mardi 3 décembre 2024

Rien à comprendre

Lorsqu’il s’est agi, l’été dernier, de mettre en place un « front républicain » pour barrer la route des candidats du RN aux législatives, toute la gauche a su se mobiliser comme un seul homme. Et avec quelle ferveur ! Ce fut presque shakespearien : "l’être ou ne pas être" de l’éthique et de la morale en politique semblait alors en jeu. Les grands mots étaient de sortie : "défense de la République", "valeurs communes", "bien de la Nation". Drapés dans la toge immaculée de leur dignité, les leaders de la gauche bien-pensante, alliés aux Insoumis et à leurs candidats "baroques", prenaient alors des pauses de héros antiques. Mais demain ? Demain, ces mêmes valeureux hussards de la morale républicaine nous annoncent qu'ils mêleront leurs voix à celles du RN pour censurer le Gouvernement Barnier. Et là, subitement, la tragédie devient un opéra bouffe. Bienvenue en Absurdistan !

Tu comprends, toi ?

Dans ce grand Guignol qu’est devenu l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, la question n’est pas tant de comprendre que de savourer l’absurde. Comme disait Camus, "l’absurde naît de la confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde". Ici, ce n’est pas tant de silence qu’il s’agit mais plutôt de bruit et de fureur. Nos élus – à gauche, à droite, au centre et même parfois ailleurs – se livrent à une gymnastique intellectuelle et éthique qui relèvent davantage des figures compliquées d’un Kamasutra mal maîtrisé que de postures de sagesse. Mais il ne s’agit pas de se moquer (pas uniquement, en tout cas). Ce qui se joue ici, c’est l’éternel débat entre intérêt et idéal.

Le « front républicain » : Expression d’un idéal ou stratagème politicien ?

Rappelons nous. L’été dernier, le "front républicain" était brandi par les hoplites de la bien-pensance comme le bouclier d’Athéna contre la percée des spartiates d’une extrême droite présentée comme l’ennemi absolu. La démocratie était en danger ! La morale républicaine était portée comme un étendard. Ceux qui, la veille encore,  se déchiraient à coups de slogans acérés et de tweets délétères, trouvaient subitement un "intérêt supérieur et partagé" à défendre les "valeurs communes" devant la "menace brune". Quel miracle ! Mais que reste-t-il de tout ça aujourd’hui ?

Barnier arrive. Le gouvernement tangue sur l’adoption du budget de la Sécurité Sociale, et avec, en sous-main, le positionnement tactique et les postures grotesques de ceux qui pensent demain pouvoir porter les couleurs de leur coterie à la magistrature suprême, l’intérêt partisan bien compris reprend ses droits. La question n’est plus de "barrer la route au RN", mais de jouer de sa présence en force sur les bancs de l'assemblée, de l’utiliser pour mieux déstabiliser un pouvoir jugé incompatible avec les intérêts, pourtant totalement divergents de ceux qui s’accordent à jouer le chaos pour des raisons purement tactiques. Les idéaux ? Aux orties. Le front républicain ? Jeté aux oubliettes. La morale politique ? Un ornement qu’on ne sort que pour les grandes occasions, mais qu’on abandonne dans les couloirs du Palais Bourbon à la moindre turbulence. L’intérêt du pays ? Quoi ?...

Le parti, d'abord, pour le pays on verra !

Peut-être faut-il lire tout cela à travers le prisme de la philosophie stoïcienne. À la manière d’Epictète, rappelons nous : "Il ne dépend pas de toi de changer le monde, mais bien de comprendre ce qui dépend de toi." Traduction : la politique ne serait qu’un échiquier où les règles changeraient selon les coups et les intérêts de chacun.

Et pourquoi pas en rire ? La classe politique française, si souvent décriée pour ses défauts, est, pour moi, une inépuisable source d’absurde émerveillement. Imaginez : à gauche, on se lamente sur l’état du pays et on écrit les pages d’un discours de censure qui dénonce l’influence des idées populistes sur le gouvernement tout en faisant, de fait, alliance avec l’extrême droite ; à droite, on agite la menace de la gauche tout en faisant des ronds de jambe au RN qui, lui-même, ne répugne pas à voter avec l’extrême-gauche honnie… Ah ! qu’ils seront beaux et fiers tous ces élus LFI et RN qui, debout pour célébrer leur triste victoire, applaudiront et éructeront de concert à la chute du gouvernement ! Vive la Quatrième !

 Alors, que faire, me diras tu ?

La prochaine fois qu’on te parlera de "front républicain", d’alliance improbable ou de censure morale, pose toi cette question simple : suis-je un citoyen, libre de ses choix, ou l’acteur involontaire et servile d’une mauvaise pièce de théâtre ?

Pour ma part, je choisis de sourire… et d’écrire.