dimanche 22 avril 2012

Plus rien à boire...

Croisé un vieux rue de Vaugirard, près de la station éponyme, juste devant le square Adolphe Chérioux. Sanglé dans un froc informe à la couleur improbable, il ne marchait pas, il luttait.
 
Lançant devant lui ses bras l'un après l'autre dans un mouvement  de balancier au rythme métronomique, il luttait pour avancer, il avançait pour survivre... Dans ses mains deux bouteilles d'un mauvais rouge aux goulots desquelles il semblait s'accrocher comme un naufragé de l'asphalte à des bouées de sauvetage. Le regard perdu, le pas hésitant, il avançait. Je me suis demandé jusqu'où, jusque quand...

Tous les matins, il descend de son deux pièces-cuisine crade de la rue du Général Beuret pour aller faire ses courses au Carrefour Market de la rue de Vaugirard. Tous les matins, il met quarante minutes pour franchir les cent-cinquante mètres de trottoirs et d'asphalte qui le séparent du supermarché. Quarante minutes aller, un peu plus pour revenir. L'effort est trop grand ! Et puis il faut lutter pied à pied pour gagner du terrain et parer les attaques perfides des manticores et des amphiptères qui, s'arrachant aux gargouilles du clocher proche de l'église Saint-Lambert, cherchent le chemin des tours de Notre Dame.... Chaque jour il se pisse dessus avant d'arriver chez lui car il ne peut pas attendre d'être rentré ; une heure et demie c'est bien trop long.

Quand il arrive,  il est assoiffé. Totalement déshydraté, il attaque le premier litron de pif. Vite descendu, il s'endort, la tête posée sur les bras, sur la table en formica de la cuisine. A midi, chaque jour depuis près de vingt ans, il est réveillé par un chat qui réclame sa pitance. Jamais le même. On dirait que tous les greffiers des toits de Vaugirard se sont donnés le mot pour venir quémander un morceau de mou ou une improbable pâtée .. Il est bientôt l'heure d'attaquer la deuxième bouteille de Gévéor, juste le temps de l'engloutir goulûment - ça fait bien longtemps qu'il ne déguste plus rien - avant de sombrer dans le sommeil lourd et alcoolisé de l'après-midi.

Quand le soir arrive, il n'y a plus rien à boire. Tant pis ! Il attendra demain. Putain que les nuits sont longues alors, quand les heures qui séparent le crépuscule de l'heure où les commerçants lèveront enfin leurs rideaux de fer s'étendent à l'infini de sa solitude...

mardi 15 novembre 2011

Six mois sans rien avoir écrit...

Tout soudain je m'aperçois que je n'ai plus rien publié sur ce blog depuis longtemps. Presque une demi-année. Mais après tout est-ce si grave ? Est-ce si long ? Oui, si l'on considère l'exercice du blog comme une forme d'expression instantanée, presque immédiate, et qui obligerait à une manière de régularité quasi-quotidienne et presque mécanique. Non, si l'on ne veut pas risquer d'avoir, juste pour respecter le rythme et la forme à n'écrire pas grand chose sur presque rien. La question en tout cas mérite d'être posée car  si le fait de ne rien écrire ne m'a pas gêné outre mesure, au risque du narcissisme je crois pouvoir dire que celui de ne pas avoir pu être lu m'a parfois été reproché.

Pourtant, ce constat d'absence de production ne me fait ni chaud, ni froid. Aucune angoisse ne m'étreint. Rien à voir en tout cas avec la fameuse angoisse de la page blanche; cette difficulté, ce blocage parfois rencontré par les écrivains pour trouver l'inspiration et qui les terrorise. Non, simplement, je me rends compte que je n'ai pas vu le temps passé, que je ne suis plus venu m'allonger sur ce blog depuis bientôt six mois et que si je n'ai pas écrit c'est que je n'en ai pas éprouvé le besoin car je n'avais rien de plus à dire. Le silence, mon silence, n'a en rien été l'expression d'une absence à pouvoir communiquer mais bien plutôt celle d'une communication de l'absence. Et puis l'angoisse de la page blanche lorsqu'on publie sur un blog, tu conviendras avec moi, cher lecteur, que c'est une formule quelque peu inadaptée! J'aime l'idée d'être un blogueur du dimanche et d'écrire quand l'envie me prend, à mes heures perdues, le soir tard, le matin tôt, sans contrainte aucune sauf peut-être celle de devoir respecter des règles que j'aurais moi même fixées pour satisfaire mon désir d'écriture.

Écrivain ne suis, blogueur très occasionnel je reste. Ce que j'aime dans cet exercice du blog c'est qu'il autorise  une forme d'illusion de l'écriture. En rédigeant des textes courts et rapidement écrits, sur un support dématérialisé, le rapport aux mots  me semble moins dramatique, moins essentiel, et pour tout dire moins vital; somme toute bien différent de celui qu'entretiennent au Verbe ceux qui professent d'écriture, qui vivent parce qu'ils écrivent, qui écrivent pour vivre, qui vivent de et par leur écriture. Les mots ne sont pas pour le blogueur amateur que je suis une question de vie ou de mort mais au contraire une forme ludique de jeu auquel je m'adonne, de temps à autre, pour m'amuser et distraire, avec légèreté. Sans les symptômes de l'addiction. Ni angoisse, ni manque, ni dépendance...
Blogueur, blagueur, oui ça me va bien.

Mais si "je suis parce que je pense", suis-je vraiment ce que je pense être ? En écrivant, je donne forme à mes petits riens par des signes visibles et compréhensibles aux autres. Ce long silence d'un semestre n'est-il pas au fond l'expression même de ce que je suis et du rapport que j'entretiens avec la parole ? Est-on vraiment parce que l'on a conscience d'être et qu'on l'exprime, qu'on le verbalise ? Est-on parce que l'on sait qu'on est ? Le sachant ne court-on pas le risque de ne pas s'avoir ? S'avoir pour mieux être ? Devenir un être sans savoir et douter davantage encore, en silence...

vendredi 17 juin 2011

Rien à faire

Les voitures, je suis quasiment né dedans. Toute mon enfance, chefs d'atelier, vendeurs ou mécaniciens se sont succédés pour me conduire à l'école au volant... Selon qu'ils laissaient dans l'habitacle une fragrance mêlée de Gitanes et d'huile de vidange ou bien des effluves de Petrol Hahn ou d'un après-rasage Aqua-Velva couvrant à peine des relents de cigarillos bon marchés, je comprenais qu'ils appartenaient à tel ou tel de ces deux mondes que ne séparait pas uniquement la Nationale 20. Car les équipes des Établissements Roger Porte se faisaient face et se toisaient d'un coté et de l'autre de l'avenue Aristide Briand. Sur un trottoir, le service après-vente, l'atelier et les pièces détachées. Sur l'autre, la direction générale et les ventes. Ma mère régnait sur l'un quand mon père dirigeait l'autre...Une forme de résumé du monde avec ses cols bleus et ses cols blancs, son aristocratie et son prolétariat, ses rouleurs de mécanique et ses mécanos, ses hommes et ses femmes...

Pour mon dix-huitième anniversaire mon père m'a offert un petit coupé sport italien. Je n'avais pas encore  le permis de conduire. Alors c'est dans le garage de la rue du Nord qu'au volant de mon Alfa-Romeo Giullietta Coupé GT Veloce 2000 de 1969 je rêvais aux mythiques spéciales du Tour de Corse ou aux étapes de montagne du rallye de Monte-Carlo. Avec mon ami Pierre comme copilote, nous tournions la clé de contact juste pour écouter le ronronnement du deux-litres italien et si nous nous risquions parfois à faire une manœuvre, c'était uniquement sur quelques mètres, d'avant en arrière, lorsque, en fin de semaine, l'atelier était moins encombré...

Cette splendide petite italienne, je n'ai jamais roulé avec ailleurs que dans mes rêves et, sur quelques mètres, dans ce garage.  Je l'ai revendue au frère de l'un de mes amis d'alors, aristo très catholique et très à droite qui fréquentait la faculté de la rue d'Assas. Les rallyes qu'il courait ne dépassaient pas les frontières du seizième arrondissement et ses trophées étaient des filles à papa qui peuplaient le grand amphithéâtre pour y trouver le futur père de leurs nombreux enfants...

Moi, la voiture m'a toujours rendu malade !

A la simple évocation du souvenir d'une lecture en auto, fut-ce seulement quelques malheureuses lignes, j'ai des sueurs froides, la nausée me submerge et la migraine me prend.  Mes parents, les médecins, mon Psy... On a eu beau faire et essayer de me convaincre du contraire, je suis malade en voiture. Alors pouvoir, à l'occasion d'un trajet automobile, faire sa correspondance, signer des parapheurs, ou simplement lire le journal, tout m'est dans l'évocation même insupportable ! Ce handicap, car c'est un handicap, m'aurait à lui seul empêcher de pouvoir avoir le goût ou l'envie de me faire élire quelque part. Rien à faire.

dimanche 22 mai 2011

Il n'en fut rien


En lisant dans le Point de cette semaine la chronique de Gilles Pudlowski, le souvenir d'un repas mémorable partagé, à l'occasion d'un séjour lotois avec le cousinage des Bailly, chez la mère Daudet me revient tout soudain. C'est sur la toile cirée de cette maison lotoise, au cœur du village de Lhospitalet, situé entre les communes de Labastide-Marnhac et Pern, perché sur le Causse à dix kilomètres de Cahors, que le président Maurice Faure avait pour habitude de traiter ses invités de marque... C'était une époque - révolue - où les hommes politiques n' hésitaient pas à passer à table, et à y rester de longues heures. J'ai compris ce jour-là pourquoi dans le langage populaire de la quatrième République on avait coutume de marier radicalisme et cassoulet...

Le "Pastis"
Notre ami et voisin de la rue de Babylone, Luc, qui faisait alors son service militaire était déjà connu pour son coup de fourchette. Il fut le seul, je crois, à faire honneur à chaque plat, et même à se resservir sous les assauts répétés - et insistants - d'une mère Daudet trop heureuse d'avoir trouvé un convive dont l'appétit était à la mesure de son talent... 

Bouillon gras, crudités variées, cou farci, fritons, foie gras, truites au bleu, confit de canard et pommes de terre sarladaises, salade aux noix et cabecous de Roquamadour crémeux, sorbets et tartes, et pour finir un Pastis d’anthologie. Ce menu d'un déjeuner qui constituait l'ordinaire de cette table d'hôte fut arrosé d'un gouleyant coteaux du Quercy de Castelnau-Montratier. Et pour finir, nous fîmes honneur à une vieille prune de Souillac de chez Louis Roque. Rien de trop...

Dans le même ordre d'idée me revient - c'était bien des années après - un très agréable souvenir de la campagne présidentielle de 1995. 
Une tête de veau mémorable
C'était à la fin de l'hiver. Nous avions emprunté en convoi la route nationale, au sortir d'un meeting électoral tenu dans le gymnase où jouait habituellement l'équipe de Basketball de Clermont-Ferrand. Nous avions fait le déplacement en Auvergne pour que le président du Conseil régional, après qu'il eut reçu notre candidat dans son bureau de Chamalières, put officiellement appeler à voter pour son ancien Premier ministre. 

Comme souvent dans ces occurrences j'étais sorti de la voiture le cœur au bord des lèvres. Malade, sans oser le dire, d'une conduite chahutée et trop rapide sur les routes du massif central. Nous avions soupé fort tard en compagnie des journalistes, à l'occasion d'une étape nocturne aux Gravades, cet hôtel d'Ussel où Jacques Chirac avait en haute-Corrèze ses habitudes. Peu nombreux furent ceux qui allèrent se coucher sans manger tant les odeurs de cuisine qui nous accueillirent étaient allèchantes.

Jamais je n'aurais cru pouvoir, en cette heure avancée de la nuit, faire un tel honneur au pâté aux cèpes, à l'omelette aux truffes, à la tête de veau sauce Gribiche et aux pommes de terre sautées dans la graisse d'oie. La nuit fut courte mais le sommeil lourd et réparateur. Dès le lendemain, nous repartions sur les routes du Limousin et je m'arrangeais, dès lors, pour m'asseoir à l'avant des voitures. J’espérais, en prenant la place du mort, éviter les tourments de la route. Il n'en fut rien...

vendredi 28 janvier 2011

Rien de spécial...

Ce matin en entendant le groupe "Au Bonheur des Dames" programmé sur FIP - dont on fête ces jours-ci le 40ème anniversaire - beaucoup de souvenirs me reviennent. Je réalise à quel point FIP a compté dans l'élaboration de mes choix musicaux et pour la constitution de ma playlist personnelle. Presque autant que NOVA, que Patrice Blanc-Francard, que Bernard Lenoir ou encore Antoine de Caunes et son Chorus. Presque autant que les sets des Disc-Jockeys du Bus en cette fin des années 70, début des années 80.
ABBD c'était un OVNI, le fruit défendu d'un croisement osé entre Chuck Berry, pour l'énergie d'un rock dépouillé et agressif, et le Grand Magic Circus pour les costumes et la dérision très 70. Je les avais vus sur scène au Parc Heller, à Antony. Ce devait être en 75/76, au moment de leur - premier et seul - succès populaire, "Oh les filles"! Je trouve encore, trente cinq ans plus tard, ce morceau toujours aussi fendard et entraînant. J'adorais le coté bon enfant et décalé, mais dans le même temps très rock' n roll de Ramon Pipin et sa bande. A leur façon, ils annonçaient avant l'heure une manière de Punk à la française. L'énergie sans la révolte...

L'été qui suivit ce concert en plein air, mes parents ayant décidé de tourner le dos à dix ans de fidélité à la Baule les pins, nous avions passé les vacances à Port Barcarès. De ma chambre, d'hôtel, j'apercevais la silhouette immense et solitaire d'un paquebot immobile et balayé par la Tramontane. Il avait été échoué sur cette plage du Roussillon pour y servir de décor à un casino-salle de spectacle qui complétait le complexe hôtelier où, sur le modèle de la Costa Brava toute proche, un groupe d'investisseurs japonais imaginait alors les vacances du futur des européens... 

Construit en Scandinave dans les années 30 pour des croisières dans les eaux australiennes avant d'être revendu à une compagnie grecque pour assurer la ligne régulière Beyrouth-Marseille, désarmé en 1967, le "Lydia" avait été ensablé sur cette immense plage par quelque promoteur sans doute un rien mégalomane qui rêvait d'en faire le symbole de la naissance des nouvelles stations balnéaires de Port-Barcarès et Port-Leucate.

Je me suis ennuyé ferme à Barcarès...

Sauf un jour où, dans le grand hall où traînait un billard américain, je les ai vus. Eddick Ritchell, Rita Brantalou, Shitty Télaouine, Ramon Pipin, Hubert de la Motte Fifrée ... Bref les membres d'ABDD au grand complet ! Ils descendaient force bières et cocktails au rythme de parties de billard aux règles de plus en plus hétérodoxes pour tuer le temps qui les séparait de l'heure de monter sur la scène du Lydia...  Ce fut pour moi un grand moment de rigolade et cela reste, encore aujourd'hui, un souvenir agréable. Pourtant, rien de spécial ne s'est passé ce jour-là. J'avais juste partagé la déconnade d'une bande de potes un peu allumés qui jouaient au billard.

Quelques années plus tard, dans la gare d'Orsay pas encore transformée en musée, nous étions allé avec Cécile, Claire et Arnaud assister à un concert du groupe "Odeurs", nouvel avatar du gang de musicos allumés mais talentueux qui s'agrégeaient autour de Ramon Pipin. Un fou furieux, mais aussi un excellent guitariste. Nous y étions allé parce que Claire nous y avait entraînés. Il faut dire que son oncle par alliance David Rose, excellent violoniste de jazz-rock qui porte le même nom que l'ex-mari de Juddy Garland, jouait ce soir là avec eux. 

Avec ce nouveau groupe de rock parodique, on était dans le délire intégral. Sur scène encore plus que sur leurs disques d'ailleurs. Nous avons beaucoup ri et beaucoup dansé. Je venais de m'acheter un appareil photo argentique Canon et j'avais fait de - très - mauvais clichés dont la médiocre qualité ne m'a malheureusement pas permis de conserver une trace physique de ce concert. Ces photos n'auraient sans doute pas intéressé grand monde d'ailleurs. Elles n'avaient rien de spécial, Non vraiment, rien de spécial.

mardi 23 novembre 2010

Ça tient parfois à trois fois rien...


La scène se passe en 1970, dans la cour de récréation de l'école Saint Jean Eudes, établissement d'enseignement qui accueillait alors les classes élémentaires de garçons de l'Institution Sainte Marie, rue Auguste Mounié à Antony. Un groupe d'élèves est réuni autour de celui qui raconte ses aventures en forêt de Fontainebleau. Fait prisonnier par une troupe de sauvages amazones aux seins nus alors qu'il se promenait le weekend précédent dans les gorges de Franchard avec ses parents, il nous raconte comment la cheftaine de la tribu a fait de lui pendant quelques temps le jouet de sa fantaisie. Comment ses "grandes" d'une quinzaine d'années ont abusé de sa faiblesse en lui roulant des palots baveux, et, entre deux parties de billes nous l'écoutons, en l'enviant, nous conter ses aventures et ce qui constitue à nos yeux de véritables exploits. Le souvenir précis et minutieux de sa capture, celui des tortures indiennes qu'il a subies sans broncher, comment il s'en est sorti, en séduisant la plus belle des guerrières et en jurant de ne jamais révéler le chemin de leur secret repaire donnent le prétexte à d'épiques récits. Autant d'épisodes qui, durant une semaine, vont nourrir nos rêves et animer la récré... Sans doute avait il croisé une troupe de jeannettes pendant la ballade dominicale et familiale... Ah que la vie est belle en ce début des années 70 !

Nous sommes au printemps. Mon voisin, un "hippie" plus âgé que nous, habillé de soieries indiennes, chaussé de Pataugas, et déjà grand fumeur de shilom, m'a offert trois disques pour mon huitième anniversaire ...  

Sweet Smoke - Just a poke

Abbey Road - The Beatles

Abbey Road, dernier album enregistré en studio par les Beatles, Sweet Smoke de Just a poke - un album composé de deux uniques plages de plus de 15 minutes chacune, à la  musique au moins aussi psychédélique et colorée que l'était la pochette de ce groupe américain exilé en Europe ... - et Atom heart mother du Pink Floyd, album de rock progressif déjà marqué par la créativité sonore d'un ingénieur du son nommé Alan Parsons dont le talent génial allait définitivement éclaté trois ans plus tard avec le soin si particulier qu'il allait porter à la production de "The dark side of the moon". Je suis encore très reconnaissant aujourd'hui à ce voisin que je n'ai plus revu depuis qu'il a  décidé un matin de quitter les trottoirs de l'avenue Aristide Briand pour les plages de Goa et  les cimes de Katmandou. Je le remercie de son goût très sur. Il a tôt contribué à m'ouvrir tout grand les oreilles. 
Atom Heart Mother - Pink Floyd
Ces trois 33 tours vont pendant longtemps tourner en boucle sur mon phono. Avec la Soul de Solomon Burke et son Everybody needs somebody to love, un disque de la série "Formidable Rythm'n Blues" du label Atlantic qui appartenait à mon père et que j'ai lui aussi beaucoup écouté, ils constitueront l'amorce de ma collection et ont contribué à me plonger avec délice dans l'univers du Rock'n Roll. Quarante ans plus tard, je suis toujours dans le bain.

Pop Music, Rock'n Roll et Soul, voilà le triptyque fondateur sur lequel j'ai bâti mon propre panthéon musical. Et si mes goûts m'ont ensuite davantage fait pencher du coté des Stones, je suis resté fidèle à "Come together", "Because" ou "Carry that weight" et "Here comes the sun" reste pour moi une ballade essentielle dans l'histoire de la musique populaire. 

Ces trois disques que ma mère regardait comme s'il s'était agi des objets maudits d'un culte satanique, ces trois galettes de vinyle noir avec leurs pochettes reconnaissables entre toutes, je les écoute encore aujourd'hui. Ils ont contribué à changer ma perception du monde.  Ça tient parfois à trois fois rien...


vendredi 8 octobre 2010

L'âge n'y fait rien


Je me souviens qu'enfant je calculais qu'en l'an 2000 j'aurais 38 ans et je trouvais ça vieux. Aujourd'hui, j'en ai dix de plus, et je me sens pourtant encore jeune. Tout est relatif ...

Le 4 janvier 1995, j'avais 33 ans. Nous n'étions pas très nombreux en ce mercredi matin d'hiver à pénétrer dans les locaux vides et froids du numéro 80 de l'avenue d'Iéna. Pas encore branché, le téléphone ne fonctionnait pas et sur le plateau du  3ème étage où nous nous sommes installés dans un grand bureau aux volumes haussmaniens,  André, Jean-Christophe et moi, nous n'avions guère de voisin. A l'exception notable de notre cher Daniel - connu à la Fac sous le surnom de  "m'sieur Milou" -  l'ordonnateur en chef des déplacements du "Grand". Lui était déjà là,  à la manœuvre, prenant des options sur les salles, mobilisant les fédérations amies, louant des autocars, prévoyant les voyages et les transferts du candidat, ses hébergements, la logistique... Il anticipait  même sur la réservation des lieux pour les meetings de l'entre-deux tours. Pourtant les gazettes qui faisaient l'opinion n'en  donnaient pas cher alors de la peau de notre candidat. Certains allaient même jusqu'à prédire une élection dès le premier tour d'Édouard Balladur, c'est dire ! Nous, contre les sondages et les mauvais augures de tout poil, on avait décidé d'y croire à "la France pour tous" portée par Chirac.

Tous les soirs, sur le poste de télévision du bureau, nous regardions sur Canal + les Guignols de l'info en éclusant des Ti'Punchs. Cet apéro improvisé grâce à la bienveillante attention de quelques amis békés qui depuis la Caraïbe nous approvisionnaient généreusement en Rhum, ce moment de détente quotidien que nous offrait Gaccio et Delépine, devinrent le rendez-vous couru des grognards de la Chiraquie, tous amateurs de Rhum des Antilles. On croisait alors, verre en main, Jean-Louis Debré, Jacques Toubon, Roger Romani ou encore Henri Cuq. Avec Henri, au prétexte d'un voyage d'étude du groupe de l'Assemblée, nous avions même devancé l'appel et, à notre manière, anticipé de quelques semaines le début de la campagne à l'occasion d'un  déplacement éclair sur l'île de Mayotte fin 1994 à l'invitation de notre ami Mansour Kamardine. C'était quelques jours avant le voyage officiel que devait effectué le 24 novembre le premier ministre sur cette île française de l'archipel des Comores. Nous avions chargé nos bagages de quelques affiches et de  vieux T-shirts datant de la campagne de 88 récupérés dans les caves de la rue de Lille. Lorsque Edouard Balladur débarqua à l'aéroport de Dzaoudzi, il fut accueilli au cri de "Chirac président" par des femmes mahoraises arborant fièrement sur leur torse la photo de son rival! Le Préfet et le Ministre de l'outre-mer d'alors se souviennent encore sans doute de la colère froide qui s'en suivit.... Nous  n'avions passé que quelques heures sur l'île, j'en ai rapporté le souvenir amusé d'une blague de potaches et le Paludisme. Bien des années après nous en riions encore avec Henri. Il est mort l'an passé, emporté par la fumée de ses éternels cigarillos....

Souvent, dans notre bureau d'Iéna, nous partagions de vrais fou-rires en voyant apparaître à l'écran l'image de la marionnette de notre candidat. Hérissée de couteaux plantés dans le dos. Elle encourageait les français à "manger des pommes".
Et du coup, nous voulions, nous, que chacun puisse en manger des pommes, façon de lutter à notre manière contre la fracture sociale et de bâtir cette "France pour tous" que nous appelions de nos vœux.

Alors on y croyait. On savait qu'on partait de loin, de très loin même, mais on y croyait. Nombreux pourtant étaient ceux qui n'auraient pas misé sur celui que d'aucuns décrivaient alors comme un "has-been". Ils n'imaginaient sans doute pas que cet outsider, ce "cheval de retour" serait non seulement élu, mais même réélu pour un second mandat. Aujourd'hui l'immeuble de l'avenue d'Iéna héberge France Galop, le syndicat des entraîneurs de chevaux. Curieux clin d'œil de l'histoire...

Je me souviens avec émotion du  premier meeting de campagne. C'était au Dôme, à Marseille. Mon ami Jean était venu me chercher à Marignane avec la R25 qu'il avait conservée de son passage place Beauvau. Autant pour m'impressionner je crois que pour passer sans encombre les embouteillages qui comme souvent  ralentissaient l'entrée dans la ville, il avait fait tout le trajet en laissant branchés la sirène deux-tons et le gyrophare. Mon avion était en retard, je suis quand même arrivé avant le cortège du candidat . Et puis, tout soudain, en pénétrant dans cette salle, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Sept mille personnes réunies pour l'occasion, dont un grand nombre de jeunes qui hurlaient à plein poumons d'enthousiastes "Chirac président"! Je suis sorti et j'ai immédiatement téléphoné à Patrick Stefanini, le directeur de campagne resté à Paris, pour  le lui dire. Je me souviens encore du silence au bout du fil qui trahissait son incrédulité. Pourtant ce jour-là, l'affluence, confirmée par les médias, le grand nombre de jeunes présents, marquèrent, j'en suis sur, un tournant dans la campagne.
Plus tard, au bar de l'hôtel Sofitel nous bûmes un verre, avec Renaud, Claude, Daniel et quelques fidèles militants marseillais. Ils nous soutinrent - était ce l'effet de la proximité du vieux port ? - qu'aucun meeting politique n'avait plus depuis longtemps réuni autant de monde dans la cité phocéenne. Nous nous prenions alors à rêver. Je rêve toujours, l'âge n'y fait rien, d'une France pour tous...


dimanche 12 septembre 2010

Jamais rien


Rien, que tchi, macache, walou, que dalle, queud', nib', nada ...
Aujourd'hui, cher lecteur, je ne trouve rien qui mérite de t'être narré !

Et puis tout soudain me revient en mémoire le film de Chabrol d'après le roman de Manchette, Nada. L'histoire de cette bande d'anars un peu amateurs qui projettent d'enlever l'ambassadeur des États Unis à Paris. Le ratage qui s'en suit. Michel Aumont  dans le rôle d'un commissaire bien décidé à retrouver, coûte que coûte,  les meurtriers d'un flic tué  dans  l'action. Le carnage final. La violence qui répond à la violence. Pour rien. Nada ! Dans la même veine un peu dénonciatrice, un peu militante des années 70, tu te souviendras sans doute avec moi de "Solo" de Mocky, de sa mise en scène d'une autre bande de jeunes plus ou moins anarchistes, prêts à tout pour faire péter la société. 

Tout faire péter, frapper  le pays de l'Oncle Sam, s'attaquer au cœur de "l'empire du mal" symbolisé par cette nouvelle Sodome qu'est aux yeux d'une partie du monde New York, n'était-ce pas le sens même des attaques lancées contre l'Amérique le 11 septembre 2001 ? Nous sommes nombreux à avoir vécu en direct ces attentats qui restent pour partie encore nimbés d'un halo de mystère. En voyant à la télé le deuxième avion percuter la façade sud-ouest de la tour sud du World Trade Center, j'avais vraiment le sentiment d'assister à une mauvaise série B. Je m'attendais presque à ce que Captain America ou Arnold Schwarzenegger apparaissent à l'écran pour sauver le monde. Mais non. Et l'image que je garde en mémoire est celle d'une pluie de corps tombant lourdement. Les corps de ceux qui voulant échapper aux flammes se jetaient dans le vide par les fenêtres brisées des derniers étages des tours jumelles. Car de super-héros les arrêtant dans leur chute, il n'y en eut pas. En se défenestrant, ceux-là préféraient sans doute choisir  la façon dont ils allaient  mourir plutôt qu'ils ne fuyaient la morsure des flammes.

C'était hier la date anniversaire du plus grand attentat du début du XXIème siècle.  Difficile d'échapper aux commémorations. C'est aussi ce weekend  la fête de l'Huma. Bien que souvent le menu musical de la grande scène du parc de la Courneuve ait fait battre plus que de raison mon cœur de rocker, jamais je n'y ai mis les pieds. Trop réac' sans doute ! Même s'il m'est arrivé de me surprendre à partager un déjeuner avec le rédacteur en chef du quotidien des communistes au dernier étage du siège  historique de Saint Denis ....  C'était avant que le journal - signe des temps de crise que traverse la presse écrite - décide, pour faire face à de graves difficultés financières, de mettre en vente ce témoignage de béton de l'œuvre d'Oscar Niemeyer. Mais c'est une toute autre histoire.

En pensant à la concomitance des dates, je crois que je préfère, même si j'y vois aussi une forme de célébration d'une utopie dévoyée, l'idée d'une fête consacrée à l'humanité que la fixation presque malsaine qu'entraîne, de fait, la commémoration des attentats du 11 septembre. Que l'on doive honorer la mémoire des victimes, c'est une évidence mais  pourquoi commémorer ? N'est ce pas finalement donner raison aux terroristes ? Faire que les fondements nauséabonds de ces attentas résonnent et se perpétuent dans le temps ? On commémore quoi au juste ? La victoire des plans déments de monstrueux fanatiques dont les esprits dérangés ont conçu cette horreur ? 

On feint alors de s'étonner qu'un obscurantiste pasteur de Floride veuille brûler le Coran ou que des prédicateurs évangélistes  dénoncent à New York le projet de construction de "la mosquée de la victoire". Pourtant, leurs prônes délirants s'inscrivent bien dans la logique de confrontation, de violence répondant à la violence, qui puise ses racines dans les fondations de ground zero. Près de dix ans plus tard, les intégrismes de tout bord auraient-ils gagné ? Moi, à l'exception du 14 juillet, de son défilé sur les Champs Élysées, de ses bals popus, des lampions  et des feux d'artifice, je n'aime pas - assurément trop anar ! - les comémos qui donnent souvent  le prétexte  à entretenir les ferments de haine et de fanatisme. Certes il ne faut rien oublier, et surtout pas ceux qui ne sont plus là, mais il faut aussi pouvoir avancer. Opposer aux morts des uns les morts des autres ne résout rien, jamais.
Jamais rien ...