mercredi 17 septembre 2025

Rien

« Rien n'arrive à personne qu'il n'est pas par nature capable de supporter » Marc Aurèle

Il est des moments où rien ne vient, plus l’envie d’écrire, plus rien à dire.

Ou plutôt : trop à dire. Alors surgit ce paradoxe étrange, familier à tous ceux qui s’essaient à l’écriture - vouloir tout dire et, de ce trop-plein, ne plus rien dire du tout.

Parfois, ce mot pèse plus qu’un cri. En cette rentrée 2025, plus envie d’enjamber les nouvelles, plus envie de commenter, juste le silence, ou presque.

Cette rentrée en France ne ressemble pas aux autres. Le gouvernement Bayrou s’est effondré, ébranlé par les défaillances politiques, par les attentes sociales, par ce fossé qui ne cesse de s’élargir. Des appels à “tout bloquer” se lèvent, citoyens sans étiquette, mouvements “apartisans”, réseaux sociaux en ébullition, défiant l’idée même que notre voix soit entendue ou qu’elle puisse changer quelque chose.

Et au-delà, dans l’air : la culture en ébullition. Les musées rouvrent des expositions qui promettent des évasions hors du temps — l’art comme refuge contre le tumulte, comme éclat fugace dans le gris. Paris regagne ses vernissages, ses rendez-vous, ses possibles de regard. Comme si, malgré tout, on avait besoin de beauté, ou simplement de luxe : celui d’une contemplation tranquille.

Mais dans tout ça, je ne trouve pas les mots. Le “rien” est une enveloppe, un manteau invisibilisé par les urgences, par les débats, par les cris. Ce rien, je le porte — il me rend sourd aux slogans, muet aux formules toutes faites.

Peut-être est-ce cela, justement, qu’il faut accueillir : le rien.

Les Anciens, ces stoïciens dont la pensée souvent m’accompagne, savaient déjà que la vacuité est parfois la plus haute forme de lucidité. Marc Aurèle écrivait dans ses Pensées pour moi-même qu’il ne s’agit pas toujours d’ajouter du bruit au monde, mais d’apprendre à se taire, à respirer. « Ne te trouble pas, retiens ton souffle », disait-il en substance. Dans ce vacarme de rentrée, où chacun commente, proteste, analyse, prophétise, peut-être que le rien est une résistance.

Ce qui change ? Tout. Ce qui demeure ? L’ombre d’une lassitude. Parce que quand on voit les manifestants marcher, les appels se multiplier, les rumeurs de guerre inquiéter, le pouvoir vaciller, il faudrait un mot fort. Mais tous les mots semblent usés. Même colère, même peur, même espoir : ils ont déjà été convoqués mille fois pour rejouer les mêmes scènes.

Et cependant, une petite lumière. Cette rentrée, pour tous ses orages, cette rentrée me convie au retrait. Non pas à l’exil, mais au silence. Au regard attentif. Aux jours comme des cailloux, que l’on ramasse un à un, sans présumer qu’ils formeront une phrase, ou un message. Ou peut-être rien. Peut-être même que c’est ça, la vérité — qu’il n’y aura pas de moment spectaculaire, pas de geste qui change tout, mais mille infimes riens, mille gestes minuscules qui tiennent, qui questionnent, qui pèsent.

Ce rien n’est pas un vide. C’est peut-être une chance.

Car c’est dans les interstices, dans les silences, que s’ouvrent d’autres possibles. Dans un monde saturé de discours, le rien ressemble à une forme de sobriété. On parle beaucoup de sobriété énergétique - il faudrait aussi penser à la sobriété verbale. Ne pas céder à l’injonction de l’urgence de commenter tout, d’avoir un avis sur tout, tout de suite. Laisser le réel nous traverser avant de le transformer en opinion.

Parce que ce rien est peut-être le lieu de nos plus justes mots à venir. Si je ne sais plus quoi écrire, c’est que je suis à l’écoute. D’un monde qui crie, oui - mais aussi qui chancelle. Et dans cette oscillation, le rien s’élève comme présage.

Alors j’écris quand même. Pas pour remplir le vide, mais pour le nommer. Pour dire que, oui, la France s’agite, la planète vacille, les certitudes se renforcent et, avec elles, le monde s’antagonise, et moi, je doute. Je regarde. Je retiens. Je laisse dans ce blog des petites traces : une information, un frisson, juste une image.

Rien à dire aujourd’hui, et pourtant, tant à témoigner.

Et ce rien - il est exactement ce point de départ. De ce silence, d’ici peu, jailliront peut-être les mots qui comptent. Les mots vrais. Ceux qu’on écrit parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Alors je reste ici. J’accueille ce rien.

Et j’attends.