samedi 7 juin 2025

Tout ça pour rien

« Il n’y a rien de mauvais dans le changement, si c’est dans la bonne direction » Winston Churchill


Il avait promis le renouveau, le dépassement des clivages, la modernité triomphante. En 2017, Emmanuel Macron est arrivé comme une fulgurance : jeune, brillant, dérangeant. Il balayait d’un revers de main les partis usés, les figures fatiguées, les discours poussiéreux. L’ancienne politique était morte, disaient alors les commentateurs les plus avisés et les experts auto-proclamés qui courent les plateaux des chaînes info. Place à l’intelligence, au dépassement des vieux clivages, à la modernité, à l’Europe, à la réforme. Huit ans plus tard, que reste-t-il ? Un champ de ruines, une majorité en miettes, une colère contenue, et 2027 qui se profile comme une impasse. Tout ça pour rien.

Il ne s’agit pas ici de villipender l’homme, mais de dresser le constat brut de ce qu’a été la Macronie : une parenthèse. Elle a prétendu incarner une rupture. Elle n’aura été qu’une transition – et encore, une transition sans atterrissage. Une forme avortée, s'opposant aux populismes de droite et de gauche, de populisme syncrétique, recourant dès 2016 à une rhétorique anti-système, et se revendiquant en même temps de droite et de gauche. Le président n'est pas à un paradoxe près.

Il faut se souvenir. L’effondrement simultané du PS et des Républicains n’était pas seulement un accident. C’était un séisme. Macron en a profité, certes, mais il en a aussi été le symptôme et même, d’une certaine façon, le responsable. L’implosion du vieux système partisan avait créé un vide, que lui seul semblait capable d’occuper. Ni vraiment de gauche, ni franchement de droite, il attirait les élites, les progressistes urbains, les libéraux assumés, les réformateurs fatigués d’attendre. L’idée était simple : gouverner autrement, faire bouger un pays sclérosé. C’était pour certains assez séduisant. D'aucuns ont pu y croire. Moi, y compris.

Mais cette promesse était bancale dès le départ. Car gouverner, en même temps, "de droite et de gauche", cela exige une ligne claire, un cap cohérent. Or, très vite, la méthode Macron s’est révélée : faire un peu à droite avec les juppéistes en marchant vers le centre, faire un peu de social-démocratie en jetant un PS totalement déboussolé dans les bras des  bolivariens. La fameuse "réinvention" de la politique s’est réduite à un recyclage bien habillé de vieilles recettes. Le "en même temps" est devenu un entre-deux flou, où tout le monde finit par se perdre. Faute de culture du compromis, de pratiques démocratiques renouvelées, le pouvoir s’est recentré sur le président. Un mode de gouvernance hyper-centralisé, technocratique, souvent méprisant. Emmanuel Macron, seul dans l’arène, décida tout, parla pour tous, imposa sa lecture du monde.

Mais on ne gouverne pas un pays fracturé comme on pilote une start-up et le mythe de la "start-up nation" a vécu. Les résistances n’étaient pas des bugs, elles étaient le réel. Le mouvement des Gilets Jaunes a explosé en plein vol le récit du président start-upper. Le peuple en colère n’était pas réformable à coup de punchlines. Puis est venu le Covid, puis la réforme des retraites. Et à chaque crise, le même réflexe : verticalité, improvisation, contournement du débat.

Les français ne sont même pas gréés au pouvoir des milliards d'"argent gratuit" déversés en aides en tous genres pendant la grande pandémie.

Résultat ? Un pays de plus en plus défiant, une majorité de plus en plus fragile, un président, honni et au plus bas dans les sondages, de plus en plus seul.

La Macronie n’a pas su ou voulu se transformer en véritable force politique. Elle a fonctionné comme une bulle : tout le monde y est entré un peu par intérêt, beaucoup par opportunisme. Des anciens du PS, des Républicains en rupture, des technocrates sans attaches. C’est ce conglomérat sans vraie colonne vertébrale qui a tenu le pouvoir huit ans. Mais au fil du temps, les démissions, les scissions, les trahisons et les ambitions personnelles ont laissé une coquille vide.

Et au fond, quelle est l’idéologie de la Macronie ? Une forme de social-libéralisme, professant une foi aveugle dans le marché, une obsession de l’efficacité, quite à abuser du recours aux audits de cabinets-conseil qui ne connaissent que très peu les rouages et les contraintes de l'Etat, un goût certain pour le symbole (l’arc républicain, le "grand débat", le Conseil national de la refondation...), mais rien de solide. Pas de projet de société. Pas de vision à long terme. L’écologie ? Rattrapée en catastrophe. L’éducation ? Fragmentée. La justice sociale ? Oubliée. La sécurité ? Longtemps délaissée..

Aujourd’hui, même ses soutiens ne savent plus ce que représente ce courant politique. Et c’est peut-être cela, le plus révélateur : une majorité présidentielle qui n’a jamais été un parti. Juste une plateforme. Une aventure individuelle érigée en doctrine.

Et maintenant ? La question pendante est simple : que va-t-il rester après Macron ? Ni héritier naturel, ni relève solide. Des noms circulent – Édouard Philippe, Gabriel Attal, ou même Gérald Darmanin – mais aucun ne suscite d’enthousiasme populaire. Des technos solides, bien formés, mais pas des leaders capables de parler au pays.

Pendant ce temps, l’extrême droite prospère. Marine Le Pen, même si on ne peut raisonnablement exclure qu’elle sera empêchée par la justice, n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Elle a pris le temps, lissé son image, et surtout, elle a bénéficié d’un contexte favorable : une gauche divisée, une droite sans leader ni projet, un président déconnecté des attentes des français.

La présidentielle de 2027 s’annonce comme un rendez-vous à quitte ou double. Alors, tout ça pour quoi ? Pour quoi, ce quinquennat reconduit malgré l’impopularité ? Pour quoi, ces réformes au forceps, ces "grandes concertations" sans suite, ces débats parlementaires sabordés ? Pour quoi, cette frénésie de communication, ces grands discours sans lendemain, ces conseils de défense en cascade ? Pour rien. Car rien n’a changé en profondeur. Les fractures sociales, territoriales, générationnelles sont intactes. Le déclassement se poursuit. Le sentiment d’abandon se renforce. Et la défiance envers les institutions atteint des sommets.

On nous avait promis le dépassement. On a eu l’épuisement. La fatigue démocratique est partout, et la colère gronde. Non pas la colère spectaculaire, mais une lassitude, une résignation active, un retrait. Les électeurs ne croient plus aux promesses. Ils s’apprêtent à voter contre, ou à ne plus voter du tout.

Il reste un mince espoir : que le vide actuel oblige les forces politiques à se réinventer. Que la gauche sorte de ses querelles de chapelle pour proposer un projet clair, désirable, concret, débarrassé des outrances du Mélenchonisme. Malheureusement le résultat intervenu lors de la récente élection du Premier secrétaire du PS ne va pas dans ce sens…. Que le centre et la droite se ressaisissent, trouvent un cap, renouent avec une base populaire, en ce dépouillant des derniers oripeaux du Macronisme finissant. Mais, face aux ambitions personnelles, aux petits calculs politiques et à une droite trop souvent maladroite, rien n’est garanti.

Et c’est là que l’échec de la Macronie devient tragique. Le Président avait l’occasion, historique, de rebattre les cartes, de créer une dynamique politique nouvelle, durable, responsable. Il a préféré gérer, contrôler, verticaliser. Résultat : le champ politique est encore plus dévasté qu’en 2017.

En tentant d'exclure les partis traditionnels du jeu, Emmanuel Macron, jetant le bébé avec l'eau du bain, a sorti les idées avec. Il a court-circuité la confrontation démocratique, au profit d’une gouvernance sans incarnation. Et maintenant, nous voilà face à l’inconnu, sans repères, sans boussole.

D’ici 2027, tout est possible - y compris le pire. Le scénario d’une victoire de l’extrême droite (car je n'ose, cher lecteur, même pas envisager un mauvais scénario où le leader maximo de pacotille de l'extrême gauche pourrait l'emporter...) n’est plus une provocation, c’est une hypothèse de travail. Et ceux qui, dans le champ républicain, s’y opposent ne disposent plus ni de structures solides, ni de récits mobilisateurs, ni de leadership incontesté. Alors oui, cher lecteur, on peut le dire sans emphase : tout ça pour rien. Après le quinquennat Hollande et les deux quinquennats Macron, c’est plus d’une décennie qui s’est écoulée. Une décennie pour en arriver là. Une décennie perdue à prétendre transformer sans rien changer. À gouverner sans construire. À incarner sans transmettre.

Les petits riens de la Macronie, ce sont ces gestes vides qui s’empilent : un Grenelle pour pas grand chose, une convention, des réformes avortées, un plan relancé puis oublié. Rien qui reste. Rien qui marque. Rien qui mobilise.

Et le pire, c’est que ce vide pourrait accoucher d’un monstre.