mardi 30 octobre 2018

Rien de commun

J'ai vécu les deux premiers jours de la première semaine du mois d'octobre d'une manière très curieuse. Assis à la table d'une salle de réunion, dans un hôtel de banlieue, vide ou presque, avec de parfaits inconnus à qui je n'aurais sans doute jamais eu l'occasion de parler à un tout autre moment et en un autre lieu. Expérience de cette mixité culturelle, générationnelle tout autant que sociale, que l'on cherche souvent à décrire sans y parvenir vraiment tant qu'on ne l'a pas vécue. De celle qui réunit des gens qui n'ont, à priori, rien en commun.

Professions libérales à la retraite, épouse soumise dont on comprend vite qu'elle est ici par procuration, à cause d'un mari, délinquant de la route et récidiviste, qui lui a "pris tous ses" points, chauffeurs de taxi et de VTC, commerciaux stressés, fumeurs de joints et alcooliques, petit apache de banlieue sans illusion, contraint par la justice, et, ton serviteur, ami lecteur, étaient réunis deux jours dans le cadre d'un stage de récupération de points sur leur permis de conduire. Rien de bien original, somme toute, puisque Coline Serreau - je l'ai appris entre temps - a, sur ce sujet, réalisé un film documentaire en 2013. On y croise d'ailleurs - je m'en suis aperçu depuis - l'un de mes camarades de faculté, devenu un avocat de renom, qui reconnaît "avoir toujours eu des voitures puissantes" et être propriétaire "d'une Ferrari et d'une Porsche" (!...). Je crois me souvenir que tu venais déjà à l'université au volant d'un bolide qui faisait rêver nos copines étudiantes... Car le point commun à tous ces "stagiaires", au-delà des différences culturelles et sociales, c'était la vitesse. Une vitesse excessive, parfois assumée, souvent niée, toujours dangereuse... Du genre à rouler à 170 sur une autoroute limitée à 110...

Le cadre du stage a agi sur moi comme une véritable madeleine de Proust. Et pour cause! Le bâtiment abritant l'hôtel était, dans mes jeunes années, la maison où logeaient les frères marianistes qui m'ont enseigné à l'Institution Sainte Marie/La Croix d'Antony. Ayant garé mon auto dans le parc, à l'ombre des grands arbres qui m'avaient vu, tant de fois, courir, sans jamais parvenir à le rattraper, contre le  temps qu'égrenait le chronomètre de notre professeur d'éducation physique (on ne disait pas encore EPS), j'abordais cet exercice avec un sentiment étrange où se mêlaient une forme de nostalgie de l'enfance et une culpabilité, renforcée sans doute, par cette plongée immersive dans mon lointain passé scolaire et religieux. Un peu motivé par la curiosité, je le reconnais, et désireux de recouvrer l'intégralité de mes douze points, je me suis trouvé confronté à la réalité beaucoup plus douloureuse de conducteurs qui, par ce qu'ils n'en avaient plus guère ou même, pour certains d'entre eux, parce que leur permis affichait des valeurs négatives, étaient contraints de passer ces deux jours ensemble. Relativité des choses...

Autres lieux, autres moeurs. La semaine dernière, accompagnant quelques amis d'hier et d'aujourd'hui, j'ai suivi le chemin de Saint Jacques, au départ du Puy en Velay jusqu'à Aumont-Aubrac. Tout autre rapport au temps et à la vitesse puisque nous avons parcouru les 100 kilomètres de ce tronçon en 4 étapes d'une journée, en marchant au total un peu plus de 20 heures. Ce groupe-là était plutôt du genre à cheminer à 5 kilomètres/heure les jours de grand vent. Très belle expérience que je te recommande, ami lecteur, même si, comme moi, tu n'as plus fréquenté depuis longtemps les bancs de la catéchèse des bons pères... La bonne soeur qui nous a accueilli le quatrième et dernier jour à l'étape du pèlerin d'Aumont a quand même essayé de me convaincre que mes efforts n'avaient pas été vains, que les derniers seraient les premiers et que, donc, j'avais accumulé quelques points positifs, à même de faire pencher la balance sur le grand livre du jugement dernier.

D'un côté, quatre points récupérés à l'issue d'un stage sur mon permis de conduire, de l'autre quelques bons points glanés le long des chemins du Gévaudan pour le salut de mon âme de pêcheur. Finalement, qu'il s'agisse d'un stage de deux jours très empreint du ressort des thérapies cognitives et comportementales ou d'une marche de quatre jours à la tradition toute catholique, romaine et apostolique, il s'agissait, à chaque fois, de se refaire la cerise pour se remettre en état d'avancer. Et puis de la maison de l'Abbaye à l'accueil paroissial, j'ai comme qui dirait replongé dans les souvenirs d'une enfance marquée par douze années d'un enseignement très religieux.

Alors, rien de commun ? Et pourtant...




samedi 22 septembre 2018

Douter, c'est être raisonnable

Sans illusion aucune sur l'humanité prise dans son ensemble, je suis cependant naturellement enclin à faire confiance aux individus.

L'essai de Frédéric Lenoir - le miracle Spinoza - qu'un ami m'a offert, fait écho au débat sur la laïcité qui agite notre société. Débat récurent me diras-tu que celui qui oppose les tenants d'une pensée spiritualiste (voir même théiste, c'est le cas, je le crois, de Spinoza) aux hérauts de l'adogmatisme libéral - tout particulièrement dans un vieux pays pétri des contradictions nées de sa longue histoire et qui réussit, dans le même temps, la prouesse de s'affirmer tout autant République laïque que fille aînée de l'Église.

En lisant le livre précité, on prend conscience que la question peut même faire débat chez les exégètes de la pensée spinoziste. D'un côté, ceux qui, comme Frédéric Lenoir, affirment que l'oeuvre de Spinoza, fondée sur une métaphysique, serait empreinte d'une forme de (pan)théisme (Dieu est nature) et, de l'autre, ceux qui, à l'instar de Pierre Bayle, défendent la thèse que le philosophe serait le fondateur d'une manière d'athéisme vertueux, précurseur des lumières et tenant d'une pensée humaniste libérée de toutes références religieuses. Le croyant contre l'athée.

Il est possible, je le crois, de réconcilier laïcité sincère et spiritualité revendiquée, c'est même ce à quoi il m'arrive d'essayer de m'employer. Je refuse en effet pour ma part de choisir entre ceux pour qui "tout ce qui est, est en Dieu" et ceux qui affirment que "rien de ce qui est, ne saurait être étranger à l'homme". Une troisième voie est, comme je l'ai déja évoqué ici, non seulement possible mais souhaitable (cf. "Tout ou rien", texte du 16 juillet 2018). Rien n'est pire en effet que d'être pétri de certitudes, rassuré par l'infaillibilité de ses convictions et de ne jamais douter. Entre Thanatos et Eros, je préfère la recherche d'un juste équilibre ordonné, au risque même d'un surmoi pesant, à la simple acceptation résignée du chaos qui naît de l'absence sartrienne de surmoi. Douter c'est ne pas se satisfaire de croire. Et puis, douter c'est d'abord et peut-être surtout douter de soi, apprentissage nécessaire à une certaine évolution. Douter, c'est être raisonnable.

Alors, même si les atrocités du passé n'ont souvent rien à envier à la férocité du présent, même si fanatisme et intolérance semblent malheureusement encore trop bien se porter en ce début de siècle, j'espère encore dans la capacité de l'individu de s'amender, d'aller au-delà des passions humaines, de s'améliorer et, partant, de contribuer au progrès de l'humanité. Rien n'est plus fort que la recherche inlassable de l'unité perdue, au-delà des différences. Croyants ou incroyants, peu importe au fond. Les convictions individuelles ne comptent plus dès lors que nous savons regarder, avec tolérance, dans la même direction et que nous acceptons l'apprentissage du respect de nos différences. Car apprendre, c'est d'abord accepter d'avoir tort. Aller contre soi-même. Sortir. Quitter le confort de ses certitudes, au risque même de se confronter à l'Autre ? Au risque parfois de se rendre compte qu'on peut avoir raison contre une majorité, contre tous ?

Douter c'est enfin comprendre que "tout est si incertain dans la vie qu'on est jamais sûr d'avoir raison"1 et que "si l'on veut avoir raison, réellement raison, il faut commencer par être raisonnable"2.



1. Victor Cherbuliez, in Le roman d'une honnête femme
2. Erik Satie, 15 mars 1924

dimanche 26 août 2018

Ne rien attendre

On dit que les périodes de rentrée peuvent être source d'angoisse.
Peur de la nouveauté, de l'échec ou simplement de la confrontation à l'inconnu...

En bon anxieux qui se respecte, je m’attends toujours au pire et n’anticipe généralement que le mauvais, que ce soit de manière consciente ou pas. Cette angoisse devant le vide de l’existence peut s'assimiler, je m’en inquiète parfois, à une forme de pessimisme, confinant même, dans les périodes les plus sombres, à une manière de fatalisme.

Pourtant, je ne me reconnais aucunement dans l'idée de ne considérer, comme les stoïciens, la vie qu’au seul prisme du destinisme et je ne veux pas me contenter d’attendre, accroché tel un lichen à son rocher, assujetti aux contingences de la nature et aux aléas de l'univers, que la marche inéluctable d’un destin auquel je serais entièrement soumis fasse son œuvre, en abandonnant toute idée de lutte contre l’adversité. Car penser que tout est écrit et attendre que la chance passe c’est ne rien attendre. Autant guetter la mort !

L'universalité du destin n'exclut en rien l'action individuelle et mieux vaut toujours agir - au risque de l'aventure - pour avancer, quitte à se trouver confronté, par un curieux paradoxe, à défier notre destin mortel, puisque le comble du fatalisme c’est le mépris même de la mort. Notre liberté n'est pas seulement celle qui nous permettrait de réagir aux affres d'un sort déterminé par toutes sortes de causes, mais bien plutôt celle de pouvoir agir pour influer sur le sens même que nous voulons donner à notre vie. Quitte à devoir nous confronter à l'angoisse née du vide qui semble nous séparer des choix que nous pouvons opérer pour agir. L'angoisse ne serait-elle, dès lors, qu'une forme d'expérience de la  liberté ? 

J’ai lu récemment que le corps humain, à l’instar des cucurbitacées, était composé en grande majorité d’eau (jusqu’à 90%...). Notre état d’inquiétude émotionnelle fait donc de nous - de facto - des sortes de grosses courges anxieuses. Des grosses courges, oui, mais des courges libres et agissantes.


Cher ami lecteur, je te souhaite une bonne rentrée.

lundi 13 août 2018

Rien n'est plus cher que nos souvenirs


Après une longue marche autour de la presqu’île de la Revelatta, déjeuner hier au Mara Beach, l’une de ces paillottes nichées au fond d’une baie tranquille dont seule l’île de beauté à le secret. On croit qu’elles ont toujours été là ces cases de plage, tant  – et c’est le cas ici – elles ont fort heureusement souvent su s’intégrer dans le paysage, s’y fondre et n'en rien dénaturer la beauté (sauf, peut être aux yeux de quelques bobos grincheux et autres bio-conservateurs). Pourtant l'administration est là qui veille et que rien ne semble perturber dans ces certitudes et l'assurance de la justesse de son action contraignante et normative, pas même le piteux souvenir de quelque grotesque "action d'éclat" (Boom !) préfectorale...

Au cœur de notre hiver parisien, nous avions été alertés par des amis sur le risque de disparition pour cause administrative qui pesait sur cet établissement. Nous fûmes nombreux alors à nous mobiliser pour que cela n'advînt pas.

J’ai lu ces jours derniers que dans le Var, à Pampelonne, la plage des jumeaux était elle-aussi menacée de fermeture. Que de souvenirs sur cette plage qui était, loin du snobisme du Club 55 ou des exhubérances exotiques d'autres établissements à la clientèle de nouveaux riches, ma préférée lorsque je fréquentais encore le golfe de Saint Tropez... Chaton venait de se lancer dans la peinture, les jumeaux étaient encore deux. Nous y avons fêté quelques anniversaires au mois de mai et nous y avons joué au Backgammon avec Renaud qui terminait ses études de médecine et venait tout juste de s’engager en politique. 

Partie de Backgammon 

Il nous est même arrivé (n’est-ce pas Jean et Pierre-Jean?) d’y fêter parfois l’an neuf sur le sable...

Il me revient qu’un jour j'avais croisé sur la plage Marc Cerrone. Impossible dès lors de ne pas évoquer le souvenir de mes 1ers achats d’import US dans la boutique qu’il avait ouverte au centre commercial de Belle Épine. Je lui rendais visite chaque fois que mes parents m’emmenaient y faire des courses. J’y ai découvert le rythme et la soul des tubes de KC & the sunshine band ou encore l’inégalable groove funky d’EWF avec « Fantasy ». La mère de Cerrone, qui habitait alors à Antony dans la rue qui faisait face à notre maison familiale, était coiffeuse dans le salon que la mienne fréquentait. Elles évoquaient parfois son batteur de fils qui, de temps à autre, me faisait rêver en garant sa Porsche 911 devant chez nous lorsqu’il venait en visite familiale. Mais, foin de nostalgie me diras-tu…

La nostalgie tout autant que les souvenirs sont des mensonges qui, dans notre monde, n’existent pas davantage que nos rêves. Pourtant parfois, au détour de l’actualité, ils peuvent prendre la force et la vigueur de l’instant présent en invoquant ce passé qui est dans notre mémoire et qui, comme l’écrit si justement Denis Tillinac dans un éditorial cette semaine, «...nous protège des démons de la désespérance ».

Pas seulement au nom des souvenirs d’un temps passé qui ne sera plus, mais surtout pour toutes les mémoires qui restent encore à écrire, pour lutter contre l'uniformisation, l'ennui et la cafardeuse grisaille que nous réserve trop souvent le quotidien, oui, souhaitons pour l'avenir que, longtemps encore, vivent le Mara Beach et la plage des jumeaux !

Nature défigurée à la Revelatta. Vraiment ?


lundi 16 juillet 2018

Tout ou rien ?

Blanc ou noir, vrai ou faux, intérieur ou extérieur, transcendance ou immanence... La vie doit-elle seulement se résumer à une succession de choix ? L'alternative est-elle aussi simpliste ? Tout ou rien ?

Et si le choix ne se résumait pas à sa plus simple acception binaire. Et si, enfin, on décidait d'être un peu plus nuancé, tout simplement. Et si on renouait avec cette belle idée de l'unité perdue ? 

Pas simplement l'un ou l'autre mais l'un et l'autre. Avec "un" et "autre" qui ne se contenteraient pas de s'additionner mais fusionneraient, au-delà des valeurs du "vrai" ou du "faux" dans un troisième terme qui serait celui de la "possibilité". Oubliant un instant la logique classique bivalente pour laquelle une proposition ne peut être que vraie ou fausse, la logique ternaire nous permet d'aborder la troisième voie de l'inconnu et du possible. Un plus un faisant bien plus que deux et un par un ne se résumant pas à un. Une fusion dans laquelle un par un s'exalterait en un trois rayonnant. Mais pas le "trois" entendu dans l'acception classiquement ternaire du chiffre mais bien dans le sens trinitaire d'un "je" qui parlerait à "tu" de "il", l'un parlant à l'autre d'un tiers absent, insaisissable mais pourtant bien présent, symbole de l'unité plurielle, diverse et pourtant perdue de l'humanité.

Mais, si la vie ne saurait se résumer à devoir opter entre "tout ou rien", à force de vouloir en toutes choses exprimer de la nuance, certains pourront objecter que le risque est grand aussi qu' on finisse par ne plus jamais rien choisir du tout... Nous en sommes pourtant loin, tant notre époque utilitariste voudrait partout voir triompher la pensée causale et dualiste du langage le plus répandu qu'est désormais le langage informatique. Une logique binaire tend à s'installer, mortifère en ce sens qu'elle est, par essence, exclusive du tiers. Plus de place pour les interstices ou les chemins de traverse dans une pensée qui ne s'exprime qu'en bits, succession infinie de "0" et de "1". 

Et certains de décrire notre temps comme celui des "ravages de la binarité"ou de la "forclusion du tiers"*. Un temps où la polémique a remplacé la discussion, où le chroniqueur a pris le pas sur le débatteur, ou le tweet tient désormais lieu de figure de rhétorique. "Si tu n'es pas avec moi, tu es forcément contre moi". Est-ce vraiment si simple ?

En un sens, accepter la figure trinitaire c'est nous accepter nous même et donc renouer avec notre humanité. S'ouvrir au tiers, c'est comprendre et accepter l'autre en nous et, partant, concourir un peu à retrouver au fond de soi la trace de l'unité perdue pour essayer, à notre manière, de réunir ce qui est épars à l'effet de nous unir vers l'uni.


* Cf. les travaux de Dany Robert-Dufour sur les mystères de la trinité

mercredi 27 juin 2018

Plus rien à faire... Vraiment ?

Après une chronique télévisée dans laquelle un célèbre journaliste économique se désolait, ce matin, que nous puissions, au détriment de l'investissement dans l'entreprise être devenus les champions du monde de l'épargne financière, on a pu voir – drôle de proximité - un spot de publicité ventant les mérites d'une automobile dont le curieux slogan est : « ce qui peut vous arriver de mieux... c’est qu’il ne se passe rien !»

Étonnante promesse, surtout lorsque, en pleine coupe du monde de football, elle est associée, par le malheureux concours d'un partenariat commercial, à l’image de l’équipe de France. De là à considérer que ce qui pourrait arriver de mieux en Russie aux joueurs de Didier Deschamps serait qu’à force de thésauriser ils n’arrivent à rien, il n’y a qu’un petit pas...

Drôle d'époque qui préfère le match nul obtenu sans aucune prise de risque, assurant (sic!) la qualification de notre équipe nationale, à une victoire héroïque comme celle des coréens du sud, sortis de la compétition mais glorieux vainqueurs de l'équipe championne du monde; une de celles qui bien sur exposent mais dont le panache suscite longtemps après encore l'admiration des spectateurs. 

Ne serait-ce pas, au fond, une nouvelle conséquence de ce fameux "principe de précaution" qui doit aujourd'hui présider à l'ensemble de nos prises de décision ? Surtout ne jamais prendre le moindre risque et plutôt même ne rien faire que de jamais s'exposer! S'épargner plutôt que de se trop dépenser. Petits calculs ou goût de l'aventure ? (s')épargner ou (s')investir ?

Cela fait déjà presque quatre semaines que j'ai, pour ma part, repris ma liberté et que, choisissant l'inconnu des chemins de traverse, je ne me suis plus rendu, comme je le faisais chaque matin depuis sept ans en ligne droite, jusqu'au bureau que j'occupais au sixième étage du 238 de la rue de Vaugirard... Combien de fois pourtant m'étais-je entendu dire: "reste tranquille, au chaud...", "fais le dos rond...", "ne prend pas de risque..." (Grrr!)

J’ai finalement pris la résolution de ne plus regarder le sol mais de porter haut mon regard pour mieux pouvoir contempler les étoiles. Pour décrocher la lune, c'est toujours mieux que baisser la tête et regarder ses pompes.C'était surtout, je crois, la garantie de pouvoir continuer à croiser, sans gêne, mon reflet dans le miroir de la salle de bains. 

Et puis, mieux vaut parfois avoir la tête ailleurs que de marcher dessus...

Ces quelques jours ont passé très vite et m'ont permis de prendre de la distance et de me tenir éloigné du tumulte et des remous qui ont agité le siège parisien ces temps derniers. Ils ont non seulement constitué des moments propices à la réflexion et à l'introspection mais également l'occasion de nombreuses rencontres, de conversations plus poussées qu'à l'ordinaire, d’arguments échangés et de prises de décisions. Ces moments m'ont aussi donné - ce fut le cas aujourd'hui - la très réconfortante opportunité de retrouvailles avec certains visages amis (ils se reconnaîtront) plus revus depuis trop longtemps... 

Et si ces journées de juin ont réellement été beaucoup plus actives que je ne l'avais envisagé, elles m'ont par dessus tout encore une fois donné le loisir de quelques petits riens qui font le sel de l'existence.
  
Associés au fil du temps, ces petits riens qu'il m'arrive parfois de relater ici et qui, pris dans leur singularité ne pèsent pas grand chose, forment peu à peu collectivement un tout qui, je l’espère, à la fin ne sera pas rien.

Alors, plus rien à faire... Vraiment ?

mercredi 30 mai 2018

Rien ne s'est passé

Émois, excitation, tentation, désir (sans doute) réciproque et puis... rien ne s'est passé.

Il y a presque trente ans, quelque-part en Europe. A l'Est... Une bouteille de mauvais alcool, un quignon de pain rassis, le froid, l'ennui d'un hôtel glauque et presque vide. Avec leur morgue de jeunes diplômés fraîchement promus au sein du service juridique et de la direction commerciale d'une grande entreprise française aujourd'hui disparue, ils étaient venus négocier un contrat compliqué avec des interlocuteurs qui, bien que feignant de découvrir les règles de l'économie de marché, n'ignoraient rien du dessous des cartes et des tentations parfois liées aux grands contrats dont pourtant le socialisme triomphant aurait dû les tenir éloignés.

Complexifiée par le parasitage d'intermédiaires en tous genres, la discussion sur les termes de la transaction promettait de s'éterniser. En tout état de cause, impossible de reprendre leur avion pour rentrer comme convenu le soir venu à Paris... Alors, une nuit de plus à l'hôtel. Dîner rapide dans un restaurant au deux-tiers vide, d'assiettes à demi remplies de denrées à moitié périmées (gestion de la pénurie oblige). Longue soirée passée au bar à vider une bouteille d'alcool local au goût anisé en se racontant leurs vies. Ils se connaissaient à peine.

Et puis l'heure est venue d'aller se coucher... 

Recherche d'un mauvais premier sommeil. Relents d'alcool. Migraine.

A deux heures, n'y tenant plus, au prétexte de la recherche d'un médicament, il toque à la porte voisine, qui s'ouvre immédiatement. Elle ne dormait pas non plus. Ils se font face. Elle est pieds nus. Ils portent tous deux des pyjamas de marque, totalement incongrus en ces lieux. Deux petits lits parallèles, une table miteuse, une chaise bancale et des rideaux sales. Rien de très sexy...

Après lui avoir donné un comprimé de paracétamol ou d'aspirine (?), elle lui propose de rester. Il accepte.

Chacun s'étend sur son lit et la discussion reprend. Plus profonde. Plus intime. 

Malgré l'espace qui sépare leurs deux couches, ils n'ont jamais été si proches.

A sept heures, la pâle lumière d'un soleil d'hiver allume la chambre. C'est déjà le matin. La nuit s'en est allée et avec elle la fantaisie d'un instant. 

Je n'en ai jamais nourri le moindre regret, juste un peu de nostalgie teintée encore aujourd'hui d'une très légère - ce qui la rend presque agréable - frustration.

Le passé n'est pas rien, pourtant rien ne s'est passé. 

lundi 28 mai 2018

Rien n'est plus important

Pour les idéologues de l'utilitarisme, la parole devrait être le vecteur exclusif de la transmission d'informations utiles. Concentrées, concises et, si possible, précises. Et si, au contraire, on rétablissait l'art subtile de la conversation ? Ces "paroles en l'air", ces mots qui expriment juste un avis, fut-il minoritaire, futile ou même inexact. Même chose pour l'écriture. Ecrire pour le simple plaisir d'écrire, en amateur, en dilettante. Revendiquer l'inanité de l'exercice, sans chercher à vouloir transmettre quelque information utile que ce fut. Mais essayer de le faire le mieux possible car, au fond, rien n'est plus important à mes yeux que de m'appliquer à faire sérieusement des petites chose inutiles.

S'astreindre à mettre un peu de futilité dans nos actes les plus graves, en ne se prenant jamais trop au sérieux, et mettre de l'application à faire le plus sérieusement possible les choses les moins directement utiles. Ecrire pour des raisons intrinsèques à l'acte d'écriture. Ne pas chercher à monnayer ni convaincre, ni même prouver quoi que ce soit. Mais juste inventer des univers de mots pour oublier un monde de maux, en essayant de donner du relief, même aux épisodes les plus mornes de l'existence.

Ces petits exercices sans grande conséquence que n'accompagne aucune intention de faire oeuvre de littérature et dont le seul risque est de se dévoiler un peu sont devenus au fil du temps une activité dont je mesure pleinement le caractère autotélique. Est-ce grave ? Je ne souhaite  pas sérieusement me poser la question. C'est sans doute le meilleur moyen de n'y apporter qu'une réponse légère.