moi la garantie que je ne m'étais pas trompé d'adresse. Pour me chausser et m'habiller, mes pas m'amenaient alors souvent sur les traces des siens place de la Muette, boulevard des Capucines, rue de Rivoli ou rue du Faubourg Saint-Honoré... 

Il me revient notamment une conversation - que dis-je ? un aparté, quelques mots à peine échangés - que nous avions engagée autour de la qualité du velours des pantalons d'une marque normande au nom "so british". Le voir porté par lui avait fini de me convaincre d'acheter un pantalon d'un jaune éclatant que je coordonnais alors, en fonction de l'humeur du jour ou des occasions, avec un blazer sombre ou une veste en tweed. S'il m'arrive encore de porter des cravates de soie ou de lainage tissées sur des chemises de la maison Hilditch & Key, d'aimer les pochettes en twill d'un célèbre sellier du faubourg Saint-Honoré ou d'arborer des pulls en cachemire aux couleurs chatoyantes trouvés chez Arny's, c'est à lui que je le dois. 

Sa garde-robe m'a, je dois le reconnaître, souvent servi d'inspiration.

Merci Monsieur Rochefort. Avec vous, j'ai appris qu'un simple détail, un rien pouvait rendre un homme élégant.

Au-delà du cavalier d'exception et du formidable acteur aux multiples récompenses, ce que je retiendrai de vous, c'est que, même lorsqu'il vous arrivait de faire le singe pour nous faire rire, vous le faisiez toujours avec une très grande classe.

Si l'exactitude est la politesse des rois et l'élégance, celle des princes, alors des élégants, c'est certain, vous étiez bien le prince.

mardi 10 octobre 2017

Un rien paranoïaque...

Je lisais récemment que, selon des statistiques tout à fait officielles, 157 personnes seraient mortes en 2016 en France, victimes de la violence de leur conjoint. En incluant les victimes collatérales et les suicides consécutifs, la mort de plus de 250 personnes a été causée par ces violences l'année dernière. Sombre et terrible vérité des chiffres. Un rien morbide. Une comptabilité qui devrait inciter  tous ceux dont l'objectif de vie se résume - parfois à n'importe quel prix - à trouver l'âme sœur, à faire davantage preuve de prudence. Voir, à développer, sans sombrer dans le délire de la persécution, une forme de prudence paranoïde de précaution.

Bon, d'accord, toutes les femmes ne sont heureusement pas des Catherine Tramel en puissance. Mais n’empêche...

Pour ma part, au risque qu'on dise de moi que j'ai du sang de navet, j'ai tendance en toutes choses à préférer prévenir plutôt que guérir. Je fais gaffe, je veille au grain et je me méfie de l'eau qui dort. Car, comme le veut le dicton populaire, on n'est jamais trop prudent!

Un rien paranoïaque... Et alors ? A mon sens, la seule, l'unique question à se poser incessamment, c'est : Le suis-je suffisamment ? A cultiver, sans délire psychotique ni mégalomanie, la voie d'une méfiance raisonnable, je crois en effet qu'on travaille à écarter le risque de voir un jour burinée sur sa pierre en guise d'épitaphe :
"que n'a-t-il su être plus prudent!..." 

Bon, en même temps, si comme le dit le proverbe oriental "la prudence fait la moitié de la vie", peut-on considérer que l'autre moitié serait faite de témérité et d'audace ? Voir...