lundi 15 mars 2021

Il suffit d'un rien (bis)

On entend parfois dire, dans une forme de truisme frappé au coin de ce qui semble à beaucoup être une manière de bon sens, qu'il n'est rien de tel que de voyager pour voir du pays. Pourtant l'esprit de l'homme est ainsi fait qu'il le porte parfois bien loin dans le temps et l'espace. On pourrait même dire que nous ne sommes réellement présent que là où le désir profond de notre âme ou la puissance de nos songes nous entraînent.

Depuis un an, à l'exception notable des vacances estivales, j'ai très peu quitté les murs de la quasi-cellule qu'est devenu mon bureau, ou alors c'était pour me déplacer d'une pièce à l'autre, dans la maison. Certains pourraient être tentés de penser que, pendant toute cette période, si nous avons été tenus éloignés du monde, c'est le monde qui est venu jusqu'à nous, tant nous sommes, plus que jamais auparavant ne l'avait été l'humanité, des êtres "connectés". Mais ça n'est pas de village global que je souhaitais t'entretenir, mais bien plutôt de voyages immobiles.

Plus simplement, quand je convoque le souvenir des douze derniers mois, j'ai l'impression d'avoir tout fait sauf du sur-place. Et, à l'effet qu'il ne puisse y avoir la moindre méprise entre nous, cher lecteur, entends-moi bien, je ne cherche pas ici à décrire une expérience de décorporation ni même l'un de ces voyages astraux chers à certains ésotéristes. Pas d'extase chamanique, ni transe, ni usage intempestif de produits psychotropes dans mes expériences intérieures. Et d'ailleurs, je ne crois ni à la décorporation ni au don d'ubiquité et j'ai bien trop peur de l'addiction pour user des drogues à la mode. Je me contente d'un verre de bon vin de temps à autre. 

Non, plus simplement, en relisant quelques-uns des courts textes que j'ai rédigés au long de ces temps confinés, je m'aperçois que l'écriture a constitué un très sûr moyen de déplacement vers d'autres lieux, d'autres temps, d'autres mondes. Une autre vision de la réalité du monde. Un autre monde... Comme une prise de conscience encore plus explicite que la carte n'est pas le territoire.

Un air entendu, une image aperçue, quelques mots d'un texte sont parfois plus utiles à nos transports qu'un billet de train, d'avion, une pilule ou un champignon. Même digitalisée, même distanciée, tant que nos esprits restent libres, la vie reste la vie.

Il suffit souvent d'un rien pour stimuler une imagination qui ne demande qu'à se mettre à l'œuvre. Et si on partait ?

mardi 2 mars 2021

Rien et tout

Au midi des terres australes il n'est rien, rien que le vide de l'espace intersidéral,

Au septentrion des banquises boréales, c'est tout un univers en expansion qui s'étale.

Ecrit en pensant à Serge Gainsbourg (2 avril 1928-2 mars 1991)




lundi 1 février 2021

Si proche de rien

Mardi 30, 2ème mois de la 13ème année du Grand Confinement. Ça pourrait être pire...

La nouvelle est tombée, relayée largement par toutes les chaînes d'infocon du groupe NETBOOK, géant mondial des médias né de l'absorption de FACEBOOK par NETFLIX: Depuis ce matin, renforçant le décret général ayant rendu obligatoire, sauf rares et très circonstanciées exceptions, le recours au télétravail et ayant banni tout enseignement présentiel, et, au-delà de la mesure de respect strict des frontières communales que l'armée, renforcée parfois par des paramilitaires municipaux zélés, déployée sur tout le territoire, est chargée de faire appliquer depuis un an dans le cadre d'une énième règlementation européenne d'exception sanitaire, il n'est plus possible de s'éloigner, au risque de se faire "neutraliser" par des représentants de la force publique autorisés à tirer sans sommation, à plus de 300 mètres de son domicile sans être muni d'une autorisation en bonne et due forme, d'une attestation sanitaire officielle ou pour des raisons d'urgence absolue (et de toute façon, ne sont plus seuls autorisés à accueillir du public que les hôpitaux, les pharmacies et les dispensaires) et revêtu d'une tenue NRBC complète à usage unique et muni d'un respirateur homologué. A l'exception des achats en ligne, même les courses essentielles sont interdites - tu me diras, toutes les boutiques sont depuis longtemps fermées... - et le ravitaillement en besoins indispensables à la survie et en nourriture, principalement lyophilisée et obligatoirement stérilisée, est exclusivement assuré en régie par les services communaux ou confié à quelques astucieux concessionnaires. Et tant pis pour ceux qui avaient fait le choix pour vivre de s'isoler un peu en restant à l'écart de la société...

Un voisin sortant ses poubelles

Chaque mercredi et chaque samedi matins sont, intercalés entre le lundi consacré aux ordures ménagères et le vendredi aux déchets recyclables et au verre,  désormais réservés au ramassage des dépouilles, assuré par le très officiel  C CADO,  le "Service de Collecte des Cadavres à Domicile " dont les agents, reconnaissables à leurs combinaisons intégrales rouges à respirateur intégré, sont, pour beaucoup de nos concitoyens devenus, alors même que nul n'a aperçu leurs visages toujours dissimulés derrière le masque qu'ils ne quittent jamais, des figures plus familières que celles de leurs amis dont le souvenir à leur mémoire s'estompe ou de leurs voisins qu'ils n'aperçoivent plus que rarement. 

En effet, pour faire face au volume de décès et au risque sanitaire, il n'est plus question d'autoriser quelque cérémonie funéraire que ce soit. Les dépouilles des défunts sont donc ramassées, sur le lieu du décès, deux fois par semaine et immédiatement transportées dans des "centres de traitements humains" (en fait, d'anciennes usines de valorisation des déchets reconverties à la va-vite et rebaptisées pour satisfaire au politiquement correct) pour y être incinérées. Les SDF retrouvés morts n'on pas cette chance dont les cadavres sont pris en charge sur place par des "unités mobiles de traitement rapide", vite rebaptisées "escadrons de la mort" et identifiables de loin à l'odeur pestilentielle et méphitique qui les accompagne. La mort, avec ses remugles fétides et toute son infâmie, nous est d'une certaine façon redevenue familières et domestique.

Les services de "deuil express" et "mort tranquille", les deux nouveaux géants digitaux américain et chinois d'assistance personnelle au deuil sans obsèques, dont les campagnes de publicité largement diffusées sur les écrans de tous nos appareils connectés et le marketing agressif sur nos smartphones de dernière génération promettent "une rapide résilience" par "un travail de deuil accompagné, efficace et définitif en quelques clics", ont maintenant supplanté les cérémonies funéraires, qu'elles fussent religieuses ou laïques, et les anciennes entreprises de pompes funèbres qui ont complètement disparu. Il est même question, depuis peu, que certains cimetières puissent être réformés, comme ce fut le cas au moment de l'extension de Paris au XIXème siècle. Des promoteurs peu regardant y voient la promesse d'un foncier rapidement disponible et peu onéreux. A quoi bon en effet conserver la trace physique des défunts puisque plus personne ne peut se rendre sur leurs tombes pour s'y recueillir. Plus question, évidemment, de déposer les ossements dans les catacombes, mais, construction rapide de nouveaux centres de traitement pour totalement éliminer les reliques, dépollution des sols, arasement et valorisation. De nouveaux programmes immobiliers sortiront très vite de terre. L'économie de la mort est florissante.

Alors que près de 15 % de la population européenne a disparu, ceux qui ont jusqu'à présent survécu ne vont pas nécessairement tous bien. Et l'on n'évoquera même pas ici les autres affections et maladies aux conséquences potentiellement mortelles qui ont continué à affecter nos contemporains, et peut-être même à en décimer davantage, en raison des difficultés physiques d'accès aux soins.

Après les grandes vagues de suicide collectif entrainées par les prônes des prophètes de l'apocalypse dans les dix-huit mois qui ont suivi le constat d'inefficacité des politiques vaccinales et la décision de recourir à un confinement permanent généralisé, il a fallu faire face à l'épidémie tout aussi inquiétante d'un état dépressif durable et largement répandu, notamment chez les plus jeunes. L'échelle de Cyrulnik est devenue l'indicateur d'aide au diagnostic le plus utilisé. C'est la mesure des larmes qui détermine désormais scientifiquement l’usure de l’âme. Tout individu dépassant les normes légales en matière de pleurs peut être déclaré "moralement usé" et soumis, par arrêté préfectoral, à la camisole chimique domiciliaire. Déjà légalement contraints de rester chez eux pour obéir aux mesures sanitaires générales de privation de liberté, les "usés", comme on les appelle communément, sont dorénavant enfermés dans la prison de leur propre corps, en permanence sédatés par les cocktails de drogues chimiques puissantes qu'ils sont contraints d'ingurgiter. Les protocoles de traitement de toutes les autres pathologies mentales ont été considérablement simplifiés par le recours à cette législation nouvelle et, les malades ne nécessitant plus guère d'hospitalisation, de nombreux hôpitaux psychiatriques, à l'instar des palais des congrès, centres de conférence et autres multiplex cinématographiques, ont été reconvertis en centres de soins intensifs et de réanimation. Une grande partie des patients psy est, à défaut d'être prise en charge, largement "traitée" chimiquement à domicile. Ne sortant plus de sa torpeur artificielle que pour satisfaire ses besoins physiologiques vitaux, 30 % de la population est désormais plongée dans un état de semi-hibernation.

Et malgré toutes les mesures prises, la litanie des morts quotidiennes (16 666 pour la seule journée d'hier) est là pour nous rappeler que rien ne semble pouvoir enrayer, malgré l'hubris et l’orgueil toujours aussi démesuré des mandarins qui gouvernent désormais de facto le monde, la progression d'un virus qui a dores et déjà décimé un quart de la population mondiale et dont les mortelles et incessantes mutations sont rapportées sur les réseaux du seul Dark Web, presque en temps réel, par quelques scientifiques rebelles, dingues et parfois géniaux, mis au ban de leur communauté.

Si demain sera un autre jour, l'humanité, elle, n'aura jamais été si proche de rien.



samedi 23 janvier 2021

Ça compte pas pour rien

Identité et mémoire. C’est dans notre mémoire que les morts vivent. Rien n’excuse l’oubli. Notre identité puise ses sources dans les Lumières et notre histoire, toute notre histoire, qui ont contribué à forger ce qu’on appelle parfois l’universalisme à la française. Notre vision de l'universalisme fondée sur une acception toute particulière du sécularisme, que nous nommons laïcité, est frappée aujourd'hui par une solitude terrible. L’humanisme oublié des Lumières ne fait plus école. La raison recule parfois devant l'absurde et les idéaux des Lumières suscitent même méfiance et doute. 

Rien n’est sans raison. Vraiment ? Objectent certains. Faut-il, doit-on, peut-on tout expliquer ? L'actualité  parait servir les causes les plus folles tant elle semble nous dire qu'une raison qui ne laisserait aucun espace au tragique, à l’inconnu, aux contingences peut être simplement dévastatrice ! Et on doit bien admettre qu'en cette année - de merde ! - 2020, le virus est venu nous rappeler que malgré notre prétention absolue, nous ne maîtrisions pas tout... Alors que croire ? 

Il ne s'agit pour autant pas de céder en tout à l'irrationnel, au risque que seul le faux se révèle. Dans un monde à la complexité tellement anxiogène, de plus en plus accessible mais de plus en plus indéchiffrable, nos grilles de compréhension et d'"interprétation raisonnable" sont confrontées chaque jour à un besoin d'intelligible qui laisse paradoxalement place aux discours les plus fous, aux impostures érigées en "vérités alternatives", aux théories complotistes encourageant la haine de l'autre et le retour des conflits et des déchirures, comme est tragiquement venu l'illustrer la fin de la campagne présidentielle américaine. C'est contre la connerie qu'il faudrait, d'urgence, vacciner nombre de nos contemporains.

Mieux qu'un vaccin, plus qu'une immunité, comme le dit si joliment l'une de mes amies, nous ne serons réellement sauvés que lorsque nous aurons enfin atteint une forme d'humanité collective ! Ça compte pas pour rien.

jeudi 7 janvier 2021

Non, rien...

Lundi 4 janvier 2021 - curieux comme le fait de changer ne serait-ce qu'une unité peut vite donner l'illusion que les choses vont tout de suite aller mieux... - nous avons bien ri, devant notre écran magique, en visionnant sur Netflix (je sais, je sais...) le bilan des douze derniers mois vu par les créateurs britanniques de la série Black Mirror : "Death to 2020" ! Un bilan décalé et irrésistible, que m'avait signalé un mien ami, d'une année terrible qui aura vu s'enchaîner les épisodes, tous plus anxiogènes les uns que les autres, d'une série catastrophe à laquelle personne ne pouvait s'attendre. Même s'il est  vrai que, pris sous un nouvel angle, une tournure plus parodique, les évènements paraissent tout de suite moins insupportables. Cette création tragi-comique vient heureusement nous rappeler également que l'année a été marquée par quelques bonnes nouvelles, dont la défaite de Donald Trump à la Présidentielle américaine n'aura surement pas été la moins savoureuse pour un certain nombre d'entre nous.

Images extraites de "Death to 2020"

Et puis, mercredi 6 janvier... Alors là, malheureusement, nous n'étions plus du tout dans la fiction et il est difficile de croire que, sur le même écran, puissent défiler en boucle les images, bien réelles cette fois, diffusées dans le monde entier, d'un tel déchaînement de violence et de haine, nourri de rancœurs, de frustrations et de délires complotistes et gavé à l'hormone de croissance des fake news de la réalité alternative présidentielle. 

Tout est là pour nous rappeler que le changement d'année tant attendu n'aura été qu'illusion et que ce putain de 21ème siècle a bel et bien commencé le 11 septembre 2001. Ce siècle est dramatique en tous points et chaque jour l’histoire et son cortège de catastrophes le rappellent davantage à notre mémoire. Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 60, vivent aujourd’hui sans doute la période historique la plus tragique de leur vie. Temps d'incertitudes généralisées et de pandémie mondiale, terrorisme et montée des intégrismes, menaces sur le modèle démocratique, bipolarisation exacerbée où chacun s’oppose désormais à l’autre, sans plus jamais prêter la moindre attention à un point de vue différent du sien, en étant certain de son droit et de sa raison, et prêt à les défendre, y compris jusqu’à l’absurde, au ridicule. Un ridicule qui tue ! Absence de recul, de réflexivité, de prise de hauteur et approche trop souvent binaire d'une réalité plus complexe qu'il n'y paraît parfois. Tous les ingrédients du scénario le plus sombre sont réunis. 

En voyant hier soir les émeutiers envahir le Capitole et s’en prendre à l’un des principaux symboles de la démocratie américaine, je n’ai pu m’empêcher de penser au choc que j’avais ressenti ce jour de décembre 2018 où une stèle représentant Marianne, et donc la République, avait été brisée à coups de marteaux à l’intérieur de l’Arc de triomphe. Ce jour-là, la haine aurait pu tout emporter sur son passage , et avec elle notre Démocratie, puisqu’on sait désormais que la question du recours au feu, c’est à dire au tir à balles réelles, s’est posée pour la hiérarchie policière, tant la violence à laquelle devait faire face les forces de l’ordre place de l’Etoile était inédite et extrême. Sans vouloir faire un parallèle osé, j'y perçois les mêmes germes de la haine de l'autre, d’une  manière de violence nihiliste et du rejet absolu de toute forme de pensée libre et exprimée dans un cadre démocratique.

Pour en revenir aux Etats-Unis : Comment imaginer que le Président élu d'un des plus grands états de la planète puisse encourager la croyance en une réalité parallèle portée par des miliciens suprémacistes arborant ostensiblement des signes nazis, alliés à des dingues qui professent l'existence d'un vaste complot pédophile mondialisé, ou qui croient à la réalité d’un pouvoir reptilien caché ou d’Illuminati dominant le monde et qui instrumentaliseraient le terrorisme et joueraient de la santé de l'humanité pour mieux imposer leur règne dans l’ombre sur une terre plate ? Au secours !

Le symbolisme c’est du réel. Briser les icônes, s’en prendre aux images, aux symboles, c’est attaquer les fondements de la démocratie même ! Le débat dont j'ai ici exalté les vertus semble avoir vécu. Nos contemporains ne se parlent plus que pour s'invectiver. Ils vivent désormais dans des mondes totalement différents et parallèles. Le relativisme s’est généralisé et vérité de l’un n’est plus du tout vérité de l’autre. Comment pourra-t-on réconcilier des visions de plus en plus antagonistes et dont les seuls points de rencontre semblent désormais se résumer au monde virtuel des réseaux sociaux et, demain, à une réalité devenue le théâtre absurde et tragique d’un affrontement mortel et définitif ? 

Comment auraient été traités les événements d'hier par les scénaristes de "Death to 2020" s'ils étaient intervenus quelques jours plus tôt, l'an passé ? Sans-doute par une forme subtile de dérision comique. Ils nous auraient alors rappelé qu'il est salutaire de vouloir rire de tout. Peut-être ? Autrefois, c'était au siècle dernier, il  n'y a pas si longtemps, le rire mettait tout le monde d'accord. Désormais, la censure progresse et une nouvelle forme d'ordre moral voudrait imposer son idéal déviant et mortifère à ceux qui veulent encore simplement vivre.

Nous sommes le 7 janvier aujourd'hui. Il y a cinq ans, deux dingues fanatisés faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et semaient la mort parmi la rédaction. Ces deux-là ne supportaient plus qu'on puisse penser, vivre et aimer rire !

L'un des enseignements majeurs de notre époque apagogique et déglinguée c'est que certains voudraient nous imposer de ne plus pouvoir rire de tout, de ne plus rire du tout, pour mieux nous contraindre à croire les plus délirantes folies, les idéologies les plus mortifères, les plus ineptes conneries, pour nous soumettre à leurs vérités, même au prix du sang et de la vie. Ce que je retiens de ces trois jours c'est qu'il faut se dépêcher de rire, de rien, de tout, tant que nous le pouvons encore, mais qu'on ne peut certainement déjà plus le faire avec tout le monde.

Quoi ? Non, rien...

mardi 24 novembre 2020

Ne reste-il vraiment plus rien ?

Au loin, ce matin, les ombres des tours apparaissent dans les brumes de l'aube. 

Solastagie face aux incertitudes du futur, anxiété face aux questions sans réponses du quotidien, et, nostalgie malsaine d'un âge d'or largement fantasmé, et qui ne reviendra plus. Regrets et remords d'une part, ennui, lassitude et frustrations de l'autre, joli cocktail, auquel si tu ajoutes une bonne dose de peurs et d'angoisses viscérales inhérentes à notre nature humaine, tu obtiendras la trame du formidable décor de la vie psychique de nombre de nos contemporains. Le passé n'est plus, le présent, pas terrible et l'avenir sombre ! Dès lors, on pourrait être tenté de rapidement en conclure qu'il ne reste rien. Car, comment espérer sans croire en un au-delà pensé mais qu'on ne connait pas (un au-delà des mots, du temps et de l'espace. Un idéal qu'on ne goûtera jamais...) ?

Pour autant, je l'ai déjà ici écrit, le questionnement métaphysique de chaque homme, qu'il soit déiste, théiste ou agnostique, le relie intrinsèquement au Grand Tout, en ce que, par la pensée même, il existe en chacun de nous une petite étincelle divine en quête d'idéal. N'est-ce pas là l'essence même de l'existence ? Il le sait, et, dans le cas contraire, peu importe même qu'il ne sache pas qu'il le sait. Car, au fond, bien que la quête spirituelle nous entraîne à la poursuite d'un ineffable, d'un indépassable, d'un insurmontable qui sans cesse nous échappe et que nous ne pénètrerons jamais, elle soutient, en soi, la vie elle-même. Car c'est bien cet "au-delà", indicible et inaccessible, qui suscite les questionnements les plus profonds. Nous sommes d'abord, et avant tout peut-être, des êtres spirituels.

Les premiers rayons d'un pâle soleil d'automne percent enfin. Et j'imagine des tours sans rez-de-chaussée, et qui n'auraient pas d'étages... Un nouveau jour se lève. L'espoir avec lui ?

mardi 3 novembre 2020

Rien de vraiment social


De quoi le monde est-il réellement malade ? Les microbes sont des organismes vivants, certes infiniment petits, certes parfois pathogènes, mais avec lesquels nous vivons le plus souvent en bonne intelligence (plusieurs milliards par exemple de ces micro-organismes sont présents dans nos intestins et sont indispensables au processus digestif). Les virus, eux, ne sont pas des entités organiques autonomes, ils ont besoin de coloniser une cellule pour croître et se multiplier. C’est donc un parasite mortel qui s’est aujourd’hui inséré dans notre corps social. Un parasite sans volonté, sans raison d'être, si ce n’est celles de proliférer de façon exponentielle au sein des cellules de son hôte pour survivre, quitte même à provoquer la mort de celui-ci. 

Depuis longtemps les auteurs d'anticipation et de science-fiction, en imaginant des situations que nous pensions extrêmes, ont décrit, avec ce que nous croyions alors être une vision hyper-catastrophiste, les dégâts et les conséquences d’une pandémie pour laquelle nos organismes ne seraient pas préparés, contraignant les survivants d'une humanité éclatée en groupes plus ou moins autonomes à se confiner, et pour se protéger d'une atmosphère viciée et devenue irrespirable, à survivre sous cloche. Mais assurer la survie à long terme peut-il se faire au détriment de la vie-même? La vie, c'est ici et maintenant. Car la vie, notre vie, ne saurait se résumer à une acception simplement organique ou au seul intervalle de temps qui nous sépare de la mort. La vie humaine est bien plus que cela! Vivre c’est exister.

Êtres pensants, sociaux, aimants, nous sommes vivants parce que les événements autant que nos activités donnent un cadre à notre existence, un cadre individuel autant que collectif qui nous permet d’espérer tout simplement. Sauf à adhérer aux théories collapsologiques ou aux fantasmes survivalistes, notre existence ne saurait se résumer durablement à la satisfaction exclusive de nos besoins vitaux. 

Depuis plusieurs mois maintenant, l’espérance n’a cessé de diminuer alors que la peur, elle, s’est durablement installée. Oui, la peur s’est généralisée et elle a changé de nature. De la peur pour l’autre nous sommes aujourd’hui passés à la peur de l’autre. Le malade n'est plus celui dont on doit s'occuper mais un "porteur" que tout le discours anxiogène nous incite à craindre et à tenir à l'écart. Isolement, quarantaine, confinement, couvre-feu : notre vie peut-elle être réduite au respect de "gestes barrières" et d'une distanciation physique qui n'a, quand on y songe, rien de vraiment social ?

Au fond, la question semble ne plus être celle de l'objet de notre peur, mais bien plutôt de son sujet. De qui avons-nous peur ? Notre capacité à accepter l'autre, y compris dans ses souffrances, semble s'être réduite avec l'espace de notre liberté d'aller et venir. Au XVIIème siècle, malgré le pessimisme qui marque pourtant son œuvre, François de La Rochefoucault écrivait, dans ses célèbres maximes, que "nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui". Si seulement nos contemporains pouvaient trouver dans cette pensée pleine de bon sens les éléments d'une morale d'action au service de la vie !

samedi 31 octobre 2020

En rien rationnelle

"Si la vie est éphémère, le fait d'avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel" Wladimir Jankélévitch

La deuxième vague de l'épidémie nous a rattrapé à la vitesse de la marée montante dans la baie du Mont Saint Michel. Avec ce nouvel épisode, en passant d'une crise unique à une deuxième (qui en annoncerait d'autres ?...), nous sommes entrés dans le temps de l'épidémie. Au sens de la symbolique des nombres, en nous écartant de l'Unité, nous sommes entrés dans une période de corruption et de conflit, mais aussi d'évolution. Cette crise à répétitions, avec ses "stop-and-go" annoncés, permettra-t-elle, enfin, une prise de conscience que, malgré notre désir d'explication et de compréhension de tout, la réalité nous échappera toujours car, à l'image de la vie et de son mystère, la réalité n'est en rien rationnelle ? Face à cet "immense merdier" dans lequel semble peu à peu sombrer notre monde, pourquoi y-a-t-il la vie ? Et pourquoi n'y a-t-il pas rien ? Comment simplement envisager que nous puissions tout à la fois jouir de nos pleines capacités d'êtres développés et conscients et, dans un même temps, devoir accepter le caractère éphémère de la vie ? Voilà bien en quoi la réalité est irrationnelle. Les savants, les sachants et toute la cohorte des experts qu'on voit et qu'on entend à longueur de journée nous asséner "leur" vérité auront beau penser, anticiper, prévoir, calculer, projeter, rien ne se passera jamais comme ils nous l'avaient annoncé. Seule restera la certitude de notre finitude, au regard de l'immensité d'un univers inatteignable et d'un désir insatisfait d'omniscience et d'éternité.

Dépasser la dialectique d'une raison fortement établie et dogmatique. Unir l'instinct et l'intelligence. Accepter, à l'instar de ce que je perçois de l'œuvre singulière de Carl Gustav Jung, "les intermittences de la raison". Faire confiance à une manière d'intuition, sans nécessairement recourir au raisonnement. S'ouvrir à une pensée éveillée pour simplement recouvrer une étincelle d'espérance. N'est-ce pas le chemin que nous devrions davantage suivre à l'effet d'envisager, d'essayer de percevoir, de penser une réalité intrinsèquement impensable ? 

Le fou peut-il mieux que le savant penser l'irrationnel ? 

Toute vérité est emprunte de relativité, mais à ce point ? Vérité scientifique du matin n'est même plus vérité scientifique de midi, alors que dire de la vérité scientifique du soir ? 

La seule solution trouvée pour faire face à une pandémie hors de contrôle (mais comment contrôler la vie même ?), à défaut de pouvoir y remédier et prendre le moins de risque possible, a été de tous nous (re)confiner. Tout mettre sous cloche en pensant qu'on va pouvoir laisser le virus à l'extérieur et, calfeutrés bien au chand dans nos foyers, à l'image du gamin blotti au fond des draps pour échapper aux monstres issus de l'ombre, penser que l'on pourra durablement vivre heureux en vivant caché. Vivre caché pour mourir heureux ?

Alors je me prends à rêver de fuite. Pas de la fuite, ni d'une fuite, de fuite, simplement.