lundi 14 janvier 2013

Des transports - bien trop - communs...

Les transports en commun sont à mes yeux, ami lecteur, des transports bien trop communs pour que je me résigne à  devoir les emprunter. Et à qui d'ailleurs les emprunterais-je ?
J'ai cinquante ans et au quotidien, je suis heureux de pouvoir - mais pour combien de temps encore ? - me permettre le luxe de rouler en véhicule automobile. N'en déplaise à MM. Baupin et consorts qui ont décidé, à force d'ubuesques travaux et de réglementations en tous genres, de dégoûter mes commensaux, j'aime conduire ma voiture. Et encore bien plus jouir du privilège d'y être seul et de pouvoir y écouter de la musique, fumer si ça me chante et râler contre mes contemporains!

Jamais je ne troquerai cinq minutes de Métropolitain bondé contre les quelques heures de "désagrément" solitaire que provoquent les encombrements ou l'exaspérante traque d'une place pour pouvoir garer ma voiture sans devoir descendre sous terre. Car pour ce qui est de m'enterrer, ça attendra...

Bientôt ils auront tant et si bien fait qu'ils vont finir par  asphyxier le cœur de Paris que le Baron Haussmann et le progrès triomphant du 19ème  siècle industriel avaient pourtant réussi à désengorger. Renouant avec les désagréments décrits  par Montesquieu dans les lettres Persanes, les rues du centre de la capitale sont au bord de l'apoplexie et ses habitants n'en peuvent plus. Certains esprits éclairés qui sont en cour à l'Hôtel de ville n'ont pourtant rien trouvé de mieux, pour améliorer les choses, que de réduire encore les voies de circulation en réservant aux "circulations douces" l'une des voies sur berge. Comme si pour lutter contre le risque de thrombose, un Diafoirus du moment nous expliquait que la solution consiste à davantage encore boucher les artères!

samedi 22 décembre 2012

Quand plus rien de moi ne sera


Sur cette photographie, prise au mitan des années soixante un jour de liesse villageoise (Quatorze juillet ?...), je pose fièrement aux côtés de mon grand père maternel assis au volant de notre Teuf-Teuf, une Renault AX de 1907. Toute une épopée que celle de cette voiturette "simple et populaire" conçue par Louis Renault pour être accessible au plus grand nombre et qui deviendra l'un des modèles les plus répandus en Europe au début du XXème siècle, utilisée comme taxi aussi bien à Londres qu'à Paris.



Les cocottes qu'elle abritait lorsqu'il l'a dénichée n'avaient plus grand chose à voir avec celles que les dandys de la Belle Époque conduisaient à son bord au bal du Moulin Rouge ou chez Maxim's. Mon grand père l'avait en effet trouvée à l'état d'épave, dans une grange délabrée où elle avait été recyclée en poulailler de fortune, un pommier malingre ayant  même eu l’idée saugrenue de pousser en son milieu... Il y mit tout son cœur dans la rénovation de l'ancêtre. Tant et si bien qu'à la fin, elle avait vraiment fière allure avec ces cuivres qu'il fallait avant chaque sortie astiquer au Mirror, son coffre de bois ciré à la belle patine blonde qui sentait l'encaustique et sa sellerie noire en épais cuir de buffle; mais surtout on l'entendait venir de loin avec sa corne dont j'actionnais la poire avec frénésie, les inquiétants craquements de sa boîte non synchronisée à 3 rapports et son moteur bicylindre en ligne de 1 060 cm3 au son unique de pétarade burlesque qui lui permettait les jours de grand vent arrière d'atteindre la belle vitesse de 60 km/heure. Encore fallait-il avoir pu démarrer, si l'on veut bien se souvenir que tout ça se faisait alors à la force du poignet. A combien de reprises ai-je entendu mon grand-père jurer en s’escrimant en vain jusqu'à ce qu'un mauvais tour de reins le contraigne à devoir renoncer. Alors, je prenais mon tour. Il fallait chercher pour obtenir l'emballement des pistons le fameux "point de compression", se mettre dans la meilleure position possible pour éviter de se faire mal au dos; et puis toujours penser à garder le pouce vers l'extérieur pour éviter le méchant et dangereux retour de manivelle, potentiellement générateur d'une mauvaise entorse. Bref! Bien loin du confort moderne qu'offre le démarreur électronique de ma berline du moment.

Mais quels beaux moments de complicité et de rigolade. Sillonner les routes du canton de Perthes c'était déjà la promesse d'une possible grande aventure. De Fleury en Bière à Boissise le Roi, de Barbizon la forêt à Saint Sauveur sur École, chaque village avait alors son bistrot et chaque bistrot son billard. Autant d'étapes que d'occasions de rencontres. Les "salut Roger!" répondaient en écho aux "Bonjour m'sieur Porte!". Belote coinchée, jeu de Jacquet, Zanzibar ou carambole à trois billes, les compagnons de jeu et d'apéro ne manquaient jamais à l'appel. Faut dire que c'est dans l'arrière-salle de l'hôtel-restaurant "billard-dancing-salon pour noces de 300 couverts" que ses parents avaient racheté à la Croix-de-Berny, les "lauriers roses", qu'il avait fait ses premières classes après l'école hôtelière. Mais c'est là une toute autre histoire...

Les Lauriers roses, la Croix de Berny (la maison de mon enfance, à Antony)

Lorsque mon grand-père a disparu - trop tôt, trop vite - cette voiture m'a été léguée et pendant encore deux décennies, elle a pétaradé et rutilé sur les jolies routes du Gâtinais; elle gît malheureusement, depuis dix ans, posée dans une grange de notre maison de Cély sur des cales de fortune. Désossée, démontée, bâchée, elle retourne peu à peu à l'état de carcasse dans lequel elle avait été il y a plus d'un demi-siècle trouvée. J'en éprouve aujourd'hui un fort sentiment de culpabilité mais comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, je crois que je suis définitivement fâché avec les automobiles. Je n'ai aucun talent de mécanicien ni même aucune appétence à essayer. Et puis, les parcours en auto m'ont toujours donné la nausée. Mais était-ce l'effet du grand air de ce cabriolet haut perché et toujours ouvert aux quatre vents, je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais été malade dans cette voiture-là.  Pourtant, le réservoir était fort inopportunément placé sous le pare-brise, presque sur les genoux du passager. A chaque fois qu'il fallait - tâche qui m'était souvent confiée - ouvrir le petit robinet qui permettait d'assurer l'alimentation du moteur, s’écoulaient presque toujours sur nos pieds quelques gouttes d'essence à l'odeur entêtante qui, en d'autres circonstances, m'aurait soulevé le cœur.  Si tu ajoutes à cela le parfum de tabac brun des Gitanes que fumait mon grand-dabe, sans aucune inquiétude d'ailleurs pour la proximité de l'inflammable liquide que quelques centimètres seulement séparaient du foyer incandescent de sa cigarette. En cette glorieuse époque, les interdits sécuritaires et hygiénistes n'étaient heureusement pas encore de mise. Jamais, te disais-je, le très explosif et écœurant cocktail clope/essence ne me souleva en ces circonstances le cœur.

Alors, ami lecteur d'un jour, quand  j'aurai, de guerre lasse, à mon tour rejoint le boulevard des allongés. Quand plus jamais ne se lèveront mes co-naturels, pas même pour satisfaire une envie pressante. Quand plus rien de moi ne sera que la mémoire, alors je me prends à rêver que peut-être je remonterai le haut marchepied métallique pour m'asseoir à la gauche de mon grand-père et actionner de nouveau la trompe pour avertir de notre arrivée prochaine tous les troquets du coin... Pouêt-Pouët !

lundi 1 octobre 2012

A n'y rien comprendre

En mai dernier, je n'ai pas fêté mon cinquantième anniversaire. Ma grand-mère maternelle qui a quatre-vingt dix-sept ans a connu la première guerre mondiale, ma mère a quant à elle connu la seconde. Moi, en matière de conflit armé, je n'ai connu - et encore ! - que la violence toute relative de la guerre des sexes... Pourtant, les statistiques démographiques nous classent - ma grand-mère, ma mère et moi - dans la même catégorie. Si, si... 

Je suis désormais affublé dans les études de l'INSEE du qualificatif sans doute pratique mais il faut bien l'admettre un peu fourre-tout de "senior" ! Le Petit Larousse  décrit en effet les seniors comme "les plus de cinquante ans". Et je ne parle même pas de ceux qui dans le monde de l'entreprise considèrent élégamment au nom de la rentabilité productiviste que le cap de la séniorité est franchi dès 45, 47 ans... Mais quel junior en mal de reconnaissance a pu donc un jour imaginer de tels critères?

S'il n'existe aucune définition officielle, il est communément admis qu'un senior est une personne âgée ou retraitée. Je ne me sens pas encore (trop!) âgé et bien loin d'être retraité. Alors senior, vraiment? Comme ma mère, comme ma grand mère... Et depuis cinq ans déjà ? Et je ne m'en serais pas rendu compte? Même pas mal !

Dois-je envisager sérieusement d'être pendant les vingt prochaines années encore un "senior actif"? Mais dans quel état arriverai-je donc à la retraite et de quoi pourrai-je alors bien être qualifié? Jeune senior fatigué? Vieux senior toujours (un peu) actif ou senior passif déjà dépassé?

Ma grand-mère a perdu son père de la grippe espagnole en 1915 et moi je suis né en 1962, l'année même où elle s'est retirée dans le sud de la Seine et Marne pour y prendre, avec son mari, une retraite anticipée. Cinquante années. Le temps qu'il m'aura fallu pour la rattraper et, à mon tour, grossir les rangs des seniors en espérant, au mieux, pouvoir prendre ma retraite dans vingt ans d'ici. Au rythme où vont les crises financières, économiques et monétaires qui agitent le monde, du temps qui s'accélère et de l'agitation, c'est vraiment à n'y rien comprendre...

dimanche 22 avril 2012

Plus rien à boire...

Croisé un vieux rue de Vaugirard, près de la station éponyme, juste devant le square Adolphe Chérioux. Sanglé dans un froc informe à la couleur improbable, il ne marchait pas, il luttait.
 
Lançant devant lui ses bras l'un après l'autre dans un mouvement  de balancier au rythme métronomique, il luttait pour avancer, il avançait pour survivre... Dans ses mains deux bouteilles d'un mauvais rouge aux goulots desquelles il semblait s'accrocher comme un naufragé de l'asphalte à des bouées de sauvetage. Le regard perdu, le pas hésitant, il avançait. Je me suis demandé jusqu'où, jusque quand...

Tous les matins, il descend de son deux pièces-cuisine crade de la rue du Général Beuret pour aller faire ses courses au Carrefour Market de la rue de Vaugirard. Tous les matins, il met quarante minutes pour franchir les cent-cinquante mètres de trottoirs et d'asphalte qui le séparent du supermarché. Quarante minutes aller, un peu plus pour revenir. L'effort est trop grand ! Et puis il faut lutter pied à pied pour gagner du terrain et parer les attaques perfides des manticores et des amphiptères qui, s'arrachant aux gargouilles du clocher proche de l'église Saint-Lambert, cherchent le chemin des tours de Notre Dame.... Chaque jour il se pisse dessus avant d'arriver chez lui car il ne peut pas attendre d'être rentré ; une heure et demie c'est bien trop long.

Quand il arrive,  il est assoiffé. Totalement déshydraté, il attaque le premier litron de pif. Vite descendu, il s'endort, la tête posée sur les bras, sur la table en formica de la cuisine. A midi, chaque jour depuis près de vingt ans, il est réveillé par un chat qui réclame sa pitance. Jamais le même. On dirait que tous les greffiers des toits de Vaugirard se sont donnés le mot pour venir quémander un morceau de mou ou une improbable pâtée .. Il est bientôt l'heure d'attaquer la deuxième bouteille de Gévéor, juste le temps de l'engloutir goulûment - ça fait bien longtemps qu'il ne déguste plus rien - avant de sombrer dans le sommeil lourd et alcoolisé de l'après-midi.

Quand le soir arrive, il n'y a plus rien à boire. Tant pis ! Il attendra demain. Putain que les nuits sont longues alors, quand les heures qui séparent le crépuscule de l'heure où les commerçants lèveront enfin leurs rideaux de fer s'étendent à l'infini de sa solitude...

mardi 15 novembre 2011

Six mois sans rien avoir écrit...

Tout soudain je m'aperçois que je n'ai plus rien publié sur ce blog depuis longtemps. Presque une demi-année. Mais après tout est-ce si grave ? Est-ce si long ? Oui, si l'on considère l'exercice du blog comme une forme d'expression instantanée, presque immédiate, et qui obligerait à une manière de régularité quasi-quotidienne et presque mécanique. Non, si l'on ne veut pas risquer d'avoir, juste pour respecter le rythme et la forme à n'écrire pas grand chose sur presque rien. La question en tout cas mérite d'être posée car  si le fait de ne rien écrire ne m'a pas gêné outre mesure, au risque du narcissisme je crois pouvoir dire que celui de ne pas avoir pu être lu m'a parfois été reproché.

Pourtant, ce constat d'absence de production ne me fait ni chaud, ni froid. Aucune angoisse ne m'étreint. Rien à voir en tout cas avec la fameuse angoisse de la page blanche; cette difficulté, ce blocage parfois rencontré par les écrivains pour trouver l'inspiration et qui les terrorise. Non, simplement, je me rends compte que je n'ai pas vu le temps passé, que je ne suis plus venu m'allonger sur ce blog depuis bientôt six mois et que si je n'ai pas écrit c'est que je n'en ai pas éprouvé le besoin car je n'avais rien de plus à dire. Le silence, mon silence, n'a en rien été l'expression d'une absence à pouvoir communiquer mais bien plutôt celle d'une communication de l'absence. Et puis l'angoisse de la page blanche lorsqu'on publie sur un blog, tu conviendras avec moi, cher lecteur, que c'est une formule quelque peu inadaptée! J'aime l'idée d'être un blogueur du dimanche et d'écrire quand l'envie me prend, à mes heures perdues, le soir tard, le matin tôt, sans contrainte aucune sauf peut-être celle de devoir respecter des règles que j'aurais moi même fixées pour satisfaire mon désir d'écriture.

Écrivain ne suis, blogueur très occasionnel je reste. Ce que j'aime dans cet exercice du blog c'est qu'il autorise  une forme d'illusion de l'écriture. En rédigeant des textes courts et rapidement écrits, sur un support dématérialisé, le rapport aux mots  me semble moins dramatique, moins essentiel, et pour tout dire moins vital; somme toute bien différent de celui qu'entretiennent au Verbe ceux qui professent d'écriture, qui vivent parce qu'ils écrivent, qui écrivent pour vivre, qui vivent de et par leur écriture. Les mots ne sont pas pour le blogueur amateur que je suis une question de vie ou de mort mais au contraire une forme ludique de jeu auquel je m'adonne, de temps à autre, pour m'amuser et distraire, avec légèreté. Sans les symptômes de l'addiction. Ni angoisse, ni manque, ni dépendance...
Blogueur, blagueur, oui ça me va bien.

Mais si "je suis parce que je pense", suis-je vraiment ce que je pense être ? En écrivant, je donne forme à mes petits riens par des signes visibles et compréhensibles aux autres. Ce long silence d'un semestre n'est-il pas au fond l'expression même de ce que je suis et du rapport que j'entretiens avec la parole ? Est-on vraiment parce que l'on a conscience d'être et qu'on l'exprime, qu'on le verbalise ? Est-on parce que l'on sait qu'on est ? Le sachant ne court-on pas le risque de ne pas s'avoir ? S'avoir pour mieux être ? Devenir un être sans savoir et douter davantage encore, en silence...

vendredi 17 juin 2011

Rien à faire

Les voitures, je suis quasiment né dedans. Toute mon enfance, chefs d'atelier, vendeurs ou mécaniciens se sont succédés pour me conduire à l'école au volant... Selon qu'ils laissaient dans l'habitacle une fragrance mêlée de Gitanes et d'huile de vidange ou bien des effluves de Petrol Hahn ou d'un après-rasage Aqua-Velva couvrant à peine des relents de cigarillos bon marchés, je comprenais qu'ils appartenaient à tel ou tel de ces deux mondes que ne séparait pas uniquement la Nationale 20. Car les équipes des Établissements Roger Porte se faisaient face et se toisaient d'un coté et de l'autre de l'avenue Aristide Briand. Sur un trottoir, le service après-vente, l'atelier et les pièces détachées. Sur l'autre, la direction générale et les ventes. Ma mère régnait sur l'un quand mon père dirigeait l'autre...Une forme de résumé du monde avec ses cols bleus et ses cols blancs, son aristocratie et son prolétariat, ses rouleurs de mécanique et ses mécanos, ses hommes et ses femmes...

Pour mon dix-huitième anniversaire mon père m'a offert un petit coupé sport italien. Je n'avais pas encore  le permis de conduire. Alors c'est dans le garage de la rue du Nord qu'au volant de mon Alfa-Romeo Giullietta Coupé GT Veloce 2000 de 1969 je rêvais aux mythiques spéciales du Tour de Corse ou aux étapes de montagne du rallye de Monte-Carlo. Avec mon ami Pierre comme copilote, nous tournions la clé de contact juste pour écouter le ronronnement du deux-litres italien et si nous nous risquions parfois à faire une manœuvre, c'était uniquement sur quelques mètres, d'avant en arrière, lorsque, en fin de semaine, l'atelier était moins encombré...

Cette splendide petite italienne, je n'ai jamais roulé avec ailleurs que dans mes rêves et, sur quelques mètres, dans ce garage.  Je l'ai revendue au frère de l'un de mes amis d'alors, aristo très catholique et très à droite qui fréquentait la faculté de la rue d'Assas. Les rallyes qu'il courait ne dépassaient pas les frontières du seizième arrondissement et ses trophées étaient des filles à papa qui peuplaient le grand amphithéâtre pour y trouver le futur père de leurs nombreux enfants...

Moi, la voiture m'a toujours rendu malade !

A la simple évocation du souvenir d'une lecture en auto, fut-ce seulement quelques malheureuses lignes, j'ai des sueurs froides, la nausée me submerge et la migraine me prend.  Mes parents, les médecins, mon Psy... On a eu beau faire et essayer de me convaincre du contraire, je suis malade en voiture. Alors pouvoir, à l'occasion d'un trajet automobile, faire sa correspondance, signer des parapheurs, ou simplement lire le journal, tout m'est dans l'évocation même insupportable ! Ce handicap, car c'est un handicap, m'aurait à lui seul empêcher de pouvoir avoir le goût ou l'envie de me faire élire quelque part. Rien à faire.

dimanche 22 mai 2011

Il n'en fut rien


En lisant dans le Point de cette semaine la chronique de Gilles Pudlowski, le souvenir d'un repas mémorable partagé, à l'occasion d'un séjour lotois avec le cousinage des Bailly, chez la mère Daudet me revient tout soudain. C'est sur la toile cirée de cette maison lotoise, au cœur du village de Lhospitalet, situé entre les communes de Labastide-Marnhac et Pern, perché sur le Causse à dix kilomètres de Cahors, que le président Maurice Faure avait pour habitude de traiter ses invités de marque... C'était une époque - révolue - où les hommes politiques n' hésitaient pas à passer à table, et à y rester de longues heures. J'ai compris ce jour-là pourquoi dans le langage populaire de la quatrième République on avait coutume de marier radicalisme et cassoulet...

Le "Pastis"
Notre ami et voisin de la rue de Babylone, Luc, qui faisait alors son service militaire était déjà connu pour son coup de fourchette. Il fut le seul, je crois, à faire honneur à chaque plat, et même à se resservir sous les assauts répétés - et insistants - d'une mère Daudet trop heureuse d'avoir trouvé un convive dont l'appétit était à la mesure de son talent... 

Bouillon gras, crudités variées, cou farci, fritons, foie gras, truites au bleu, confit de canard et pommes de terre sarladaises, salade aux noix et cabecous de Roquamadour crémeux, sorbets et tartes, et pour finir un Pastis d’anthologie. Ce menu d'un déjeuner qui constituait l'ordinaire de cette table d'hôte fut arrosé d'un gouleyant coteaux du Quercy de Castelnau-Montratier. Et pour finir, nous fîmes honneur à une vieille prune de Souillac de chez Louis Roque. Rien de trop...

Dans le même ordre d'idée me revient - c'était bien des années après - un très agréable souvenir de la campagne présidentielle de 1995. 
Une tête de veau mémorable
C'était à la fin de l'hiver. Nous avions emprunté en convoi la route nationale, au sortir d'un meeting électoral tenu dans le gymnase où jouait habituellement l'équipe de Basketball de Clermont-Ferrand. Nous avions fait le déplacement en Auvergne pour que le président du Conseil régional, après qu'il eut reçu notre candidat dans son bureau de Chamalières, put officiellement appeler à voter pour son ancien Premier ministre. 

Comme souvent dans ces occurrences j'étais sorti de la voiture le cœur au bord des lèvres. Malade, sans oser le dire, d'une conduite chahutée et trop rapide sur les routes du massif central. Nous avions soupé fort tard en compagnie des journalistes, à l'occasion d'une étape nocturne aux Gravades, cet hôtel d'Ussel où Jacques Chirac avait en haute-Corrèze ses habitudes. Peu nombreux furent ceux qui allèrent se coucher sans manger tant les odeurs de cuisine qui nous accueillirent étaient allèchantes.

Jamais je n'aurais cru pouvoir, en cette heure avancée de la nuit, faire un tel honneur au pâté aux cèpes, à l'omelette aux truffes, à la tête de veau sauce Gribiche et aux pommes de terre sautées dans la graisse d'oie. La nuit fut courte mais le sommeil lourd et réparateur. Dès le lendemain, nous repartions sur les routes du Limousin et je m'arrangeais, dès lors, pour m'asseoir à l'avant des voitures. J’espérais, en prenant la place du mort, éviter les tourments de la route. Il n'en fut rien...

vendredi 28 janvier 2011

Rien de spécial...

Ce matin en entendant le groupe "Au Bonheur des Dames" programmé sur FIP - dont on fête ces jours-ci le 40ème anniversaire - beaucoup de souvenirs me reviennent. Je réalise à quel point FIP a compté dans l'élaboration de mes choix musicaux et pour la constitution de ma playlist personnelle. Presque autant que NOVA, que Patrice Blanc-Francard, que Bernard Lenoir ou encore Antoine de Caunes et son Chorus. Presque autant que les sets des Disc-Jockeys du Bus en cette fin des années 70, début des années 80.
ABBD c'était un OVNI, le fruit défendu d'un croisement osé entre Chuck Berry, pour l'énergie d'un rock dépouillé et agressif, et le Grand Magic Circus pour les costumes et la dérision très 70. Je les avais vus sur scène au Parc Heller, à Antony. Ce devait être en 75/76, au moment de leur - premier et seul - succès populaire, "Oh les filles"! Je trouve encore, trente cinq ans plus tard, ce morceau toujours aussi fendard et entraînant. J'adorais le coté bon enfant et décalé, mais dans le même temps très rock' n roll de Ramon Pipin et sa bande. A leur façon, ils annonçaient avant l'heure une manière de Punk à la française. L'énergie sans la révolte...

L'été qui suivit ce concert en plein air, mes parents ayant décidé de tourner le dos à dix ans de fidélité à la Baule les pins, nous avions passé les vacances à Port Barcarès. De ma chambre, d'hôtel, j'apercevais la silhouette immense et solitaire d'un paquebot immobile et balayé par la Tramontane. Il avait été échoué sur cette plage du Roussillon pour y servir de décor à un casino-salle de spectacle qui complétait le complexe hôtelier où, sur le modèle de la Costa Brava toute proche, un groupe d'investisseurs japonais imaginait alors les vacances du futur des européens... 

Construit en Scandinave dans les années 30 pour des croisières dans les eaux australiennes avant d'être revendu à une compagnie grecque pour assurer la ligne régulière Beyrouth-Marseille, désarmé en 1967, le "Lydia" avait été ensablé sur cette immense plage par quelque promoteur sans doute un rien mégalomane qui rêvait d'en faire le symbole de la naissance des nouvelles stations balnéaires de Port-Barcarès et Port-Leucate.

Je me suis ennuyé ferme à Barcarès...

Sauf un jour où, dans le grand hall où traînait un billard américain, je les ai vus. Eddick Ritchell, Rita Brantalou, Shitty Télaouine, Ramon Pipin, Hubert de la Motte Fifrée ... Bref les membres d'ABDD au grand complet ! Ils descendaient force bières et cocktails au rythme de parties de billard aux règles de plus en plus hétérodoxes pour tuer le temps qui les séparait de l'heure de monter sur la scène du Lydia...  Ce fut pour moi un grand moment de rigolade et cela reste, encore aujourd'hui, un souvenir agréable. Pourtant, rien de spécial ne s'est passé ce jour-là. J'avais juste partagé la déconnade d'une bande de potes un peu allumés qui jouaient au billard.

Quelques années plus tard, dans la gare d'Orsay pas encore transformée en musée, nous étions allé avec Cécile, Claire et Arnaud assister à un concert du groupe "Odeurs", nouvel avatar du gang de musicos allumés mais talentueux qui s'agrégeaient autour de Ramon Pipin. Un fou furieux, mais aussi un excellent guitariste. Nous y étions allé parce que Claire nous y avait entraînés. Il faut dire que son oncle par alliance David Rose, excellent violoniste de jazz-rock qui porte le même nom que l'ex-mari de Juddy Garland, jouait ce soir là avec eux. 

Avec ce nouveau groupe de rock parodique, on était dans le délire intégral. Sur scène encore plus que sur leurs disques d'ailleurs. Nous avons beaucoup ri et beaucoup dansé. Je venais de m'acheter un appareil photo argentique Canon et j'avais fait de - très - mauvais clichés dont la médiocre qualité ne m'a malheureusement pas permis de conserver une trace physique de ce concert. Ces photos n'auraient sans doute pas intéressé grand monde d'ailleurs. Elles n'avaient rien de spécial, Non vraiment, rien de spécial.