mardi 23 novembre 2010

Ça tient parfois à trois fois rien...


La scène se passe en 1970, dans la cour de récréation de l'école Saint Jean Eudes, établissement d'enseignement qui accueillait alors les classes élémentaires de garçons de l'Institution Sainte Marie, rue Auguste Mounié à Antony. Un groupe d'élèves est réuni autour de celui qui raconte ses aventures en forêt de Fontainebleau. Fait prisonnier par une troupe de sauvages amazones aux seins nus alors qu'il se promenait le weekend précédent dans les gorges de Franchard avec ses parents, il nous raconte comment la cheftaine de la tribu a fait de lui pendant quelques temps le jouet de sa fantaisie. Comment ses "grandes" d'une quinzaine d'années ont abusé de sa faiblesse en lui roulant des palots baveux, et, entre deux parties de billes nous l'écoutons, en l'enviant, nous conter ses aventures et ce qui constitue à nos yeux de véritables exploits. Le souvenir précis et minutieux de sa capture, celui des tortures indiennes qu'il a subies sans broncher, comment il s'en est sorti, en séduisant la plus belle des guerrières et en jurant de ne jamais révéler le chemin de leur secret repaire donnent le prétexte à d'épiques récits. Autant d'épisodes qui, durant une semaine, vont nourrir nos rêves et animer la récré... Sans doute avait il croisé une troupe de jeannettes pendant la ballade dominicale et familiale... Ah que la vie est belle en ce début des années 70 !

Nous sommes au printemps. Mon voisin, un "hippie" plus âgé que nous, habillé de soieries indiennes, chaussé de Pataugas, et déjà grand fumeur de shilom, m'a offert trois disques pour mon huitième anniversaire ...  

Sweet Smoke - Just a poke

Abbey Road - The Beatles

Abbey Road, dernier album enregistré en studio par les Beatles, Sweet Smoke de Just a poke - un album composé de deux uniques plages de plus de 15 minutes chacune, à la  musique au moins aussi psychédélique et colorée que l'était la pochette de ce groupe américain exilé en Europe ... - et Atom heart mother du Pink Floyd, album de rock progressif déjà marqué par la créativité sonore d'un ingénieur du son nommé Alan Parsons dont le talent génial allait définitivement éclaté trois ans plus tard avec le soin si particulier qu'il allait porter à la production de "The dark side of the moon". Je suis encore très reconnaissant aujourd'hui à ce voisin que je n'ai plus revu depuis qu'il a  décidé un matin de quitter les trottoirs de l'avenue Aristide Briand pour les plages de Goa et  les cimes de Katmandou. Je le remercie de son goût très sur. Il a tôt contribué à m'ouvrir tout grand les oreilles. 
Atom Heart Mother - Pink Floyd
Ces trois 33 tours vont pendant longtemps tourner en boucle sur mon phono. Avec la Soul de Solomon Burke et son Everybody needs somebody to love, un disque de la série "Formidable Rythm'n Blues" du label Atlantic qui appartenait à mon père et que j'ai lui aussi beaucoup écouté, ils constitueront l'amorce de ma collection et ont contribué à me plonger avec délice dans l'univers du Rock'n Roll. Quarante ans plus tard, je suis toujours dans le bain.

Pop Music, Rock'n Roll et Soul, voilà le triptyque fondateur sur lequel j'ai bâti mon propre panthéon musical. Et si mes goûts m'ont ensuite davantage fait pencher du coté des Stones, je suis resté fidèle à "Come together", "Because" ou "Carry that weight" et "Here comes the sun" reste pour moi une ballade essentielle dans l'histoire de la musique populaire. 

Ces trois disques que ma mère regardait comme s'il s'était agi des objets maudits d'un culte satanique, ces trois galettes de vinyle noir avec leurs pochettes reconnaissables entre toutes, je les écoute encore aujourd'hui. Ils ont contribué à changer ma perception du monde.  Ça tient parfois à trois fois rien...


vendredi 8 octobre 2010

L'âge n'y fait rien


Je me souviens qu'enfant je calculais qu'en l'an 2000 j'aurais 38 ans et je trouvais ça vieux. Aujourd'hui, j'en ai dix de plus, et je me sens pourtant encore jeune. Tout est relatif ...

Le 4 janvier 1995, j'avais 33 ans. Nous n'étions pas très nombreux en ce mercredi matin d'hiver à pénétrer dans les locaux vides et froids du numéro 80 de l'avenue d'Iéna. Pas encore branché, le téléphone ne fonctionnait pas et sur le plateau du  3ème étage où nous nous sommes installés dans un grand bureau aux volumes haussmaniens,  André, Jean-Christophe et moi, nous n'avions guère de voisin. A l'exception notable de notre cher Daniel - connu à la Fac sous le surnom de  "m'sieur Milou" -  l'ordonnateur en chef des déplacements du "Grand". Lui était déjà là,  à la manœuvre, prenant des options sur les salles, mobilisant les fédérations amies, louant des autocars, prévoyant les voyages et les transferts du candidat, ses hébergements, la logistique... Il anticipait  même sur la réservation des lieux pour les meetings de l'entre-deux tours. Pourtant les gazettes qui faisaient l'opinion n'en  donnaient pas cher alors de la peau de notre candidat. Certains allaient même jusqu'à prédire une élection dès le premier tour d'Édouard Balladur, c'est dire ! Nous, contre les sondages et les mauvais augures de tout poil, on avait décidé d'y croire à "la France pour tous" portée par Chirac.

Tous les soirs, sur le poste de télévision du bureau, nous regardions sur Canal + les Guignols de l'info en éclusant des Ti'Punchs. Cet apéro improvisé grâce à la bienveillante attention de quelques amis békés qui depuis la Caraïbe nous approvisionnaient généreusement en Rhum, ce moment de détente quotidien que nous offrait Gaccio et Delépine, devinrent le rendez-vous couru des grognards de la Chiraquie, tous amateurs de Rhum des Antilles. On croisait alors, verre en main, Jean-Louis Debré, Jacques Toubon, Roger Romani ou encore Henri Cuq. Avec Henri, au prétexte d'un voyage d'étude du groupe de l'Assemblée, nous avions même devancé l'appel et, à notre manière, anticipé de quelques semaines le début de la campagne à l'occasion d'un  déplacement éclair sur l'île de Mayotte fin 1994 à l'invitation de notre ami Mansour Kamardine. C'était quelques jours avant le voyage officiel que devait effectué le 24 novembre le premier ministre sur cette île française de l'archipel des Comores. Nous avions chargé nos bagages de quelques affiches et de  vieux T-shirts datant de la campagne de 88 récupérés dans les caves de la rue de Lille. Lorsque Edouard Balladur débarqua à l'aéroport de Dzaoudzi, il fut accueilli au cri de "Chirac président" par des femmes mahoraises arborant fièrement sur leur torse la photo de son rival! Le Préfet et le Ministre de l'outre-mer d'alors se souviennent encore sans doute de la colère froide qui s'en suivit.... Nous  n'avions passé que quelques heures sur l'île, j'en ai rapporté le souvenir amusé d'une blague de potaches et le Paludisme. Bien des années après nous en riions encore avec Henri. Il est mort l'an passé, emporté par la fumée de ses éternels cigarillos....

Souvent, dans notre bureau d'Iéna, nous partagions de vrais fou-rires en voyant apparaître à l'écran l'image de la marionnette de notre candidat. Hérissée de couteaux plantés dans le dos. Elle encourageait les français à "manger des pommes".
Et du coup, nous voulions, nous, que chacun puisse en manger des pommes, façon de lutter à notre manière contre la fracture sociale et de bâtir cette "France pour tous" que nous appelions de nos vœux.

Alors on y croyait. On savait qu'on partait de loin, de très loin même, mais on y croyait. Nombreux pourtant étaient ceux qui n'auraient pas misé sur celui que d'aucuns décrivaient alors comme un "has-been". Ils n'imaginaient sans doute pas que cet outsider, ce "cheval de retour" serait non seulement élu, mais même réélu pour un second mandat. Aujourd'hui l'immeuble de l'avenue d'Iéna héberge France Galop, le syndicat des entraîneurs de chevaux. Curieux clin d'œil de l'histoire...

Je me souviens avec émotion du  premier meeting de campagne. C'était au Dôme, à Marseille. Mon ami Jean était venu me chercher à Marignane avec la R25 qu'il avait conservée de son passage place Beauvau. Autant pour m'impressionner je crois que pour passer sans encombre les embouteillages qui comme souvent  ralentissaient l'entrée dans la ville, il avait fait tout le trajet en laissant branchés la sirène deux-tons et le gyrophare. Mon avion était en retard, je suis quand même arrivé avant le cortège du candidat . Et puis, tout soudain, en pénétrant dans cette salle, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Sept mille personnes réunies pour l'occasion, dont un grand nombre de jeunes qui hurlaient à plein poumons d'enthousiastes "Chirac président"! Je suis sorti et j'ai immédiatement téléphoné à Patrick Stefanini, le directeur de campagne resté à Paris, pour  le lui dire. Je me souviens encore du silence au bout du fil qui trahissait son incrédulité. Pourtant ce jour-là, l'affluence, confirmée par les médias, le grand nombre de jeunes présents, marquèrent, j'en suis sur, un tournant dans la campagne.
Plus tard, au bar de l'hôtel Sofitel nous bûmes un verre, avec Renaud, Claude, Daniel et quelques fidèles militants marseillais. Ils nous soutinrent - était ce l'effet de la proximité du vieux port ? - qu'aucun meeting politique n'avait plus depuis longtemps réuni autant de monde dans la cité phocéenne. Nous nous prenions alors à rêver. Je rêve toujours, l'âge n'y fait rien, d'une France pour tous...


dimanche 12 septembre 2010

Jamais rien


Rien, que tchi, macache, walou, que dalle, queud', nib', nada ...
Aujourd'hui, cher lecteur, je ne trouve rien qui mérite de t'être narré !

Et puis tout soudain me revient en mémoire le film de Chabrol d'après le roman de Manchette, Nada. L'histoire de cette bande d'anars un peu amateurs qui projettent d'enlever l'ambassadeur des États Unis à Paris. Le ratage qui s'en suit. Michel Aumont  dans le rôle d'un commissaire bien décidé à retrouver, coûte que coûte,  les meurtriers d'un flic tué  dans  l'action. Le carnage final. La violence qui répond à la violence. Pour rien. Nada ! Dans la même veine un peu dénonciatrice, un peu militante des années 70, tu te souviendras sans doute avec moi de "Solo" de Mocky, de sa mise en scène d'une autre bande de jeunes plus ou moins anarchistes, prêts à tout pour faire péter la société. 

Tout faire péter, frapper  le pays de l'Oncle Sam, s'attaquer au cœur de "l'empire du mal" symbolisé par cette nouvelle Sodome qu'est aux yeux d'une partie du monde New York, n'était-ce pas le sens même des attaques lancées contre l'Amérique le 11 septembre 2001 ? Nous sommes nombreux à avoir vécu en direct ces attentats qui restent pour partie encore nimbés d'un halo de mystère. En voyant à la télé le deuxième avion percuter la façade sud-ouest de la tour sud du World Trade Center, j'avais vraiment le sentiment d'assister à une mauvaise série B. Je m'attendais presque à ce que Captain America ou Arnold Schwarzenegger apparaissent à l'écran pour sauver le monde. Mais non. Et l'image que je garde en mémoire est celle d'une pluie de corps tombant lourdement. Les corps de ceux qui voulant échapper aux flammes se jetaient dans le vide par les fenêtres brisées des derniers étages des tours jumelles. Car de super-héros les arrêtant dans leur chute, il n'y en eut pas. En se défenestrant, ceux-là préféraient sans doute choisir  la façon dont ils allaient  mourir plutôt qu'ils ne fuyaient la morsure des flammes.

C'était hier la date anniversaire du plus grand attentat du début du XXIème siècle.  Difficile d'échapper aux commémorations. C'est aussi ce weekend  la fête de l'Huma. Bien que souvent le menu musical de la grande scène du parc de la Courneuve ait fait battre plus que de raison mon cœur de rocker, jamais je n'y ai mis les pieds. Trop réac' sans doute ! Même s'il m'est arrivé de me surprendre à partager un déjeuner avec le rédacteur en chef du quotidien des communistes au dernier étage du siège  historique de Saint Denis ....  C'était avant que le journal - signe des temps de crise que traverse la presse écrite - décide, pour faire face à de graves difficultés financières, de mettre en vente ce témoignage de béton de l'œuvre d'Oscar Niemeyer. Mais c'est une toute autre histoire.

En pensant à la concomitance des dates, je crois que je préfère, même si j'y vois aussi une forme de célébration d'une utopie dévoyée, l'idée d'une fête consacrée à l'humanité que la fixation presque malsaine qu'entraîne, de fait, la commémoration des attentats du 11 septembre. Que l'on doive honorer la mémoire des victimes, c'est une évidence mais  pourquoi commémorer ? N'est ce pas finalement donner raison aux terroristes ? Faire que les fondements nauséabonds de ces attentas résonnent et se perpétuent dans le temps ? On commémore quoi au juste ? La victoire des plans déments de monstrueux fanatiques dont les esprits dérangés ont conçu cette horreur ? 

On feint alors de s'étonner qu'un obscurantiste pasteur de Floride veuille brûler le Coran ou que des prédicateurs évangélistes  dénoncent à New York le projet de construction de "la mosquée de la victoire". Pourtant, leurs prônes délirants s'inscrivent bien dans la logique de confrontation, de violence répondant à la violence, qui puise ses racines dans les fondations de ground zero. Près de dix ans plus tard, les intégrismes de tout bord auraient-ils gagné ? Moi, à l'exception du 14 juillet, de son défilé sur les Champs Élysées, de ses bals popus, des lampions  et des feux d'artifice, je n'aime pas - assurément trop anar ! - les comémos qui donnent souvent  le prétexte  à entretenir les ferments de haine et de fanatisme. Certes il ne faut rien oublier, et surtout pas ceux qui ne sont plus là, mais il faut aussi pouvoir avancer. Opposer aux morts des uns les morts des autres ne résout rien, jamais.
Jamais rien ...


lundi 30 août 2010

Un peu en dehors du jeu


C'est dans la section Athlétisme que j'ai défendu les couleurs bleu et rouge du Métro. A part un peu de Handball en corpo scolaire avec l'équipe de Sainte Marie, je n'ai en effet jamais été très porté sur la pratique des sports collectifs. D'ailleurs, c'est au poste de gardien de but que je me trouvais le plus à ma place; un peu en dehors du jeu.

M. Cheyrouze, notre professeur de sport était également entraîneur au stade. Avec lui, je me suis lancé dans le saut en longueur, le disque et le javelot. Sans doute - le pauvre ! -  croyait-il en mes capacités à rapporter quelque médaille au club. Alors, à l'entraînement intensif succédaient les stages d'hiver à l'École Inter-Armées des Sports de Fontainebleau, l'ancien Bataillon de Joinville. Celui-là même où mon père aurait dû faire son service militaire s'il n'y avait eu cette  malheureuse altercation avec un gradé à la gare de l'Est au retour d'une permission...Tarif : deux ans d'Algérie; fin de carrière prématurée pour lui qui avait été le plus jeune footballeur professionnel de sa génération, sélectionné plusieurs fois en équipe de France espoir. Fin du rêve sans doute. Tout ça pour un salut manqué.

Marie-Christine Debourse
Au stade, notre aînée de quelques années, celle qui nous faisait rêver, que nous regardions avec admiration - et aussi un peu de concupiscence - c'était la plusieurs fois championne de France de saut en hauteur et de pentathlon, Marie-Christine Debourse. Elle était gironde Marie-Christine, alors on guettait ses entraînements pour pouvoir admirer le galbe de ses cuisses lorsqu'elle ôtait son pantalon de survêtement.

Moi, ce que je détestais dans l'athlétisme, c'était les courses de fond. Et puis d'avantage encore, en hiver , les cross-country... J'ai toujours eu horreur de ça et je n'ai d'ailleurs depuis  jamais sacrifié à la mode du jogging. 
Je garde un souvenir particulièrement ému d'un cross couru à Orléans. Ce fut le dernier. J'avais terminé longtemps après les autres concurrents, accompagné par mes camarades de club dans ce qui m'est apparu à l'époque comme un effort surhumain . Ils étaient revenus dans la course pour me soutenir, sous quelques flocons de neige qui commençaient à tomber, car ils sentaient bien que j'aurais pu flancher. Je suis quand même allé au bout. Une fois la ligne d'arrivée passée, à l'orgueil d'avoir terminé malgré tout se mêlait la honte  et une grande reconnaissance envers mes compagnons de club. Je n'ai pas abandonné, je suis arrivé dernier - il en faut bien un  - et ce jour-là, j'ai décidé d'arrêter. Pas seulement l'athlétisme, le sport en général.

C'est mon pote Denis qui m'avait amené à fréquenter le stade. Orphelin très tôt de père et de mère, il vivait avec sa vieille grand-mère près de la station Chemin d'Antony du RER . C'était un colosse breton qui lançait loin le poids et le marteau et qui vouait une passion dangereuse et inconsidérée aux armes à feu. Tellement d'ailleurs que quelques années plus tard il est tombé pour détention illicite d'armes de guerre et trafic. Ce qui lui valut de passer pas mal de temps derrière les barreaux. Il avait été appréhendé sur une bande d'arrêt d'urgence d'autoroute pour cause d'utilisation malencontreuse et , il faut bien le dire, un peu abusive, d'un gyrophare de Police et d'une sirène deux-tons. Il avait un calibre sur lui. Il s'en séparait rarement... En perquisitionnant  le pavillon de la rue des Pivoines, les flics sont tombés sur une véritable armurerie dans la cave. De quoi faire sauter tout le pâté de maison !

Délégué national adjoint des jeunes du R.P.R.
C'est le même Denis qui, la toute première fois, m'entraîna  dans une réunion politique. Lui, ce qu'il aimait c'était le parfum des campagnes électorales. L'odeur de la colle Quelyd pour les affiches. Et puis la bagarre. Les relents de poudre qui parfumaient encore à cette époque les campagnes. Moi j'étais emballé par le ton de l'appel de Cochin. Celui que Chirac avait lancé depuis le lit d'hôpital sur lequel il était cloué par les séquelles du grave accident de voiture qu'il avait eu au volant de sa CX en hiver sur une petite route de haute-Corrèze. C'était en 1979, pour les élections européennes. Nous pensions alors que la France était menacée par un complot fomenté par les tenants du parti de l'étranger (sic !) et nous recouvrions les murs d'affiches de la liste "Défense des Intérêts de la France en Europe". Cette élection se solda par l'un des plus gros échecs du futur Président. Elle marqua aussi mon adhésion au R.P.R.


vendredi 27 août 2010

Je suis né....


Je suis né dans l'arrière-cour d'un bistrot. J'aime les bistrots.
Je suis le fruit de deux générations de bistrotiers corrèziens.

Le café-hôtel-restaurant de mon arrière grand-père, le citoyen Porte François - comme il est fait mention sur sa carte du PCF, section des corrèziens de Paris et natifs  - accueillait en fin de semaine les parisiens qui voulait prendre l'air de la campagne. On  venait de loin pour la cuisine d'Eugénie. On mangeait bien à Antony à cette époque. C'était encore une zone très rurale par bien des aspects. Dans le Petit Journal, on décrit encore, en 1922 : "La jolie commune d'Antony" comme "une de celles, dans la banlieue de Paris, où l'agriculture est restée la plus florissante". Dans son auberge, il accueillait noces, bals et banquets ; les clients y jouaient à la coinche et au billard français, et même, dans une grande salle aménagée tout exprès, on donnait alors des séances de Cinématographe !

Pendant ses jours de congés, ma grand-mère Simone, lorsque son travail de vendeuse au rayon garçonnets du magasin du Bon Marché lui en laissait le loisir, servait  pour donner un coup de main à Roger qui, après une solide formation initiale acquise à l'école hôtelière de Clermont-Ferrand et ses premières armes chez Maxim's de Paris et au très luxueux Grosvenor House de Londres, supervisait en salle  pour aider ses parents. A cette époque, on ne chipotait pas sur le Beaujolais. Le Clacquesin, le Byrrh et le Saint Raphaël étaient à la fête plus souvent qu'à leur tour et pour  affronter le coup de feu du dimanche, une aide n'était jamais de trop.

Quelques mois après la fin de la guerre, mon grand-père maternel qui sentait l'avènement de l'ère de l'automobile agrandit l'affaire familiale en lui adjoignant une station-service et se spécialisa, avec la complicité d'amis américains, dans la vente d'articles de caoutchouc : bottes, tuyaux d'arrosage et pneumatiques de marque Firestone figuraient alors aux rangs des produits rares et recherchés. La voiture prit le pas sur la limonade et, dans les années Cinquante, il transforma le tout en un garage Peugeot qui devint très vite une belle et florissante affaire dont il confia la direction à son gendre, mon père. Contraint de mettre un terme prématuré à sa carrière de footballeur professionnel, mon père sut admirablement opérer sa reconversion dans l'automobile et il développa tant et si bien ses affaires qu'il se trouva dix ans plus tard à la tête de  l'une des plus importantes concessions automobiles de France.

J'ai grandi dans une pièce de l'appartement aménagé dans les anciennes chambres de l'hôtel Albuisson qui donnait sur la RN 20. C'était une pièce d'angle, au premier étage, où souvent j'étais réveillé par le tremblement des carreaux de la fenêtre et le souffle rauque de l'hydraulique des freins des semi-remorques qui, empruntant la Nationale, redémarraient après une halte imposée par le feu tricolore qui régulait la circulation à l'angle de la rue du Nord et de l'avenue Aristide Briand. J'aimais alors rester des heures derrière la vitre, espérant voir les bolides de mes rêves traverser à vive allure le théâtre de la rue qui s'offrait à mes yeux. On ne parlait pas encore de limitation de vitesse.

Leclerc à la Croix de Berny
Parfois le 14 juillet, les  Marsouins du régiment de marche du Tchad s'en retournaient avec leurs chars vers leurs casernements de Monthlery en passant devant la maison. Ils faisaient trembler les murs et j'imaginais alors les blindés de Leclerc et de sa 2ème D.B. fonçant à toute allure en direction de Paris, subitement arrêtés dans leur course vers la capitale par une résistance allemande solidement accrochée au carrefour de la Croix de Berny et décidée à défendre farouchement l'accès à la prison de Fresnes. Les durs combats qui s'y déroulèrent et dont la façade de notre immeuble et les volets métalliques des fenêtres portaient encore les stigmates coûtèrent la vie à cinq des compagnons d'armes du héros de Koufra.

Et puis, visible depuis ma chambre, dans l'enfilade, au bout de l'avenue, il y avait l'entrée du stade. C'était bien avant les exploits en "Top 14" des Chabal, Nallet et autres joueurs-vedettes du Racing-Métro 92 au "parc des sports"...


A l'époque de l'US-Métro, on disait "le stade". Il s'y trouvait un restaurant et plusieurs buvettes dont celle du vélodrome qui, pendant un temps, fut tenue par mes grands parents. Car à Berny il y avait un bel anneau de béton où les meilleurs spécialistes de la poursuite derrière moto couraient comme au Vel'd'hiv ou à la Cipale. Avec son revêtement de ciment et ses virages à 45° c'était, avant guerre, l'une des pistes les plus rapides de France. On s'y pressait les jours de grandes courses et on y buvait sec. C'était aussi un temple du noble art où Marcel Cerdan tira plusieurs fois le gant et où, le 13 mai 1945, il l'emporta à la 5ème reprise dans un beau combat contre Jean Despeaux. Ce jour-là, la recette fut exceptionnellement bonne. Mon grand-père se souvenait avec émotion de cette victoire par K.O. du Bombardier Marocain.

Dans ce stade aux installations très complètes, on trouvait même un fronton de Pelote Basque. Véritable complexe sportif avant l'heure, il fut construit dans les années Trente sur l'emplacement de l'ancien champ de courses hippiques de la Croix de Berny. Cet hippodrome oublié fut pourtant, de 1838 à 1848, l'un des berceaux du steeple-chase en France. Les anciennes écuries devinrent des vestiaires.

On y trouvait aussi une très belle piscine en plein air. Un bassin olympique au bord duquel mes parents se sont rencontrés. Ils avaient quinze ans. C'était en 1952. Je suis né 10 ans plus tard...

vendredi 6 août 2010

Le futur, ou presque...


Le Président, grand amateur de petite reine,  montrait lui-même l'exemple en consacrant chaque matin une heure à pédaler, accompagné de deux membres du SPHP, parfois de son fils Jean, de tel ou tel ministre , ou même d'un visiteur de passage, pour actionner le générateur high-tech situé dans l'ancien jardin d'hiver construit en 1881 dans l'aile ouest du Palais par Jules Grevy; son lointain prédécesseur qui avait décidé d'installer la Présidence de la République dans l'ancien hôtel d'Évreux.

Après la débâcle de la réforme des pensions et le grand remaniement consécutif de l'automne 2010, il fallait trouver des idées, une idée, la Grande Idée....  L'illumination  vint sans prévenir de l'esprit fécond de Kevin Grelot, heureux lauréat du Concours Lépine 2011; grâce à sa géniale invention  il donnait enfin au gouvernement l'occasion d'une vraie relance par la participation de chacun et la contribution de tous : l' "éléctrisanté" était née. En faisant sienne la promotion de cette idée, le Président savait qu'il frapperait un grand coup, un très grand. Le concept en était simple et trouvait son expression dans le slogan conçu par un familier du pouvoir - de tous les pouvoirs d'ailleurs -  pharmacien Montpellierain de renom que sa  mère avait longtemps cru pianiste dans un bordel : " l'énergie partout, par tous ! "

Dans chaque maison, chaque immeuble, chaque école, chaque université, chaque prison, chaque foyer d'immigrés, etc... des centres primaires de production d'énergie étaient installés. Ils devaient permettre à terme à la France d'assurer son indépendance énergétique à la force du mollet. En consacrant  désormais une heure chaque jour au successeur moderne de la Sécu, le "Service Universel Civique de l'Energie", chaque citoyen en âge de pédaler et de servir la Nation fournissait de l'énergie au prix de revient très modique et permettait, dans le même effort,  de résorber par une activité physique saine et productive, le déficit de l'assurance maladie en luttant de façon simple et efficace contre l'obésité, l'excès de cholestérol et toutes les pathologies consécutives à un excès de sédentarité. Seuls les coureurs du Tour de France - s'inspirant du glorieux exemple donné par l'équipe de France de football un an plus tôt en Afrique du Sud - avaient renâclé, au début en tout cas, à devoir faire ce qu'ils considéraient être des heures supplémentaires non rémunérées et avaient menacé de faire grève ... un compromis avait heureusement été trouvé sous une forme élaborée d'annualisation du temps de pédalage.

Poursuivant dans la logique technocratique de la RGPP, de la recherche d'économies, et au nom du développement des synergies et de la rationalisation,  le ministère des sports et de la santé avait vu ses compétences élargies à l'énergie, alors que dans le même temps le ministre de l'intérieur voyait son portefeuille s'agrandir à l'écologie et au tourisme... Le vent de la réforme soufflait de nouveau depuis Bercy.

Tapie dans l'ombre et traquée par la nouvelle police de l'énergie, l'opposition "anti-partousarde" tentait de s'organiser au nom du droit à ne rien faire en dénonçant ce que  le leader charismatique du groupuscule de l'extrême centre, avait baptisé de "S.T.O. des temps modernes". Mais en pure perte, car l'idée faisait son chemin, elle s'exportait, on la copiait, le monde entier s'extasiait devant le génie français retrouvé et déjà le président Chinois, en visite estivale et familiale au Cap Nègre, avait annoncé son intention d'importer le concept. L'orgueil national était restauré, les usines de production de générateurs et de cycles tournaient à plein régime, l'économie repartait, et avec elle la création d'emplois. 2012 s'annonçait comme une belle année...

vendredi 30 juillet 2010

Presque rien


Il était furax l'Alphonse. Tous les plus beaux castors de sa maison étaient là. Que du premier choix. Seul un gonze à l'allure de trader ruiné, un genre de Kerviel aviné, était monté avec une petite ukrainienne en gueulant qu'il allait l'entifler alors que, dans le meilleur des cas, tout ce que la putain pouvait espérer c'était de se faire mollement enviander l'entremichon. Les autres clients semblaient tous déterminer à faire flanelle. Faut dire que les rares hommes présents au bar, bouffeurs d'arlequins en mal de rab', faisaient plus penser à des abonnés des restos du cœur qu'à des habitués des établissements des frères Costes.

Il portait beau dans son costard gris italien à larges rayures tennis et son T-shirt de soie noire. Il avait encore tout du jeune tombeur qu'il avait été quinze ans plus tôt en arrivant à Paname. Les années avaient passées. Avec elles, il avait troqué ses cheveux  perdus contre quelques kilos de plus, mais sa classe naturelle, celle qui avait fait sa réputation rue Thérèse, elle, était toujours là.

C'était juste après l'élection de Chirac qu'il était arrivé à Paris, l'Alphonse. Sur les photos de jeunesse de "l'ex" il lui ressemblait un peu d'ailleurs. Il l'aimait bien Chirac, surtout le candidat de 95, celui de la fracture sociale. En tout cas, il lui semblait moins bégueule et plus mariole que l'actuel locataire de l'Élysée. Il avait toujours pensé qu'il ne devait pas être le dernier à lever le coude pour s'en jeter un derrière la casquette ce président-là; ni qu'il aurait dédaigné un coup de passage, un de ceux qu'on tire en loucedé au  coin d'un bois, quand maman ne regarde pas. Tout l'inverse de l'autre dingue de petit caporal autrichien, un casque à pointe qui ne buvait pas une goutte de Schnaps, qui s'imposait un strict régime végétarien et qui interdisait, bien avant la mode du moment, qu'on fumât en sa présence; une manière d'hygiéniste qui, anticipant de quelques années sur la mère Richard, avait fait fermer les bordeaux d'outre-Rhin.

L'hiver avait été très froid, l'été tenait ses promesses de chaleur caniculaire. La France était partagée entre les exploits des coureurs du Tour de France et le feuilleton Bettencourt.

Soleil et chaleur en été; quoi de plus normal se disait-il. Sauf  bien sur pour ceux de ses contemporains qui avaient de l'écologie fait le fond de commerce de leur petit turbin, ou pire, cachaient derrière de beaux sentiments affichés comme altruistes et modernes des idées et des concepts qui lui semblaient puer leurs relents de mauvais ragoût au fumet nauséabond... Car avant de monter à la capitale, il avait étudié. Les sciences politiques. A Grenoble.

Alors, sans savoir très bien pourquoi, au moment même où il râlait, en faisant et refaisant mentalement des comptes qui restaient désespérément dans le rouge, le maquereau pensait à ces illuminés qui, anticipant sans doute sur le futur proche décrit dans " l'armée des douze singes" de Terry Gilliam - un film qu'il adorait - avaient récemment mis en danger des vies humaines en commettant des attentats au nom de la "défense des droits des animaux"(sic!). Le matin même, alors qu'il savourait son deuxième petit noir au Père Tranquille, il avait entendu au micro d'une chaîne de radio nationale l'un de ses dingues revendiquer le passage à l'acte et justifier l'action violente en osant  l'écœurante, l'ignoble, l'insupportable comparaison entre l'Holocauste et l'abattage des animaux d'élevage.

Lui qui fréquentait assidûment les louchébems du quartier et se nourrissait avec plaisir de viandes, d'abats et de toutes autres formes de protéines animales , ne se sentait pour autant pas l'âme d'un tortionnaire  ! Depuis longtemps, à l'instar de Churchill, il avait choisi de manger de la viande, de ne pas faire de sport, de fumer des Havanes, d'apprécier un bon single Malt tourbé, un Rhum ambré ou un grand cru bourguignon, l'Alphonse ... Il célébrait la nature, à sa façon, en jouissant, parfois même jusqu'à l'excès, de ses bienfaits.

Il exécrait au plus haut point toute forme d'exercice intégriste de la religion, toute manifestation d'intolérance et de fanatisme. Alors ces dangereux cons qui prônaient la violence pour protéger  l'environnement ! Pourquoi pas justifier le port du Niqab ?

L'abattage, il connaissait pourtant, mais pas avec les filles qui travaillaient pour lui. Il les aimait, à sa manière. Il les protégeait. Car en gagnant sa vie à exploiter celle des autres, il arrivait encore à se donner bonne conscience, l'Alphonse! Surtout en pensant aux conditions de travail auxquelles étaient soumises les trottineuses congolaises et kosovares qui  faisaient le raccroc sur les trottoirs de la Quincampe, véritable concurrence  déloyale qui mettait bien à mal le compte d'exploitation de son clandé des Halles en engraissant des macs géorgiens et qui à elles, pauvres gosses exploitées, ne rapportait presque rien.

Un peu plus loin sur le boulevard, au-delà de Strasbourg-Saint Denis, là où les trottoirs Paris  prennent certains jours les couleurs d'une toile de Majorelle représentant le marché de Bamako, on s'adonnait à une autre forme de racolage. Les rabatteurs des salons de coiffure africains, payés à la commission, harponnaient les black mammas à peine sortie du métro Château d'eau et cherchaient à les entraîner vers tel ou tel bouclard des rues avoisinantes. Depuis peu des petites chinoises, spécialistes des ongles américains et de la french manucure pratiquant aussi, à leurs heures perdues, le massage avec "finition à la main", venaient compléter l'offre de baumes aux vertus défrisantes, tresses et autres extensions capillaires en tout genre.

Les confins de la  rue du faubourg Saint Denis, du passage Brady et de la rue du château d'eau étaient devenus l'improbable frontière entre le Kurdistan, l'Afrique équatoriale et le Sri Lanka. Au fond, il le sentait bien, rien ne serait plus jamais comme avant...




mardi 20 juillet 2010

Portrait d'un ami en forme d'exercice de style


Ces contempteurs le décrivent tel un abuseur qui baliverne allègrement, un friponneau qui à l'image des brocardeurs des temps passés gaminerait sur la toile en espérant provoquer chez ses lectrices l'ébaudissement propice à une séduction facile . Ils se trompent, car lui n'est pas de ces biaiseurs qui chercheraient à ensorceler par leurs mots doux et enjôleurs de chipotières jouvencelles perdues sur cette toile qui de nos jours n'est plus faite de finet.

Si autrefois nous nous rencontrâmes aux rangs de ces clubistes républicains qui dénonçaient alors de notre société la fracture , et même si de loin en loin il nous arrive encore de colluder lorsque la cause nous paraît belle et noble, il ne  revendique  plus aujourd'hui que sa qualité d'imployable brocardeur des moeurs de ses contemporains.

Son babillement dérange les tenants de la bienséance et du politiquement correct ? Tant mieux ! Car en se souvenant de ces dramatistes des temps plus anciens qui à leur heure ont su, eux aussi, déplaire à certains de leurs contemporains et s'attirer du souverain les foudres,  je fais  mienne la prophétie que son oeuvre lui survivra et qu'elle trouvera encore dans longtemps d'ici de fidèles lecteurs.

Il a choisi l'an passé de quitter ce royaume des Maures, où il s'était depuis longtemps exilé, pour rejoindre  ses parents et  vivre auprès d'eux dans la solitude et le démeublement ; pas par souci d'aliénisme ni pour s'attirer la sympathie d'hypocrites larmoyeurs, mais pour y puiser, à la source de ses racines, une nouvelle inspiration.  N'en déplaise aux tartuffes et aux mauvais coucheurs de tous poils, rien ne saurait désormais l'atteindre dans sa tranquille retraite provençale. Pas même les agissements de certain bien-pensant senseur d'outre Atlantique qui a cru pouvoir un temps le dépopulariser et, tel un escroqueur du Net, avait ourdi le méchant complot de faire disparaître ses écrits du réseau. Rien à faire pour l'arrêter, celui là de mes amis est imbrisable. (*)

(*) Portait écrit en utilisant une poignée de mots supprimés de la huitième édition du dictionnaire de l'Académie française (1935) et rassemblés par Joseph Vebret dans ses "Friandises Littéraires" publiées en 2008 aux éditions ECRITURE.