Son bleu de chauffe, imprégné
comme la paire de moustaches épaisses et délavées qu’il portait à la gauloise,
de l’odeur du tabac gris qu’il roulait de ses doigts jaunis par la nicotine et marqué
de tâches graisseuses et de traces de ce Gévéor qu’il buvait en quantité, s’ouvrait
sur un tricot de peau en flanelle au blanc délavé, qu’il ne quittait jamais; fort
d’odeurs aux origines corporelles indéfinissables… Les pieds, été comme hiver,
chaussés de bottes de caoutchouc vertes, il ne retirait sa casquette de
marinier en coton bleue que pour saluer le Maire, le Curé et ma grand-mère.
Il vivait, avec son chien, dans une ancienne cabane
de forestier, dans les bois, à petite distance de la maison familiale, à
mi-chemin entre la route de Fontainebleau et l’ancienne voie rurale du chemin
de fer du Tramway Sud Seine-et-Marne qui reliait Chailly à Milly-la-forêt, ligne
connue sous le nom de « tacot de Barbizon ».
A l’été 1938, après que la
dernière locomotive automotrice Baert et Verney
qui tractait les 3 voitures qui circulaient sur la ligne fut définitivement
rentrée au dépôt, il participa au chantier de démontage des rails de la ligne
et puis, désoeuvré, il resta là, entre la gare de Cely et l’arrêt fixe de Fleury
en Bière.
Il devint cantonnier, au
service de la mairie de Cely, avec la mission de bien soigner l'entretien des chaussées de son cantonnement. Puis, ce fut la guerre pendant laquelle il servit dans un
régiment du train des équipages militaires, fut fait prisonnier et, après
quatre années à travailler dans les champs du Palatinat, le retour dans le
Gâtinais français. Il reprit alors son travail sur les routes et les chemins du
coin et, au voisinage des romanichelles qui s’étaient sédentarisés à proximité
de son refuge sylvestre, il apprit à agrémenter son modeste traitement du revenu des
petits boulots de jardinage et des travaux domestiques que lui confiaient les
briards et les parisiens du village. Je l’ai croisé au mitan des années 60. Il devait alors avoir
une bonne soixantaine d’années et personne dans le village ne le connaissait autrement
que sous le nom de « Père Julmier ». Pourtant, comme tout un chacun, il
avait un prénom : Antoine.
Je ne l’ai appris que bien des
années plus tard… Il m’arrivait, enfant, de passer un peu de temps avec lui. Lorsque
ses travaux de voirie l’amenaient à devoir travailler à proximité de la maison
de la rue des Pâtis. Mais surtout quand, une fois l’an, l’alambic en cuivre du bouilleur
de cru ambulant venait faire halte au bout de la rue.
Il donnait alors, en échange de quelques litres, un coup de
main à mon grand-père pour la mise en bouteille de cette formidable eau-de-vie tirée
du jus fermenté des pommes du jardin dont malheureusement nous venons de boire
jusqu’à la dernière bouteille et dont rien ne reste, plus une goutte. Que le souvenir ému d’un
alcool fort, au goût puissant et à l’odeur reconnaissable entre toutes autres, qu'il m'arrivait, enfant, de pouvoir gouter sur un sucre que m'autorisait ma grand-mère, certains dimanches, après le café du déjeuner familial.
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